Le crépuscule d'une Ombre
Avertissement
Ce chapitre contient des passages susceptibles (pas que susceptibles d'ailleurs) de choquer la sensibilité des lecteurs
5- Les larmes d'un Ange.
Il faisait nuit depuis très longtemps quand la jeune fille quitta la salle de l'observatoire d'Astronomie. Elle avait mis beaucoup plus de temps que prévu pour finir ses cartes du ciel. A cette heure-ci, aucune chance de croiser quelqu'un dans les couloirs. (ndla : L'observatoire d'Astronomie est le seul endroit en dehors des loges où peuvent se rendre les élèves après 21h, et cela à condition de se signaler auprès du Maître de Loge qui est libre de venir vérifier à tous moment.)
Un message en provenance des Loges était apparu un peu plus tôt sur le tableau de liaison inter-salle (Il s'agit d'un système très pratique pour faire passer les informations plus vite que leur ombre. Il suffit d'inscrire quelque chose sur le panneau principal situé dans les loges pour que cela s'affiche dans toutes les salles.) Le message de ce soir là était très court :
« Le Corbeau a disparu. Attention à vous ! »
Décidément ce lundi 29 novembre avait mal commencé et menaçait de finir tout pareil.
Ce matin là, Isabelle Maréchal avait été agressée et le suspect numéro 1 avait été mis en isolement toute la matinée mais, face au manque de preuves, l'administration n'eut d'autre choix que de le relâcher dans le courant de l'après midi. L'accueil qui avait alors été fait par les autre résidents de l'école au Corbeau avait été plus qu'hostile. Pourquoi le relâchait-on ? Manque de preuves ?! C'était ridicule, qui cela pouvait-il être d'autre que lui ?
Et voilà que ce soir il était lâché dans la nature sans que l'on sache où il était passé.
La jeune fille n'avait pas peur… pas elle… mais elle avait tout de même préféré passer par la Galerie des Fresques où les personnages peints sur les murs pourraient donner l'alerte en cas de problème.
Elle fut grandement surprise de découvrir les fresques vides de tout occupant et occupante … Etrange… Il faudrait qu'elle interroge l'auteur à ce propos.
Les pas de la demoiselle résonnèrent dans le couloir vide. A sa droite s'étalait le long ruban de la fresque de l'Apocalypse où aurait dû se trouver plusieurs centaines de personnages. Par moment, le paysage peint était coupé par de fines fenêtres en ogive. A sa gauche, il y avait les salles de symbolistique où était entreposé une masse à peine croyable de truc bizarre.
Quand elle atteignit le centre de la galerie, ses pas se mirent à résonner étrangement. Elle s'immobilisa mais le bruit ne cessa pas. Ce n'était pas l'échos de ses pas qu'elle entendait mais ceux de quelqu'un derrière elle… d'un quelqu'un qui marchait d'un pas lent en faisant bien attention à faire claquer ses talons sur le dallage.
Au moment où elle se retourna, la lumière vacilla et s'éteignit. Ha ha ha ! Très drôle comme mise en scène. Elle attendait l'instigateur de cette farce le pied ferme, elle allait lui expliquer sa façon de penser (d'une manière certes brutale mais tout à fait direct et sans équivoque).
L'écho des pas disparut. Un silence pesant s'installa. Les yeux de la jeune fille mettaient du temps à s'habituer à la maigre lueur que dispensaient les rares fenêtres.
Elle attendit comme ça une minute… deux minutes… trois minutes…
« Très drôle ! S'exclama-t-elle agacée. Si je te mets la main dessus tu vas passer un sale quart d'heure !! »
Elle sortit sa baguette pour lancer un sort d'éclairage. Le peu de lumière dispensé par les fenêtres lui permettait tout juste de distinguer les silhouettes de ce qui l'entourait, et puis elle n'allait pas marcher dans le noir tout de même !
Elle venait de lever sa baguette quand elle se rendit compte qu'il y avait quelqu'un juste devant elle. Avant qu'elle eut le temps de réagir, un coup sur son poignet lui fit lâcher sa baguette. Celle-ci tomba sur le sol. Un bruit sec informa la jeune fille que l'on venait d'envoyer le morceau de bois magique un peu plus loin dans le couloir à l'aide d'un coup de pied. Dans l'obscurité ambiante, elle ne la retrouvait jamais.
D'instinct elle eut un mouvement de recule, mais pas assez rapide. La silhouette l'attrapa par le bras et l'attira vers elle. Dans un mouvement de défense, tout à fait légitime soit dit en passant, elle donna un grand coup à son agresseur avec le sac de cours qu'elle tenait à la main. Le garçon évita le coup et resserra sa prise sur le bras de sa victime. Un maigre rayon de lune précisa les contours de la silhouette comme une ombre chinoise et fit apparaître des reflets argentés sur sa veste.
