Louveteau 2: Même pas peur

Sirius gigotait dans sa chaise, en s'impatientant devant la lenteur de James. Celui-ci travaillait encore sur son essai, bien que Sirius ait tout fini depuis déjà une bonne heure. Pendant leur première année, ils luttaient toujours pour finir le premier, mais leurs styles étaient trop différents pour que ce système ait pu continuer. Maintenant, en deuxième année, ils avaient cessé de rivaliser de vitesse (qui, selon James, n'avait aucune importance) et d'orthographe et calligraphie (que Sirius considérait plates à en mourir). Ce dernier était aussi agité qu'un chiot, son cerveau sautant d'une idée à une autre d'une façon imprévisible.

« Tu sais, » chuchota-t-il (et pas parce qu'ils étaient dans la bibliothèque), « la première fois que je l'ai vu, dans le train, je l'ai pris pour un fantôme. »

La plume de James continuait à griffonner le dernier paragraphe. « Oui, il en a l'air, » admit-il avec un petit sourire. Mais il se redressa brusquement et ajouta, « Mais il est tout à fait solide» pour démontrer qu'il était trop poli pour poursuivre une telle conversation sur un de ses amis.

Rien ne faisait Sirius reculer. « Peut-être un vampire, » suggéra-t-il.

James poussa un soupir. « Sirius, je suis sûr que Remus aime le soleil autant que moi et toi. »

Sirius dut admettre que c'était bien le cas; mais en pensant du soleil, son imagination vira vers d'autres corps célestes. « Je sais! » cria-t-il, en riant. « Un loup-garou! Il disparaît le soir, n'est-ce pas? Il regarde toujours la lune, n'est-ce pas? »

James en eut assez. Il posa sa plume et regarda Sirius d'un air sévère. « Sirius, sois sérieux. C'est un garçon qui s'ennuie de sa mère mourante. Ça ne veut rien dire pour toi? »

« Si. » Sirius eut l'air contrit...pendant dix secondes. « ...Mais pourquoi est-elle mourante à chaque pleine lune? »

Il avait rigolé, bien entendu, mais après que l'idée est rentrée dans sa tête, Sirius n'arrivait pas à s'en débarrasser. Après tout, des expériences avaient prouvé que Remus n'était ni un vampire, ni un fantôme... et la seule preuve qu'il n'était pas un loup-garou—le voir à la pleine lune—manquait toujours. Il ne parlait plus de ses soupçons à James, mais il commençait à faire des petits tours dont celui-ci (et Remus lui-même) durent se rendre compte.

Son premier truc était de faire des commentaires sur le plafond enchanté chaque soir. Le pauvre Remus ne pouvait même pas lever les yeux sans que Sirius le fasse lui aussi, souvent avec une farce telle que « Croissant croissant, tu vois? » En voyant que ça agaçait Remus, il trouva le surnom « Lunard » pour son ami et commença à fredonner sur un vilain air, « Au clair de la lune, mon ami Pierrot... se transforme en monstre, pour ronger tes os. »

Remus réagit en devenant un vrai astronome, pour qu'il puisse répondre aux observations de Sirius avec les siennes, telles que « Tu vois comment Orion s'allonge à l'équateur céleste? On peut en deviner sa latitude. » Très vite, les trois amis apprirent à lire l'heure du ciel, et ils arrêtèrent à porter leurs montres. Remus ôta la sienne, sa montre lunaire, et la cacha quelque part sans rien dire. Il ne disait même presque rien sur la chanson ou sur le surnom, sauf une fois quand il marmonna, « Encore pire que Garçon-Chien. »

Puis vint la Potion de Transparence. James voulait dresser un catalogue de tous les ingrédients que le professeur Zabini cachait dans son donjon verrouillé, et il triturait les méninges pour la meilleure façon de le faire. Faire Sirius créer une distraction, et y courir? (pas assez de temps). Y entrer la nuit? (il y devrait avoir des sorts sur les portes). Essayer de se jeter un sortilège de vision Rayons-X? (trop dangereux). Enfin il décida d'éclabousser la porte d'une potion qui la rendrait transparente pendant au moins dix minutes, aussi longtemps pour qu'il puisse savoir ce qu'il y avait à voler.

Lui et Sirius mirent Remus au courant. Puis Sirius eut une idée.

« Bien, » dit-il d'un ton nonchalant, « on ne doit pas voler la mimule, on peut en cueillir au bord du lac. Est-ce que tu pourrais le faire, Remus? »

Comme il espérait, Remus n'avait pas lu les instructions. « Volontiers,» répondit-il.

« Parfait, » approuva Sirius d'un calme professionnel. « Il faut qu'elle soit cueillie à la pleine lune—mais c'est juste l'après-demain, n'est-ce pas? »

Remus ne montra aucune émotion. « L'après-demain? Très bien. »

«Je peux te raccompagner, si tu veux. »

« Non, merci, ça va aller. »

Et il le fit. Il rentra dans le dortoir tard la nuit, réveilla Sirius, et dit, « La voici. Je vais la cacher sous mon lit; elle est dans un seau. »

« Mmmm... » Sirius grommela. « Tu es parti il y a longtemps. Quelle heure est-il? »

« Vers minuit, » Remus répondit. « Disons, je vais chez Mme Pomfresh, je crois m'être assis dans du sumac vénéneux. »

Il était absent toute la journée, mais le fait restait qu'il avait apporté la mimule. Sirius ne savait pas quoi penser. Il aurait dû le suivre. Il aurait dû vérifier l'heure quand Remus était rentré—s'il avait été après l'aube. Il n'avait pas de preuves.

Mais un peu plus tard James apprit, par hasard, que ce n'était pas Remus qui avait cueilli la mimule. Celui-ci l'avait fait faire par ce gros petit Pettigrow, celui qui se cachait toujours derrière quelqu'un d'autre.

Peter couvrit la bouche de sa main dodue. « Oh! Je n'aurais pas dû te dire! »

« Quoi? » Sirius demanda immédiatement.

