Des tueurs et des traîtres :

Les inquiétudes de Dumbledore

Arrivés à la gargouille qui gardait les escaliers mouvants, Harry et ses amis découvrirent aussitôt qu'ils n'étaient pas les seuls à s'être rendus là dans l'espoir de rencontrer le directeur.

Presque la classe au grand complet des Gryffondors de cinquième année était rassemblée dans le passage devant le bureau de Dumbledore et Harry pu même apercevoir Draco Malefoy avec cinq autres Serpentards, se tenant côtes à côtes et faisant de leur mieux pour regarder les Gryffondors avec dédain. Ils avaient misérablement raté leur habituel ricanement, trop occupés à cacher leurs inquiétudes, ce qui était parfaitement normal, pensa Harry. Rogue était peut-être le chef de maison des Serpentards, mais le fait qu'il leur ait déduit 120 points n'était pas facile à digérer et ils ne l'accepteraient simplement pas, que ce soit de la faute de Rogue ou non.

Au contraire, les visages des Gryffondors ne montraient rien d'autre que de l'indignation ouverte. Ils se tenaient tous en petits groupes, discutant, et appuyant leurs fortes paroles de complainte en gesticulant sauvagement.

Mais comme Harry et ses amis approchaient, et comme les autres étudiants s'aperçurent de leur présence, les discussions moururent aussitôt et Neville se hâta vers eux.

« Connais-tu le mot de passe ? »

« Oui. » Répondit Harry. « Si Dumbledore ne la pas changé durant le mois dernier, alors je sais ce que c'est. Trois semaines plutôt, il m'a fait venir car il était inquiet pour ma sécurit »

Neville fit un signe de tête et le reste des Gryffondors se tassa de côté en entendant leur camarade de classe, ouvrant un chemin pour laisser Harry, Ron et Hermione accéder aux gargouilles.

« Je crois que ce serait mieux si nous n'allions pas tous voir le directeur en même temps. » Fit Lavande Brown. « Un petit groupe aurait probablement de plus de succès et 'aurait moins l'air d'une invasion. »

Un rire ressemblant plus à un reniflement qu'autre chose provint de la direction des quelques Serpentards présents.

« Alors il vaudrait mieux envoyer Potter. Le vieux fou mange déjà dans sa main, de toutes façons. Notre petit Gryffondor doré va sûrement le convaincre de nous redonner les points perdus. » La voix de Draco et son expression étaient méprisantes et empoisonnées, alors qu'il regardait les Gryffondor de son éternel air hautain, les bras croisés sur sa poitrine.

Un silence intense tomba sur le groupe et tous les yeux se dirigèrent vers Harry. Lui aussi ne savait que trop bien que le directeur avait souvent eu tendance à l'avantager. Mais seulement quelques-uns des autres élèves savaient que Dumbledore était au courant de toutes les expériences que le jeune homme avait eu à subir dans la lutte contre les forces du mal. Il s'était opposé et risqué trop de fois dans sa courte vie, étant sur la liste hautement prioritaire des gens que Voldemort voulait voir morts. De plus, il savait des choses secrètes dont les autres élèves n'avaient aucune idée. Ce n'était probablement pas à cause de la préférence du directeur envers lui, comme le pensaient les Serpentards, mais pour protéger les autres étudiants. Pour les laisser rester loin de l'horrible vérité de la guerre qui approchait à grands pas.

Harry n'avait pas ce luxe. Il était constamment à risque et devait être capable de se défendre par lui-même s'il en avait besoin. On lui avait donc confié, mais surtout accablé, d'autres détails. Harry aurait changé de place avec n'importe quel élève immédiatement, car sa célébrité non-désirée était venue avec beaucoup d'autres peines et dangers.

Contrairement aux autres, il ne pouvait pas tout simplement être un enfant ordinaire, avec des inquiétudes qui n'allaient pas au-delà du prochain test d'école ou bien de rencontre insignifiantes avec des filles.

« Ouais, et Harry a déjà combattu tu-sais-qui et il a survécu, pendant que tu prétendais être à moitié mort après n'avoir reçu rien de plus qu'une égratignure d'Hippogriffe ! » Siffla Ron avec emportement à Draco.

Le Serpentard blond laissa s'échapper un hurlement de rage et il se dirigea précipitamment vers les Gryffondors. Harry, reconnaissant les signes avant-coureurs d'une bagarre, se retourna promptement vers la gargouille. « Sucette en sucre ! » Fit-il et la large statue sauta instantanément de côté, révélant les escaliers en spirale menant au bureau de Dumbledore.

