Vendredi 19 décembre
11h 58
salle de travail n°15, la Roseraie.
Mlle Mignère, la prof de démonologie, regarda sa montre et constata qu'elle venait de passer plus de 2h à débarrasser les salles de travail d'un troupeau de démon de type Brassicae. Les démons Brassicaes étaient de véritable calamités, surtout en début d'année, car ils apparaissaient à la moindre invocation un peu ratée. (L'on disait que le seul fait de prononcer leur nom trop fort les faisait aussi apparaître et c'est pour cela qu'on ne le disait qu'à voix basse.) En théorie les élèves étaient prévenus qu'il fallait s'entraîner, pour le cours d'invocation, uniquement dans les salles pourvues d'une protection spéciale. Mais, pour la seconde fois depuis le début du mois, des élèves avaient tentés l'expérience dans une salle de travail normale et 7 Brassicae étaient apparus. Et il est aussi difficile de s'en débarrasser qu'il est facile de les faire venir.
Fatiguée, la jeune femme rassembla ses affaires et se dirigea vers la sortie.
En théorie, ce n'était pas dans les fonctions du professeur de démonologie de régler les accidents d'invocations mais celle de Mr L'Arolette, le professeur d'invocation. Toutefois celui-ci s'en fichait comme de sa première chaussette et laissait les autres se débrouiller comme ils le pouvaient. Il trouvait comme excuse qu'il avait des choses plus importantes à faire et qu'avec toutes les heures de cours qu'il devait assurer, il n'avait pas le temps. Il est vrai qu'il devait s'occuper seul de 6 niveaux de classe à raison de 2 à 3 heures de cours par classe et par semaine. Il faut dire que c'était bien sa faute si l'école n'arrivait plus à recruter d'assistant en invocation, les 2 derniers ayant fait une dépression nerveuse. A vrai dire les premières années, qui n'avaient pas encore de cours d'invocation, ne connaissaient pas leur bonheur car ce professeur était un personnage terrible, il détestait tout le monde, surtout si ce quelqu'un n'était ni un démon d'au moins niveau 8, ni un sorcier maîtrisant les 136 arcanes des invocations de niveaux 7.
Mlle Mignère, elle, devait s'occuper seule des 7 niveaux de classe à raison de 2 à 3 heures de cours par classe et par semaine car les budgets de l'école ne permettait pas d'employer un assistant en démonologie. De plus elle devait remplacer le professeur d'invocation quand celui-ci n'était pas disponible. Elle était donc dérangée pour un oui ou pour un non à chaque fois que l'on croyait entre apercevoir un démon ou qu'une fumée bizarre sortait des salles d'invocation. Une personne normale n'aurait pas supportée ce régime plus d'une semaine avant de piquer une crise. Mais ce n'était pas du tout le genre de la jeune femme, celle-ci était toujours calme et de bonne humeur, personne ne l'avait jamais vu s'énerver et encore moins se mettre en colère.
Elle traversa la cour de la fontaine, tourna à droite puis à gauche, monta 25 marches de tailles inégales, passa sous une porte basse, longea un couloir où la lumière perçait au travers de magnifiques moucharabieh, elle redescendit 4 marches et déboucha dans la salle commune.
La pièce était plongée dans une pénombre inquiétante... ou alors était-ce juste une impression ?... La jeune femme ne savait pas trop car, à force de côtoyer des démons les plus étranges et les plus dangereux, son 6ème sens s'était tellement développé qu'il lui arrivait parfois de ne plus faire la différence entre pressentiments et réalité.
En fait ce n'était pas la première fois que Mlle Mignère ressentait cette "pénombre", depuis quelques semaines elle semblait avoir envahi toute l'école. D'ailleurs l'humeur des élèves en était fortement influencée.
La jeune femme fut tirée de ses réflexions par l'arrivée de Mr Lebarge , le Maître de la Roseraie. Le maître de loge, que tout le monde appelait Fabien alors qu'il s'appelait François, venait de finir d'inspecter le reste de la Roseraie au cas où un Brassicae y aurait trouvé refuge.
- C'est bon, rien à signaler dans le reste du bâtiment.
- C'est bon aussi pour les salles de travail, mais je crains que l'odeur ne mette plusieurs jours à partir.
( Les Brassicaes émettant une horrible odeur de chou cuit)
- Cela n'a pas d'importance, il n'y aura personne durant les deux semaines à venir.
- Tous les élèves partent en vacance ? S'étonna la professeur en démonologie.
- Et oui c'est rare mais ça arrive ! ... Je vais donc pouvoir partir moi aussi.
La cloche sonna la fin des cours.
La jeune femme jeta un coup d'œil à sa montre pour vérifier.
- Nous devrions nous dépêcher si nous voulons qu'il nous reste quelques miettes du repas de Noël., dit la jeune femme en esquissant le mouvement de se diriger vers la sortie.
- Allez y ! J'ai encore quelque chose à régler ici.
- OK ! A plus tard alors...
Et la jeune femme disparut dans le halle.
Une fois seul, Lebarge alla jeter un coup d'œil au travail effectué dans les salles de travail. Effectivement, il y régnait une abominable odeur de chou bouilli. Il ferma consciencieusement tout les salles à clef. Le bateau étant à 15h, les élèves n'auraient rien à y faire. Il regagna la grande salle. Celle-ci était déserte, aucun élève ne manquerait le repas de Noël pour tout l'or du monde.
