Le crépuscule d'une Ombre
9- La Magicienne.
La lune, pâle, éclairait l'esplanade de l'école avec des rayons changeants où les nuages se découpaient. L'ombre et la lumière dansaient une étrange sarabande dans le silence. Le vent de la mer balayait l'étendu pavée. La nuit maîtresse du monde régnait de toute sa puissance comme si elle savait que le soleil mettrait encore des heures avant de reprendre sa dictature.
L'école, malgré les terribles événements de la nuit, était à présent plongée dans une étrange torpeur.
Des pas résonnèrent dans le vide. Leur bruit fut étouffé par le sifflement du vent. Un rayon de lune balaya l'esplanade et disparut.
Alexandre s'avançait lentement sur les larges dalles blanches.
Combien de jours enfermés ? Combien de nuit ? Sans vent… Sans ciel… Sans nuage… Sans étoile… Sans lune… Sans vie… Combien de fois avait-il cru mourir de cette absence ? Combien de fois avait-il eu envie de fuir et de laisser ces gens à leur problème ? Combien ? S'il n'y avait pas eu Halléndra…
Il prit une longue et lente respiration.
Comment avait-on pu lui faire ça à lui, le douzième mage créateur… Lui qui avait l'équilibre des quatre éléments (ndla : cf. annexe 2 du Mystère de la Source) Comment avait-on pu le croire capable de faire le mal… de semer le chaos… de faire du mal à Halléndra…
… Halléndra…
Il ouvrit les yeux dans l'obscurité et contempla le ciel strié de nuage.
Tout cela n'avait plus d'importance. Il sentait l'intense pouvoir de la Source en lui.
… Enivrante…
Tout semblait si simple maintenant. Il n'avait qu'a bouger le petit doigt pour que ses pensées deviennent réalité.
… Grisante…
Rien ne pourrait plus s'opposer à lui. Rien ni personne.
… Etourdissante…
Maintenant Hall n'aurait plus jamais mal… IL n'aurait plus jamais mal…
Un nuage plongea la cours dans l'ombre. La lune se cachait la face, elle ne voulait pas voir ça.
Maintenant qu'il avait la Source de Magie, il allait s'en servir.
Le souvenir de la soirée l'enveloppa. Cette sensation de toute puissance à laquelle rien ne résiste. La terreur dans les yeux des autres. Le goût du sang…
Le vent hurla. La nuit ne voulait pas entendre ça.
Il eut un frisson. Lui qui avait le pouvoir de créé découvrait celui de détruire. Il était puissant… Il était libre.
LIBRE !
Quelque chose bougea dans les ténèbres de la nuit.
« Libre ? Tu es sûr ? » Prononça une voix de femme.
Les nuages se déplacèrent, un rayon de lune vint éclairer la silhouette d'une femme. Elle était jeune, ni belle ni laide, pas très grande, fine. Elle portait une robe d'un style surannée qui volait dans le vent et se collait à son corps comme une seconde peau. Ses cheveux volaient autour de son visage et lui formait un halo plus clair sur la nuit. A ses pieds se tenait un chat noir aux yeux jaunes.
- Qui êtes-vous ? Questionna Alex avec méfiance.
- Qui je suis ? Dit-elle lentement. Je ne suis rien… J'ai eu un nom autrefois, mais il m'a oublié, et j'en ai fait autant pour lui. Maintenant on me nomme La Magicienne mais le savoir ne t'avance à rien. En fait qui je suis n'a pas d'importance.
Alex fixa la femme qui se tenait à une dizaine de mètres de lui. L'aura qu'il percevait de cette personne l'inquiétait dans la mesure où elle n'en avait pas… Pourtant même les moldus en possédaient une. Il remarqua alors que cette femme n'avait pas d'ombre comme si la lumière du clair de lune la traversait… Qu'était-elle ?
- Je suis une Ombre. Répondit-elle à la question qui n'avait pas été directement posé.
Alexandre sursauta. Il avait seulement pensé la question.
-… Et je suis venue chercher la Source.
Alexandre se mit sur la défensive. Qui était-elle pour venir lui réclamer la Source ? Non ! Il ne voulait pas la laisser faire. Il voulait garder la Source pour lui… garder cette sensation d'invulnérabilité… ce sentiment que plus rien ne peut vous atteindre.
- Il te faudra pourtant me la donner. Dit-elle de sa voix calme et froide.
- Non.
- Crois-tu avoir le choix ?
- Me la prendrez-vous de force ? Répondit-il avec un sourire ironique
- Tu me la donneras… Tu ne vois que le bon côté des choses mais tu ne connais pas le prix que tu auras à payer si tu t'obstine… tu es ivre de sa magie… Elle te manipule…Tu es son prisonnier. N'oublie pas qui tu es…
Alexandre regarda la femme. Il sentait le picotement de la magie dans ses mains. Qui il était ? Il ne l'avait jamais su aussi bien que maintenant… Il avait l'impression de s'être enfin réveiller grâce à la Source. Il fallait qu'il renonce à ça pour redevenir ce qu'il était avant ? Qu'il redevienne ce garçon que l'on avait si facilement rejeter ?
