Le crépuscule d'une Ombre
3- Oiseau de nuit.
Alexandre disparut totalement pendant le reste de la journée. Ce n'était pas bien grave dans la mesure où on était mercredi et qu'il n'y avait pas cours. Et puis cette disparition, bien loin d'inquiété la populace, était plutôt accueilli avec une sorte de soulagement… comme un répit. Seul la famille du jeune homme s'inquiéta… Que disait la lettre qu'il avait reçu pour le mettre dans un état pareil ? Laïla était la plus inquiète du lot. En fin d'après midi, elle résolut d'envoyer un hibou à Martha pour savoir ce qui se passait. Elle reçut comme réponse, en fin de soirée, que cela ne regardait qu'Alexandre et qu'il ne fallait pas s'inquiéter. La jeune fille fulminait d'être ainsi mise à l'écart mais elle prit son mal en patience car elle savait que Martha ne disait jamais rien à la légère.Halléndra s'était bien gardée de dire ce qu'elle savait à propos de cette fameuse lettre car s'il y avait un sujet tabou dans la famille Beaufils c'était bien ce qui concernait la mère d'Alex. Elle-même en savait sans doute plus sur Alice par sa mère à elle (Esmé pour ceux qui ne suivent pas) qu'en savait le jeune homme.
Nul ne savait quand Messire Alexandre Beaufils réapparut mais il était au réfectoire à 7h15, le lendemain matin, quand Laïla arriva. Il ne prononça pas une parole, ne fit pas un geste de trop. Il était pâle et avait les traits tirés. L'ambiance à la table était plutôt morose.
La journée de cours de la classe 6A débuta par deux heures de potion, vint ensuite une heure de démonologie.
Les cours reprirent ensuite à 14h pour deux heures d'invocation… et puis la journée scolaire s'arrêta là, le professeur de français ancien (Mr J. Leussavaix) étant parti à un congrès sur la francophonie à Montréal.
Pendant tout ce temps, Alexandre ne dit pas un mot. Il suivit les cours, fit les travaux pratiques avec un calme impénétrable. Il ne s'adonna pas à son loisir préféré à la grande surprise des professeurs et des élèves. D'ailleurs ceux-ci s'inquiétaient un peu de ce changement, c'était un peu comme le calme avant la tempête. Que préparait-il ?
Tous étaient méfiants.
Cette fin d'après-midi fut le moment que choisi un groupe d'élèves pour mettre en œuvre une vengeance savamment élaborée et longuement mûrie contre Sieur Alexandre Beaufils, dit le Corbeau.
Ils attendirent patiemment le retour de leur victime à la loge. Ils avaient préparé les ingrédients de leur vengeance dans la grande salle où tous le monde était au courant et attendait impatiemment le spectacle.
Le plus dur dans tout ça fut de garder éloignées les demoiselles de la parenté de la victime. Elles risquaient de gâcher l'effet de surprise et sans effet de surprise, la mise en scène ne marcherait pas. Deux filles furent chargées de faire le guet.
Les organisateurs attendirent longtemps et les guets durent déployer des trésors de patience car il s'écoula plus d'une heure avant qu'Alexandre ne passe la porte de la grande salle. Il fut immédiatement suivi de Laïla que le guet avait enfin laissé passer.
Alex se retrouva face à face avec une foule silencieuse. Les élèves s'écartèrent sous le regard d'acier du jeune homme. Derrière eux, les organisateurs (Benoît et Hugo) attendaient leur heure… celle-ci était sur le point de sonner.
Devant eux, ils avaient déposé un vieux coffre en bois que les élèves reconnurent comme provenant de la salle d'étude des créatures magiques. Ceux qui savaient ce que cette caisse contenait s'étaient prudemment éloignés… même s'ils savaient que la chose qui en sortirait ne s'en prendrait qu'à la personne qui lui ferait face… mais on était jamais trop prudent.
Benoît et Hugo n'attendirent pas que leur victime ait reconnu la boite et l'ouvrirent dés qu'il furent à peu près sûr que ce qui allait en sortire s'en prenne à la bonne cible.
Un truc totalement informe en sortit et la populace, d'un mouvement uniforme, s'écarta pour laisser Alex face à la chose.
Alexandre reconnut le coffre du premier coup d'œil.
La caisse de L'Epouvantar.
Le jeune homme n'eut pas le temps de réagir avant que la créature change de forme.
Dans la pièce, on ne comprit pas exactement ce qui se passa alors, l'épouvantar se démultiplia et quatre silhouettes argentés apparurent… le dessin des silhouettes se précisa. Elles encerclèrent leur proie et s'agitèrent. Un étrange murmure apparut… sinistre… incompréhensible… hypnotique. Comme si les quatre fantômes s'acharnaient à tous parler en même temps.
Au centre du groupe, Alexandre, pétrifié, se tenait la tête dans les mains. Autour, les élèves, même en simple spectateur, n'étaient pas très rassurés. Punir le Corbeau en le prenant à son propre jeu leur avaient paru une très bonne idée mais ils avaient oublié un détail d'importance, ce en quoi se transformait l'épouvantar pouvait terroriser toutes le personnes alentour et pas seulement la victime. (C'était pourtant écrit noir sur blanc dans leur cours d'étude des créatures magiques.) Et, là, l'apparition les faisait flipper car ils n'arrivaient pas à comprendre de quoi il retournait.
