Chapitre 16

Quand la Barbaresque accosta sur l'île, Esmé était très inquiète car elle n'avait pas trouvé Alice sur le bateau. Alice était-elle seulement arrivée trop tard pour prendre le bateau ou alors s'était-il passer quelque chose de plus grave ?

Esmé avait reçu un hibou de son amie quelques semaines plus tôt pour lui dire que tout allait bien et pour lui donner rendez-vous sur les quais mais, avec Alice, il était toujours difficile de savoir ce qui allait arriver, surtout après ce qui s'était passé l'année précédente. Certes Alice avait bien remonté la pente et Esmé avait même pu la voir sourire pendant la présentation des chef-d'œuvre durant la grande kermesse, mais on sentait toujours cette épaisse tristesse qui l'enveloppait en permanence.

Esmé fut l'une des premières élèves à mettre pied à terre. Décidément elle détestait le bateau… et le bateau le lui rendait bien. Toute à sa joie de regagner le planché des vaches, elle ne remarqua pas la silhouette toute vêtue de bleu réglementaire qui se précipitait vers elle. Elle n'y fit pas attention que quelques secondes avant que cette dernière perde l'équilibre et  la percute de plein fouet. C'était toujours pareil avec Alice, si une catastrophe pouvait arriver alors elle arrivait.

Esmé était heureuse de revoir son amie même si elle se demandait comme elle avait bien pu venir sur l'île sans prendre le bateau. Elle-même aurait bien aimé en faire autant.

Les deux amies se dévisagèrent tout un moment, à la recherche de tout ces menus changement qui s'opèrent pendant les deux mois de vacances d'été. Esmé n'avait pas beaucoup changé et elle semblait être condamner à rester petite toute sa vie. Alice, elle, avait beaucoup maigri et si elle n'avait pas eu cette lueur dans le regard, on aurait juré avoir à faire à un zombie. Autre petits détails, Alice avait à présent les cheveux courts et quinze bon centimètres en plus.

- Mais tu as avalé du pouss-homme ou quoi ? Et puis qu'est ce que tu as fait à tes cheveux ? J'croyais que, quoique tu fasse, ils restaient long ?

- Plus maintenant ! Par contre toi tu es toujours aussi petite et mal coiffée !

-Pff, même pas vrai ! Fit Esmé, vexée.

Esmé était agréablement surprise. L'accident de l'année précédente était-il totalement oublié ? Etait-ce la fin des années noires ?

Les deux jeunes filles commencèrent à gravirent le long escalier qui menait à l'école.

- Qu'est ce que tu as fait de beau pendant tes vacances ? Demanda Esmé.

-… Rien… Absolument rien, répondit Alice.

La jeune fille avait hésité avant de répondre, de plus Esmé avait senti comme une étrange vibration dans la voix de son amie. Mue par son instinct de journaliste, Esmé dévisagea Alice. Une ombre était passée sur le visage de celle-ci. Esmé comprit qu'il avait dû se passer quelque chose de grave mais que son amie ne le lui dirait pas. Qu'à cela ne tienne, même si ça lui prenait des mois, elle saurait de quoi il s'agissait.

Sur l'esplanade, il fallut contourner les premières années qui attendaient anxieusement le répartition.

Tout en bavardant, conversation où Esmé parlait beaucoup plus que son amie ne répondait, les deux adolescntes arrivèrent à leurs loge. La curiosité d'Esmé fut piquée par la vue d'un attroupement devant le panneau d'affichage.

« C'est une annonce pour la démonstration d'invocation que va faire la remplaçante de L'Arolette demain. » Intervint Alice avant que son amie ne l'entraîne dans le foule.

Traditionnellement, lors de sa prise de fonction, un nouveau professeur devait faire une démonstration de son savoir, histoire de bien faire comprendre aux élèves qu'il en connaissait plus qu'eux en la matière. Cela servait à légitimer leur présence comme professeur.

Esmé se demanda comment son amie pouvait déjà être au courant, mais après tout peu importait, cette démonstration était mille fois plus intéressante que ce détail et elle ne manquerait l'événement pour rien au monde.