« C'est juste... je veux dire... Remus voulait vous faire un tour, à vous deux, hein? C'est pourquoi il avait besoin de la mimule... » Il se confondit dans la confusion de Sirius. « C'est ce qu'il m'a dit, » protesta-t-il. « Je ne sais pas quel tour. Il m'a juste dit de laisser la mimule dans un seau près du Saule Cogneur. »

Trois semaines plus tard

« Très bien, Sirius, » dit James d'un air sombre. Ils avaient choisi un coin perdu où ils pouvaient être surs de ne pas être sous-entendus. « Tes soupçons ne sont peut-être pas complètement fous. »

« Qu'est-ce que j'ai dit, qu'est-ce que j'ai dit, » cria Sirius. « Il a toujours été si bizarre. Regarde comme il bouffe : cinq kilos de viande par jour, mais seulement une semaine sur quatre. Et cette fois dans le cours de Botanique... »

« ...Lorsque nous étudiions l'aconit, il s'est enfoui avec l'excuse d'avoir oublié son cahier, » James approuva à voix basse. « Oui, je m'en souviens. »

« J'ai voulu en prendre une tige, pour essayer—mais je pensais à notre affaire de licorne, et j'ai oublié. Et il est si sensible! Le garçon le plus gentil au monde lorsque la lune est nouvelle : mais aujourd'hui, je lui ai posé une petite question, et il a grogn. »

« Quand même, je suis incapable de croire qu'un de mes amis soit... » James n'acheva pas sa phrase. « Ou que Dumbledore permette... » Celle-là non plus. « Quand la lune sera-t-elle encore pleine? »

« Demain. » Sirius fit des grands yeux, en expectation d'un plan.

James ne mordit pas à l'hameçon. « Bon. Ne fais rien d'idiot. »

Sirius fit quelque chose d'idiot.

« Hé, Remus, » chuchota-t-il après le cours de Potions le jour suivant, pendant qu'ils sortaient des donjons au couloir du rez-de-chaussée. « J'ai quelque chose à te montrer. »

D'un geste presque imperceptible, Remus regarda par la fenêtre. Le soleil d'automne pendait, rouge et paresseux, dans le ciel de l'ouest. « Bien oui... » marmonna-t-il. « Je ne me sens pas si bien. Une autre fois... »

« Cinq minutes, » Sirius promit. Il jeta lui-même un coup d'oeil au ciel, sans vergogne. « Le soleil ne va se coucher qu'après une demi-heure. »

« Vingt-trois minutes--» Remus s'arrêta.

« Allons-y. » Sirius conduit son ami en haut d'un des nombreux escaliers au troisième étage. «Viens! » Il marchait d'un pas fou vers une salle de classe vide, où se tenait une statue d'une sorcière borgne. « Regarde! C'est un passage secret. » Il dit « Dissendium » et donna un petit coup de baguette sur la bosse de la statue, qui glissa latéralement et dégagea un tunnel.

Remus fit quelques pas en arrière. Le soleil ne se coucherait que dans vingt minutes... mais la lune se lèverait sept minutes avant. Il aurait dû se tirer du cours de Potions et recevoir un autre zéro.

Il sauta en l'air de trente centimètres lorsque Sirius mit une main sur son bras.

« Viens regarder! » Sirius implora. « Deux minutes, je te jure. »

Remus le suivit. Si peu de l'être humain restait en lui qu'il n'était guère conscient de la bête triomphante : Tu vas être seul! Avec un humain! Au lever de la lune!

Il ne faut pas le suivre, il essaya de penser.

Idiot! dit le monstre, pas en mots mais en grognements intérieurs. Ta première proie! Six ans et tu n'as mordu personne! Vaurien!

Remus se blottit contre le mur, aussi loin de Sirius que possible.

Sirius le regarda avec intérêt. « La lune va être pleine ce soir, » dit-il.

« Je sais, » Remus admit d'un ton menaçant, avec un petit espoir que ça ferait Sirius s'enfuir.

« Alors... alors donc je pensais qu'on pourrait aller écouter le fantôme à Pré-au-Lard. Tu sais que la Cabane Hurlante ne hurle que les nuits de la pleine lune. Ce tunnel mène directement au sous-sol de Honeydukes! »

Remus le dévisagea avec horreur. Il ne sait pas! réjouit le monstre. Tu l'as!

« Tu sais, » dit Sirius nonchalamment, comme s'il venait de s'en rendre compte, « tu sembles toujours être absent pendant la pleine lune. C'est un peu bizarre. Et c'est Peter qui a cueilli ta mimule... »

« Si tu soupçonnes... ce que je pense que tu soupçonnes... »

« Alors ce que je fais est incroyablement stupide! » Sirius rit. « Viens, viens, allons-y. »

Remus se tenait contre le mur, en essayant de faire ce qu'il avait cru impossible : à travers les grognements et les crachements et les glapissements qui remplissaient son cerveau, il cherchait une minuscule voix humaine. C'est Sirius Black, ton ami, se dit-il.

La bête recula, juste un peu. Elle était sceptique en ce qui concerne un ami humain, mais elle comprenait l'idée de loyauté.

Remus inspira profondément. Ce serait peut-être plus facile qu'il n'aurait jamais imaginé. Ce qu'il luttait de faire n'était certainement pas dans le Livre de sorts et enchantements niveau 2, mais son année de concentration sur des aiguilles et des chrysopes hachés lui avait donné du contrôle inattendu. Sirius est ton ami, il répéta à soi-même. Si tu ne fais rien, il va mourir.

« Sirius, » dit-il d'une voix étranglée, « sauve-toi. »

Sirius marchait dans le couloir, mais il se retourna au cri de Remus, les sourcils levés de surprise. Il n'avait évidemment pas cru ses propres soupçons, les prenant pour des fantaisies qu'il devrait chasser... mais il ne fuyait pas. Il regarda son ami intensément, les yeux scintillants de curiosité.

Remus mit sa main sur sa ceinture. Sa baguette n'était pas là.

Sirius vit le geste et montra la baguette en riant. Il était le meilleur duelliste de Gryffondor, mais aimait quand même chiper comme un vulgaire pickpocket Moldu.

Crétin! cria la bête. Il conspire en sa propre mort!

« Sirius, je... » Il va me tuer, pensa Remus. Puis il sourit : il ne pouvait pas le tuer; ça le tuerait, lui aussi. Il ne pouvait rien faire--du moins, pas avant dix minutes. « Est-ce que tu sais conjurer une boîte, une cage, un mur... quoi que ce soit? »

Sirius re-cacha la baguette de Remus et sortit la sienne. «Bien, je suppose, je... »

« Sirius, DONNE-MOI MA BAGUETTE CET INSTANT, » Remus commanda, en sentant son contrôle lui échapper avec chaque motion de la terre.

Encore peu enthousiaste, Sirius le fit. « Ne disparais pas, d'accord? Je veux dire, si j'avais raison, après tout... je veux bien le voir. »

Remus n'écoutait pas. Il ne savait pas exactement comment sa mère faisait le sortilège, bien qu'il l'ait essayé une couple de fois. Il remua sa baguette, murmura « Arca »--et se trouva soudainement dans une boîte translucide qui mesura à peu près deux fois sa hauteur. Il se pencha dans un coin, en sentant comme un animal dans un zoo lorsque Sirius le suivit, bouche bée.