Harry attrapa Ron qui attendait Draco avec des poings serrés et des yeux enflammés, traînant son ami à travers l'ouverture. Hermione les suivit rapidement et le reste des Gryffondors bloqua Draco jusqu'à ce que la gargouille ne se remette en place, bloquant efficacement l'entrée.

Heureusement, Ron n'avait pas l'air trop dérangé à propos de l'occasion de bagarre qu'il venait juste de manquer avec Draco, puisqu'il souriait largement. « Bien fait pour ce rat de Serpentard, il n'ira pas voir le directeur. Il peut crier et hurler jusqu'à en devenir vert si ça lui chante, je m'en fiche ! » Ron se tint tranquille pour un moment jusqu'à ce qu'il éclate d'un rire bruyant et bête. « Il s'agencerait bien avec les couleurs de sa maison ! »

Harry rit et se tourna pour regarder son ami qui gloussait toujours aussi bêtement. Même Hermione grimaçait légèrement.

Quand ils atteignirent la fin supérieure des escaliers et se tinrent face à la porte de chêne massive menant au bureau de Dumbledore, leur bonne humeur disparu aussitôt et ils se rappelèrent pourquoi ils étaient venus ici en premier lieu. Harry cogna à la porte, laquelle fut ouverte par le directeur peu de temps après. Il les regarda, les questionnant silencieusement de ses yeux bienveillants et étincelants. Hermione semblait être presque aussi indignée qu'elle l'avait été dans les donjons. « Quel est l'honneur de votre visite, les enfants ? » Demanda le directeur alors qu'il se tassait de côté et les invitait à s'introduire dans la pièce d'un geste de la main. « Entrez et essayez-vous. Voudriez-vous un peu de thé ? J'ai quelque chose ici que vous devez essayer. »

Harry et ses amis acceptèrent poliment, entrant dans la grande pièce circulaire qui était remplie de livres et de toutes sortes de bibelots sur les étagères qui recouvraient presque tout le mur.

Dumbledore les mena à un divan à l'air confortable se tenant près de la fenêtre à gauche de son bureau. Une table à thé était posée devant le sofa recouvert de fleurs bleues imprimées.

Le directeur passa par une petite porte à une pièce adjacente, pour revenir une minute plus tard. Sa baguette magique était pointée sur un plateau qui flottait derrière lui, comme un chien en laisse, et qui portait une théière colorée ainsi que quatre grandes tasses.

Avec un mouvement de sa baguette, le vieux sorcier laissa le plateau se déposer sur la petite table à thé avant de la pointer sur la moquette en face de la petite table.

« Appare sedile. »

Instantanément, les dragons et les phénix verts, rouges et dorés tissés dans le tapis se tassèrent de coté et une chaise simple, agencée à la moquette, poussa littéralement hors du sol. Dumbledore se laissa tomber dessus et atteignit la théière magnifiquement décorée pour remplir leurs tasses avec un fluide noir et fumant.

« C'est une vieille recette de famille. Mon arrière-grand-père était un véritable expert dans l'infusion du thé. » Annonça-t-il gaiement.

Il leur semblait assez absurde d'imaginer l'arrière-grand-père d'un homme qui avait 150 ans, mais les trois enfants ne firent aucun commentaire là-dessus. Ils prirent chacun une tasse, sirotant le fameux thé avec un peu de suspicion.

Après avoir hésité au début, Harry eu à admettre que le goût du thé était assez particulier, bien qu'étant loin d'être mauvais. Il sentait la cannelle, mais après en avoir bu, Harry avait plutôt l'impression que c'était de la vanille, bien qu'avec un arrière-goût fruité.

« C'est à la fraise ? » Demanda Hermione après en avoir pris une courte gorgée.

« Pas du tout. C'est au chocolat. » Protesta Ron résolument.

Les yeux de Dumbledore étincelèrent alors qu'il souriait joyeusement. « Ce thé change toujours d'arôme. C'est une vraie aventure à chaque fois. Un peu comme les Draguées Surprise de Bertie Crochue, à la seule différence que l'on n'obtient jamais un goût que l'on n'aime pas avec ce thé. Alors si quelqu'un déteste le chocolat, par exemple, il n'en aura jamais, même si quelqu'un qui adore cela pourrait très bien recevoir cet arôme. »

Harry toussota pour attirer l'attention de Dumbledore et posa soigneusement sa tasse sur la table. Aussi fascinant que ce thé pouvait être, ils étaient là pour une autre raison. « Professeur Dumbledore, nous – autrement dit, notre classe – avons un problème. »

Intrigué, Dumbledore haussa un sourcil, s'appuyant encore plus confortablement contre le dossier de sa chaise. « Quel problème pourrait bien concerner la classe entière ? »

« Rogue… le professeur Rogue. » Avança Hermione. « Il a été terrible en classe aujourd'hui. »

Le directeur ne put empêcher un faible rire étouffé. « Je ne crois pas que ce soit un événement exceptionnel. »

« Cette fois-ci, c'était différent. Il a enlevé un total de 280 points de Gryffondor. Et cela sans aucune provocation ni raison du tout. » Dit Harry.

