Le crépuscule d'une Ombre

4- Pleine Lune.

Le matin arriva, un vendredi matin pluvieux.

Toute la loge de la Roseraie était un peu secoué… enfin pas beaucoup… Un élève s'était fait agresser la veille au soir alors qu'il revenait du réfectoire.

Dans une école comme Beauxbâtons, il n'est pas rare d'avoir des problèmes de ce genre. Même s'ils ne sont pas courant. Il est utopique de croire que l'on peut faire vivre sous le même toit, ensemble, 24 h sur 24 et 7 jours sur 7 près de 600 adolescents entre 11 et 18 ans sans qu'il n'y ait jamais de tension ou de conflit… Oui, des agressions et des règlements de compte il y en avait dans cette société en huis-clos… parfois prévisible, parfois non… Bien sûr de tel actes étaient sévèrement punis et combattus par l'administration mais ils avaient lieu.

Bref, cette nuit là, quelqu'un avait jeté un « Accios Luminarae » (sortilège de foudre) sur un élève de 5éme année. « Quelqu'un » car personne n'avait vu qui. En tout cas, la victime devrait rester un ou plusieurs jours à l'infirmerie pour soigner les brûlures occasionnées par le sort. Fort heureusement, les blessures n'étaient que superficielles… douloureuses mais superficielles.

Cette agression aurait sans doute moins fait de bruit si la victime pas été un certain Hugo Poilvair… Le Hugo qui, la veille, avait lancé l'épouvantar sur Alexandre Beaufils.

Bien sûr personne n'avait vu l'agresseur mais la coïncidence était étrange. Un nom était sur toutes les lèvres… un nom que l'on ne prononçait qu'a mi-voix au cas où… Le Corbeau.

Laïla fut très vite mise au courant. A peine levée, on l'avait regardée de loin, comme si elle avait une maladie étrange et contagieuse… une maladie nommé famille.

Pourtant quelque chose en elle refusait de faire le lien entre l'agression d'Hugo et Alexandre. Ça ne collait pas. Alex était un type bizarre et son jeu préféré était de faire peur aux autres mais jamais, au grand jamais, il ne s'en serait pris physiquement à un élève. Avec lui tout n'était que du bluff, des apparences. Lancer un sort, comme ça, sur quelqu'un, ça ne collait pas… Surtout sans qu'on le voit, Alex n'était pas du genre à aimer la discrétion, il lui fallait un public. Ça ne collait vraiment pas… Et pourtant… Pourtant

Halléndra et Cloé étaient du même avis que leur aînée, ça ne collait pas. Elles connaissaient le jeune homme depuis l'enfance, elles savaient qu'il ne ferait pas de mal à une mouche (enfin façon de parler car il n'aimait pas les mouches et s'en prenait à elle à grand coup d'insecticide)… Certes il méprisait ses semblables mais de là à passer aux actes… Oui c'était bizarre… Très bizarre.

L'incident occupa plus de la moitié des conversations des élèves attablées pour le petit déjeuner. A 7h16, lorsque le principal accusé fit son entrée dans le réfectoire, un silence pesant s'abattit sur l'assemblée.

Alexandre balaya la foule du regard et alla s'asseoir à une table isolé. De toute évidence, il n'était pas d'humeur très sociable ce matin, et puis, de toute façon, personne ne souhaitait l'avoir à sa table… Sauf, bien évidemment, les  trois filles de sa famille qui furent étonnée qu'il ne viennent pas les rejoindre comme d'habitude.

Laïla, que l'attitude de son cousin n'impressionnait pas le moins du monde, se leva et alla s'installer face à celui-ci. Le jeune homme se contenta de lever les yeux vers sa cousine.

- T'étais où hier soir ? demanda-t-elle brusquement face au mutisme d'Alex.

- Quelque part ! Répondit le jeune home d'une voix atone.

- J'm'en serais doutée ! S'exclama la jeune fille.

