Chapitre 7 : Les marais d'Ukmar

Hakkai regarda Gojô, qui affichait une expression désorientée. Gokû était parti du mauvais côté... devaient-ils se lancer à sa recherche, ou poursuivre leur route sur le bon chemin ?

« Et puis, marmonna le jeune homme aux cheveux rouges, il n'est peut-être pas allé par la route dorée. Il adore peut-être la couleur or, mais rien ne prouve qu'il est vraiment parti par le mauvais chemin. »

Hakkai soupira. Etant donné que la bonne voie, Zahle, était emplie de lianes, et qu'il fallait les couper pour avancer, Gokû n'était certainement pas parti par là. Même s'il avait pu se frayer un chemin parmi elles, ils en resterait des traces... et là, aucune n'était visible. Cependant, il espérait fortement que Gojô ait raison. Gokû était assez fort pour se débrouiller seul, mais... Voyant son ami hésiter, Gojô tenta de le rassurer : « Eh, Hakkai ! Imagine qu'il soit parti par Zahle et que nous foncions vers la route dorée, croyant lui porter secours. Ce serions nous qui tomberions dans le piège ! Ecoute, ça ne me plaît pas non plus d'être dans l'incertitude, mais rien ne prouve qu'il est en réel danger. A mon avis, il ne s'agit peut-être que d'une route un peu plus longue... »

Hakkai le regarda d'un air triste mais acquiesça en silence. Il s'en voudrait si jamais il arrivait quelque chose à Gokû... mais il fallait bien qu'ils prennent une décision.

Quelques minutes plus tard, ils marchaient péniblement à travers un sentier marécageux et putride. Grâce à sa lance, Gojô coupait les lianes encombrant le passage, et Hakkai l'aidait de ses auras. Vivement qu'ils retrouvent Sanzô et Gokû... quelle idée de s'être arrêtés dans ce village ! s'ils avaient su, ils l'auraient évité et pris un autre chemin, quitte à dormir à la belle étoile...

« Beuh, ça pue vraiment par ici... » se plaignit Gojô. Il se tourna vers Hakkai : « Tu peux pas augmenter la puissance de tes auras, pour qu'on y voit mieux ? j'ai l'impression que ce foutu chemin n'est pas si bon que ça !... cette voyante s'est vraiment foutu de nous, je crois. »

Le jeune homme brun se força à rire aux paroles de son ami, mais le c?ur n'y était pas. Il donna de l'amplitude à la boule lumineuse qu'il venait de créer, et poussa un petit cri. Son ami se retourna et l'interrogea du regard.

« Là-bas ! » s'exclama Hakkai en pointant du doigt le bout du couloir végétal. « Je crois qu'il y a une ouverture, sur une clairière ou une petite mare ! »

Gojô soupira et déclara avec dépit : « Oh, chouette, une mare. On va pouvoir nager. C'est vrai que patauger seulement, c'était pas encore assez chiant comme ça... »

Ils mirent encore dix minutes pour atteindre l'endroit indiqué par Hakkai. Mais ce fut avec une exclamation de surprise qu'ils débouchèrent sur la prétendue « mare »...

Devant eux s'étendaient à perte de vue d'immenses marais d'eau verdâtre, que rien ne semblait troubler, même pas un souffle de vent. De-ci, de-là, émergeaient de petites plates-bandes d'herbe visqueuse, et l'atmosphère qui régnait en ces lieux était loin d'inspirer la confiance.

« Ça ne me dit rien qui vaille... » souffla Gojô en scrutant l'étendue stagnante autour de lui. Soudain, il vit quelque chose bouger dans l'eau à quelques mètres d'eux. Il cria à Hakkai de regarder, mais aucun son ne sembla sortir de sa bouche. Son ami, étonné, se mit aussi à lui parler, mais Gojô n'entendait plus rien. C'était somme si quelqu'un avait « coupé le son »... le jeune homme se mit à paniquer. Il avait l'impression de ne plus rien sentir non plus. Il s'était affaissé sur un petit îlot d'herbe luisante, mais il avait beau toucher le sol, plus rien de lui parvenait. Son toucher et son ouïe... Il repensa soudain à la carte de la voyante. « Lunar, les sens mêlés »... c'était donc ça. Mais pourquoi Hakkai n'en était-il pas affecté ?