« Il a fait couler ma dissertation et celle de Harry sans même les regarder, et celle d'Hermione aussi, seulement parce qu'elle en avait écrit plus long que demandé. »

« Et lorsque nous avons laissé échapper un léger bruit, il a renversé son bureau et nous a chassés des donjons. » Ajouta Hermione.

« Il a même enlevé 120 points aux Serpentards. » Conclut Harry.

L'expression du vieux sorcier s'était visiblement assombri durant leur histoire. L'éclat dans ses yeux s'était atténué et il fixait tristement un point invisible devant lui.

Après un moment, Dumbledore déposa lentement sa tasse sur la table et se leva silencieusement. Il se dirigea vers la grande fenêtre, regardant au dehors d'un air absent, le dos tourné aux adolescents.

« Je vais, bien sûr, vous redonner vos points à tous et je vais aussi avoir une discussion avec Serevus à propos de ce problème. Je vous promets que cela ne se répétera pas. Vous pouvez en informer les autres. »

La voix du directeur, pour une fois, ne portait aucune trace de sa bonne humeur habituelle ni de sa légère malice, mais elle sonnait triste et brisée.

Harry échangea un regard inquiet avec Ron et Hermione. « Qu'y a-t-il, monsieur le directeur ? »

Dumbledore soupira profondément, mais il ne se retourna pas, son regard toujours perdu quelque part derrière la fenêtre. « Je crois que j'ai mal jugé certaines choses, c'est tout. »

« Mal jugé ? » Répondit Ron en écho.

« Au plus profond de lui, Severus n'est pas une mauvaise personne, vous savez. » Fit Dumbledore d'un air absent. « Il est trop dur avec lui-même. La vie n'a pas été très facile pour lui et il a dû apprendre à survivre en étant fort, pour être ainsi le moins ébranlé possible par les épreuves. Il n'a jamais connu une façon différente de se débrouiller. Il a toujours fait tout ce qui était en son pouvoir pour être fier et pour garder la tête haute. Ce fut toujours ainsi, même à l'école. »

Le directeur soupira avant de continuer. « Après l''accident' avec Lupin, ce fut cette même fierté qui l'a mené à Voldemort. Il a été trop ambitieux et sûr de lui pour son propre mal, comme la plupart des Serpentards le sont habituellement. Les hommes comme Severus ont été élevés pour dominer et pour ne jamais montrer de signe de faiblesse sous aucune circonstance. En se soumettant à Voldemort, on a alloué à Severus un grand pouvoir et un sentiment de satisfaction et de justice, ce que je lui ai dénié. Il a été terriblement ébranlé après l'incident du Saule Cogneur et lorsque j'ai minimisé le tout, j'ai fait une seconde fois une victime de lui. Se détourner de Voldemort signifiait pour Severus d'abandonner ses pouvoirs, son estime de soi et une majeure partie de sa fierté. Il a accepté de se dégrader sciemment devant les autres, surtout le ministère. Cela a laissé une large cicatrice dans l'âme de Severus et son attitude aujourd'hui n'est rien de plus qu'un outil pour se protéger et pour continuer à faire vivre ce qu'il lui reste de fierté. Toute autre manière d'agir serait à ses yeux un signe de faiblesse, ce qu'il a refusé et perçut comme impensable tout au long de sa vie. »