Remus ne pouvait guère le voir à travers les murs, et encore mieux, il ne pouvait pas le sentir. Il ramassa son courage et expliqua d'un ton aussi sec qui celui du professeur Binns, « La cage restera aussi longtemps que je veux... que je peux vouloir, » dit-il. « Puis elle va affaiblir. »

« Il faut que je sache, » Sirius babilla. S'il avait peur, c'était une drôle de façon de le montrer. « Il faut que je voie. Je suis désolé, mais je n'arrive pas à croire et la curiosité me tue... dis donc, si j'avais demandé, tu aurais menti, pas vrai? Et il faut que je sache... »

Moins que cinq minutes. « Si je t'attrape... » Remus commença, et avala. « Essaie de ligoter mes mâchoires... si elles sont fermées, j'aurai du mal de les rouvrir. »

Sirius fit un grand sourire, comme un retriever avec une balle de tennis. Il était très fort en cordes et fils magiques. Il n'avait même pas peur. « On ne nous apprend jamais de choses pareilles en cours de Défense contre les forces du Mal, » s'exclama-t-il.

Remus se disait qu'il ne hurlerait pas devant son ami, mais c'était physiquement impossible de prévenir. Ce n'était pas seulement la douleur qui le faisait crier, mais aussi l'étirement de son appareil vocal, et la rage du monstre qui avait été trahi après avoir enfin senti sa proie... Le processus durait toujours entre une et cinq minutes, il ne pouvait pas le préciser plus exactement. Puis le loup-garou sauta vers les murs de sa cage, s'y heurtant dans sa fureur, trop impatient d'attendre à ce qu'ils se dissolvent par eux-mêmes.

Sirius se sauva.

Le loup-garou apprit très vite qu'il était trop grand pour passer dans la statue de la sorcière borgne. Il laissa tomber Sirius et fila dans le tunnel, monta en haut de l'escalier, et se trouva sous la trappe de Honeydukes. Après avoir essayé quelques fois, il réussit à se tenir sur les pattes d'arrière et à ouvrir la porte avec sa gueule.

Il se rassit pour un moment, haletant de l'effort, puis fit une dernière tentative. Il bondit vers la porte, y insérant la tête et les pattes d'avant. Ce n'était pas une position confortable, et il avait du mal à respirer. Pouvait-il passer? Il se rassit encore, avec un air songeur incongru pour le monstre qu'il était à ce moment.

Puis, d'un seul bond, il mit la gueule dans le trou, toutes les quatre pattes s'arc-boutant contre les parois de la trappe. En grognant et salivant, il essaya de se glisser dans le trou—mais ses griffes perdirent leur prise sur le bois et il tomba.

Il culbuta dans l'escalier, sur vingt-cinq ou cinquante marches (il ne pouvait pas très bien compter), mais se releva vite pour un nouvel essai. Une patte d'arrière lui faisait mal et il la léchait, furieux au délai. Cette fois, quand il avait la gueule dans la trappe, une lumière apparut quelque part et il entendit des voix.

« Qu'est-ce que c'est qui hurle comme ça, Hécate? » demanda un homme.

« Des fantômes, j'imagine, » une femme répondit avec un soupir. « Il faut que je parle au directeur de l'école; il semble connaître les esprits qui ont choisi de déménager à notre ville. »

Le loup-garou garda le silence, en léchant les lèvres. Seulement son nez, luisant et noir, émergea du trou.

« Bon, » l'homme déclara d'un ton fâché. « Je m'en fous s'ils restent dans la Cabane, mais je ne veux pas qu'ils fassent peur aux enfants qui nous rendent visite. Je vais les chercher en bas : je n'ai pas peur des fantômes. »

« Non, Orphée, ne fais pas ça—» La voix de femme l'arrêta.

Au sous-sol, Lunard les attendait en fatiguant. C'était difficile de se tenir sur les pattes d'arrière, et il avait envie de hurler d'impatience— comme un tout petit enfant, le loup avait une courte durée d'attention. La seule chose qui le gardait dans sa position pénible, guère en équilibre sur une marche avec les griffes dans le bois, était l'odeur des victimes.

« Pourquoi pas?" demanda l'homme. « Qu'est-ce qu'un esprit incorporel pourrait me faire? »

« Tu n'as même pas ta baguette, » la femme observa d'un ton soulagé. « Viens, allons nous coucher et je vais parler à Albus Dumbledore demain matin. »

Il sont partis et Remus laissa échapper enfin son hurlement, le hurlement le plus long et le plus déçu de sa vie. Il les entendait partir; il entendait leurs voix, qui tremblaient de peur pendant qu'ils se posaient des questions sur le bruit. Il les sentait aussi, l'odeur de peur, qui lui dit qu'ils partiraient et ne reviendraient jamais. Il hurla encore et mordit la porte, sa rage s'exprimant sur le bois qui porterait toujours deux petits trous en forme de croc. Il se fatigua enfin et se laissa tomber sur quatre pattes au-dessous de la trappe.

Deux fois il s'est approché aux humains, et deux fois sa proie s'est échappée. Quelqu'un allait le payer.

Huit heures le matin

J'ai soif, fut sa première pensée humaine. Il s'assoit lentement—il se trouvait en bas d'un grand escalier, et il s'est tordu (ou cassé?) la cheville gauche. Sa robe de sorcier était tachée de sang; il eut un frisson de peur qu'il ne soit pas entièrement le sien. Les souvenirs de ses nuits lunaires étaient toujours nuageux, mais il pouvait d'habitude se rappeler avoir mangé ou pas... cette fois, la soif et la douleur effaçaient tout. Il se mordit la lèvre inférieure en essayant de se mettre debout—la cheville était sans doute cassée.

Je peux me rendre au château sur quatre pattes, pensa-t-il avec ironie. Il se mit sur les genoux pour l'essai, mais le tunnel semblait si long et il avait tellement soif qu'il décida de se reposer un peu. Il mit la tête dans les bras et s'endormit, les rêves peuplés de cascades, de grands verres de jus de citrouille, et d'un de ses premiers souvenirs d'enfance : sa mère qui faisait la limonade à baguette, les petits fruits qui se pressaient eux-mêmes, les pépins qui se couraient dans l'air avant de se jeter à la poubelle, et les glaçons qui se formaient de l'eau tiède devant ses yeux...

« Où est-ce que tu as cru le voir? »

« À l'autre bout du tunnel, près du château. Seigneur, s'il a échappé... »

« Si tu blagues, Sirius... »

« Jamais! ...Alors, pas cette fois. Hé, regarde, c'est lui? »

« Où? »

« Près de l'escalier. »

« On aurait dû le manquer la première fois. Il semble dormir. Non, ne le bouge pas, tu peux le blesser. »

« Qu'est ce que tu—euh, cool, je n'ai jamais conjuré de civière! Tu peux l'y mettre? »

« Je pense que oui... attends... »

« Tu vas le laisser tomber, James! Arrête—je vais le réveiller. »

Remus entendait les voix, mais n'ouvrit pas les yeux avant d'être tenu par les épaules par Sirius. « Hé, vieil ami, ça va? » demanda ce dernier.