Il avait pensé trop vite : il vit quelques secondes plus tard le jeune homme brun mettre ses mains sur ses yeux, et trébucher quelque peu sur des lianes qui se trouvaient à terre. La vue... Hakkai venait de perdre -temporairement il l'espérait- l'usage de ses yeux.

De son côté, Hakkai comprit ce qu'il lui arrivait : la voyante ne s'était pas trompée, leurs sens étaient troublés par quelque chose appelé Lunar - un démon peut-être, ou un esprit. Heureusement, il pouvait encore entendre ce qu'il se passait autour de lui, et entendre Gojô -même si ce dernier ne s'entendait pas lui-même. Il parlait assez fort, d'une façon assez saccadée.

« Hakkai ! » cria son ami. « On est dans de beaux draps. C'est quoi ce sortilège ? »

Un silence.

« Tu as encore l'ouïe et le toucher, j'imagine » soupira Gojô. « Moi j'ai la vue et l'odorat, et le goût aussi, mais je crois que ce sens ne me servira à rien... enfin, je vois pas ce que je pourrais bouffer d'utile dans le coin. »

Si la situation n'avait pas été aussi critique, Hakkai aurait sourit de bon c?ur. Mais il se sentait totalement vulnérable... tout ennemi lui bondissant dessus en ferait une proie facile. Seul Gojô pouvait le guider à travers ces marais, et lui devait porter une grande attention à ce qu'il entendait pour pouvoir détecter le moindre danger. C'était un peu comme d'habitude, en fait : ils comptaient toujours les uns sur les autres pour avancer, ils se complétaient et survivaient ainsi.

« Attention » dit soudain Gojô en prenant Hakkai par les épaules. « On va essayer de rebrousser chemin, et retourner au carrefour. Maintenant que... »

Le jeune homme s'était brusquement arrêté.

« Ah... » soupira-t-il d'un air consterné. « Les... les lianes que l'on a coupé tout à l'heure... elle se sont remises en place ! »

En effet, Gojô regardait, effaré, les lianes qui étaient à terre se relever brusquement et se coller à nouveau aux arbres, obstruant le passage une nouvelle fois. Il pesta contre les conseils de la vieille femme et regarda Hakkai, qui semblait légèrement trembler. En effet, même en l'absence de vent, le froid commençait à s'installer... le ciel n'était plus aussi noir qu'avant, il était gris et leur offrait tout juste assez de lumière pour qu'ils puissent se déplacer. « Bon, allez », dit Gojô, qui avait l'impression de parler dans le vide puisqu'il ne s'entendait pas. « On va traverser ces foutus marais... si tu entends quelque chose de suspect, tu me fais signe hein. Je ne sens même plus mes doigts... »

Ils marchèrent péniblement le long d'une plate-bande d'herbe humide pendant près d'un quart d'heure. Ils trébuchaient de temps en temps, et n'avaient pas l'impression de beaucoup avancer... Pourtant, ils finirent par arriver sur un amas de terre un peu plus haut que les autres. Gojô scruta les alentours mais ne trouva pas une quelconque sortie à ce labyrinthe aquatique.

« On est dans la m... » commença-t-il à soupirer, mais il sentit soudain une étrange odeur. Une odeur d'?uf pourri... en fait, c'était l'odeur de l'eau visqueuse mélangée à autre chose, de plus... bestial.

« Eh, tu n'entends rien ? » demanda-t-il à Hakkai. Ce dernier secoura négativement la tête.

« Non. »

Quelques secondes plus tard, l'odeur avait disparu, mais Gojô n'était toujours pas rassuré. Il invita cependant Hakkai à partir à nouveau vers le nord, là où le sol semblait moins boueux, et où l'eau se faisait plus rare.

Après cinq minutes de marche silencieuse, Hakkai entendit soudain quelque chose d'étrange. Comme un gargouillement et un bruit d'eau. Cela lui faisait penser à un poisson remontant à la surface pour se replonger aussitôt dans l'eau, mais à la puissance 10. Il avait entendu ce genre de bruits précédemment, mais moins fort. Après tout, de nombreuses petites bêtes devaient vivre dans les environs... mais cette fois, ça n'avait pas l'air d'être une petite bête.

Le jeune homme fit un grand signe de la main à son ami, lui montrant l'endroit, sur sa gauche, où lui avait semblé provenir le bruit.