« RIDICULUS »La voix d'Alex venait de claquer dans l'air comme un coup de tonnerre. Brisant la torpeur hypnotique provoqué par l'étrange murmure.
L'épouvantar fut projeté dans sa caisse, le couvercle retomba.
Alexandre se redressa de toute sa hauteur, son visage livide affichait une expression haineuse. Une lueur démente dansait au fond de ses yeux.
L'atmosphère dans la grande salle était explosive. Les élèves attendaient nerveusement la réaction du Corbeau. Dans un mouvement imperceptible, la foule s'écarta du duo organisateur.
Face à un Alexandre visiblement furieux, Benoît et Hugo n'en menaient pas large. Ils avaient une folle envie de se faire tout petit et d'aller se cacher dans une trou de sourie. A peine avaient-ils pensé à ça qu'il essayèrent d'en chasser l'idée de leur esprit. Ils espérèrent que leur vis-à-vis n'avait pas eu ce genre d'idée car ils n'avaient pas envie de finir leur scolarité dans la peau d'un rongeur.
Alex leva la main et désigna le duo d'un doigt accusateur. Face à ce doigt, les deux garçons se pétrifièrent.
« Vous… »
Tous le monde retint son souffle.
Laïla s'approcha de son cousin, elle posa sa main sur le bras du jeune homme. Alex jeta un regard froid à sa cousine. La jeune fille lui renvoya ce regard en y ajoutant quelque chose entre le reproche et le conseil. Finalement le jeune homme se détourna et sortit de la Loge à grands pas.
La foule, frappée de stupeur, mit un peu de temps à réaliser que, en fin de compte, il ne s'était rien passé. C'est dans une ambiance de franche gaieté que l'on félicita les organisateurs de ce coup de maître. Ceux-ci oublièrent très vite la menace silencieuse du Corbeau et pérorèrent comme des paons. Ils avaient rabattu son caquet à ce blanc-bec. Ils avaient remis à sa place la terreur de l'école, ils se sentaient les maîtres du monde… imbattable.
Seules deux personnes ne participèrent pas à cette liesse. Halléndra, qui étaient arrivées peu de temps après Alex, et Laïla s'étaient réfugiées dans un coin. Elles avaient assisté à toute la scène. Toutes les deux tremblaient de ce qu'elles avaient vu.
Halléndra avala péniblement sa salive et s'adressa à sa camarade.
« Mon Dieu ! C'était quoi ? »
En fait il ne s'agissait pas d'une question car elle avait très bien compris de quoi il retournait mais d'une demande de confirmation. L'esprit de la jeune fille refusait de croire ce qu'elle avait vu. Laïla, un peu moins troublée que sa camarade, lui répondit d'une voix un peu tremblante.
- Quatre fantômes du passé… des souvenirs…
- On… On aurait dit des morts revenus nous hanter… Il… Il… Il y avait…
- Ta mère… j'ai vu aussi…
- Comme… Comme si elle était morte… Bégaya Hall.
A 13 ans, on n'imagine pas vraiment que nos parents ne sont pas immortels, alors les voir sous forme de fantôme ça fait un choc.
Laïla, elle aussi, était troublé par les silhouettes fantomatiques qui étaient apparus… Esmé… Bastien… Martha… et Alice… Alice… Dans la famille, on ne parlait pas de la mère d'Alexandre, cela dérangeait. Trop de douleurs, de secrets et de mystères y étaient rattachés… Mais ce qui inquiétait le plus la jeune fille, c'était le murmure lancinant qui avait eut lieu… les quatre voix fantomatiques qui s'étaient entre-mêlées. Malgré toute sa concentration, la jeune fille n'avait pu en comprendre que quelques bribes… Partie… Abandonnée… seul… Pas de toi…
Voilà donc de quoi avait peur Alexandre… Des silences du passé… Des réponses aux questions mille fois posées sur la mort de sa mère… des réponses qu'on ne lui avait jamais donnée.
Laïla sentait qu'il y avait autre chose, une peur plus profonde… quelque chose qui rongeait Alex depuis des années… Mais la jeune fille n'arriva pas à mettre le doigt dessus.
D'une main tremblante, Laïla tira Halléndra hors de la grande salle de la Loge de la Roseraie. Les mines réjouies des autres élèves lui étaient intolérables.
Ces gens étaient totalement inconscients de la cruauté de ce qu'ils venaient de faire. Oui Alex leur faisait peur… mais en fait tout ce qu'il faisait c'était du bluff, de la mise en scène, des apparences.. Oui, il méritait qu'on le remette à sa place… Oui… Mais s'il y a des peurs risibles qui prêtent à la plaisanterie comme la peur des araignées, il y en a d'autres plus profondes qu'il vaut mieux ne pas remuer.
Laïla était inquiète, tout d'abord cette mystérieuse lettre, puis ça … Comment allait réagir Alexandre ?
Seul le temps le dirait.
Cette nuit là, un Corbeau blessé erra dans les couloirs de l'école…
…Un oiseau de nuit imprévisible.