Remus était si comblé de honte qu'il essaya de se lever pour courir, en oubliant ses blessures, mais sa faiblesse ne le laissa même pas se mettre debout. « Bien sûr... et toi? »

« Ne te soucie pas de moi. Je suis un 'maudit petit salaud sans tact,' hein, James? Peux-tu t'asseoir sur la civière pour que nous puissions te porter au château? Je me méfie du sortilège de lévitation de James... »

Remus hâta de faire ce que dit Sirius, pour mettre fin à cette histoire sordide et ne jamais revoir ses anciens amis. Il se tenait sur sa jambe droite, la gauche pendante et gonflée.

« Qu'est-ce que tu as? » Sirius demanda, avec un coup d'oeil coupable vers James qui, sans doute, l'avait prévenu.

« Je suis tombé de l'escalier, je suppose... ce n'est rien. » Remus savait qu'il n'atteindrait jamais le château tout seul, alors il accepta de s'allonger sur la civière, les yeux fermés contre les regards de pitié, de peur, ou de haine qu'il redoutait. Il tombait dans un léger sommeil lorsque les autres le tirèrent à travers la statue.

Il se réveilla très vite face à Mme Pomfresh, qui était presque hystérique. À son côté, non moins concerné, fut le professeur Dumbledore.

« C'est de ma faute, » dit Sirius, avant que personne puisse parler. « Est-ce qu'il va aller bien? »

L'infirmière se jeta sur la civière, puis sur Sirius et James, les scrutant pour des horreurs imaginées.

« Nous n'avons rien, » insista James. « Mais Remus... nous le cherchons depuis l'aube. Nous l'avons trouvé inconscient et... et tout en sang par terre. »

Mme Pomfresh se tourna vers Remus comme si elle allait le gronder, mais Sirius l'interrompit. « C'est de ma faute. C'est moi qui ai fait tout. Mais guérissez-le, ne le laissez pas être blessé! » il jeta un regard sur Dumbledore.

« Je pense que vous devriez m'accompagner à mon bureau, vous deux, » dit le directeur.

Même dans l'intimité du bureau du directeur, Sirius ne pouvait que chuchoter. « Je soupçonnais depuis... je ne sais pas, depuis longtemps. Ça veut dire, je ne pensais jamais que c'était pour de vrai, j'ai toujours des idées fantastiques. Je pensais lui faire un tour, et... » Les yeux rivés sur les portraits, qui heureusement dormaient paisiblement sans rien dire, il raconta toute l'histoire.

Dumbledore écoutait sans sembler éprouver la moindre surprise. « Combien d'autres élèves sont au courant? » demanda-t-il, avec un air de résignation.

« Personne! » s'exclama Sirius. « Alors, sauf James, bien entendu, mais James... »

« N'est qu'une partie intégrale de ton cerveau surchauffé, » dit l'autre Gryffondor sèchement.

« Est-ce que tu savais ce que planifiait ton ami hier soir? » demanda le directeur.

« Non! » cria Sirius. « C'est tout de ma faute! Comme je vous ai dit, je n'y croyais pas moi-même. J'étais certain que moi et Remus irions errer dans le château ensemble. » Même coincé et interrogé, il ne révélait pas exactement où ils avaient été, pour ne pas gâcher le secret de la statue. « Je ne voulais pas faire de mal, » finit-il, comme un petit garçon qui a tué un oiseau de son lance-pierres.

Le directeur fronça les sourcils. « Et Remus... » poursuivit-il d'un ton neutre, en ne rien trahissant, « Remus est parti avec toi de son gré? »

« Je l'ai pratiquement forcé! » insista Sirius. Un bref éclair de peur apparut sur son visage quand il comprit ce que suggérait le directeur. « Mais... il essayait de me protéger. Il insistait pour que je me sauve. Il m'a appris comment me défendre, avec... » il s'arrêta devant le grand sourire du professeur.

« Mr. Lupin a le potentiel de devenir un grand sorcier, un de ces jours, » Dumbledore commenta.

« Bien sûr qu'il en a! » La surprise de Sirius était tout à fait honnête.

« Qu'est-ce que tu penses... » Il dévisagea chacun à son tour. « Qu'est-ce que vous pensez sur la possibilité qu'il continue à être un élève à Poudlard? »

« Quoi? » cria James.

« Vous allez renvoyer Remus? » hurla Sirius, sa voix pas si loin de celle du loup-garou. « Mais puisque je vous dis que c'est de MA FAUTE. J'ai même volé sa baguette magique! Vous ne pouvez pas, vous ne voulez pas—

« Si des parents se plaignent, si des élèves sont retirés de l'école, si, Merlin l'en garde, il blesse quelqu'un... je n'aurai pas le choix. »

Sirius baissa la tête. « Je ne comprends pas. Je ne croyais absolument pas, c'est pourquoi j'ai fait... ce que j'ai fait. Juste pour voir. On nous a appris au cours de Défense contre les forces du Mal qu'ils sont toujours des monstres sous-humains, assoiffés de sang... » Sa voix se coupa lorsqu'il se souvint du comportement de Remus après le cours en question. Il avait été cynique, sarcastique, en traitant James et Sirius de « crétins qui ne reconnaîtraient pas un vrai monstre s'il les mordait. »

« Et il y a des lois, » James ajouta. Lui aussi, sans doute, se rappelait les petites leçons de Remus dans le dortoir. Celui-ci, assis dans son lit, lisait à haute voix des passages effrayants des livres noirs en peau séchée, tels que Grand livre lugubre des choses qui me font peur. C'était juste pour leur faire frissonner... ou comme ils avaient pensé. « Ils... ça veut dire, alors, les loups-garous... » James ne pouvait pas prononcer le mot sans avaler. « Il est interdit de les enterrer dans un cimetière, il faut les... les brûler. Ils ne pouvaient pas occuper de postes du Ministère de la Magie. Ils ne peuvent même pas se marier légalement, » ajouta-t-il comme si cette dernière règle lui conviendrait bien. James détestait encore les filles : surtout parce que quelques-unes avaient commencé à le suivre.

