Chapitre 14

Mardi 7 avril Salle d'invocation N°3

Alice avait déjà demandé à quitter le cours mais en vain, le professeur, aussi hargneux qu'à son habitude, refusait de la laisser aller à l'infirmerie. Pourtant elle se sentait vraiment mal. Son cœur battait tellement vite qu'elle avait l'impression qu'il allait exploser. Sa vue se brouillait. Elle sentait qu'elle perdait le contrôle de sa magie. Sa peau prit une couleur irisée. De petits éclairs lui remontèrent le long des bras.

L'Arolette comprit trop tard ce qui était en train de se passer. Cette gourde de Poissondoret allait se prendre une décharge de magie. Combien de fois avait-il répété qu'avant de commencer un protocole d'invocation, il fallait faire un rituel de protection pour dévier les décharges de magie car la magie risquait de s'accumuler et de former des éclairs qui viennent frapper l'officiant si le protocole échoue. Combien de fois l'avait-il dit ? Mais il y en a toujours qui se croit plus malin ou plus fort que les autres et qui ne le font pas ! Cette petite sotte avait décidé de s'en passer et bien qu'elle en subisse les conséquences, ça lui apprendrait. De toute façon, elle n'en était qu'aux invocations de niveau 1, la décharge ne serait pas dangereuse, douloureuse mais pas dangereuse. Le professeur décida donc qu'il n'interviendrait pas. Après tout ça lui servirait de leçon à cette élève, et ça servirait, aux autres, d'exemple de ce qui risque de leur arriver s'ils ne respectaient pas tous les rituels.

Pourtant l'Arolette se trompait sur deux points : Alice n'avait pas omis de faire le rituel de protection, et que la décharge serait beaucoup plus forte que tout ce qu'il avait connu jusqu'alors.

La pièce fut envahie par une odeur métallique. Un horrible bourdonnement se fit entendre. Le bruit prit peu à peu de l'intensité jusqu'à devenir insoutenable. C'est à ce moment là  qu'eut lieu la décharge à proprement dite. Des éclairs d'octarine fusèrent de toute part. Leurs nombres et leurs intensités étaient telles que la pièce fut envahie par une lumière aveuglante.

Quand la pièce retrouva son calme, les élèves, terrorisés, mirent beaucoup de temps à réaliser que c'était fini. Le professeur d'invocation lui-même était sous le choc. Il n'avait jamais vu autant de magie rassemblée au même endroit, même en rassemblant toute la magie disponible dans l'école, il n'obtiendrait pas le millionième de cette puissance.

Esmé, qui avait repris ses esprits un peu plus vite que les autres, s'était précipitée sur Alice. Elle n'avait absolument pas compris ce qui s'était passé mais cela devait être grave. Elle fut vite rejoint par le professeur qui, après un rapide examen, conclut qu'à part les brûlures aux mains et aux bras, Alice n'avait rien.

La violence de la décharge de magie s'était ressentie dans toute l'école. Et pendant de heures, les objets, magiques ou non, devinrent fous, ils lévitaient, se déplaçaient, grandissaient ou rapetissaient… Les baguettes magiques furent les plus atteintes et il fut impossible de lancer correctement un sort pendant des heures.

Alice avait été rapidement conduite à l'infirmerie où on  avait soigné ses brûlures du mieux qu'on pouvait, mais ce genre de blessures était difficile à soigner et la jeune fille devrait sans doute porter ses bandages aux mains pendant des semaines.

Simultanément, quelqu'un avait été envoyé déclarer l'accident au secrétariat. Là-bas, si on fut surpris de la nature de l'accident, on le fut beaucoup moins par l'identité de la victime.

L'accident étant grave, même si les séquelles semblaient minimes, Mme Maxime décida de prévenir la famille. Décidément, cette élève attirait les problèmes.

Cependant, les personnes qui avaient ausculté la jeune fille étaient passés à côté de quelque chose de très important. C'est Mme Malodan, la deuxième infirmière de l'établissement, qui le remarqua quand elle prit sa garde.

