Fosglahd, Chapitre 1
Correspondance.
Allongé dans son lit, le regard fixé sur le plafond, Vernon Dursley écoutait la respiration tranquille de sa femme endormie à ses cotés.
Il écoutait le vent souffler dans les arbres.
Il écoutait les oiseaux crier dans la nuit.
Il écoutait les voitures passer tardivement dans la rue.
Il écoutait tout sauf les gémissements émanant de la chambre à l'autre bout du couloir.
Il s'était levé une fois, au début de l'été, afin de faire passer au gamin ses envies perverses. Mais au lieu de le trouver en train de « s'auto-satisfaire », il avait découvert le gamin en sueur, le visage déformé par la souffrance, les membres entravés par ses draps alors qu'il s'agitait dans son lit en laissant échapper des gémissements de bête blessée.
Mais le gamin dormait.
Si on pouvait appeler ça dormir.
Vernon avait fermé la porte sans la claquer et était allé se recoucher auprès de sa femme. Petunia, le sang saturé de ces somnifères qui seuls lui permettaient de tenir depuis les «problèmes» de Dudley, dormait d'un sommeil lourd.
Depuis, chaque nuit, il se forçait à ne pas écouter les plaintes déchirantes de son neveu tout en se demandant quand il se déciderait à demander à Petunia un cachet pour dormir...
Le voile s'agitait devant ses yeux et les voix l'appelaient.
Et Harry savait ce qui l'attendait derrière le tissu crasseux.
Il ne voulait pas y aller.
Mais cela faisait si mal...
« Un pas. »
Non.
Il ne voulait pas.
« Un seul pas. »
Non, ce serait une erreur.
« Pour tout retrouver. »
Retrouver quoi ? Retrouver qui ?
C'était une illusion, tout n'était qu'illusion.
Ce n'était pas en soulevant le voile qu'il retrouverait ses parents.
Ce n'était pas en regardant le passage qu'il reverrait Cédric.
Ce n'était pas en passant la porte qu'il rejoindrait Sirius.
Ou plutôt si, il les retrouverait, les reverrait et les rejoindrait.
Mais il serait mort.
« Quelle importance ? »
Quelle importance ? Mais il ne voulait pas mourir !
« Non ? »
Non ! Il n'avait pas survécu pendant 16 ans, perdant tout ce qui lui était cher pour se suicider bêtement en passant une porte ensorcelée !
« Pourquoi survivre ? Quel intérêt ? Que reste-t-il à protéger ? Que reste-t-il à chérir si tout ce que tu touches se brise ? Si tous ceux que tu aimes meurent ? Si tous ceux qui t'approchent disparaissent ? Quel intérêt ? Ne sais tu pas que le monde serait bien mieux sans toi ? Ne sais tu pas que tes amis seraient plus en sécurité sans toi ? Ne sais tu pas... Que tes parents et Cédric et Sirius seraient encore en vie, sans toi ? »
Et il lâcha une plainte douloureuse, car la voix l'appelant derrière le voile était celle de Sirius.
Et oui, il était coupable.
Il avait provoqué la mort de ses parents.
Il avait tué Cédric.
Il avait assassiné Sirius.
« Tu vois bien que ce serait tellement mieux. Tu n'as qu'un pas à faire. Un seul. Et tout sera oublié. Et tout sera pardonné. »
Il sentait les larmes ruisseler sur son visage.
Tout serait tellement plus facile.
Et il commençait à être vraiment fatigué.
Toutes les nuits, il se retrouvait devant l'arche de pierre.
Et toutes les nuits, il s'en approchait davantage.
Et toutes les nuits, il hésitait.
Mais cette fois...
Harry se réveilla en sursaut au bruit insistant sur sa droite.
Allumant sa lampe de chevet, il regarda vers la fenêtre.
Des hiboux tambourinaient impatiemment à la vitre.
