Le crépuscule d'une Ombre
6- Etoiles de Novembre.
« Dis-moi que c'est pas vrai ! Dis-moi que c'est pas toi qui a fait ça… DIS LE MOI ! »
La voix de Laïla résonna dans le silence, l'écho de ses mots se répercutèrent le long de la voûte, le long des murs, volant au-dessus des têtes de la foule assemblée dans l'atrium.
« Comment as-tu pu faire une chose pareil ? N'y a-t-il que le mal en toi. COMMENT AS-TU PU LUI FAIRE ÇA ? »
Les cris de la jeune fille cessèrent, sa voix s'était brisée.
Il était 5h23 du matin, l'école entière avait été réveillée par la rumeur et cela avait provoqué un ouragan d'horreur dans les esprits. Pourtant bien peu d'informations circulaient… Qui… Où… et très vaguement quoi… Nul ne savait, en dehors de quelques rares personnes, la sauvagerie de l'agression, ni l'état de la victime.
A cette heure, Alexandre Beaufils était emmené, sous bonne escorte et privé de sa baguette magique, chez la directrice puis en isolement.
Les élèves s'étaient agglutinés sur son passage avec la curiosité morbide de voir le monstre qui, cette nuit, avait semé le mal dans l'école payer pour ses crimes. Au fur et à mesure que le Corbeau avançait la foule s'écartait de peur que l'être immonde qui se tenait là ne souille leur belle âme pure.
L'intervention de Laïla fut la seule. Même privé de sa baguette, le Corbeau faisait peur.
L'écho de la voix de la jeune fille résonna un long moment dans l'atrium. Alexandre ne répondit rien, il n'avait pas décroché un mot depuis que les professeurs l'avaient trouvé. Son visage était pâle comme la mort. Le bleu de ses yeux s'était assombri, loin au fond de son regard dansait l'éclat de la haine et de la colère contenu, une lueur de mort. Sa démarcha souple et nerveuse faisait penser à la démarche d'un fauve sur le point d'attaquer.
Quand le silence retomba, il eut un geste imperceptible, un geste qui fit frissonner l'assemblée et se lever les baguettes de son escorte, il ouvrit et referma ses mains dans le vide, il serra si fort les poings que les jointures de ses doigts blanchirent, si fort que ses phalanges semblaient vouloir se briser sous la pression.
Il ne passa rien.
L'escorte reprit sa marche silencieuse sous les regards haineux et voyeur de dizaine et dizaine de personnes
Parmi la foule, certains élèves tenaient leur baguette serrée dans leur main. Dans leur regard on pouvait lire la haine, le dégoût et le désire de faire payer le mal qu'avait subi leur camarade. Seul la présence de l'escorte les retenait d'exprimer leur rage et d'appliquer la loi du Talion. Les professeurs qui encadraient le Corbeau étaient parfaitement conscient qu'ils n'étaient pas seulement là pour empêcher celui-ci de s'en prendre à quelqu'un, mais aussi pour empêcher qu'il soit lynché par les autres élèves.
Ils arrivèrent finalement au Bâtiment A où se trouvait l'administration et l'infirmerie et dont l'accès avait été interdit aux élèves.
L'écho de leurs pas résonnait durement, les couloirs étaient déserts, il faisait froid.
Ils approchait du secrétariat quand la porte de celui-ci s'ouvrit. Quatre personnes en sortirent. L'une d'elle était Mme Pinsèke, la directrice. Avec elle, il y avait un couple. L'homme, le teint pâle, soutenait sa femme, celle-ci livide était agitée de petits tremblements. La quatrième personne était un homme plutôt grand, son visage exprimait une colère difficilement contenue.
Les deux groupes s'immobilisèrent à quelques mètres l'un de l'autres. Alexandre se raidit et attendit que la tempête déferle sur lui.
La femme jeta un regard plein d'incompréhension, d'horreur et de dégoût à l'adolescent. L'homme pâle passa le bras autour des épaules de sa femme en signe protecteur et lança un regard haineux en direction d'Alexandre.