Mme Malodan était la doyenne de l'école, au cours de sa carrière elle en avait vu des blessures dues à la magie. Ce cas lui rappela un autre cas étonnamment similaire, bien qu'il n'eut aucun lien avec les invocations. L'histoire remontait au tout début de sa carrière, à l'époque elle travaillait dans l'équipe d'intervention d'urgence pour les accidents magiques, un homme avait été victime d'une terrible décharge magique qui l'avait laissé dans le même état que cette jeune fille. Un détail de l'histoire lui revint en mémoire. Mon dieu et si… L'infirmière se dirigea d'un pas rapide vers l'accidentée. Lui posa la main sur le front, murmura une incantation et sonda l'esprit de la jeune fille.

Enfin, elle aurait dût sonder son esprit car elle ne trouva rien à sonder. Ce qui était allongé sur un lit de l'infirmerie n'était qu'un corps vide, l'esprit qu'il était censé contenir était parti voir ailleurs si l'herbe y était plus verte. La décharge de magie avait projeté l'esprit de la jeune fille en dehors de son corps.

Le cas était donc très grave car si l'esprit ne regagnait pas son corps dans les 35h18min qui suivait la séparation, alors le corps mourrait.

Il ne restait déjà plus que 32h43…

***

La première chose que remarqua Alice ce fut le silence. Il n'y avait pas un bruit. Le silence est quelque chose de troublant pour quelqu'un qui souffre d'hyper-accousti. Alice constata rapidement que le bruit n'était pas la seul chose qui avait disparu, il y avait aussi la douleur. Elle n'avait pas compris exactement ce qui s'était passé mais cela avait été très douloureux. A présent, elle n'avait plus mal, d'ailleurs elle ne s'était jamais sentie aussi bien. Elle décida d'ouvrir les yeux.

Elle fut d'abord éblouie par une vive lumière bleuté, peu à peu ses yeux s'habituèrent et elle parvint à distinguer des formes mouvantes, les formes se firent plus précises, des couleurs apparurent, mais tout restait flou, bleuté…

Alice, une fois que ses yeux furent habitués, reconnut la salle d'invocation. Un peu plus loin, il y avait un attroupement, Alice se releva pour aller voir ce qui se passait. Elle n'eut pas besoin de se rapprocher car le groupe s'ouvrit pour laisser passer le professeur, celui-ci portait quelque chose… Non plutôt quelqu'un… Et ce quelqu'un c'était elle-même.

Alice découvrit alors que la peur aussi avait disparu.

Elle regarda le professeur s'éloigner. Etait-elle morte ? Etait-elle un fantôme ? Alice fixa son attention sur ses camarades de classe, elle chercha du regard Esmé. A l'expression que celle-ci avait, Alice comprit que, non, elle ne devait pas être morte.

Mais alors que faisait-elle ici et son corps là-bas ?

En fait, peu lui importait, elle se sentait si bien ici, elle n'avait plus peur, ni mal… Elle avait l'impression de retrouver quelque chose qu'elle avait perdu il y a très longtemps, l'impression de revenir dans un lieu merveilleux qu'elle n'aurait jamais dût quitter..

***

Mme Maxime fut très étonnée quand on lui annonça l'arrivée de Mme D'Alembert. Cela faisait à peine une heure qu'elle avait envoyé le hibou concernent l'accident, il était impossible qu'elle l'ait déjà reçu.

Avant de pouvoir recevoir la tante d'Alice, il fallait absolument finir de stabiliser le champ magique que l'accident avait fortement perturbé, Mme Maxime se vit dans l'obligation de la faire attendre.

Au bout de près d'une demi-heure, la directrice laissa son adjoint avec quelques professeurs se charger de finir la stabilisation. Elle rejoignit le secrétariat où l'attendait Mme D'Alembert.

La première chose que remarqua la directrice chez cette femme,  ce fut les deux hommes qui l'accompagnaient. Puis elle remarqua que le jeune femme avait l'air terriblement fatiguée et inquiète.

Madame Maxime, après les salutations d'usages, les fit entrer dans son bureau.

- Je me réjouis et m'étonne de la célérité avec laquelle vous avez réagi au hibou que je vous ai envoyé.

- Ne vous étonnez pas pour si peu, cette célérité n'est du qu'à l'utilisation répétée d'un inverseur de temps.