La jeune fille sentit son sac lui échapper des mains et l'entendit aller s'écraser un peu plus loin en répandant son contenu sur le sol. Cette fois-ci elle n'avait plus d'arme. Elle était pourtant bien décidée à ne pas se laisser faire, elle tenta une manœuvre plus direct et essaya le coup de self-défense dont lui avait parler margot. Le coup rata sa cible, le type en face d'elle avait anticipé le coup. Le garçon se prit tout de même de coup de genou dans le ventre. La surprise lui fit desserrer le poing. La jeune fille en profita pour tenter une manœuvre de fuite.
Avant d'avoir réussit à échapper totalement à l'étreinte de son agresseur elle sentit qu'on lui jetait quelque chose au visage … une sorte de poudre. Elle eut tout juste le temps de faire quelques pas que ses yeux se mirent à la brûler terriblement. Elle sentit les larmes lui couler sur les joues et sa vue se brouiller. Avec la quasi obscurité, elle n'y voyait pratiquement plus rien.
Cela ralentit sa fuite et permit au garçon de la rattraper. Elle poussa un cri strident qui résonna sous la voûte. Pour la faire taire il la projeta contre le mur. Le choc avec la paroi de pierre lui coupa le souffle.
Pour empêcher sa victime de crier, il lui plaqua une main sur la bouche.
Ecrasée contre le mur, elle ne pouvait plus bouger… plus respirer. Elle se débattit… en vain, elle était coincée. Elle sentit avec horreur son assaillant poser sa main libre sur sa poitrine. Elle eut un sursaut pour essayer de se dégager, la main sur sa bouche desserra légèrement son étreinte sans pour autant la libérer. Elle parvint à ouvrir la bouche et à refermer ses dents sur la main de son agresseur. Elle serra jusqu'à sentir le goût du sang.
Il la libéra.
L'instant de liberté ne dura pas.
Un violent coup au visage la fit chanceler. Un deuxième l'envoya percuter la porte de l'une des salles de symbolistique. Le battant tourna. Elle tomba.
Dans la salle, grâce à de grandes fenêtres, il régnait une douce clarté.
La jeune fille ne distinguait que de vague forme bleuté, ses yeux la brûlaient encore. Elle vit pourtant la sombre silhouette s'approcher d'elle. Elle recula tant bien que mal. Elle entendit la porte se refermer.
A présent elle pourrait crier autant qu'elle voudrait, personne ne l'entendrait, les murs médiévaux de cette salle étaient beaucoup trop épais pour laisser passer les sons.
En s'agrippant à une chaise, elle tenta de se relever. Elle eut des vertiges. L'ombre se rapprocha… s'agenouilla devant elle… Du fin fond de ses brumes oculaires, elle vit le médaillon doré gravé d'une rosace de son agresseur accrocher les rayons de lune. Une main rageuse l'agrippa et la plaqua au sol en serrant son poignet droit si fort qu'elle avait l'impression que ses os allaient se briser. Toutes griffes dehors, elle se défendit avec sa main libre.
Après une lutte acharnée, il attrapa le deuxième poignet de la jeune fille. Pour l'empêcher de s'en servir à nouveau, il le cogna violemment contre le sol.
… une fois…
… deux fois…
Le craquement la fit hurler de douleur.
Pourtant, malgré la douleur, malgré la peur, elle refusa de se laisser faire… elle continua à défendre ce qui lui restait à défendre.
Un frisson d'horreur la traversa quand elle sentit le corsage de son uniforme se déchirer. C'est avec une vague de dégoût qu'elle sentit les doigts de son agresseur sur sa peau. Cette main glissa lentement vers son cou et se mit à serrer.
Elle suffoqua.
Ses forces déclinèrent.
Un voile sombre obscurcit sa vue déjà trouble.
Son esprit sombrait.
Et puis l'air revint, vif, brûlant, inespéré… Respirer… Respirer encore, c'était tout ce qui comptait. Elle hoqueta, toussa et peina à reprendre son souffle. Son esprit revint des limbes et fut submergé par la réalité. Une vague d'horreur sans fond la frappa.
Il était en elle.
Elle hurla sa douleur… hurla son dégoût… sa haine…
Sa voix se brisa en un long sanglot. Elle pleura sur son corps meurtri, elle pleura sur son impuissance … pleura sur sa honte… sur ses rêves d'adolescente qui s'envolaient… sur son innocence si cruellement arrachée.