L'homme plutôt grand se détacha du groupe et s'approcha du jeune homme, de son fils. L'expression de fureur qu'affichait son visage n'annonçait rien de bon. Les professeurs préférèrent s'écarter de la scène.
Le coup claqua comme la foudre. Alex eut tout juste le temps de se redresser qu'un deuxième choc le fit vacillé. Le dessin de la main qui venait de frapper laissa une marque rouge sur la joue de l'adolescent, comme une étrange fleur écarlate.
« Mr Beaufils ! Aussi légitime et compréhensible puisse être votre courroux, je ne peux vous laisser agir de la sorte ! » Intervient la directrice d'une voix sèche.
Bastien se détourna de son fils sans un mot, son regard était sans équivoque. Il venait de rayer Alex de sa vie. Il y a des choses impardonnables, et le viol d'une gamine de 13 ans en faisait partie.
Il alla rejoindre Esmé et Alan, les parents d'Halléndra. Ceux-ci regardaient Alexandre et ne voyaient plus en lui que la bête immonde qui s'en était pris à leur enfant…
Alexandre vit sa famille lui tourner le dos et s'éloigner. Du bout des doigts, il effleura sa joue meurtrie. Le bleu de ses yeux s'éclaircit. Plus rien n'y brillait, ni en bien ni en mal. D'un regard vide il semblait fixer quelque chose que lui seul voyait. Sa lèvre trembla légèrement. Puis comme sous l'effet d'un vent glacé, son visage prit une expression dur. Un regard froid et sombre apparut au fond de ses yeux. Tout en lui sentait la détermination de celui qui n'a plus rien à perdre. Cela effraya les personnes qui étaient à côté de lui.
« Quant à vous, Monsieur, dans mon bureau immédiatement ! » Le somma sèchement la directrice.
***
A l'infirmerie, Halléndra gisait dans un profond sommeil.
Tout le monde attendait nerveusement son réveil. Son témoignage était capital pour faire condamner son agresseur car, comme dans les agressions précédentes, il n'y avait absolument aucune preuve sur l'identité de celui qui avait fait ça. L'agresseur avait même pousser le vis jusqu'à ne pas utiliser de magie. (ndla : la magie de chaque individu est unique, et chaque sort laisse une marque un peu comme une empreint digitale.)
Comme la jeune fille ne semblait pas vouloir se réveiller de si tôt, le personnel médical avait exigé l'intervention d'un équipe d'expert extérieur capable d'identifier un individu autrement que par leur magie. Il s'agissait de techniques moldus qui fonctionnaient, paraît-il, très bien. Mais voilà, cela impliquait de faire venir des gens extérieurs à l'établissement et de surcroît moldus dans l'enceinte de l'école. L'obtention des autorisations allait mettre un temps fou car cela était soumis à décision ministérielle. Il faudrait sans doute plusieurs jours.
Pendant ce temps, Mr Alexandre Beaufils fut mis en isolement dans l'une des chambres sécurisées situées au dernier étage du bâtiment A.
La pièce dans laquelle il fut enfermé n'avait pas de fenêtre et la lumière était due à un sortilège. Pour meuble il y avait une table, une chaise et un lit. Sur la table, il y avait un paquet de feuille, de l'encre et deux plumes, sans doute au cas où l'accuser souhaiterait passer aux aveux ou écrire son testament. Il n'y avait pas d'anti-sort dans la pièce car l'élève, priver de sa baguette, n'était pas sensé pouvoir utiliser la magie.
Alexandre vit la porte se refermer sur lui, raide de dignité il ne dit rien et se laissa faire.
Le jeune homme resta enfermer là-dedans pendant toute la journée sans que personne ne le dérange. Au soir, son repas apparut sur la table grâce à la magie des elfes. Quand les elfes récupérèrent le plateau, ils découvrirent que le prisonnier n'y avait pas touché.
La nuit fut froide et longue pour tous le monde.