Harry se dégagea de ses draps tordus et trempés de sueur, chaussa ses lunettes et alla ouvrir la fenêtre aux volatiles. Il y avait Coq, un grand hibou de Poudlard, celui de la grand-mère de Neville et deux chouettes qu'il ne connaissait pas et qui portaient la bague des services postaux.
Il débarrassa les oiseaux de leurs charges et les laissa se désaltérer dans la gamelle d'Hedwige, laquelle observa les intrus d'un regard courroucé. Une fois rassasiés, les quatre plus grands repartirent dans un froufroutement de plumes et Coq s'installa confortablement sur le perchoir d'Hedwige, s'attirant un hululement méprisant de la chouette.
Harry ferma la fenêtre et ouvrit l'enveloppe rouge que lui avait apporté Coq. Il en sortit une carte et un petit paquet qui grandit d'un seul coup entre ses mains. Il regarda la carte.
« Joyeux anniversaire Harry ! »
Il soupira, se demandant vaguement s'il allait continuer à lire la carte de Ron ou la jeter dans la corbeille à papier. Mais l'affection qu'il portait à son ami et la simple réminiscence du plaisir qu'il avait pu ressentir auparavant à ces simples mots le forcèrent à conserver la carte.
Il n'avait pas envie qu'on lui souhaite son anniversaire.
Pas maintenant.
Plus maintenant.
Consciencieusement, il reprit la lecture de la carte colorée ornée de dessins de joueurs de quidditch animés.
«J'ai demandé à papa de rétrécir ton cadeau. Il reprendra sa taille normale dés que tu le toucheras. C'est plus pratique comme ça. J'espère qu'il va te plaire.
Sinon, comment vas-tu ? Est-ce que ça se passe bien chez tes moldus ? Je suis sur que ce que leur a dit Folœil sur le quai la dernière fois a eu son petit effet et qu'ils te laissent tranquille. Si ce n'est pas le cas, un seul signe de toi et les membres de l'Ordre viendront s'occuper d'eux ! Sinon, nous ça va. Grimmauld Place est toujours aussi sinistre. Qu'est-ce que je ne donnerai pas pour retourner au Terrier ! »
Les mains de Harry se crispèrent. Sirius aussi aurait donné n'importe quoi pour échapper à sa prison. Au moins, Ron avait-il sa famille auprès de lui. Au moins, sa cousine ne passait pas son temps à lui reprocher son comportement passé. Au moins, sa mère n'était pas un personnage de tableau qui passait son temps à lui lancer des ordures et des insultes à chaque fois qu'il passait devant elle. Harry ferma les yeux et ravala son ressentiment avant de continuer sa lecture.
« Maman a demandé à Dumbledore si Hermione pouvait venir passer les deux dernières semaines d'août avec nous (quand elle reviendra d'Afrique du Sud), et il a dit OK. Par contre, tu ne pourras pas venir nous rejoindre. Question de sécurité. »
Harry haussa les épaules.
Il n'avait pas envie de revoir la maison des Black. Ce n'était pas comme s'il s'agissait du foyer de Sirius. Harry ne connaissait pas toute l'histoire, mais il pensait souvent que c'était la maison de son père qui ressemblait le plus à un foyer pour Sirius. Un peu comme le Terrier pour lui. Alors non, il n'avait pas envie d'aller à Grimmauld Place.
« On se rattrapera à Poudlard. Il paraît qu'on aura plus de week-end à Pré-au-lard cette année. On ira rendre visite aux jumeaux, il se sont faits embaucher chez Zonko (il a accepté de distribuer les « farces pour sorciers facétieux » dans sa boutique). Ginny m'a saoulé avec le quidditch pendant tout le mois de juillet. Remarque, elle n'est pas mauvaise, mais je préfèrerai jouer avec toi. Bon, OK, coincé ici, on n'a pas l'occasion de s'entraîner mais attends d'être revenu à Poudlard ! Crois tu que tu vas être nommé capitaine de l'équipe ? Ce ne serait que justice. J'espère que mon cadeau te plaira, je pense qu'il va nous être très utile l'année prochaine, il décrit les meilleures techniques, avec images animées et tout.»