Elle pleura d'un chagrin sans fin et sans espoir
*******
Mme Hole monta les escaliers d'un pas rapide. Elle avait travaillé tard ce soir là. Et tout ça pour obtenir l'apparition, en fin d'invocation, d'un Brassicae… comme une débutante. Elle était furieuse. Maintenant il fallait qu'elle le renvoie dans son plan astral. Et bien évidemment impossible de mettre la main sur les pierres de Iovner qui sont indispensables pour se débarrasser de ces choses. Heureusement, elle savait où en trouver dans l'école en cette heure tardive… Il faudrait juste qu'elle pense à les remettre à leur place après.
Mme Hole était la professeur de démonologie de l'école. Certain d'entre vous l'ont connu quand elle s'appelait encore Mlle Mignère. Depuis elle s'était mariée à Mr Etan Hole le professeur d'invocation qui avait remplacé Mme Monsoveur. C'était un mariage très heureux qui avait donné naissance à deux charmants bambins dont le plus âgée avait 8 ans.
On comprend donc pourquoi Mme Hole était pressée de se débarrasser du Brassicae et de rentrer chez elle.
En entrant dans le couloir du 4ème étages du bâtiment B, elle put constater que la lumière avait été (encore) sabotée. Ce genre de sabotage, c'était signé. Il allait vraiment falloir faire quelque chose pour que Monsieur Beaufils arrête de saboter le matériel. Mme Hole dut essayer quatre sortilèges de lumière avant de trouver celui qui alluma l'éclairage.
La deuxième chose qu'elle constata fut le fait que la longue fresque de l'apocalypse était vide de ses personnages. Ça, c'était vraiment bizarre. Il faudrait qu'elle interroge l'auteur à ce sujet.
La troisième chose qu'elle constata fut les objets éparpillés plus loin dans le couloir. Elle s'approcha pour voir de quoi il s'agissait. Elle eut un mauvais pressentiment en découvrant qu'il s'agissait du contenu d'un sac de classe. Elle trouva la baguette magique en peu plus loin. Un frisson sinistre lui remonta le long de la colonne vertébrale. Il fallait qu'il se soit passer quelque chose de grave pour qu'un sorcier abandonne sa baguette de la sorte.
Les chaussures de la professeur crissèrent sur le sol. La femme se pencha pour en comprendre la raison. Elle remarqua alors la poudre de couleur ocre qui formait d'étrange traînée sur le dallage. A l'odeur, elle reconnut la poudre de self-défense que l'on trouve dans le commerce. Très efficace pour aveugler l'agresseur…
Mme Hole se redressa brusquement en percevant, du coin de l'œil, un mouvement. Cela venait de la fresque.
A quelques mètres d'elle se tenait un séraphin. Celui-ci tourna un visage triste vers elle et d'un geste lent de majesté lui indiqua la porte qui lui faisait face.
La professeur n'eut pas besoin de plus d'explications (de toute façon le séraphin ne lui en aurait pas donné), elle se dirigea rapidement vers la pièce qui lui était indiquée. A l'intérieur, elle découvrit avec horreur le corps gisant d'une élève. Elle fut frappée de stupeur par le spectacle qui s'offrait à elle…
En tant que démonologue, elle était connue pour son sang froid alors elle reprit rapidement ses esprits. Elle se précipita vers la victime.
Vivante… elle était vivante… Oui vivante mais dans quel état… Pas besoin d'être devin pour comprendre ce qu'avait subit cette élève. Les ecchymoses, les vêtements déchirés témoignaient du cauchemar de ce qu'elle venait de vivre.
Mme Hole contacta l'infirmerie à l'aide du miroir d'Iris qu'elle avait toujours sur elle. Elle exprima l'urgence et la gravité de la situation sans pour autant donner de détail, la nouvelle circulerait bien assez vite comme ça. (ndla : les miroirs d'Iris sont des moyens rapides et efficaces pour entrer en contact avec quelqu'un, un peu comme un téléphone portable chez les moldus)
Maintenant il allait falloir attendre.
Il est toujours long d'attendre quand on attend les secours. Pour se rassurer elle-même autant que pour rassurer la victime, La femme adressa des mots de consolation à la jeune fille. Celle-ci réagit au son de la voix du professeur et ouvrit les yeux, elle voulut dire quelque chose mais les mots moururent sur ses lèvres. La jeune fille retomba dans l'inconscience.
Mon Dieu, quel monstre pouvait avoir fait ça ? La question à peine formée trouva sa réponse, la mise en scène avait été signée, comment douter…
D'une voix un peu cassée par la colère et l'horreur, Mme Hole s'adressa à nouveau à la jeune fille.
« On punira celui qui t'as fait ça… il aura ce qu'il mérite… je te le promet Halléndra ! »