Mais avant d'aller, lui aussi, se gaver au festin, il avait une dernière chose à vérifier. Pour cela il s'installa de manière à ne pas être vu et attendit.
Son attente ne fut pas longue car à peine quelques minutes plus tard, quelqu'un entra. Une frêle silhouette traversa rapidement la pièce. Le maître de loge ne fit pourtant que l'apercevoir car lorsqu'il essayait de fixer son regard dessus, celle-ci semblait disparaître. C'était troublant, surtout au début, mais après plusieurs semaines on s'y habituait, il ne s'agissait que d'un simple sortilège de miroir...
(Enfin simple n'est pas vraiment le terme approprié car il fallait un sacré niveau en magie pour arriver à en lancer un qui soit efficace...)
Ce qui gênait Lebarge, c'était que l'utilisation de cette catégorie de maléfice était formellement interdite dans l'enceinte de l'établissement. Il n'avait pas encore trouvé le courage d'intervenir car si cette élève l'utilisait, ce n'était pas dans le but de nuire aux autres, mais dans le but de se protéger. Depuis l'affaire de l'article, on ne peut pas dire que la vie de cette jeune fille ait été rose. Et même maintenant de nombreux élèves ne cessaient de la persécuter, à commencer car ses camarades de chambre.
Le maître de loge était inquiet car vu la dégradation de l'ambiance dans l'école, qu'il reliait à une trop forte concentration de talismans phénatétiques, cette pauvre fille aux cheveux blancs et bleus risquait d'être la première victime de la catastrophe qui s'annonçait... Enfin pour le moment il avait vérifié que la jeune fille pourrait finir ses bagages à temps pour partir en vacance, il pouvait aller déjeuner à son tour.
Pour Alice, il n'était pas du tout question de déjeuner ce jour là, elle mangerait ce soir, quand elle serait à la maison. Pourtant le fait que personne ne voulait manquer le service du repas de Noël lui permettait d'aller tranquillement finir sa valise. En effet, la veille, Armelle et Suzanne lui avait interdit l'accès à la chambre et elle avait du dormir dans l'une des salles de travail.
Quand elle entra dans le chambre, elle constata que les autres avaient eu l'idée merveilleuse de fouiller dans ses affaires. Que croyaient-elles y trouver ? Alice n'essaya même pas de comprendre, elle n'en avait pas le temps. Elle réunit ses pauvres affaires qui étaient éparpillées, tria rapidement ce dont elle aurait besoin pour les vacances, remplit sa valise, la boucla et regagna la grande salle avant que les premiers élèves ne sortent du réfectoire. La valise ensorcelée était légère comme une plume.
Sa montre indiquait 13h07 quand les premiers élèves entrèrent dans la salle commune, ils ne virent pas le jeune fille assise dans un coin. Les élèves qui arrivèrent plus tard ne la remarquèrent pas plus. Par contre, elle, elle remarqua tout le monde.
Elle décida de bouger quand sa montre indiqua 14h pile. Grâce au sort de miroir que lui avait appris sa mère elle passa totalement inaperçu. Prudemment, elle sortit de la loge et retira le sort de miroir car si un professeur s'en rendait compte elle aurait encore des problèmes... Elle en avait pourtant bien assez comme ça.
Il y avait foule dans l'atrium et Alice eu beaucoup de mal à se frayer un chemin, surtout qu'elle tâchait d'éviter certaines personnes comme Petsèque ou Armelle...
Dans le hall, la jeune fille croisa Mr galonnez, le professeur d'enchantement. Celui-ci la regarda passer. Ce qu'il remarqua le plus ce fut la malle qui de toute évidence était ensorcelées. Astucieux ! Mais il ne s'agissait que d'un petit sort de lévitation, il fallait juste y penser. Le professeur regarda la jeune fille aux cheveux blancs et bleus s'éloigner.
Il était perplexe par rapport à cette élève en qui il avait cru déceler un énorme potentielle magique. Il avait constaté qu'au fur et à mesure qu'elle maîtrisait les sorts et qu'elle paraissait plus calme, sa magie déclinait... du moins il n'arrivait plus à la percevoir. Il en était presque déçu ... bref cette fille ne serait, en définitive, qu'une sorcière médiocre.
Le professeur détourna ses pensées car avant de partir lui aussi en vacance il devait communiquer la liste des élèves suspectés d'être en possession d'un talisman Phénatétique. La liste était longue, avec des élèves de tous les niveaux et de toutes loges. Cette invasion était inquiétante car les élèves se laissaient abuser par les avantages et la puissance que conférait la possession de tels talismans sans se rendre compte du prix à payer ni des effets à long terme. La concentration de ces objets devenait tel que l'ambiance à l'intérieur de l'établissement était de plus en plus tendue et malsaine. Il fallait absolument intervenir avant que quelque chose de grave arrive. Il espérait bien que cette liste convainc la directrice de le laisser entrer en action avant qu'il soit trop tard.
Au loin, sur la mer, la Barbaresque attendait tranquillement que les vacanciers embarquent pour rentrer dans leurs familles. Un pâle soleil de décembre illuminait la scène. Il ne faisait pas très froid... Mais il ne fait jamais vraiment froid à Beauxbâtons. Les vacances apportaient un répit bienvenu pour tous, mais trop court, hélas, car de graves événements allaient se produire par la suite.