Le plateau du petit déjeuner revint lui-aussi de la cellule sans avoir été touché. Comme cela faisait deux jours que le jeune homme n'avait pas pris de repas, les elfes s'inquiétèrent, que se passait-il dans la cellule ? Mais personne ne les écouta … On n'écoute jamais les elfes, on fait comme s'ils n'étaient pas là, comme s'ils n'existaient pas. Tant qu'ils travaillent, ce qu'ils disent, font ou pensent n'intéresse pas les sorciers…
La matinée d'un nouveau jour débuta et s'acheva dans une étrange fébrilité, chacun s'efforçant de reprendre une vie normal sans pour autant être capable de détourner ses pensées de l'événement sordide si proche d'eux.
Le plateau du déjeuner revint vide au grand soulagement des elfes qui avaient cru un moment que quelque chose de grave s'était produit entre les quatre murs de la chambre d'isolement où personne n'avait mis les pieds depuis la veille au matin.
Le début de l'après midi s'écoula sans apporter quoique ce soit de neuf. Halléndra dormait toujours, les autorisations n'arrivaient toujours pas et l'ambiance dans l'école était tendue.
Vers 16h (à 15h 58min 15secondes et 78 centièmes si on veut être exacte) un événement vint perturber cette belle ordonnance des choses. Mme Martha D'Alembert fit son entrée en scène.
La femme, d'un certain âge à présent, utilisa toute sa connaissance du règlement de l'école et de la législation pour faire sortir son petit neveux d'isolement. En effet, il était écrire noir sur blanc dans les documents officiels que nul ne pouvait être tenu en isolement plus de 24 heures si aucune preuve ne venait attester sa culpabilité.
Mme Pinsèke ne comprit pas tout d'abord pourquoi cette femme tenait tellement à faire libérer son petit neveu alors que le reste de la famille du jeune homme s'était lavé les mains de son sort.
- Il faut que vous compreniez, madame, que nous agissons dans l'intérêt des élèves. Nous devons veiller à la sécurité de chacun, le laisser aller et venir librement dans l'école serait exposer chacun à un danger bien trop grand. D'une part, il y a toujours un risque qu'il s'en prenne à nouveau à quelqu'un et, d'autre part, les élèves pourraient être tentés de faire justice eux-même. Intervint une nouvelle fois la directrice.
- Certes votre point de vu est légitime et tout à fait sensé, pourtant l'isolement ne le protégera pas de lui-même. (Une étrange lueur passa dans le regard de Martha.) Et je ne pense pas que l'isolement lui permet de prendre conscience de ses actes. Je ne vous demande pas de lui rendre sa baguette, ni de le laisser libre de ses mouvements, je vous de demande qu'il puisse se confronter au résultat de ce qu'il a fait. Il faut qu'il assume ses actes. Acheva le voix sèche et sévère de l'ancienne maître chevalier.
La directrice était devenue blême. Ce que cette femme était venue faire ici, ce n'était pas aidé un membre de sa famille, mais lui infliger une punition terrible, celle de le confronter chaque minute de sa vie à la haine et la violence des autres. Avec le contexte actuel, cela sonnait comme un condamnation à mort, les élèves allaient faire justice eux-même et personne ne pourrait intervenir.
Malgré toutes ses réticences, Mme Pinsèke dut faire relâcher Mr Beaufils de son isolement. Les menaces qu'avait fait Mme D'Alembert était bien réel, l'école n'avait pas le droit de garder un élève plus de 24h en isolement sans preuves, et des preuves ils n'en avaient pas. Elle décida néanmoins que le jeune homme ne récupérerait pas sa baguette et qu'il n'aurait pas l'autorisation de se déplacer seul.
La nouvelle Choqua énormément les personnes vivants dans l'école. Un immense sentiment d'injustice les frappa de plein fouet. Cela venait autant des élèves que du personnel. La directrice dut déployer tout un arsenal répressif pour réussir à contenir la grogne ambiante et décourager les héros justiciers qui seraient tentés d'appliquer la loi du Talion.
A 17h09 Alexandre sortit de la chambre d'isolement où il venait de passer près de 36h.