Bien qu'elle ne le montra pas, le directrice fut très étonnée de cet aveux, comment une moldu avait eu accès à un inverseur de temps, objet dont la possession ainsi que l'utilisation était fortement réglementé.

- Je tiens pourtant à vous assurer que votre venue n'était pas nécessaire, votre nièce est entre de bonnes mains…

- Elle est en train de mourir ! La coupa la jeune femme.

- Comment ?

- Je n'aurais pas remonter plus de 30 heures pour des brûlures aux mains.

- Je ne vous suis pas. Que voulez-vous me dire ?

- Nous devrions nous rendre à l'infirmerie, je vous expliquerais en chemin…

La directrice sentait que la situation lui échappait totalement, mais si cette femme avait effectivement remonter plus de trente heures c'est que cela devait être effectivement plus grave qu'on ne l'avait pensé.

***

Peu à peu, Alice avait compris où elle était : le plan astral… et elle comprenait aussi que si elle ne voulait pas y rester prisonnière, il fallait qu'elle regagne son corps. Pourtant elle voulait encore rester un peu ici, car ici elle était bien, ici elle avait l'impression que tout était limpide, facile…

***

En chemin la jeune femme expliqua à la directrice que la décharge de magie avait projeté l'esprit de sa nièce hors de son corps et qu'ils n'avaient qu'une trentaine d'heures avant que la séparation  soit définitive.

Quand le groupe arriva à l'infirmerie, ils trouvèrent Mme Malodan en train d'accrocher sur la porte une feuille sur laquelle était écrit : « je reviens tout de suite ! ». L'infirmière la décrocha en voyant approcher la directrice.

- Je suis heureuse de vous voir, Madame la directrice, il faut que je vous parle de toute urgence. C'est à propos de Mlle Poissondoret…

- Je sais déjà !

Mme Malodan jeta un regard étonné à la directrice, celle-ci avait l'air très sérieuse. L'infirmière jeta un coup d'œil aux personnes qui accompagnaient la directrice. Qui étaient-ce ?

La directrice remarqua l'expression interrogatrice de l'infirmière.

- Je vous présente Mme D'Alembert, la tante de Mlle Poissondoret et ces messieurs….

- Deux membres de la brigade d'intervention dans les accidents magiques., Compléta la jeune femme.

Mme Maxime fut perplexe quant à cette information car elle avait reconnut les brassards noir à croix blanche et fleur rouge. Mme Malodan fut, elle aussi perplexe, car elle avait fait parti de cette brigade pendant des années et ses membres ne ressemblaient pas à ça.

Il y avait là quelque chose de louche qui éveilla la méfiance de  la directrice et de l'infirmière.

***

Plus le temps passait et plus Alice découvrait de choses, par exemple que pour se rendre à un endroit elle n'avait qu'à y penser... Et puis elle avait découvert qu'elle pouvait se fondre dans les objets, les plantes, etc., et qu'au moment où elle ne faisait plus qu'un avec, qu'elle en comprenait la structure, le fonctionnement…

Elle testa cet incroyable pouvoir sur tout ce qui l'entourait : arbres, fleurs, tables, murs…

***

L'ambiance à l'infirmerie était tendue.

- Mais puisque je vous dis qu'elle ne reviendra pas d'elle-même si nous n'intervenons pas ! S'exclama Mme D'Alembert, excédée.

- Je ne permettrais pas d'intervention sans autorisation des autorités compétentes.

- Ne comprenez vous pas que le temps nous est compté ?

- Il faut que nous attendions l'arrivée du spécialiste !

La voix de la directrice avait fait trembler les vitres. Mme D'Alembert s'assit, vaincue. Pourtant, au bout de quelques minutes, la jeune femme demanda à envoyer un hibou. Ce qui lui fut accordé.

Mme Maxime était à présent extrêmement méfiante envers cette femme qui se disait moldu mais se comportait comme si elle possédait un pouvoir extraordinaire. Et puis, qui étaient ces hommes qui n'avaient pas prononcé une parole depuis leurs arrivées ?