Harry laissa tomber la lettre sans la finir.
Il commençait à avoir mal à la tête.
Etait-il possible que Ron soit resté à ce stade ?
Comment pouvait-il être aussi... Aussi enjoué après tout ce qu'il s'était passé ?
Harry contempla le livre sur ses genoux « tactiques et stratégies du Quidditch Moderne » par Ragmar Dorkins. D'autres paquets gisaient à ses pieds : un gros gâteau de la part d'Hagrid, Hermione lui avait offert un jeu d'échec en bois venant d'un pays d'Afrique que Harry ne connaissait même pas, Luna un prisme censé concentrer les pouvoirs magiques et faciliter la divination et Neville un pied de fleur de lune.
C'était ses amis.
Il ne devait pas l'oublier.
Mais parfois, cela faisait si mal...
« Cher Ron,
Merci pour le livre de Dorkins, il est certainement très intéressant, mais je n'ai pas vraiment la tête à le lire. Si tu veux, on l'étudiera à la rentrée, avec le ou la capitaine, quand McGonagall l'aura désigné.
J'espère que Hermione pourra venir te rejoindre.
En ce qui me concerne, cet été se passe sensiblement mieux que les précédents : Dudley n'est pas là et les Dursley m'ignorent.
Il se fait tard, je te laisse.
Très amicalement.
Harry ».
« Harry,
Que se passe-t-il ?
Je me doutais bien que tu n'aurais pas le moral et je pensais que ma dernière lettre pourrait te changer les idées. Apparemment, ce n'est pas le cas.
Je m'inquiète pour toi. Je suis en colère de devoir te laisser seul avec tes maudits moldus qui pensent autant à toi qu'à un paquet de levure. Moins, peut être !
N'oublie pas que Hermione et moi sommes tes amis, tu peux tout nous dire.
Affectueusement,
Ron »
Harry jura intérieurement en refermant la lettre.
Apparemment, il n'était pas très doué pour cacher son mal être à son meilleur ami. Bientôt, Ron allait prévenir Hermione et il l'aurait elle aussi sur le dos.
« Ron,
Je vais bien.
Les Dursley me traitent mieux que précédemment : ils m'ignorent et me laissent faire tout ce que je veux.
Je te promets, je vais bien.
J'étudie, je fais mes devoirs de vacances (j'ai même fini les rédactions de Snape. Je les ai faites en premier, histoire d'être débarrassé).
Tu n'as pas à t'inquiéter.
Vous me manquez, c'est tout.
Harry »
« Harry,
Dumbledore content ou pas, on vient te chercher la semaine prochaine.
Ne me raconte pas que tout va bien dans le meilleur des mondes et que tu ne penses plus du tout à S.
Ron. »
Harry se retint de hurler.
Il ne voulait pas que Ron vienne.
Il ne voulait pas qu'Hermione vienne.
Il voulait qu'on le laisse seul, qu'on l'ignore et que l'on ne lui adresse plus jamais la parole.
Il voulait ne plus être qu'un gamin anonyme dont personne n'avait strictement rien à faire et, pour le moment, seuls les Dursleys étaient en mesure de lui apporter cette indifférence froide lui permettant de se morfondre à plaisir.
« Ron,
Ne venez pas me chercher, ce n'est pas prudent. Même si je préférerai être avec vous, je ne peux pas.
Je suis plus en sécurité ici, même si je déteste cet endroit.
C'est gentil de vouloir me remonter le moral, mais pour le moment j'ai juste besoin de faire mon deuil, tu comprends ?
S. est mort, comment pourrais-je être heureux ?
Je n'arrête pas de penser à ce que j'aurais pu faire, à ce que j'aurais du faire pour empêcher la mort de S. Tu te rends compte que si j'avais ouvert son cadeau plus tôt et découvert le miroir, j'aurai pu le prévenir ? J'aurai pu vérifier qu'il allait bien.