- Alors pourquoi le demander ? Répliqua Alexandre d'une voix sans timbre.

- Non, mais je peux savoir à quoi tu joue ?

Le jeune homme lança un regard reptilien à sa cousine. Malgré l'habitude de ce genre de comportement, Laïla eut un léger mouvement de recule. Alex eut un sourire laconique que la jeune fille ne lui connaissait pas.

Elle remarqua alors que, mine de rien, toutes les tables à la ronde ne perdaient pas un mot, pas une attitude, de la conversation. Face à un tel auditoire, il était normal que le jeune homme ne veule rien dire, dans de tel circonstance plaider innocent n'avait aucune valeur.

Pourtant elle avait besoin de savoir. Elle prit une feuille et un crayon dans son sac.

« C'est toi qui a fait ça à Hugo ? » Griffonna-t-elle rapidement.

Elle fit passer le message à son interlocuteur.

La question n'appelait qu'un « oui » ou un « non ». Laïla fut donc surprise de voir Alex, après un temps de réflexion, écrire plusieurs lignes. Le jeune homme, sa prose finie, se leva, donna le papier à sa cousine et partit.

Rapidement, la jeune fille déchiffra l'écriture tortueuse de son cousin.

« Ce que j'ai fait ou non n'a aucune importance car la majorité à toujours raison… même si elle a tord. Crois ce que tu pense être vrai ! »

La jeune fille avait envie de crier, c'était pas une réponse ça !

Autour d'elle plusieurs élèves essayèrent  discrètement de voir ce qui était écrit. Laïla plia la feuille et la rangea dans sa poche. Elle alla rejoindre sa place à la table de Cloé et d'Halléndra.

Elle fut accueillie par des regards interrogateurs et inquiets. La jeune fille donna le papier à sa sœur qui le lut en même temps qu'Halléndra. Ce fut alors un partage d'expression de surprise mêlée d'incompréhension silencieuse. Sigfrid vint aux nouvelles, après tout Alex était aussi son cousin, il le connaissait depuis toujours et lui aussi n'arrivait pas à croire que ce soit lui qui ait fait ça. Syloé ne fit pas le déplacement, elle était déjà persuadée de la culpabilité de son cousin.

La lecture du message laissa Sigfrid perplexe.

« Crois ce que tu pense être vrai. »

Dans un accord silencieux, le groupe convint que c'était là une (malheureuse) coïncidence et que ce n'était pas Alexandre le coupable. Mais cela souleva un problème : Qui avait fait ça alors ?

La question ricocha dans les têtes de Laïla, Cloé, Halléndra et Sigfrid. Leur instinct leur disait qu'ils ne le sauraient sans doute jamais car de toutes évidences tout avait été fait pour qu'Alex soit accusé.

A 7h50, la cloche sonna pour dire aux élèves qu'ils avaient cinq minutes pour rejoindre leur classes avant le début des cours.

Ce vendredi matin là, la classe 6A commença par deux heures d'invocation. Il s'agissait d'un cours difficile qui nécessitait une très forte concentration. Les élèves eurent beaucoup de mal à parvenir à faire quoi que ce soit, l'ambiance  était trop tendue et électrique pour ce concentrer suffisamment.

On épia du coin de l'œil, nerveusement, le Corbeau. Celui-ci s'était isolé dans un coin de la salle et faisait ses essais comme si le monde autour de lui n'existait pas.

Cette situation perdura pendant le cours de latin qui suivit, ainsi que pendant le cours de symbolistique. Le seul moment de détente qu'eurent les élèves (comme le prof) fut quand Alexandre fut convoqué par Mr Geulais, le directeur adjoint.  Absolument rien ne filtra de l'entretien avec l'adjoint mais Alex revint environ une demi-heure plus tard. L'administration n'avait pas assez d'éléments à charge et de preuves pour sévir.

Le reste de la journée s'écoula sur le même principe, Alex faisait comme si le monde n'existait pas et le monde le prenait pour un fou dangereux.