Gojô regarda, étonné, le coin en question. Il s'agissait d'un petit canal d'eau trouble, de trois mètres de large environ, bordé de végétaux étranges. A nouveau, il sentit l'odeur ignoble qu'il avait déjà rencontrée précédemment. Cette fois, elle semblait bien plus forte... était-ce lié ? Jetant un regard soupçonneux à l'eau verdâtre, le jeune homme entraîna son ami du côté opposé, prenant bien soin d'éviter les flaques d'eau. Il pouvait en sortir tout et n'importe quoi...

Puis tout se passa vite : il trébucha, entraînant Hakkai dans sa chute. Ils tombèrent la tête la première dans une grande mare, alimentée par le canal qu'ils avaient si soigneusement cherché à éviter. Hakkai se débattit pour se raccrocher au bord. Gojô ouvrit les yeux machinalement, et le regretta aussitôt. Il venait de croiser d'immondes yeux jaunes dans les eaux sombres de la mare. Des mains griffues et des tentacules étaient sorties à leur tour de l'obscurité, et le jeune homme se retourna à une vitesse qu'il n'aurait pas crue possible. Il se débattit pour sortir de l'eau, pour remonter à l'air libre, mais une puissante poigne lui enserra le pied. Il vit, suffoquant, la faible lumière de la surface s'éloigner de plus en plus, pendant qu'il était irrémédiablement entraîné dans les ténèbres des profondeurs...

* * * * * * * *

Loin, très loin dans le petit village d'Undo, une vieille voyante retournait ses cartes. Elle ne cessait de soupirer. Elle en étala cinq au hasard, face contre le sol, et sa main erra un peu au-dessus d'elles avant d'en choisir une. Avec une grimace, elle vit apparaître l'une de celles qu'elle craignait le plus... « Trejal, l'apparition des eaux troubles »

* * * * * * * *

Kanzenon, se retrouvant à nouveau devant Sanzô inconscient, ne put s'empêcher de repenser à ce qu'il s'était passé la dernière fois qu'elle l'avait vu dans cet état. Un sourire se figea sur les lèvres de la déesse lorsqu'elle contempla ce visage délicat, ces yeux fermés, la bouche légèrement entrouverte...

Elle déclara d'un air supérieur, ne prenant même pas la peine de se retourner vers les youkais : « Je crois qu'il va falloir à nouveau que j'intervienne. Il a perdu beaucoup d'énergie, et comme je suis une déesse, j'ai le pouvoir de lui en redonner autant qu'il en faudra. »

Elle commençait à se pencher vers le beau jeune homme lorsqu'elle entendit une voix frustrée gémir derrière elle :

« Eh ! vous allez pas refaire comme la dernière fois hein ? »

Kanzenon se retourna, agacée, pour regarder Gokû. Ce dernier était inquiet de voir son maître ainsi, aussi vulnérable... il se rappela que Gojô était tombé en anémie à cause de la déesse, et que cette dernière avait bien passé de très longues minutes à « soigner » Sanzô, la dernière fois... Qu'est-ce qu'elle lui voulait ? Le garçon avait l'impression qu'elle souhaitait s'accaparer Sanzô, en quelque sorte. Et ça, il ne pourrait jamais l'accepter. Si au moins le moine avait été conscient, il aurait lui même repoussé Kanzenon, d'une de ces répliques bien cinglantes dont il avait le secret... ou même d'un coup de revolver... mais là...

« Laisse-moi faire ! » soupira la déesse, en lui jetant un regard énervé. Puis, aux youkais : « Et vous, écartez-vous un peu ! »

A nouveau, elle se pencha vers les lèvres du jeune homme blond. Elle allait atteindre son but lorsqu'elle sentit un métal froid sur son cou.

« Déesse ou pas, tant que je serai vivante personne ne touchera à cet homme » dit une voix étonnamment froide.

Kanzenon se retourna et fixa Nekebia dans les yeux. Cette dernière avait son épée pointée sur elle, et une lueur glaciale dans le regard.

« Tant que tu seras vivante... ? » ricana la déesse. « Il y a donc un remède à ça. »

Kanzenon leva sa main droite, dont bientôt sortirent quels étincelles électriques. « Je ne te conseille pas de t'opposer à moi » continua-t-elle. « Sinon, vois ce qui t'attend... »