Un spécialiste avait été appelé d'urgence, il ne restait plus qu'à attendre. Cette attente allait sans doute être longue.

***

Il est de notoriété public que les murs ont des oreilles et à Beauxbâtons ces oreilles appartenaient à Esméralda Pyvert. Celle-ci était donc au courant de la situation dans ses moindre détails. Son entourage fut donc très surpris de ne pas la voir se précipiter au journal pour colporter la nouvelle. Au lieu de cela, elle avait l'air terriblement abattu. Peut-être était-elle humaine après tout.

***

A l'infirmerie, les heures s'ajoutèrent aux heures, l'attente s'éternisa.

Mme Maxime avait dût retourner à ses fonctions et l'infirmière à ses malades. Mme D'Alembert veilla Alice. Les deux hommes s'installèrent dans un coin de la chambre, le plus discrètement possible.

L'attente dura ainsi tout l'après midi, il faisait nuit quand le spécialiste tant réclamé arriva enfin. Plus de 8 heures s'étaient écoulées depuis l'accident.

L'homme envoyé pas le service des accidents magiques était vieux, avait l'air d'un clochard et était agité de tremblement. La directrice en le voyant arriver se demanda s'il n'y avait pas eu erreur, mais l'homme présenta un papier tout ce qu'il y a de plus officiel. Il était bien spécialiste Es accident d'invocation. Comme le temps leur était compté, Mme Maxime le conduisit tout de suite au chevet de l'accidenté.

Ils furent accueilli à l'infirmerie par Mme Picmal qui devait assurer la garde de nuit.

La scène qui se produisit alors sembla un peu surréaliste aux yeux de la directrice et de l'infirmière. Au lieu de l'accueil glacial auquel les deux femmes s'étaient attendues de la part de la tante de la victime, Celle-ci accueillit l'envoyé ministériel à bras ouvert comme on accueille un ami perdu de vu de longue date et qu'on est heureux de retrouver.

- Archibaldo ! Cela fait si longtemps.

- Ho Martha…

Le vieillard semblait fortement ému

- … Tant et tant d'année se sont écoulées, je ne pensais pas te revoir un jour. Puisque tu es ici, ma présence n'est pas nécessaire. Je suis heureux que tu ais changé d'avis.

La femme devint soudain très grave.

- Non, Archibaldo… Non, je n'ai pas changée d'avis. Si je suis là c'est que la victime est ma nièce.

- La fille de Julia ? S'exclama-t-il en se tournant vers le lit.

Il s'approcha rapidement du lit, posa sa main sur le front de la jeune fille qui était étendue là. Il resta parfaitement immobile pendant un temps qui parut plus long que l'éternité. Quand il parut revenir à la réalité, il demanda à ce que l'on enlève les bandages dont les bras d'Alice étaient recouverts. Mme Picmal s'exécuta en silence, l'envoyé ministériel était hiérarchiquement supérieur à elle, elle n'avait donc pas son mot à dire.

L'homme examina les brûlures.

« La puissant de la décharge a dût être phénoménal ! C'est presque étonnant qu'elle soit encore en vie… Franchement, je ne crois pas qu'elle pourra revenir d'elle-même sinon elle l'aurait déjà fait. Il faut mettre en place la procédure de rappel de Spallanzani. »

Il se tourna vers la directrice.

- Avez-vous dans cet établissement des sorciers de niveau supérieur à 8 en invocation ? Cela nous ferait gagner un temps précieux.

- Mr L'Arolette, le professeur d'invocation, et Mlle Mignère, la professeur de Démonologie… Répondit Mme Maxime.

- L'Arolette ? Professeur ? Mon dieu où va le monde… Je préfère me passer de ses services, par contre faite prévenir Mlle … Mignère. A deux, nous ne devrions pas avoir de problème.

La professeur de démonologie fut envoyée chercher de toute urgence.