Ce soir là, le Corbeau n'alla pas hanter les couloirs. Il gagna sa chambre juste après le dîner et n'en sortit pas… au grand désespoir des garçons qui partageaient la-dite chambre.

La nuit passa et le samedi aussi. Alexandre fut plutôt discret… En fait comme tous les week-end, le jeune homme s'enferma dans l'une des salles de travail et n'en sortit que pour les repas.

Une autre nuit passa. N'ayant pratiquement pas vu la cause de leur tension, les esprits se calmèrent un peu.

Le retour d'Hugo, qui portait le bras en écharpe et une large compresse sur la joue, à la Loge le dimanche matin relança un peu d'huile sur le feu.

Au cours de l'après-midi, Alex, en dépit des conseils avisés (et envahissants) de Laïla et d'Halléndra, décida de rester dans la grande salle de la Roseraie. Les adolescents le prirent comme une provocation et ce qui devait arriver arriva. La tension accumulée depuis plusieurs jours éclata en une violente tempête.

Après coup, personne ne se souvint exactement comment cela avait commencé, mais une enquête fit apparaître qu'un groupe d'élèves excédés par la présence du Corbeau  avait lancé quelques remarques acerbes au sujet de l'épouvantar.

Un mot en appelant un autre, des élèves érigèrent un tribunal. Isabelle Maréchal, 5ème année, tint le rôle d'avocate de l'accusation. La jeune fille était réputée pour ne pas avoir sa langue dans sa poche et cette fois-ci elle ne mâcha pas ses mots.

Elle était au milieu d'une virulente plaidoirie quand Alexandre, visiblement agacé par ce verbiage, se leva d'un bond du fauteuil où il était assis.

L'assemblée eut un mouvement de recule. Isabelle resta figée et aphone. Le Corbeau, une expression froide et hautaine  sur le visage, se pencha vers la jeune fille.

« Tu devrais faire attention à tes paroles. »

Il balaya d'un regard indéchirable les élèves qui étaient tétanisés et attendaient la suite des événements avec inquiétude. Certains, revenant de leur première surprise, avaient saisi leur baguette.

Avant que quelqu'un lance un sort malheureux, Alex disparut hors de la loge.

Cette fois aussi il fallut quelques instants aux adolescents pour analyser qu'il ne s'était rien passé. Pourtant ce ne fut pas des exclamations de joie qui succédèrent à la prise de conscience mais une sorte de tremblement. Seule Mlle Maréchal ne semblait pas impressionnée. En fait, nul ne savait ce qui pouvait impressionner Isabelle, c'était dans sa nature, une vrai battante qui ne s'en laisse pas compter.

Alexandre ne réapparut pas ce soir là… ni au réfectoire… ni à la Loge. Les rumeurs les plus folles commençaient à circuler à ce propos. Où passait-il ses nuits ? Que faisait-il ? Comment faisait-il pour ne pas mourir de faim à sauter la moitié de ses repas comme il le faisait ?

Mais l'école était immense et en dehors des elfes de maison, bien peu de personnes en connaissaient les coins et les recoins, alors comment savoir ?

Le lendemain matin arriva. Il s'agissait du lundi 29 novembre. Le temps était un peu gris, humide et froid.

Alexandre fut l'un des premiers à s'installer à la table du petit déjeuner. Il était tout juste 7h et les portes du réfectoire venaient à peine d'être ouvertes.

Les élèves, au fur et à mesure de leur arrivée, jetèrent des regards suspicieux au jeune homme avant d'aller coloniser les tables les plus éloignées possible du Corbeau.

A 7h13, Alexandre fut rejoint par une Cloé pas très réveillée. La jeune fille, après un bonjour tout juste murmuré, tendit un paquet recouvert de papier multicolore à son cousin.