En ouvrant la porte de la cellule une odeur métallique surprit beaucoup les personnes venues libérer le prisonnier. Le sol était barbouillée de craie, de toute évidence il s'agissait d'un motif que l'on avait tenté d'effacer. Des feuilles recouvertes de signes, de motifs et autres écritures cabalistiques traînaient un peu partout. Le jeune homme en lui-même avait les traits tirés et avait considérablement maigri… Comment avait-il put maigrir autant en si peu de temps ? Qu'avait-il fait pendant son isolement ? Que signifiait tous ces signes ?
La directrice comprit alors ce qu'avait voulut dire Mme D'Alembert par « l'isolement ne le protégera pas de lui-même ». Pourtant elle ne comprenait pas comment il avait pu faire de la magie sans baguette ou autre médiateur magique. Il y avait quelque chose qui lui échappait, il faudrait qu'elle vérifie le dossier du jeune homme.
Alexandre, libre, se rendit en premier lieu à sa loge où il fut accueilli par les regards haineux de ses camarades de classe. Il n'y resta pas longtemps, juste ce qu'il faut pour prendre une enveloppe jaunie dans son armoire.
Avec la froide escorte qui lui était allouée, il se dirigea vers la bibliothèque, personne n'ayant de motif légitime à s'opposer au fait qu'il se rende là-bas, même si on se demandait bien se qu'il allait y faire.
Son entrée dans l'immense et célèbre bibliothèque de Beauxbâtons ne passa pas inaperçu, une chape de silence hostile s'abattit sur les élèves qui travaillaient là, certains prirent leurs affaires et sortirent, d'autres tentèrent de replonger dans leurs livres comme s'il s'agissait d'œillères.
Alex, d'un pas décidé, remonta l'allée centrale, tourna dans les allées F, se faufila entre plusieurs rayonnages, tourna à gauche… à droite… et disparut.
Ce fut alors un peu la panique dans le bibliothèque. Mme Valériane (qui s'appelait Mlle Renault avant son mariage) était furieuse. Elle dit ses quatre vérités au pauvre type qui était chargé de surveiller le Corbeau, comment avait-il pu le laisser se rendre dans la zone à l'extrême sud de la bibliothèque, alors qu'il était de notoriété publique que la trop grande densité de magie contenue dans les livres avait créé un vortex spatial où on disparaissait très facilement. La bibliothécaire fulminait, non seulement elle avait un psychopathe dans sa belle bibliothèque mais en plus elle ne savait pas où il était, ni comment le faire revenir.
Remettre la main sur Alex fut le grand casse tête de la soirée. En théorie quand quelqu'un se perd dans cette zone de rayonnage, il suffit d'attendre un ou deux jours pour le voir en sortir tout seul. Mais, là, cela signifiait laisser le jeune homme sans surveillance pendant un temps indéterminé, ce qui ne plaisait à personne.
C'est Mme Pinsèke qui eut le dernier mot. La bibliothèque possédait une sécurité à toute épreuve (avec toute la magie contenu dans les livres, il valait mieux) impossible d'y entrer ou d'en sortir lorsque les portes étaient closes et le portauloin retirés. De plus le jeune homme n'avait pas de baguette, il fut donc décider qu'il resterait là pour la nuit et que le lendemain on surveillerait sa réapparition hors du vortex.
A la fermeture, Mme Valériane retira soigneusement le portauloin et ferma consciencieusement la porte à l'aide de verrous magiques inviolables.
Le Corbeau était à présent enfermé dans la bibliothèque jusqu'au lendemain matin.
Pourtant une chose chiffonna l'esprit de la directrice, pourquoi Alexandre s'était-il rendu là-bas ? Il ne s'y était pas perdu par hasard, que cherchait-il ? Comment savoir ?
Elle eut un étrange pressentiment… Celui d'avoir commis une grosse erreur mais ce qui était fait était fait. L'avenir donnerait son verdict.
Le silence de la nuit tomba sur l'école. Loin dans le ciel, les étoiles de novembre brillaient d'un éclat étrange, comme annonciateur de mauvaise nouvelle. L'une d'elle scintilla une dernière fois et s'éteignît en silence sans que personne y face attention.
