Chapitre 8 : La première « Version »

Nekebia regarda la déesse sans ciller. Comment osait-elle abuser ainsi de ses pouvoirs ? les dieux étaient immortels, mais ils fallait bien trouver un moyen de la faire partir.

« Alors, tu ne dis plus rien ? » souffla Kanzenon avec un petit rire. « Comment peux-tu être assez sotte pour croire que tu pourrais me vaincre ? laisse tomber, c'est mon dernier avertissement. »

Soudain, une voix étrange répondit avec sarcasme : « Oh, mais je n'en doute pas ! » Les yeux écarquillés, la déesse regarda fixement Nekebia. Celle-ci venait de parler, mais sa voix était totalement différente. Beaucoup plus cruelle, beaucoup plus. malsaine. Comme une autre personne.

La jeune youkai s'en aperçut et commença à paniquer, mais une douleur fulgurante sembla la déchirer intérieurement. Elle ne sentait plus ses jambes ni ses bras, sa tête lui faisait atrocement mal. On aurait dit que quelque chose, ou quelqu'un, vivait en elle et voulait se libérer. Bientôt, ce fut pour elle le noir total.

Les youkais et la déesse regardaient, stupéfaits, une Nekebia au regard de feu qui se tenait droite et fière face à eux. Elle semblait soudain beaucoup plus sûre d'elle, et même la couleur de ses cheveux avait changé. Ils étaient toujours très noirs, mais des reflets violets commençaient à apparaître. Ses mains s'étaient pourvues de griffes plus longues, et son visage arborait un sourire à la fois amusé et cruel. Une étrange aura flottait désormais autour de la jeune femme.

Davok, ne l'ayant jamais vue dans cet état, posa sa main sur son épaule. D'un geste vif, la youkai se dégagea.

« Il va y avoir du dégât. » dit-elle en le regardant. «Je suis une monstre, tout comme vous. » Elle semblait le découvrir à l'instant, et paraissait étonnée. « Mon Dieu, que je me dégoûte. une monstre. une youkai. »

Davok et Videl lui lancèrent un regard plein d'incompréhension. Elle s'en aperçut et répliqua sèchement : « Quoi ? arrêtez de poser vos regards de monstres sur moi, je me sens encore plus sale. C'était marrant de vous exterminer, vous les youkais, petit à petit, un par un. puis c'est parti par paquets de dix, de vingt. »

Elle éclata d'un rire dément.

« Mais quand on s'amuse, on ne voit plus le temps passer, on ne compte plus. On atteint vite le millier. »

Elle brandit son épée vers eux. « Alors pour maintenant, un de plus, un de moins. »

Avec un autre rire, elle changea de cible et menaça cette fois Kanzenon.

« Oui, oui. il ne s'agirait pas que je me trompe de cible. Mais cette fois, c'est plus amusant, car le pouvoir du Shka s'est réveillé. »

La déesse ne sembla pas comprendre. « Le Shka ? » demanda-t-elle.

Nekebia sourit, dévoilant des dents pointues. « Oui, un pouvoir contenu dans ce pendentif. il vient tout juste de se réveiller. Mais il est capricieux, il se rendort très vite. Une fois endormi, je redeviendrai la pauvre petite youkai que vous connaissez. Mon autre personnalité... elle me fait honte, elle est tellement gentille, tellement faible. mais je dois l'accepter comme elle est. Nous sommes les Deux Versions bien différentes d'une même personne. Je suis en quelque sorte le passé, et elle est le présent. La plus forte deviendra le futur.»

Gokû eut un hoquet de surprise. Il se rappela des paroles de la vieille voyante, lorsqu'elle s'était présentée.

« C'est moi, Saphar. Le souvenir qui succède aux deux Versions. La première n'est plus, et la seconde est loin... »

Apparemment, la première était revenue à la vie, c'était elle qu'ils avaient devant les yeux. et la seconde était la « gentille » Nekebia. Saphar, le souvenir. se pourrait-il que. ?

Il fut interrompu dans ses pensées par un cri, poussé par Kanzenon. Une aura rouge semblait serrer très fort son bras droit.

« Eh oui, le Shka est un pouvoir qui ne fonctionne que sur les dieux. ricana Nekebia. Mais il est très efficace. Pourtant, il ne tue pas. Mais c'est déjà bien de s'en contenter, n'est-ce pas ? » Kanzenon semblait souffrir, mais ne dit pas un mot. Elle devait sûrement réfléchir à un moyen de se libérer de l'emprise de ce puissant sort.

Semblant deviner ses pensées, la youkai lui lança : « Non, le seul moyen pour toi de t'échapper, c'est d'obéir au v?u sacré que je vais prononcer. Evidemment, je ne te donne pas vraiment le choix. Si tu rompt la promesse, je ne te louperai pas. »

La douleur devenait de plus en plus intense dans le bras de la déesse. Cette dernière, jetant un regard à Sanzô inconscient, pensa : « Ce n'est que partie remise, je trouverai bien une autre occasion. c'est tout de même dommage, mais. je ne vais pas endurer toute cette douleur rien que pour lui ! »

Kanzenon releva la tête et fixa Nekebia, qui paraissait ravie. Avec un serrement de c?ur, et sentant son honneur blessé, la déesse répondit avec lassitude : « Allez, qu'est-ce que tu veux ? »

« Que tu ne croises plus jamais mon chemin, et que tu ne touches plus jamais au bonze. » La déesse s'y attendait, mais fut forcée d'accepter, sans réprimer un petit cri de rage. « C'est d'accord, mais arrête ce truc. »

D'un geste, Nekebia fit disparaître l'aura, et regarda la déesse se libérer et se téléporter au loin dans un soupir exaspéré. Mais Kanzenon comptait bien lui rendre la pareille un de ces jours...