« Joyeux anniversaire ! »

Le jeune homme prit le paquet et remercia sa cousine d'un sourire. Il avait l'air de bonne humeur. Avec précaution il défit l'emballage. Une boite en laque de Perse apparut, elle contenait des lentilles d'astronomie. Alex manipula délicatement les fragiles pièces de verre incurvées en remerciant Cloé. Bien qu'un peu désuet, le cadeau semblait lui plaire. Il faut dire que la jeune fille n'avait pas pris beaucoup de risque, l'astronomie était l'un des vis cachés du jeune homme. (Hé oui ! Terroriser les gens n'était pas la seule passion d'Alex, mais peu de gens le savait)

Alors que d'un œil d'expert il contemplait ce matériel tout neuf, Laïla fit son apparition. Suivant le même protocole que sa sœur, elle  tendit  un paquet à son cousin. Il s'agissait aussi d'une boite en laque contenant des lentilles. Les deux adolescentes s'étaient concertées et s'étaient partagées la gamme de lentilles d'optique, tout en faisant attention à ne pas offrir celle que le jeune homme avait déjà.

Vers 7h20, Halléndra arriva. Ce matin là, elle avait l'air de mauvaise humeur… de très mauvaise humeur même. Elle ne dit bonjour à personne et s'assit brutalement  à sa place habituelle. Avisant les deux boites de laque, elle sortit à son tour un paquet de son sac et le tendit à Alexandre avec un « joyeux anniversaire » un peu sec auquel elle ajouta un « de la part de mes parents et moi ! » tout aussi aride.

Alex ouvrit précautionneusement le paquet. A l'intérieur d'une boite anti-choc, il trouva un objet  en cuivre  d'allure étrange. Le jeune homme sortit la chose de la boite et la déplia soigneusement. Le néophyte que vous êtes n'aurait vu qu'un assemblage de cercles et de tiges métalliques gravés de signes cabalistiques, mais un œil d'expert vous aurait permis de reconnaître un Compas Magique de Döpler. (Outil complexe et subtil d'utilisation intervenant dans l'étude des astres binaires.) Alex contempla l'objet avec une expression émerveillée de petit garçon qui découvre ses jouets le matin de Noël. Cette expression était en total désaccord avec le look de vampire du jeune homme ce qui lui donnait un aspect un tantinet ridicule.

Du fond de la boite, Il sortit la carte d'anniversaire où sa marraine avait écrit un petit message. La lecture de celui-ci lui apprit que le compas ferait aussi office de cadeau de Noël. Hé oui, les compas de Döpler sont des objets plutôt onéreux alors il faut faire des concessions.

Pour compléter la séance « recevons des cadeaux car aujourd'hui j'ai 16ans », un hibou vint livrer une épaisse enveloppe de la part de Mr Bastien Beaufils et Mme Martha D'Alembert. L'enveloppe contenait, en plus d'une lettre, une boite plate et de la taille d'une main. A l'intérieur il y avait une plaque métallique argentée gravée de runes.

Une tablette de Thõrd !

Pauvre petit lecteur, vous qui n'y connaissez rien en astronomie magique n'avez sans doute pas la moindre idée de ce qu'est une  tablette de Thõrd. En fait cette plaque sert à calculer, plus rapidement et plus précisément que n'importe quel ordinateur, les coordonnées ainsi que la déclinaison des objets stellaires. Il s'agit de l'accessoire IN-DIS-PEN-SA-BLE pour passer de l'amateurisme à l'astronomie de haut niveau.

Alexandre lut rapidement la lettre qui accompagnait le présent et retourna à ses nouveaux jouets.

Cette année, comme d'habitude, il avait été  très gâté.

Laïla et Cloé regardèrent, d'un œil amusé, leur cousin faire mu-muse avec ses nouveaux joujoux. Les autres élèves le regardaient faire avec une pointe de méfiance. Halléndra, quant à elle, était plongée dans une profonde méditation sur  fond de bol de lait, tout en elle disait qu'aujourd'hui elle s'était levée du pied gauche et qu'il ne faudrait pas la chercher.

