Lorsque Phil ouvrit les yeux, elle se sentait différente. En elle un sentiment avait naquit mais elle n'aurait pu le définir, c'était nouveau et même, elle en vint à se demander si quelqu'un avant, avait ressentit ce genre de chose ... Anthon lui tapota doucement la joue pour l'éveiller totalement, en secouant la tête, elle essaya de se souvenir de tout ce qu'il s'était passé. La révélation, le spectre, les cris, le froid, le vide ... Non, elle n'avait rien perdu. Son frère l'avait transportée à l'étage, dans la bibliothèque où ils seraient gardés des esprits, pour le moment. Anthon se leva, elle était encore allongée sur le parquet. Soudain, il trébucha et heurta violemment une table basse sur laquelle était posée la lampe qui éclairait la pièce. L'ampoule se brisa net en rencontrant le sol et la pièce s'emplit d'obscurité. Phil se redressa sur ses avant-bras, une main jaunie terminée par des ongles brisés, incrustés de sang séché dont le moignon livide sortait du plancher, enserrait la cheville de son grand frère, le maintenant au sol avec une force surprenante. « Aïe ! » s'exclama Phil, dont un choc sur la tête venait de sortir de sa torpeur. Se remettant debout, elle se retourna vivement face à elle, la bibliothèque d'où les livres s'échappaient en faisant tourbillonner leurs pages, tremblait et vibrait, faisant tressaillir ses étagères et libérant livres, parchemins et cartes. Elle ramassa l'ouvrage qui lui était tombé dessus lorsqu'un autre spectre traversa le fond de la bibliothèque. Elle dut se protéger le visage car les livres volaient partout dans la pièce entraînés par un vent de tempête. La créature se dressait devant elle, les livres la traversait sans lui causer de soucis mais les jambes de la jeune fille se couvraient de meurtrissures causées par le passage d'encyclopédies et autres atlas dont les reliures percutaient ses articulations par de violents assauts. Le spectre était vêtu d'un pourpoint qui venait d'une époque ancienne, sans doute la renaissance et la couronne qui ornait son front spongieux était sûrement incrustée des pierres les plus précieuses mais il était aussi jauni qu'une vieille éponge ... « C'est le prince maudit ! Phil, c'est le onzième ! criait Anthon qui essayait de se libérer de la main en la martelant avec le pied de lampe brisée. Quel est son nom ? demanda sa sœur. C'est ... commença-t-il, mais la main de la créature libéra sa cheville et sortant tout son bras du plancher, alla le serrer à la gorge. Suffocant, il ne pu finir sa phrase. » Phil voulut se précipiter pour l'aider mais le fantôme du prince maudit tendit le bras vers elle et l'enserra à son tour jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus bouger : elle criait mais elle ignorait son nom, il savait qu'elle ne pourrait rien faire alors contre lui. Anthon étouffait, Phil tendait désespérément une main qu'elle avait réussit à libérer de l'étreinte du prince, mais cela ne servait à rien, il fallait qu'il se débrouille seul. En fait, Anthon attendait quelque chose. Il attendait que le fantôme qui le tenait fasse quelque chose de stupide : se montrer. Il espérait que celui- ci n'était pas trop intelligent de son vivant et qu'il commettrait l'erreur de traverser complètement le plancher. Il pourrait alors le reconnaître car il fallait voir plus que le bras d'un spectre pour retrouver son nom. Dans les bras décharnés du prince maudit, Phil pleurait et hurlait. Les livres continuaient de tourbillonner autour d'eux. Un ouvrage, plus épais que les autres, vint lui percuter violemment la mâchoire étourdie par le choc, elle mit plusieurs minutes pour se rendre compte que sa lèvre était ouverte. Elle continua à se débattre, elle avait peur de ce qui allait arriver à son frère. Raffermissant son emprise sur la gorge d'Anthon, le second spectre se hissa à travers le plancher de chêne et l'on pu voir sur le visage écarlate du jeune homme, le soulagement après l'attente. Il se montrait enfin. Le spectre se mit à genoux devant Anthon et au moment où il voulu porter ses deux mains au cou du garçon, celui-ci plongea la tête la première vers le poitrail nu du revenant en criant de sa plus forte voix : « Emimuil ! Emimuil ! Emimuil ! » car c'était le deuxième, c'était l'Insignifiant. Phil vit alors ce qu'il se passait lorsque l'on prononçait trois fois le nom d'un spectre. Elle regarda les yeux de l'Insignifiant, deux yeux pâles où brillait une lueur morne de tristesse et de désolation. La jeune fille eu presque pitié de lui. Puis il devint encore plus transparent qu'à la normale et son corps s'effaça lentement comme une fumée blanchâtre entraînée par le souffle du vent à l'intérieur de la bibliothèque. Anthon réapparut lorsque les derniers lambeaux du revenant se furent dissipés cela en fait c'était passé très vite, en quelques secondes le fantôme d'Emimuil avait été chassé de la maison mais pour Phil, ces secondes avaient parut une éternité. Pourquoi ? « Quel est le nom du prince ? » voulut crier Phil à son frère qui reprenait son souffle, mais elle se rendit compte qu'elle connaissait déjà la réponse. Au fond d'elle, elle avait la vague impression de déjà tout savoir sur les treize, elle connaissait leurs noms et puis des autres choses ... ce qu'il s'était passé dans leur vivant ... surtout dans le vivante de la première, de l'hérétique ... des choses que personne ne pouvait savoir. Etrangement, elle se sentait liée à elle maintenant qu'elle les connaissait, elle comprenait que cette connaissance elle l'avait depuis toujours. Jamais, elle ne lui serait expliquée ... N'avait-elle pas eu cette impression bien précise de faire partie d'eux, une sorte de famille ? Non. Elle n'était pas un fantôme. Elle n'était pas une meurtrière. Pas comme eux, pas comme celui qui avait emmené ses parents ! Elle rua soudain et fit lâcher prise à la créature qui la contraignait, fit volte-face une nouvelle fois et en criant le nom, elle traversa les chairs du fantôme cette fois, sans s'arrêter. « Lord Mekes, Lord Mekes, Lord Mekes ! » car tel était le nom du prince maudit. Anthon dévisagea sa sœur, mais ne l'interrogea pas car il savait bien qu'elle même ne pouvait connaître la réponse à cette question-là. Il se remit debout en massant sa cheville meurtrie. Phil, livide, essuya d'un revers de main le filet de sang qui s'échappait de sa lèvre ouverte. Ils sursautèrent en entendant le fracas significatif d'une table qui se brise sous eux, à l'étage inférieur. « Le chacal ... Il arrive ... murmura Anthon. » Le chacal. Le huitième. Le plus fort et dangereux des treize. Phil déglutit avec peine et mordit sa lèvre blessée. Cette douleur-là n'était rien : s'ils rencontraient le chacal, son nom ne leur serait d'aucune utilité ... S'ils rencontraient le chacal, ils seraient perdus ... mais n'étaient-ils pas, à ce moment là, déjà perdus ? Dans le cœur de la jeune fille, quelque chose se rétracta soudain, cessa d'exister et une autre chose, plus sombre, naquit ...