Il se tourna finalement, regardant intensément les trois étudiants. « Ne vous méprenez pas. J'ai extrêmement confiance en lui et il a fait tellement de choses pour notre cause, sans jamais rien recevoir en retour. Malheureusement, j'ai peur que ce soit une partie du problème. Il sait parfaitement qu'il n'y a que moi qui veux honnêtement le garder à nos côtés. Avec les autres, il n'est pas accepté, mais seulement toléré. Même dans mon cas, il lui arrive de croire que je ne l'apprécie qu'en tant qu'un instrument utile à ma cause… il est nécessaire, mais non désiré. Ni d'un côté ou de l'autre. Le ministère l'aurait probablement enfermé à Azkaban en un instant, s'il n'y avait eu pas moi et Poudlard, et il est parfaitement au courant de cela. Bien sûr, Voldemort aimerait aussi l'utiliser lui et son savoir, mais contrairement à notre côté, il recevrait du pouvoir en récompense. Et maintenant, il semble que Voldemort est en train de gagner la guerre. Cela déchire fondamentalement Severus. Une partie de lui combat la tentation de rejoindre le côté des Ténèbres alors que l'autre est plus qu'insécure. » Encore une fois, le directeur fit une pause pensive avant de continuer. « Le coté obscur et ses promesses pour la gloire et le pouvoir sont forts et quand une personne a déjà été de son côté, elle aura à lutter pour sa survie pendant toute sa vie. Le pouvoir sur un autre est un puissant sentiment dont on peut rapidement devenir dépendant. L'appel des ténèbres est de plus en plus intense, et plus Voldemort devient puissant, plus grandit l'ardent désir de justice pour Severus. Une justice qui peut lui redonner la seule chose qu'il ait jamais possédé, soit sa dignité. »

Les trois amis l'écoutaient, à moitié effrayés, à moitié fascinés.

« Vous voulez dire que Rogue va revenir vers Voldemort, monsieur ? » Demanda Harry.

Dumbledore prit une grande inspiration. « J'espère sincèrement qu'il n'en viendra pas à cela. J'ai une fois plaidé pour lui à la cour et j'ai ainsi sauvé sa vie. Je lui ai même donné un travail et une raison de continuer à vivre et c'est pourquoi il me doit quelque chose. En réalité, je lui dois autant que lui, mais cependant, il a toujours évalué sa dette comme plus lourde que la mienne. Vous devez savoir que son sens de l'honneur est aussi fort que sa fierté. J'espère seulement que ce sera suffisant et qu'il n'agira pas contre ma volonté. »

« Et qu'arrivera-t-il s'il le fait quand même ? » Demanda Hermione avec doute.

Dumbledore sourit douloureusement. « Cela prouverait que je suis un misérable juge de caractère et j'aurai à le remettre au ministère. »

Harry avala difficilement sa salive. Tout le monde savait que le directeur était trop confiant envers les autres. Dumbledore avait toujours cru Rogue, et Harry n'osait pas imaginer ce qu'il faudrait pour que le vieux sorcier doute de la loyalité du Maître des Potions. Mal à l'aise, il repensa à la scène qu'il avait surprit entre Rogue et Sirius.

« Professeur Dumbledore… » hésita-t-il. Devait-il vraiment lui parler de cela ? Il était cependant vital que Dumbledore aie toutes les informations disponibles si Rogue risquait de franchir la ligne une nouvelle fois. Le Maître des Potions avait toujours été un homme colérique, amer, mais Harry préférait de loin qu'il lui enlève des points que de finir au bout d'un Sortilège Impardonnable. Sans mentionner le fait que cela briserait le cœur de Dumbledore si Rogue les trahissait vraiment… Harry n'avait jamais comprit pourquoi, mais le vieux sorcier avait l'air de se préoccuper grandement de Rogue.

« Oui, Harry ? » L'incita gentiment Dumbledore.

Harry échangea un regard significatif avec Ron avant de prendre une profonde inspiration et de commencer à parler. « Ron et moi avons surprit Rogue alors qu'il menaçait Sirius. »

Dumbledore acquiesça attentivement. « Oui, Sirius m'a parlé de cette rencontre. Severus avait l'air d'être assez… hem… acerbe. » Dit-il

Ce qui était la découverte du siècle, pensa Harry, mais il était content que le directeur ne fasse aucun commentaire sur le fait que Ron et lui étaient sortis hors des dortoirs après le couvre-feu, car si Sirius lui avait parlé de cette querelle, alors Dumbledore était au courant qu'elle s'était produite au milieu de la nuit.

« Ce n'est pas tout. » Continua-t-il. « Après que Sirius l'eut quitté, Rogue a agrippé son avant-bras gauche et a dit qu'il n'avait pas besoin de vous, monsieur. Et, je ne sais pas si c'est important, mais il appelait Voldemort 'le Seigneur des Ténèbres' avec une voix très admirative. »

Après avoir entendu cela, Dumbledore se dirigea vers son bureau et se laissa tomber sur sa chaise, la faisant gémir sous le poids soudain. Le directeur ferma brièvement les yeux, comme s'il voulait rassembler ses forces intérieures. Il regarda à nouveau les trois adolescents. « Vous pouvez repartir, dites aux autres qu'ils vont retrouver leurs points perdus. Je vais faire convoquer Severus immédiatement. Il y a certaines choses dont j'ai besoin de discuter avec lui. »

Harry et ses amis acquiescèrent, inquiets, et quittèrent le bureau silencieusement.