***

Au jour et à l'heure indiquée sur l'affiche, la quasi totalité de l'établissement se rendit au Grand Amphithéâtre pour assister à l'événement de ce début d'année scolaire, à savoir la démonstration d'invocation de la remplaçante de L'Arolette. Il y avait là les élèves, les professeurs, la directrice et son adjoint ainsi que quelques autres personne.

Le grand amphithéâtre était la salle qui faisait le pendant du réfectoire (même forme, même décoration, même plafond...) sauf qu'ici les tables avaient été remplacées par de hauts gradins pouvant accueillir la totalité des élèves et des professeurs.

Quand Esmé et Alice arrivèrent sur place, il y avait déjà foule. Esmé eut beau faire  jouer sa fonction de journaliste, elle ne parvint pas à obtenir une bonne place. D'où elle était elle ne voyait presque rien. L'emplacement ne gênait pas outre mesure  Alice qui, grâce à ses sens très développés, voyait parfaitement l'espace (une estrade central) où aurait lieu la démonstration, son amie lui fit promettre de tout lui raconter dans les moindres détails.

A l'heure exacte prévus, la nouvelle professeur  d'invocation s'avança vers l'estrade. Il s'agissait d'une grande et maigre femme, plus toute jeune. Elle portait une robe de sorcier en velours violet avec des signes kabbalistiques brodés en fil d'argent. Par ouie-dire on savait qu'elle s'appelait Monsoveur mais s'était bien là le seul détail que l'on avait obtenu.

La grande et sèche silhouette était immédiatement suivit par Mlle Mignère qui avait accepté de seconder sa nouvelle collègue pour l'occasion.

Quand les deux femmes montèrent sur l'estrade et déposèrent les outils nécessaires au bon déroulement du rituel, l'assemblée constata que le cercle d'invocation avait déjà été activé et que les rituels préparatoires avaient déjà été fais. De toutes évidences, la nouvelle professeur était quelqu'un de très prévoyant et particulièrement bien organisé.

Cette femme faisait aussi parti de ces gens qui possèdent une autorité naturelle sur les élèves. Les élèves se turent dés que Mme Monsoveur fit signe qu'elle voulait s'adresser à l'assemblée. Elle ne dit pas grand chose : le nom du démon qui allait être invoqué (Balzagoth), la raison de ce choix ( le réaménagement de certaines parcelles du domaine de l'école nécessitant la destruction des hangars 28 à 31, Balzagoth, en tant que démon destructeur, se chargerait très bien de cette démolition), la durée de l'invocation (1h et 32 min), le niveau (niveau 8) et le rôle de la professeur de démonologie (commenter tout ce qui se passerait au cour des rituels).

Les élèves étaient un peu déprimés à l'idée de devoir attendre 1h32 avant d'apercevoir le démon. D'un autre côté, ils étaient sur-excités car ils allaient voir Balzagoth, il s'agissait d'un démon majeur !!

Les rituels commencèrent, comme tous ceux de pré-invocation avaient déjà été réalisés, la nouvelle professeur attaqua rapidement la liste des 158 arcanes nécessaires à l'invocation proprement dite. La professeur en démonologie commenta chaque action de l'officiante. Dans l'assistance, de nombreux élèves prenaient des notes.

Quand l'officiante lança la dernière arcane (au bout d'1h03), une fumée bleuté s'éleva dans le cercle et  une odeur âpre envahit l'amphithéâtre. La femme en robe violette commença alors l'invocation proprement dite. Peu à peu la fumée bleuté se densifia, s'opacifia, se modela, se débattit…  La fumé prit en fin de compte la forme du démon. Celui-ci n'avait pas l'air d'apprécier outre mesure et s'agitait. Quand il apparut définitivement, l'assemblée eut un mouvement de recule, bien sur ils savaient tous (enfin pas les 1ères années) que le démon était prisonnier du cercle mais c'était plus fort qu'eux.

Ils avaient bien raison d'être autant impressionné car, si Balzagoth était un démon dit majeur, ce n'était pas pour rien : 5m10 de haut, 2m07 de carrure, des bras gros comme des piliers d'église. Sa peau écailleuse était rouges incandescentes avec de fines marbrures orange, jaune et noir. Il avait une tête de taureau et des nuées ardentes s'échappant de ses naseaux.  