***

Alice avait pris une décision qu'elle savait ne pas devoir regretter … Qu'avait-elle à perdre ? …Et puis elle était si bien ici… si bien… Elle n'avait encore jamais ressentit cette sensation de plénitude… Non ce n'était tout à fait vrai, elle avait déjà connu ça, il y a longtemps… Elle avait l'impression d'être déjà venu ici… Oui c'est ça, elle avait pris sa décision… Maintenant elle se sentait légère … Elle se sentait libre… Enfin…

***

La procédure de Spallanzani était un protocole réputé difficile, Mlle Mignère en avait déjà entendu parler, il était classé parmi les invocations de niveau 10 et nécessitait que l'officiant soit assisté par un autre sorcier.

La professeur de démonologie fut étonnée de la simplicité des préparatifs pré-invocationnel. L'officiant avait juste tracé un cercle à la craie rouge autour du lit, griffonné quelques symboles et posé une feuille d'Ardarant rouvre sur le front de l'accidenté. La jeune femme ne se laissa pas abusée par cette apparente simplicité, elle avait déjà remarqué que ce n'était pas les invocations les plus difficiles qui nécessitaient le plus de décorum.

Par contre la jeune femme ne s'attendait pas à ce que la litanie dure aussi longtemps. Il leur fallut presque deux heures avant que le cercle d'invocation s'active et qu'ils puissent lancer les premières arcanes.

A la 158ème arcane l'officiant débuta l'invocation à proprement dite pendant que l'assistante continuait à lancer les arcanes. Mlle Mignère commençait à éprouver des difficultés, et selon toutes les apparences, l'officiant aussi. Elle n'était pas idiote, elle comprenait très bien ce qui était en train de se passer, le bras de fer entre eux et l'esprit invoqué venait de débuter.

Ils tinrent bon.

A la 216ème arcane, une légère silhouette argenté se forma dans le cercle d'invocation.

A la 245ème, elle devint plus dense.

A la 251ème , les traits se précisèrent.

A la 259ème , la silhouette bougea, leva une main et sembla la contempler.

A la 263ème , la silhouette leva sa main vers le ciel.

A la 265ème , la main se rabaissa en lassant un terrible éclair d'octarine. L'officiant et son assistante furent projetés contre les murs de la chambre. Un deuxième éclair vint briser le cercle. La silhouette, libérée, disparut. Au bout de presque quatre heures de procédure, seulement 8 arcanes avant la fin, le protocole avait échoué.

***

Alice avait senti cette force qui l'appelait… Comme une petite voix qui venait de très loin. Elle avait refusé de l'écouter. Puis cela avait commencé à la tirer de toutes parts. Elle avait résisté, elle s'était débattue, avait crié, imploré… mais la force l'avait traînée vers le cercle, vers son corps. Peu à peu, elle s'était sentie reprendre forme… Puis revinrent les bruits, la peur, la douleur… Non elle ne voulait pas… Elle avait trop mal… Pitié… Non… Pas ça…

Il lui vint une idée, une seule. Elle concentra toute l'énergie qu'elle put dans sa main… Il fallait rompre le cercle… Elle baissa la main et toute la magie accumulée fut libérée d'un coup… le cercle se brisa… elle fut à nouveau libre.

*******

A l'infirmerie, ce fut la consternation. La professeur de démonologie et l'envoyé ministériel étaient épuisés par les 4h05 d'invocation, et la professeur était toujours inconsciente à cause du choc subit quand elle avait heurté le mur.

« Mais que s'est-il passé enfin ? » S'indigna Mme Maxime.

Le vieillard aurait voulu dire la vérité. Dire que l'esprit de la jeune fille refusait de revenir, qu'elle refusait de vivre. Dire qu'elle avait choisi et qu'ils n'avaient pas le droit de contester sa décision. Il savait que s'il tenait de tel propos on le prendrait pour un fou, on le traiterait d'immoral… Il préféra ne rien dire. Il croisa le regard de Mme D'Alembert… Ho Martha ne fait pas ça, n'interviens pas, laisse-la partir.

Il ne sut pas si elle avait perçu le message.

« Vous allez la laisser mourir ?! »

La voix juvénile qui venait de parler eut l'effet d'un électrochoc sur l'assemblée. Tous se tournèrent vers la porte pour y découvrir Mlle Pyvert.

Mon dieu que faisait-elle là ? Il était tard, elle aurait dût être dans sa loge…

La directrice réagit la première.