« Je suis un des rares sorciers qui s'opposent à ces lois, » dit le directeur aux deux garçons. « Et Remus est un des rares bêtes' qui puissent réussir à les changer. »

Sirius grimaça, bien que le ton de son professeur favori fût gentil. Peu surprenant que Remus soit sensible! Je vais me comporter normalement envers lui ou je vais me couvrir de bave de limace géante, se promit-il. « Moi aussi, je fais partie des rares sorciers, » déclara-t-il. « Et James. Nous allons travailler pour le Ministère... »

James enfin rompit son silence. « Remus est un brave garçon et un bon sorcier, » dit-il. « Je pensais à lui lorsque... bien, vous savez que je monte une campagne contre le préjugé en Gryffondor? Je savais toujours qu'il était différent, d'une certaine façon, mais je ne savais évidemment pas... comment. Est-ce qu'il est le tout premier...? »

« D'être élève à Poudlard? De notre siècle, oui. »

Sirius, agacé d'avoir passé vingt minutes sans rigoler, éclata de rire. « Bon, mais n'admettez pas d'autres, où il faudrait que Hagrid élève des moutons pour les nourrir! Alors, euh... on est d'accord que c'est de ma faute, n'est-ce pas? Quelle sera ma punition? »

Dumbledore le regarda dans les yeux; Sirius fit de son mieux pour cacher son angoisse. « Je suggère que tu ailles voir si ton ami va accepter tes excuses, » dit le professeur. « Je suis confiant qu'il va le faire. »

« Mais... » Sirius hésita, mais Dumbledore détourna le regard et commença à lire une feuille de parchemin sur son bureau. Il sentit un coup de doigt de James dans le dos, et se redressa enfin et sortit, confus.

Mme Pomfresh refusa catégoriquement de les laisser réveiller Remus, alors il leur fallut attendre jusqu'à la fin des leçons le jour suivant. Ils apportèrent un tas de friandises et tous ses devoirs, en insistant à l'infirmière qu'ils ne voulaient qu'étudier silencieusement pour aider Remus à regagner ses bonnes notes.

Remus dormait, mais ils lui crièrent dans l'oreille. « Eh toi, ça va? » demanda Sirius. « Quand est-ce que tu vas partir? »

Remus grimaça, et jeta un regard bizarre à Sirius. « Quand ma mère vient me chercher, je suppose, » marmonna-t-il, en parlant à son oreiller.

Sirius fut tellement surpris qu'il avait du mal à parler. « Crétin! » cria-t-il enfin. « Je voulais dire partir de l'infirmerie! Tu ne vas pas quitter Poudlard. Pas question. »

« Je doute que j'aie le choix, » dit Remus d'une toute petite voix. « J'ai failli te tuer, Sirius. »

« J'ai failli te tuer! » s'exclama Sirius, en bondant sur ses pieds. « Pourquoi personne ne me blâme... ou ne me donne une retenue... »

« Cela peut s'arranger, » menaça Mme Pomfresh, « si tu ne baisses pas la voix dans cet hôpital».

Sirius se rassit, en respirant profondément.

« Tu n'as fait rien de mal, » Remus l'informa. « Ce n'est pas de ta faute. Ça m'arrive tous les mois. » Et si c'était particulièrement dur cette fois, pensa-t-il, c'était parce que je t'ai laissé échapper.

« Je ne savais pas... » Sirius balbutia, en implorant de l'aide de James de ses yeux. «Je ne pensais pas... »

« Évidemment, » James approuva.

Sirius lui tira la langue, puis tapa Remus légèrement à l'épaule. « Lunard, mon vieux, il faut que tu restes. Qui d'autre ose traiter James d'idiot? »

« James n'est pas un idiot, » répondit Remus, l'air triste et fatigué. « C'est moi qui suis jaloux parce que... parce que je ne suis même pas humain. »

« Hé! » James gronda. « Tu sais que je n'écoute pas ce genre d'injures de personne, même pas de toi. » Il faisait de son mieux, mais il y avait quelque chose de faux dans sa voix que Remus remarqua immédiatement.

« Bon, c'est un idiot. » Remus poussa un soupir. «Et moi aussi. »

« Tu te contredis, » dit James avec le plaisir du chouchou du professeur. « Tu nous disais depuis l'année dernière que c'était les fonctionnaires du Ministère et les profs de Défense qui étaient des idiots, que chaque espèce avait le droit de s'intégrer à la vie de sorcier. Mais maintenant tu es prêt à partir en nous disant que tu es un grand méchant loup! Qui a raison?»

Remus était beaucoup trop fatigué pour la philosophie. « Les deux, » dit-il simplement.

« Crottes de dragon, » répondit James. « Tu refuses de croire que personne peut être de ton côté. Mais nous, nous sommes de ton côté, et tu ne pars pas. »

« Si tu pars, » Sirius menaça, « je vais raconter à tout le monde. »

« Sirius! » James fit face à lui, les poings fermés.

« Bien! » Sirius essaya de se défendre. « S'il part, il n'aura plus besoin de garder le secret... »

« Mais tu ne peux pas menacer tes amis. Ce n'est pas juste. »

Ils tombèrent dans le silence. La petite engueulade avait fait Remus réaliser quelque chose. « Mais alors vous dites... » chuchota-t-il, en ayant peur d'espérer. « Vous voulez dire que personne ne sache? Je pensais que le bruit... les hurlements... »

James haussa les épaules. « Moi, je n'ai presque rien entendu. Je pensais qu'il y dû avoir un fantôme qui rodait quelque part, peut-être le fantôme de la Cabane Hurl—» il se tut brusquement et jeta un regard à Sirius. Tous les deux venaient de comprendre que le fantôme de la Cabane Hurlante n'en était pas un du tout. « En tout cas, » hâta-t-il d'ajouter, « personne ne sait sauf nous. Et lorsque nous sortions du tunnel, j'ai effacé les empreintes de pattes. »

« Et j'ai essuyé le sang et la salive, » dit Sirius avec un certain plaisir, comme si l'idée que son petit ami avait produit tant de bave l'amusait.

« Nous pouvons mieux garder un secret que personne d'autre dans l'univers, » déclara Sirius, et lui et James rirent à quelque blague privée. «Tu dois te considérer comme chanceux que ce soit nous qui sachions. Nous pouvons raconter n'importe quoi à n'importe qui. »

« Oui, Remus et moi, on s'est promenés à Pré-au-Lard la nuit, » dit Sirius d'un ton innocent. « On a attrapé le fantôme de la Cabane Hurlante—tu ne croirais pas, mais c'est le fantôme d'un garçon-chien! » Il cligna de l'oeil.

« Je ne veux pas que vous mentiez pour moi, » grommela Remus, en regardant toujours son oreiller.

« Il ne s'agit pas d'un grand effort, » dit James en riant. « Sirius ne dit pas la vérité depuis--»

« Le quatre mai, 1966. Ah, que je me souviens! Tiens. » Sirius jeta un gros livre à Remus, suivi par un rouleau de parchemin. « Cesse de te plaindre et fais tes devoirs. Nous faisions des Sortilèges d'Allégresse cet après-midi; tu veux que je m'entraîne sur toi? »

« J'ai perdu cinq points parce que le prof a dit que mon sortilège était trop fort, » dit James. « Mais c'était juste parce que je l'avais fait sur lui. »

« Sirius sourirait à Azkaban, » soupira Remus sans humour. Il prit le livre et l'ouvrit, en refusant de regarder ses amis.