J'aurai pu lui parler, à chaque fois que j'en aurai eu envie.
Je n'arrête pas de revoir la scène dans ma tête.
Je le revois tomber en arrière et le voile s'abattre sur lui.
La nuit, quand je rêve, je le vois tomber et je me vois attendre qu'il sorte du portail.
J'attends, encore et encore et je finis par me rappeler qu'il ne réapparaîtra pas.
Parfois, je me dis que c'est Voldemort qui essaie de me manipuler, mais la plupart du temps, je sais que c'est juste un rêve et j'ai envie de pleurer.
Je ne sais pas quoi faire pour qu'il revienne.
Parfois, je me dis qu'il doit y avoir un moyen. C'est juste un porche de pierre, c'est comme une porte avec un vieux rideau crasseux. Où vont tous ceux qui passent le porche ? Ils doivent bien ressortir quelque part, non ?
Parfois, j'ai envie de me glisser dans le ministère et de retourner dans la Chambre de la Mort et voir ce qui se cache derrière le rideau.
Et si on pouvait faire revenir Sirius ?
Y as tu déjà pensé ?
Moi oui.
Tout le temps.
Harry. »
« Harry,
Tu vas me trouver dur et sans cœur, mais je suis ton meilleur ami et je dois te dire ce que je pense : tu culpabilises trop. Il faut que tu arrêtes de penser tout le temps à S. Ca ne sert à rien de dire « si j'avais fait ci, si j'avais fait ça ». Ce n'est pas ça qui va le ramener.
Tu es en train de te faire du mal, il faut que tu arrêtes.
Je suis désolé pour lui, car je l'aimais bien aussi.
Mais tu ne dois pas te rendre malade, ou sinon, la prochaine fois, Voldemort réussira à te tuer.
J'imagine que tes moldus ne sont pas d'une grande aide. Est-ce que tu veux que j'en parle à mon père ? Il peut venir te rendre visite et parler avec toi. Je suis sûr que cela t'aiderait. Papa est très inquiet à ton sujet. Il a appris pour tes rêves et il ne trouve pas normal que tu ais à subir tout ça.
Avec tout ce qui s'est passé, il faut faire très attention. Et même si je me donne l'impression de parler comme Hermione, je pense que l'intervention des adultes ne peut pas faire de mal.
Tu parles de retourner au ministère pour passer le Porche ? Je pense que c'est très dangereux. Je suis sur que cet endroit ne s'appelle pas la Chambre de la Mort pour rien.
Avant de faire quoique ce soit, parles en à mon père.
Ron »
Harry reposa la lettre, fulminant de rage.
Ron ne comprenait rien à rien.
Il n'avait pas envie de parler à Mr Weasley de ce qu'il ressentait concernant la mort de Sirius.
Il voulait juste qu'on lui EXPLIQUE ce qui s'était passé réellement au ministère.
On ne passait pas une porte pour aller nulle part. On n'ouvrait pas une fenêtre qui donnerait sur rien du tout. On n'avait jamais vu une arche de 40cm de profondeur avec un vieux rideau crasseux avaler un homme sans jamais le laisser réapparaître !
Même si le monde des sorciers était plein de mystères, même s'il n'avait pas vu le centième des événements étranges et inexplicables possibles, il y avait des limites à ce qu'un esprit sensé pouvait admettre.
Sirius avait passé une espèce de porte.
La simple logique voulait que soit il réapparaisse par la même soit il revienne par une autre.
Alors pourquoi n'était-ce pas le cas ?
Pourquoi PERSONNE ne songeait à le lui expliquer ?
Ce n'était pas de l'auto apitoiement.
C'était juste...
Il ferma les yeux, replia la lettre et s'enfouit sous les couvertures.
A suivre...