« Non ! Bien sûr que non ! je suis sûr qu'il existe d'autres moyens »

L'homme se tourna vers la tante d'Alice… Non Martha… La jeune femme s'était redressée, elle avait l'air d'avoir pris une grave décision… Non Martha ne fait pas ça… Elle sortit un rouleau de papier, il s'agissait de la réponse au hibou qu'elle avait envoyé dans l'après-midi… Je t'en conjure Martha, laisse-la partir… La jeune femme tendit la feuille, qui portait le sceau du ministère, à la directrice… Pardonne moi Archibaldo, je ne peux pas la laisser partir… La directrice lut la feuille… Pardonne moi, mais je n'ai pas le choix…

La directrice fut sidérée par ce qu'elle lut :

« Par ce présent mandat, le ministère confère le pouvoir décisionnel et exécutif à Mme D'Alembert Martha dans l'affaire du 7 avril concernant l'accident d'invocation de Mlle Poissondoret Alice. Mme D'Alembert Martha, en sa qualité de maître de l'Ordre des Chevaliers d'Eole, devra s'assurer du sauvetage de la victime précédemment citée. »

Mme Maxime ne comprenait plus rien. Cette femme n'était donc pas une moldue comme cela était écrit dans le dossier scolaire de sa nièce. Par contre, la directrice comprit très bien qu'elle n'avait plus aucun pouvoir dans cette affaire. Le sentiment qui l'envahit la troubla. Elle était soulagée…

-  Ainsi tu reviens à la magie ? N'était-ce pas pour ne plus avoir à faire le sale boulot du ministère que tu avais rejeté le monde sorcier ? Que tu était partie vivre comme une moldue ?

- Archibaldo, il y a tellement de choses que tu ne sais pas.

- Non je ne sais pas tout, mais je sais ce que tu va faire, et je sais aussi ce que ça va donner, je me souviens de ce qui s'est passé avec Julia !

- NE PARLE PAS DE JULIA !… ne parle pas de Julia…

Il comprit aussitôt que Martha était à bout de nerf et qu'il était arrivée quelque chose à Julia.

La directrice et l'infirmière avaient été totalement exclues de la conversation. Elles avaient bien essayé de suivre mais il leur manquait beaucoup trop de données pour qu'elles puissent comprendre ce qui se passait réellement.

 Pour Esmé, qui était toujours là, c'était bien pire car la seule chose qu'elle comprenait, c'était que l'on était en train de se disputer pour savoir si on devait laisser mourir Alice ou non. Elle n'en croyait pas ses oreilles, le fait même que l'on se pose la question la choquait terriblement. Elle prit une grande aspiration…

« Non, mais qu'est ce qu'il vous arrive ? Vous vous rendez compte que pendant que vous vous disputez pour on ne sait pas quoi, Alice est en train de mourir et vous ne faites rien… »

Elle ne put pas en dire plus car elle fondit en larme.

***

A nouveau libre, Alice reprit l'exploration du plan où elle était. Elle découvrit assez vite qu'elle pouvait se fondre dans plusieurs objets à la fois. Il lui vint alors une idée, cette idée lui parut totalement folle mais quelque chose lui disait que ça allait marcher. Elle se concentra de toute ses forces et peu à peu elle sentit la forme qu'elle avait gardé jusque-là se dissoudre pour aller se fondre dans tout ce qui l'entourait…

***

Mme Picmal donna une potion somnifère à Esmé et la laissa se reposer dans une chambre à l'autre bout de l'infirmerie.

Mlle Mignère dormait toujours, l'invocation l'avait tellement épuisé qu'elle allait sans doute dormir pendant encore plusieurs heures.

L'envoyé du ministère partit, il préférait ne pas être mêlée à ce qui allait suivre.

Mme D'Alembert revêtit l'uniforme des Chevaliers d'Eole. Elle eut un pincement au cœur quand elle attacha le brassard noir à croix blanche et rose rouge. A présent il fallait qu'elle accomplisse son devoir. La procédure de Spallanzani ayant échouée, elle n'avait guère le choix, il allait falloir exécuter l'invocation D'Alorteval. Il s'agissait de l'une des invocations les plus difficiles qui existait… C'était dans cette éventualité qu'elle était venu accompagnée par deux chevaliers.