Deux semaines plus tard

Sirius et James ne savaient pas quoi faire pendant les deux semaines suivantes. Remus ne parlait plus de quitter Poudlard, mais il évitait ses amis avec un air mélancolique et timide. Il n'empêcha même pas un Sort de Puanteur que Severus jeta à Peter, et ce dernier dut aller à Mme Pomfresh en empestant quelque chose que le chat a traînée sur le tapis.

La nuit de la nouvelle lune, James finit ses devoirs et sortit la cape d'invisibilité. « Allons faire un tour, les gars. Il fait si noir. Au moins, nous devons aller voir Hagrid pour apprendre ce qui est arrivé à la licorne. »

« Peut-être il va nous amener aux Trois Balais encore une fois, » Sirius suggéra, tout excité. « C'était génial comment le barman n'a pas hésité à donner de la bière à quelqu'un d'invisible. »

« Quelqu'un qui a ensuite gerbé du vomi invisible et est tombé de son balai, » James lui rappela. « Remus, viens-tu avec nous pour le tirer d'affaire? »

« Non, merci, » répondit-il d'un ton courtois, le nez fourré dans un livre. Il était trop poli, même formel : quelqu'un qui lisait plus qu'il parlait. « J'ai mes devoirs à faire. »

« Tu nous bats déjà en Sortilèges et en Défense contre les forces du Mal, » grommela Sirius. « Arrête de bûcher pour une heure. »

« Mais si je fais la moindre erreur en Potions, je suis condamné. » Remus esquissa un demi-sourire. « Crocs de vipère, épines d'oursin—qui peut les distinguer dans un donjon en portant des gants en peau de dragon? »

Il ne se laissa pas convaincre, et enfin James et Sirius prirent la cape et sortirent du dortoir.

« Tu penses qu'il m'en veut? » Sirius chuchota après qu'ils étaient sortis à travers la Grosse Dame.

« Non... » James eut l'air songeur. « Il est juste un peu gêné. Il va guérir. »

« Mais pourquoi? C'était de ma faute. Pourquoi personne ne me croit? » Il baissa encore la voix, et força James de se pencher pour entendre. « À moins que... tu te souviens de ce que Dumbledore a dit... à moins qu'il n'ait voulu me mordre? »

James soupira. « Je ne sais pas, Sirius; pourquoi pas lui demander? »

« Tu es fou? Il me tuerait sur-le-champ! Disons, penses-tu que les livres noirs qu'il lit ont quelque chose sur le sujet? Garou gourou : être maître de ton monstre'! 'Tes amis ont mauvais goût'! Ou encore--»

James le fit taire, mais sans en parler davantage, ils se dirigèrent vers la bibliothèque.

Ils venaient d'entrer dans la Réserve, et de commencer à chercher des titres qu'avait suggérés Sirius, quand ils entendirent des pas.

« Chut! »

« Où est la cape, James? »

« La voici... »

Ils se tapirent en un silence tendu sous l'étoffe soyeuse, jusqu'à ce que un visage ait apparu de derrière un rayon, ses grands yeux dorés fixés sur eux.

C'était Remus. « Bon, » dit-il. « Sirius, James, ou les deux? »

« Chuuut.... » dirent deux voix. Leurs têtes apparurent, flottantes en l'air.

« Vous auriez dû me dire que vous alliez venir ici. » Remus eut un petit sourire. « Rusard m'a presque eu. » Il s'approcha d'un rayon qu'il connaissait évidemment très bien, et prit un grand livre ancien.

« Qu'est-ce que tu fous ici, toi? » James rétorqua. « Est-ce que je te prête ma cape pour que tu étudies? »

Remus haussa les épaules. « Des fois. » Il ouvrit le livre et examina une page avec intérêt. En se rendant compte que les autres avaient cessé de flâner, il dit d'un ton sec, « Ne me laisse pas empêcher votre recherche. »

James mit une main sur la bouche de Sirius, mais celui-ci parla quand même. « Nous nous intéressons aux loups-garous, » avoua-t-il avec passion.

« Sirius! » James menaça.

Mais Remus ne cilla même pas, et ne dit que « Mmmm. » Il continuait à feuilleter son livre, et après un moment, demanda, « Et vous ne faites pas confiance en moi pour vous dire la vérité, hein? »

« Nous ne voulions pas te déranger, » James assura.

« Il vaut mieux me déranger que de... de vous comporter comme ma mère, » chuchota Remus. Il remplaça son livre sur le rayon et en choisit un autre.

Sirius s'approcha de lui et lorgna le livre à travers son épaule. « Qu'est ce que tu lis, alors? Beurk, c'est quoi, cette chose-là? »

Il tendit sa main vers une image d'une créature dans une cagoule, et il sursauta quand celle-là bougea, en lui montrant une main visqueuse et couverte de croûtes. Sirius couvrit sa bouche pour ne pas crier. « Dégueulasse, » chuchota-t-il.

« C'est un Détraqueur, » dit Remus d'un ton cruel. « Un des gardiens de la forteresse d'Azkaban. Ils te vident de tout souvenir heureux. Ils ne te laissent que le désespoir, l'horreur, et la tristesse. »

« J'ai froid seulement en le regardant. »

James écoutait, mais il refusait de regarder le Détraqueur. « Le remède est de manger du chocolat, » dit-il d'un ton ennuyé. « Prenez votre sale bouquin et allons faire une razzia sur la cuisine. »

« Il ne faut pas manger en lisant ces livres, » Remus gronda. « Ils sont très rares et très fragiles. Je suppose que c'est toi qui as versé du jus de citrouille sur la page 103 de Tragédies de Transfiguration? »

« Oups, » Sirius avoua. « J'ai essayé de l'essuyer. Écoute, tu as l'air d'un professeur--» il imita la voix innocente d'un première-année, « --'Le professeur Lupin nous laisse lire n'importe quoi, pourvu que nous ne tachions pas.' »

James fit un geste pour les ramasser sur la cape. Remus berçait son horrible livre comme s'il était un bébé. « Allons, je parie qu'il y a du gâteau qui reste, il faut seulement faire attention à Rusard. Je peux t'imaginer comme professeur, » dit-il soudainement, lorsqu'ils sortaient de la bibliothèque. « C'est parfait. »

« Impossible, » répondit Remus d'un ton lugubre. « Même si j'arrive à survivre les dix prochaines années. »

« Quoi? » s'exclama Sirius. Même pour Remus c'était un peu trop.