A 7h30 très exactement, la toute dernière édition de l'écho de la Roseraie  apparut sur les tables. (Vive les elfes de maison !) Alexandre, d'excellente humeur à présent, attrapa un exemplaire dont l'encre n'était pas tout à fait sèche.

A la une on parlait de l'agression de Hugo, mais le jeune homme ne s'y attarda pas, il alla directement à la fin où Mala Bêlplume rédigeait une chronique sur les personnages et les célébrités qui avait marqué l'Histoire de Beauxbâtons. En voyant le sujet de la semaine, Alexandre eut un petit sourire narquois.

Intriguée, Laïla attrapa aussi un exemplaire. Elle pâlit légèrement en voyant le nom de la célébrité du jour. Après avoir lut quelques lignes de l'article, elle jeta un regard inquiet à Halléndra et un regard réprobateur à son cousin sachant que celui-ci ne pourrait pas résister à faire une réflexion à ce sujet.

Sentant des regards se poser sur elle, Halléndra releva la tête de son petit déjeuner. Voyant que ce soudain intérêt pour sa personne était lié au journal, elle en prit un exemplaire à son tour. A la vu de l'article de Mala Bêlplume elle devint livide.

« Ho non ! Ça va pas recommencer… » S'écria-t-elle avec une pointe de désespoir et d'agacement dues à la mauvaise humeur.

Cloé, qui ne s'intéressait pas tellement au journal d'habitude, faillit s'étouffer en lisant l'intitulé de l'article en question.

« Le Serpent à SornetteOu : tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Esméralda Pyvert »

La suite de l'article, parfaitement objectif soit dit en passant, apprit à Cloé que Mala avait fait une biographie très documenté sur la célèbre journaliste de l'Echo de la Roseraie.

Cet article ne mit pas Halléndra de meilleur humeur qu'elle ne l'était déjà. Lors de son arrivée à Beauxbâtons, l'adolescente avait subi beaucoup de moqueries et de méchancetés à cause de la réputation de sa mère. Il avait fallu presque un an pour que ces réflexions perdent leur virulence… et voilà que cet article allait relancer cette machine infernale.

A la tête que faisait Halléndra, il était évident que la première personne qui tenterait une réflexion sur le sujet serait foudroyée sur place avant même d'avoir terminer sa phrase.

Laïla et Cloé se tournèrent vers leur cousin, au sourire de celui-ci elles comprirent qu'il allait tenté une petite phrase assassine dont il avait le secret.

Leur déduction fut rapidement confirmée.

Alexandre lut à haute voix l'un des paragraphes de l'article.

- Je préfère ne pas avoir de mère que d'en avoir une comme ça ! Conclut-il, un sourire mesquin aux lèvres

- Je préfère en avoir une comme ça que d'en avoir une qui s'est suicidée quand j'avais 3 ans !

La réponse d'Halléndra avait éclaté comme un coup de tonnerre. Autour de la table, les convives s'étaient figés sur place. Alexandre prit une teinte cadavérique et ses yeux s'assombrirent.

« Au moins ça venait du cœur ! » Finit par dire le jeune homme d'une voix glaciale.  Une ombre passa sur son visage. Une étrange lueur brilla dans ses yeux pendant quelques secondes.

Sans un mot, il se leva, ramassa ses paquets et sortit.

Les autres élèves avaient entendu la scène et le virent s'éloigner en se demandant pourquoi il avait choisi la fuite plutôt que la riposte.

Laïla et Cloé voulurent faire la moral à Halléndra, car même si Alex y était allé un peu fort, cette réplique était un coup bas cruel. Elles n'eurent pas besoin de verbaliser leur reproche, Halléndra était devenue pâle en se rendant compte de ce qu'elle venait de dire. Ses mots avaient largement dépassé sa pensée. Le cœur de la jeune fille se serra douloureusement. Après la lettre et l'épouvantar, Alexandre n'avait pas mérité qu'on en rajoute… surtout le jour de son anniversaire.