Les deux hommes dont il était question avaient fait honneur à leur ordre en restant muet comme des tombes et discrets au point qu'on oubliait leur présence. A présent, ils allaient entrer en jeu. Ils installèrent le matériel et le cercle incantatoire dans la chambre d'Alice.

Pendant ce temps, Mme D'Alembert donna ses instructions à la directrice : ne surtout pas les déranger pendant toute la durée de l'invocation, ne pas les déranger pendant les 15 prochaines heures.

Il ne restait plus que 21 heures avant l'heure fatale.

*******

A présent, Alice s'était dissoute au point d'englober toute l'île, plus elle se fondait dans un nombre grandissant de chose plus elle savait, plus elle comprenait… Cette sensation d'omniscience était particulièrement enivrante et lui en fallait toujours plus… Elle se demanda si elle pourrait suffisamment se dissoudre et se détendre pour englober la planète entière, et pourquoi pas le lune et les étoiles ?

***

A Beauxbâtons, le jour succéda à la nuit, à 8h les élèves allèrent en cours comme si de rien était. En faite, pour eux il ne s'était rien passé, une pauvre idiote de 2ème année avait eu un accident en cours d'invocation, et alors ?. Elle n'était pas la première, elle ne serait pas la dernière. Cela ne les concernait pas.

Il était un peu plus de 8h quand l'officiante attaqua la dernière partie du rituel et débuta l'invocation à proprement dite. Elle fut surprise par le fait que l'esprit qu'elle forçait à se matérialiser, n'était pas localisé en un point précis comme il le sont normalement, mais qu'il semblait se trouver partout à la fois.

***

Alice ressentit ce nouvel appel, elle l'écouta… elle reconnut la voix. Tante Martha ? C'est toi ? Laisse moi ici, on y est si bien…

La voix se fit plus impérieuse, mais Alice avait fait son choix, elle ne reviendrait pas.

Elle eut alors l'impression que quelque chose l'agrippait, la tirait, la forçait à reprendre sa forme d'origine. Elle avait l'impression que quelque chose l'aspirait.

Au lieu de reprendre forme comme la première fois, elle sentait qu'on essayait de l'envoyer dans un point précis… Et ce point n'était autre que son corps…

Elle se débattit, résista tant qu'elle put… Dans sa rage elle parvint à matérialiser des éclairs, mais cette fois il furent dévié par les rituels de protection.

Elle sentit la peur revenir… puis la douleur, une effroyable douleur, une douleur telle qu'elle lui arracha un cri. Quand Alice entendit l'écho de son propre cri se répercuter autour d'elle, elle comprit qu'elle avait perdu. Elle était à nouveau prisonnière.

Elle cria tant qu'elle put, jusqu'à ce que ses cordes vocales refusent de produire un son. Elle criait car elle avait mal, car elle avait peur, car elle était en colère. Elle criait sans trop vraiment savoir pourquoi…

L'officiant et ses assistants écoutèrent ce long et profond hurlement que rien ne semblait pouvoir arrêter.

Quand Alice n'eut plus la force de crier, elle s'effondra en larme. Ces larmes étaient la seule réponse qu'elle avait à donner au monde, la seule arme qu'on lui avait laissé.

Alors elle pleura.

Martha fut bouleversée par ces sanglots. Elle s'approcha de sa nièce comme elle l'avait si souvent fait quand Alice était persécutée à l'école et qu'elle revenait à la maison en pleurs. Elle s'assit sur le rebord du lit.

Alice, au travers de ses larmes, la reconnut et la rejeta violemment. C'était elle qui l'avait arrachée au monde merveilleux où elle était… ellE !

Martha se releva. Epuisée, rejetée, elle s'éloigna en titubant. En quelques heures elle avait perdu sa sœur et maintenant elle perdait sa nièce, chacune d'une manière différente, chacune aussi cruellement. Que lui restait-il maintenant ?  Elle fut envahie par une tristesse sans fond, des larmes silencieuses lui coulèrent le long des joues. Voilà ce qui lui restait : ses yeux pour pleurer.

Alors elle pleura.