« Penses-tu que je lis des livres comme celui-là afin d'améliorer mes notes? » demanda Remus avec amertume. Ils étaient en plein couloir, mais il parlait à haute voix, comme inconscient du danger de retenue. « Vous savez autant que moi qu'il y a un Seigneur des Ténèbres dans notre monde. Nous allons lutter contre lui parce que de faire autant est de se joindre à lui; mais je serais bien surpris de voir aucun de nous en vie après la guerre. »

« Nous n'avons que douze ans, » protesta Sirius, la voix basse. « Et Dumbledore est le sorcier le plus puissant au monde. »

« Nous n'aurons pas toujours douze ans. Les plus courageux d'entre nous vont mourir, et ceux qui survivront seront des traîtres. C'est facile d'être trahi lorsqu'on a des idéaux... Confierais-tu ta vie à Sirius? La confierais-tu à moi? » Il eut un rire narquois.

« Tais-toi, Remus, » James siffla.

Personne ne dit un mot davantage avant d'entrer dans la cuisine. James alluma des lampes de sa baguette, puis fouilla dans une grande étagère en pierre. En été, il aurait dû éteindre une douzaine d'Enchantements d'Engelure pour atteindre la nourriture, mais cette fois il n'y en avait qu'un, sur la crème glacée. Ayant trouvé ce qu'il voulait, il se redressa, un plat caché derrière son dos. « Toi, » dit-il sévèrement à Remus « défense de parler... » Il posa le plat sur une table, en révélant un énorme gâteau au chocolat. « ...avant de manger une grande tranchée de ça. Ce Détraqueur t'a touché. » Il frissonna.

« Il ne m'a pas touché, moi, » vanta Sirius. Il prit une tranchée du gâteau d'une main, et le livre de l'autre. « Ooooh... » siffla-t-il, en regardant la silhouette. Il lui donna un coup de doigt pour faire bouger la main luisante, puis referma le livre violemment.

Remus soupira, sortit sa baguette magique, et enleva le glaçage au chocolat des bords des pages.

James essuya son front et rit de soulagement. « Je te croyais fou là-bas. C'est un miracle que Rusard ne t'ait pas entendu, lui ou sa sale chatte. »

Remus eut un sourire étrange, en mangeant scrupuleusement son gâteau. « Miss Teigne gémit sous un lit quelque part. Les chats ne m'aiment pas. »

Sirius leva les yeux du Détraqueur. « Vraiment? Et les chiens? »

« Les chiens non plus, je suppose, » répondit Remus patiemment. Le gâteau n'aidait pas sa dépression, qui n'avait rien à voir avec un dessein idiot d'un Détraqueur. « Ceux que j'ai rencontrés, en tout cas. J'essaie de les éviter. »

« C'est pourquoi tu as refusé de me rendre visite l'été dernier? » Sirius persista. « Tu aurais dû me dire. J'aurais pu envoyer le Cerbère chez ma grand-mère. Les animaux savent-ils toujours? » Il tendit sa main vers le gâteau, les yeux rivés sur ceux de Remus.

« Je pense que oui—Sirius, OK, je t'ai dit que tes questions ne me dérangeraient pas, mais franchement... ne fais pas semblant que c'est cool! »

« Mais c'est vraiment un peu cool, » Sirius laissa échapper. « Je souhaite que je puisse me transformer, moi. »

« Pas de la même façon que moi, » Remus répondit, glacial.

« Bien non, » reconnut-il, « mais je voudrais bien être un Animagus. Ma mère est comme la tienne, ces choses-là lui font peur et elle ne me laissait jamais en parler. J'ai entendu cent fois l'histoire de mon cousin Persée qui l'avait essayé et qui était resté un crapaud pour toujours. »

« Il peut t'arriver des choses encore pires que ça, » Remus l'informa solennellement—puis il sourit. « Mais tu le sais très bien, c'est la page 103. Un crapaud avec une jambe d'homme; ça n'est bon à rien. »

« Il est assez facile de devenir un animal, autant que je sache, » James ajouta. « Ce qui est dur est de redevenir humain. »

« Et tu n'as pas de choix d'animal, » Remus poursuivit. « Ta forme te choisit, selon ta personnalité, tes préoccupations, ton environnement, et un tas d'autres facteurs inconnus. »

« Si tu es un bon sorcier, tu peux au moins influencer la taille et la forme générales, » Sirius protesta. « Et ce n'est pas si grave, non plus, hein, Lunard? Si je me transformais en lapin ou en caniche, me mangerais-tu comme des hors d'oeuvres? »

« Bien sûr que non, » répondit Remus d'un ton presque fier. « Je peux me contrôler un peu mieux que ça. » Il se rendit compte des implications et s'arrêta brusquement. « Mais tu ne vas pas essayer un truc pareil. C'est dangereux et c'est illégal, et contrairement à beaucoup d'autres, cette loi a du bon sens. »

« Si je reste un crapaud, tu peux me garder comme animal de compagnie, » suggéra Sirius.

James interrompit avant que Sirius puisse décrire le crapaud génial qu'il ferait. « Le professeur McGonagall vient de s'enregistrer comme le septième Animagus du siècle. »

« Oui, je sais... » Remus commença, puis s'arrêta, gêné. Mais les autres ne le laisseraient pas cacher d'informations. « Bon, » soupira-t-il aux yeux interrogateurs de ses amis, « je lui ai demandé une fois, dans une retenue. Elle adore en parler, et vous savez, je ne voulais pas attirer l'attention sur moi en classe. » Il leva les yeux au ciel comme pour se moquer de sa timidité. « Elle ne me disait rien sur les sortilèges qu'il faudrait, et je ne posais pas de telles questions. Je voulais juste savoir comment marchait son cerveau sous sa forme de chatte, si l'esprit animal prenait contrôle... »

« Si elle chassait des souris? » Sirius acheva la pensée. « Alors—le fait-elle? »

« Oui, parfois, » dit Remus, et ils rirent tous les trois. Il allait changer de sujet, parce qu'ils s'approchaient aux questions inconfortables, mais Sirius était trop rapide.

« Et pour toi? » demanda-t-il. Il regardait encore le livre; il semblait qu'il essayait de mémoriser la carte d'Azkaban. Peut-être il tenait les menaces de Remus à coeur.

Remus cligna les yeux plusieurs fois, en regardant la table.

« Tu ne dois pas répondre si tu ne veux pas, » dit James d'un ton sympathique. « Je me demande s'il a appris ses manières du cousin Persée. »

« Ça va, » dit Remus lentement. « McGonagall m'a posé les mêmes questions. J'ai toujours une partie animale, » reconnut-il d'une voix incertaine, comme s'il n'était pas sûr lui-même. « Vous devez vous en avoir rendus compte. Cette partie est la plus faible maintenant, mais elle va augmenter pendant les deux semaines prochaines, jusqu'à... »

« Ce n'est pas nécessairement regrettable, » assura Sirius. « Les animaux sont meilleurs que les êtres humains, de certaines façons. »

« Les vrais animaux, oui, mais ce que je suis... il y en a des choses que j'aime, » il confessa enfin, en jetant en regard sur ses amis pour voir si ça leur faisait peur. Bien entendu, c'était le contraire. « Je serai plus courageux la semaine prochaine, et plus—aventureux, je suppose. Mais je n'aime pas les... les pensées violentes. »

Enfin c'était le tour de Sirius d'être gêné. « Alors dans le tunnel... quand tu m'as dit de me sauver... »

« C'était la chose la plus dure que j'ai jamais faite de ma vie. » Remus eut l'air soulagé, comme s'il venait de confesser à un meurtre qu'il avait commis il y a des années. Il ne regardait pas ses amis.