- Non !
- Il y a-t-il une place dans ton égoïsme pour cette fille pour qui tu as créé un refuge dans ses rêves ?
Alex se figea.
- Comment je sais ? J'étais là, dans l'ombre, je t'observais… Depuis des années… Tu es un créateur… peut-être le dernier. Les Ombres te surveillent depuis ta naissance.
Alexandre ne comprenait pas de quoi elle parlait. Il ne savait des Ombres que ce que la lettre disait et ce n'était pas assez.
- Donne moi la Source ! Respect la volonté d'Alice.
- Jamais ! Pourquoi devrais-je respecter la femme qui m'a abandonn ?
- Pourquoi l'as tu aidé alors ?
La jeune homme se crispa. Il ne savait pas vraiment… Peut-être était-ce pour essayer de comprendre pourquoi elle était morte… où parce que la lettre lui ouvrait la porte d'un ailleurs si providentiel, d'une fuite, à la condition de l'aider ?
Mais cela n'avait plus d'importance maintenant qu'il avait la Source, il n'avait plus besoin de comprendre… plus besoin de fuir.
La femme s'avança vers lui, l'échos de ses pas était couvert par les cris du vent.
- Donne moi la Source !
Alex leva la main, il ne se laisserait pas faire.
Il ne se passa rien. La magie ne fonctionna pas… où du moins pas sur cette femme.
Il eut un mouvement de recule. Il ne comprenait pas pourquoi ça ne fonctionnait pas. Il fixa cette personne sans ombre. Il croisa son regard. Elle avait les yeux plus sombre que les ténèbres… comme deux fenêtres sur le néant. Il resta prisonnier de ses pupilles, hypnotisé par leur regard.
La femme s'approcha si près d'Alex que ses cheveux le frôlaient, que sa robe s'entortillait autour de ses jambes… Le jeune homme était totalement paralysé.
- La magie n'a pas prise sur moi. Murmura-t-elle. Je suis une Ombre, selon les registres Divins je n'existe même pas. La magie est comme la lumière, elle me traverse sans s'arrêter.
Elle leva les mains vers le visage d'Alexandre et l'effleura du bout de doigt. Il était sous le contrôle de ce regard vite.
- Tu ressemble à ta mère, mais tes yeux ont déjà perdu leur éclat. Le chat t'a volé une partie de ta réalité, ton regard a sombré dans les ténèbres. Confie la Source au Néant et rejoint les Ombres, ta place est là-bas et tu le sais.
Alex tremblait, il ne voulait pas… il ne voulait pas perdre la Source et son incommensurable puissance… il ne voulait pas quitter Halléndra, elle avait encore tellement besoin de lui… et lui d'elle.
- Ta mère a hésité elle aussi quand elle est venue me voir… C'était quelqu'un de bien tu sais… Elle a choisi de tout faire pour te protéger, pour que tu ne vive jamais ce qu'elle a vécu. Je lui est promise de reprendre la source et de la confier au néant. Si toi tu ne tiens pas ta promesse, je la tiendrais pour toi. Donne moi la Source !
Il ne voulait pas… non, il ne voulait pas laisser partir sa seule chance d'aider Hall… non… Pourtant … Pourtant il sentait que ce monde le rejetait, qu'il n'y avait pas sa place… mais Halléndra avait encore besoin de lui…il…
- Tu es un créateur, ta place est parmi les Ombres. Là-bas tu pourras accomplir de grandes choses… ici tu ne sera jamais qu'un sorcier comme tout les autres, certes un peu plus puissant que la moyenne, mais juste un sorcier. Ne refuse pas cette chance qui t'ai offerte. Tu deviendrais le Créateur… un Dieu. Tu aurais alors plus de pouvoir que ce que peut t'offrire la Source.
Pourquoi devrait-il croire cette femme ? Qu'avait-elle à y gagner ?
Le regard de la femme se fit plus intense, Alexandre se sentait implacablement attiré par ce vide.
- Ce que j'ai à y gagner… de l'influence sur toi… de l'influence sur un Dieu tout puissant… Un pouvoir dont je rêve depuis si longtemps.
Le jeune homme ne savait pas s'il devait être choquer de cette franchise ou en être reconnaissant.
La femme s'éloigna de lui et détacha son regard du sien.
- Si tu viens, ton existence sera effacée, les gens oublieront jusqu'au fait que tu ais existé. Tout sera comme si tu n'étais jamais née… Donne moi la Source et viens !