Une chape de silence tomba sur la table.

Un peu plus tard, un nouvel événement vint troubler les esprits, plus important que la prise de bec entre la Corbeau et Halléndra… Enfin il ne s'agissait pas de l'événement en lui-même mais l'annonce qu'il avait eu lieu.

La rumeur sembla venir de partout à la fois, comme une marée déferlante. Par la suite le personnel chargé de l'enquête eut beaucoup de mal à déterminer qui avait apporté la nouvelle. D'après leur conclusion, il s'agissait de Claes Kienholz, Nam Boisrond et Théo Signac.

En tous cas ce n'est pas par eux que la famille Beaufils et Mlle Pyvert-Percevault furent mises au courant. Personne n'osa aller leur dire directement. En fin de compte, c'est Sigfrid qui fit l'annonce à ses sœurs.

Isabelle Maréchal était à l'infirmerie, elle s'était fait agresser alors qu'elle allait prêter main forte à l'impression du journal, vers 6h du matin.

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ceci n'avait pas eu lieu dans la Loge mais dans le premier sous-sol du bâtiment C. (les presses étant situées au 2ème sous-sol du même bâtiment)

La question de qui avait fait ça ne se posa même pas tellement la culpabilité du Corbeau était évidente. Isabelle ne s'en était-elle pas prise à lui la veille ? Ne l'avait-il pas menacée en lui disant de surveiller ses paroles ? Pourtant la rumeur disait qu'Isabelle n'avait pas identifié son agresseur.

Par contre, ce qui était au cœur des conversations c'était la question de ce qu'on lui avait fait. En effet cette information était confuse et les choses les plus folles commençaient à circuler. A en croire les rumeurs les moins graves, la jeune fille s'était faite coincé dans le couloir du premier sous-sol et, sans l'arrivée d'un élève, sa vertu n'aurait été plus qu'un souvenir.

Par une amie de la victime, on apprit finalement que Mlle Maréchal, quoique sous le choc et à moitié hystérique, n'avait rien.

A la table de Laïla c'était la consternation. Que Hugo se fasse agresser juste après avoir eut des problèmes avec Alexandre pouvait encore passer pour une coïncidence, mais qu'Isabelle se fasse agresser, elle aussi, après une altercation avec le jeune homme, c'était plus difficile à avaler.

Sigfrid refusa d'avaler pareil coïncidence, même s'il ne comprenait pas ce changement de comportement. L'Alexandre qu'il connaissait s'amusait à faire peur… jouait à l'épouvantail, mais on n'a jamais vu les épouvantails agresser les oiseaux. Mais les gens changent….

Cloé aussi avait du mal à avaler la coïncidence, d'autant que ce que l'on avait voulu faire à Isabelle lui faisait froid dans le dos. Pourtant une partie d'elle voulait encore croire en l'innocence de son cousin. Elle ne savait plus quoi penser, elle était perdue.

Laïla s'accrocha à l'idée de la terrible coïncidence mais un doute affreux l'assaillait, et si….

Seule Halléndra refusa tout net la culpabilité du jeune homme. Alex ne ferait jamais une chose pareil, JAMAIS !

La jeune fille se retrouva isolée dans son opinion, autour d'elle il n'y avait que doute et hostilité. Aux yeux de tous,  le Corbeau était coupable… sans preuves… sans témoins… sur les apparences.

Halléndra prit ses affaires et quitta le réfectoire. L'ambiance était trop électrique pour elle. Elle avait l'impression que les gens devenaient peu à peu fou, comme sous l'influence d'une pleine Lune maléfique.

« Crois ce que tu pense être vrai ! » Voilà ce qu'elle allait faire, croire… croire de toutes ses forces.

Pourtant un horrible pressentiment l'assaillait, comme si le pire était encore à venir.