« Bon. » Sirius cachait son embarras en feuilletant l'horrible livre. « Je ne m'en suis pas aperçu. Je veux dire, tu as bien fait. »

« Et tu vas mieux apprendre à te contrôler au fur et à mesure que tu deviens un sorcier, pas vrai? » James demanda. « Au début tu ne pouvais même pas transformer une allumette en aiguille, mais maintenant tu transformes des corbeaux en bureaux. »

Remus haussa les épaules, en semblant étonné qui ses amis ne se soient pas enfuis. « Je ne sais pas plus que vous. Croyez-moi, il n'y a pas de livres sur le sujet. »

« Non? » Sirius eut l'air déçu.

« Sur les Animagi, si, » Remus se corrigea, comme s'il lisait les pensées de Sirius, « mas ce que je lis m'inquiète. Si tout ne va pas bien, tu peux perdre complètement ton âme, oublier qui tu étais et comment y revenir, et—et je pense qu'en ce cas, personne ne peut t'aider. »

Sirius ne dit rien pendant un instant. « Même pas peur! Le crapaud a toujours les yeux au ciel'! » cria-t-il enfin, et éclata de rire. « Excuse-moi. Mais si je devais rester un crapaud, je préférerais sauter heureusement dans la boue que d'être comblé de regrets! »

« Pas moi. » Remus frissonna. « Sirius, si tu veux le faire, fais-le correctement, quand tu auras l'âge de McGonagall. »

« Quand j'aurai l'âge de McGonagall, je ne ferai que ronronner au coin du feu! »

« Ou l'équivalent chez les crapauds, » James lui rappela.

Pour la première fois depuis la découverte de son secret, Remus leur donna un grand sourire heureux. « J'apprécie l'intention, les gars, » dit-il, sa sincérité cachée sous un ton légèrement sarcastique. Il retrouva son livre pendant que James nettoyait la table et Sirius éteignait les lumières. « Mais je me sentirais toujours coupable en donnant des mouches à un joli crapaud aux yeux gris nommé Sirius. »

Quelques jours plus tard

James jeta son dixième livre par terre. Il commençait à avoir mal à la tête. « Ils ne disent rien, » grommela-t-il.

« Non... » approuva Sirius sans écouter, fasciné par son premier livre, Tragédies de Transfiguration. « Beurk, regarde celui-là... »

« Très bien, mais ça ne dit pas comment le devenir! Il n'y a que des images répugnantes. »

Sirius ne voyait pas où était le mal. « Oooh, et celui-là! Immonde, » dit-il avec plaisir.

James mit les pieds sur le dossier d'une des plusieurs chaises de la salle de classe vide. « Ce dont nous avons besoin ne se trouve pas dans la bibliothèque de Poudlard, » déclara-t-il. « Il faut aller à Pré-Au-Lard et au Chemin de Traverse, et il nous faut probablement un sorcier de deuxième cycle pour faire les achats, car personne ne nous vendrait ce genre de livre. Et si les mauvaises transformations tiennent de famille? »

« Il n'était qu'un cousin. » Sirius feuilleta le livre. « Je n'ai pas peur. Et toi? »

La porte s'ouvrit avant que James n'ait pu répondre et Remus entra, essoufflé. « Je courais dans tout le château à votre recherche! Enfin j'ai entendu du bruit... » Il mit les mains sur les hanches et leur donna un regard sévère. « Ne pensez pas que ce que vous faites ne m'est pas évident. Le troisième rayon de la Réserve est complètement vide. Je me considère comme chanceux de vous avoir trouvé, et non pas une paire de véracrasses. » Il dévisagea James; celui-ci était aussi sobre et songeur que lui-même. « Vous n'allez pas vraiment... »

James le regarda longtemps, ce maigre garçon qui faisait de son mieux d'être indigné, mais dont les yeux étincelaient de malice et même de joie. « Nous le prenons très au sérieux. » Il fut interrompu par un éclat de rire; Sirius avait réussi à faire marcher l'image du corbeau sans tête. « Bien, moi en tout cas. Remus, euh... si tu demandais à ta mère d'acheter des livres...? »

« Bien sûr qu'elle le ferait, je n'imagine pas qu'elle refuse... » Il reprit son air sévère. « Si je ne peux pas vous faire changer d'avis, je peux au moins vous aider à le faire correctement! C'est possible de réparer la plupart de ces tragédies que tu lorgnes, Sirius—si tu agis avant qu'il ne soit trop tard, si tu es préparé. »

« Très bien. » James remit ses pieds sur terre et se mit debout, en reprenant l'autorité. « Remus, c'est ta tâche. Sirius et moi apprendrons comment le faire; tu seras prêt à nous sauver. Nous te jurons de ne pas nous entraîner sans toi. »

Remus se tenait au milieu de la pièce, en essayant de cacher son sourire. Il admirait l'ambition, l'intelligence, et le courage de ses deux amis—et, bien entendu, il préférerait devenir un vampire plutôt que l'admettre. « Crétins, » dit-il, qui était si loin d'être la vérité que ce n'était même pas un injure. « Pas de raccourcis, d'accord? Et êtes-vous sûrs... je veux dire... enfin... vous ne faites pas ça pour moi, au moins? »

« Bien sûr que non, » dit Sirius d'un ton neutre. « C'est ce que je veux depuis toujours. Ouille, regarde celui-l. »

« C'est un défi intellectuel, » ajouta James.

Remus arrivait, peu à peu, à y croire. « McGonagall a des choses sur son étagère que je pourrais chiper, pour commencer, » dit-il sobrement.

« Parfait! » James rit. « Tu peux lui poser un tas de questions, mais pas un mot sur nous. »

« Tu vois, Lunard. » Sirius enfin leva la tête des images horribles. « Ta voix de raison bien compense le 3,45 % du temps que tu es dangereux. Tu peux m'empêcher de vivre mes jours comme ça! » Il montra une queue de rat qui gribouillait toute seule.

Remus ne devait pas calculer pour savoir que 3,45% était une partie sur 29. « Arrête de regarder ça, » dit-il sèchement. « Si j'étais toi, je me trouverais un bon gros livre sur les bergers allemands, et je commencerais à m'y concentrer. Je serais toujours ton ami si tu étais un caniche—mais je ne jouerais pas au Frisbee avec toi. »