Le chat qui était resté en arrière s'approcha à pas lent. Il vint s'asseoir devant la femme. Celle-ci eut un mouvement de recule. De ses yeux jaunes et luisants, le Chat fixa le jeune homme.
Captivé par ce regard félin, Alexandre sentit son esprit sombrer dans l'abîme. Une douleur affreuse lui martela la tête. Cela dura quelques minutes et cessa brusquement. Alexandre se tenait la tête entre les mains et mit du temps à remettre ses idées en place. Au milieu de la douleur lui était apparu des images, des sons, des mots… le Chat venait de lui faire entrevoir quelque chose et ce quelque chose était son avenir qui venait de lui défiler devant les yeux… l'avenir qu'il aurait s'il restait ici… Ce qu'il avait vu lui avait glacer le sang. C'était comme d'ouvrir la boite de Pandore et de découvrir qu'elle était vide… Il venait d'entr'apercevoir le prix à payer pour la Source… celui de sa folie destructrice… celui de la souffrance et de la mort, celle d'Halléndra…
Alexandre eut un haut-le-corps. Il comprenait enfin pourquoi ça mère avait préféré mourir… ça lui faisait mal.
Il tendit une main devant lui. Une sphère extrêmement lumineuse apparut. Le Chat s'approcha. Sa silhouette se déforma, s'agrandit et engloutit la sphère avant de disparaître.
Le néant venait de prendre la Source.
La femme sourit.
- Maintenant à toi de quitter ce monde et de rejoindre les Ombres. Il n'y a aucun espoir pour toi ici. Ces gens ne te traiteront jamais que comme un coupable. Fit-elle en désignant l'école d'un geste de la main. Pour eux tu ne seras jamais que le Corbeau. Et ce qu'ils n'ont pas réussi à faire cette fois, ils le feront plus tard. Suits-moi, devient une Ombre… devient Le Créateur.
Tout au font de lui-même, Alexandre savait que cette femme avait raison. Sans la Source, il n'était pas assez puissant pour résister longtemps à la vie qui s'offrait à lui ici. Rester était du suicide… Mais partir c'était laisser Halléndra derrière lui… Qui l'aiderait à supporter le regard des autres, à supporter l'infamie, la souillure, la honte de ce qu'Andrew lui avait fait subir… qui l'aiderait à oublier.
- Suits-moi… Là-bas tu auras le pouvoir de lui faire oublier… de faire oublier à tous… Suits-moi, efface ton existence de ce monde. Si tu n'avais pas exister rien de ceci ne ce serait produit, elle n'aurait pas à oublier… Suits-moi, efface ton existence, et cette histoire ne se sera jamais produite.
Ce que venait de dire la femme bouleversa Alexandre. S'il n'avait pas été là rien de tous ceci ne se serait produit… Ses lèvres tremblèrent. Mon Dieu, c'était tellement vrai.
« Alex ?»
Alexandre se retourna brusquement. Sur le perron de l'école un rayon de lune éclairait la fine silhouette d'Halléndra. Elle se précipita vers le jeune homme et tomba presque dans ses bras.
- Hall que fais-tu ici ?
- Je ne sais pas… tout à coup je me suis réveillée, il y avait un étrange chat sur mon lit. Je ne sais pas pourquoi mais je l'ai suivi jusque ici… Alors tu t'en vas hein ?… Tu partais sans me dire au-revoir…
Des larmes coulèrent sur les joues de la jeune fille.
-… Tu partais en me laissant seule… j'veux pas que tu partes… J'ai besoin de toi… tellement besoin de toi…
Alex passa ses bras autour de la jeune fille. Sa peine lui fendait le cœur. Dire que tout était de sa faute…« Suits-moi, efface ton existence, et cette histoire ne se sera jamais produite »… Oui cela devait être la meilleur solution… Partir … tout effacer.
- Pardonne-moi Halléndra…
- Non, s'écria-t-elle aux travers de ses larmes. Ne part pas ! Ne me laisse pas…
- Tu oublieras… tu m'oublieras…
- je ne veux pas t'oublier…
- Hall…
- j'veux pas…
- Hall, je ne peux pas rester après ce qui s'est passé…
- j'veux pas t'oublier… j'veux pas que tu m'oublies…
- Je ne t'oublierais pas ma petite chérie… Jamais…
- Promets-moi de revenir…
- Halléndra… je ne sais pas si…
- Promets-le moi…
Il promit… même s'il ne savait pas s'il pourrait tenir une tel promesse. Il déposa un baiser sur le front de la jeune fille.
- Hall, je dois partir…
Il la lâcha. Halléndra le laissa faire. Comme si tout au fond d'elle, elle savait qu'elle ne pourrait rien y faire.
Il s'éloigna de la jeune fille.
Le femme… La Magicienne… lui posa une main sur l'épaule et ils disparurent dans l'obscurit
… Dans l'Ombre.