Le démon fixa l'officiante avec un air belliqueux. Mme Monsoveur leva la main droite et d'une voix de stentor qui surpris les personnes présentes elle prononça la formule d'asservissement sans laquelle le démon resterait incontrôlable. Cette formule fonctionna parfaitement et le démon s'inclina devant l'officiante puis se tourna vers l'assistance.

S'il s'était effectivement soumit à l'autorité de la professeur d'invocation, Balzagoth n'avait pourtant pas l'air d'apprécier la présence de toute cette populace. Il balaya la foule de ses yeux de braise rougeoyante. Son expression était terrifiante. Les élèves n'étaient pas très rassurés.

Tout à coup le démon poussa un cri terrible. Un cri qui fit trembler le bâtiment et les élèves. L'assistance fut figée sur place par le sentiment de terreur qu'elle ressentit. Rapide comme l'éclair, les deux professeurs qui s'occupaient de la démonstration vérifièrent le cercle et se tinrent prêtes à intervenir.

Dans le cercle, le démon se calma.

Les deux professeurs furent abasourdies par ce qui se passa ensuite. Le démon, qui était toujours tourné vers les élèves, mit genoux à terre et baissa la tête en signe de soumission totale. Les personnes placées les plus près purent même constater que le démon tremblait.

Il était en théorie impossible obtenir la soumission totale d'un démon majeur… ou du moins personne n'était assez puissant pour cela. Les deux professeurs s'échangèrent un regard inquiet car Balzagoth ne leur avait pas prêté soumission à elles mais à quelqu'un parmi les élèves.

Qui, parmi les élèves, pouvait être assez puissant pour terroriser un démon majeur ?

Les deux femmes scrutèrent le public en quête d'un indice. L'assistance était, elle, bien trop occupée à regarder le démon pour se poser une telle question.

La voix caverneuse du démon se fit alors entendre comme en réponse à la question des professeurs.

« GARDIEN DE LA SOURCE, PARLE ET J'OBEIRAIS ! »

Une chape de silence tomba sur la foule. Tous le monde essayait de savoir à qui s'adressait le démon. En vain…

Sans que l'on entende quoi que ce soit Balzagoth se redressa.

« OUI MAITRE ! »

Il se tourna vers Mme Monsoveur et lui demanda pourquoi elle l'avait fait venir.

La démonstration reprit alors son cours normal. La professeur indiqua au démon la tâche pour laquelle il avait été invoqué. Il s'acquitta de celle-ci et disparut.

Ainsi s'acheva la démonstration.

***

Quand le démon avait disparu, Esmé s'était précipitée vers la sortie. Il fallait qu'elle aille raconter tout ça à Alice.

En effet la jeune fille aux cheveux blancs et bleus s'était sentit mal au moment  où avait fini les arcanes et  avait commencé l'invocation. Alice était devenue soudainement très pâle et s'était mise à trembler comme une feuille. Avant que cela ne s'aggrave, Esmé lui avait conseillé de sortir prendre l'air. Il n'était pas difficile de comprendre ce qui se passait, l'invocation avait fait revenir des souvenirs de l'année précédente durant laquelle Alice avait subit elle-même un rituel d'invocation.

C'était vraiment dommage qu'Alice n'ait pas pu assister à ça ! Tous le monde ne parlerait de ça pendant les jours… les semaines… les mois à venir (en tant que journaliste, elle y veillerait).  Mon dieu, quel beau sujet pour une série d'articles : Quel élève dans l'école est capable de terroriser un démon majeur ? Qui est le gardien de la Source ? et qu'est ce que le gardien de la Source ?  Même s'il lui fallait des années, Esmé se fit la promesse de découvrir et de publier les réponses à ces très intéressantes questions.

Dans le couloir, Esmé retrouva Alice qui l'attendait. La jeune fille aux cheveux blancs et bleus avait le teint très pâle ainsi sue l'air très fatigué et triste.

En se dirigeant vers leur loge poussée par la foule, Esmé raconta tout ce qui s'était passé depuis qu'elles s'étaient séparées.

D'ailleurs, autour d'elle, tous le monde ne parlait que de ça.