Elle se retourna ensuite vers Davok, qui lui lança avec colère : « Nekebia ! qu'est-ce qu'il te prend ? Tu détestes les youkais, maintenant ? pourquoi. »

Elle le coupa. « Je n'aime pas les youkais, mais je les déteste moins que ces pourritures d'humains. Si tu savais. combien les humains sont cruels entre eux. Seulement, si tu es innocent et que tu te trouves en plein milieu de leur village de cauchemar, c'est toi qui essuies toutes les insultes et les pires humiliations. même si tu es humain comme eux. alors tu deviens fou, et tout ce que tu veux, c'est laisser derrière toi cette espèce à laquelle tu ne veux plus appartenir. Le seul moyen ? devenir youkai. »

Gokû la regarda avec des yeux horrifiés : « Tu as tué 1000 youkais rien que pour ne plus être humaine ? »

Nekebia sourit cruellement. « Oui. Mais ça, l'Autre ne le sait pas. elle en serait malade si elle l'apprenait. »

Elle partit dans un grand rire qui ne semblait plus s'arrêter.

Davok s'avança cependant et la bloqua, lui serrant les bras dans le dos. Surprise, elle tenta de se dégager mais n'y parvint pas.

« Qu'est-ce que tu crois faire ? » pesta-t-elle.

« Le problème, c'est le collier, non ? si je te l'enlève. »

Elle ricana. « Si tu l'enlèves, je mourrai, mais elle aussi. »

Le guerrier eut un pincement de c?ur. La youkai continua : « Tu ne voudrais pas. tuer la femme que tu aimes, n'est-ce pas ? »

Un soupir derrière elle lui fit comprendre qu'elle avait visé juste.

« Tu as dit que le pouvoir allait se rendormir. » murmura Davok. « Tu ne pourras pas rester ainsi éternellement. »

« Le Shka peut aussi bien durer dix minutes que deux semaines, cher ami. Mais avant, je vais m'amuser un peu. Vous me gênez, le singe, le youkai roux, les morts et toi. Je vais vous exterminer, et j'emporterai le bonze. Il me servira à ouvrir le temple des âmes, à faire revivre les villageois.»

Videl s'étonna : « Mais pourquoi libérer les villageois si tu les détestes ? »

Nekebia rit et répliqua : « La dernière fois, ce n'est pas moi qui les ai tués. Ça m'a manqué. Cette fois, je veux les tuer tous. Moi-même. »

* * * * * * *

Hakkai s'accrocha péniblement à la berge. Il ne voyait toujours rien, mais il sentait le fort remous qui agitait l'eau en dessous de lui. Où était Gojô ? il ne l'entendait plus. S'il avait réussi à remonter sur la terre ferme, il s'en serait aperçu... mais il devait sûrement être encore dans l'eau. ENCORE ! mais il n'aurait bientôt plus d'air s'il ne remontait pas immédiatement !

Le jeune homme pensa à lancer des auras, mais sa peur de blesser son ami l'en empêcha aussitôt. Comment faire ? il fallait que Gojô s'en sorte seul, c'était l'unique moyen...

Dans les profondeurs de la mare, Trejal, le monstre des marais, s'apprêtait à déguster sa nouvelle proie. Ses tentacules s'enroulèrent autour du bras de Gojô, mais le jeune homme ne ressentait plus rien. Il savait juste que même si sa peau n'était plus affectée par le toucher, son corps restait vulnérable.

Il lâcha quelques bulles d'air. Il sentait qu'il allait bientôt s'évanouir, s'il ne faisait rien...

Un bras griffu agrippa sa jambe droite si fort qu'il crut qu'elle allait être arrachée. Se contorsionnant violemment, il réussit enfin à se dégager un peu, mais pas assez pour se libérer. Le monstre avait une force bien supérieure à la sienne.

Soudain, au moment où tout commençait à tourner autour de lui, il se rappela : la carte de la voyante ! elle en avait donné une à chacun, et leur avait dit de ne les utiliser qu'en dernier recours. S'il arrivait... à atteindre sa poche...

D'un brusque effort, le jeune homme tendit son bras vers sa poche, mais ne pouvait sentir la carte sous ses doigts. Il avait l'impression de prendre quelque chose dans le vide, mais sa vue lui indiqua qu'il avait bel et bien trouvé sa carte.

D'un geste vif, il la retourna...

« Pohed, L'étrangleur mou »

Brusquement un immense serpent sortit des profondeurs et, ouvrant grand la gueule, mordit le bras de Trejal, qui poussa un cri. Gojô réussi donc à se libérer, mais il lui restait trop peu d'air pour avoir la force de nager. Il vit, horrifié, le serpent s'enrouler autour du monstre et le serrer de toutes ses forces. Il ferma les yeux...

...Et sentit une pression qui le ramenait à la surface.

Quelques minutes plus tard, il ouvrit les yeux. Une lumière éblouissante les lui fit tout de suite refermer. Puis, peu à peu, il finit par les ouvrir à nouveau.

Hakkai était là, souriant, et soignait le bras de son ami grâce à une aura.

« Co...comment ? » s'étonna Gojô. « C'est toi qui.. qui m'a remonté à la surface ? »

D'un signe de la tête, Hakkai acquiesça. Il répondit quelque chose, et Gojô tenta de lire sur ses lèvres.

« Le monstre ? ah oui, quand j'étais dans l'eau, j'ai réussi à sortir ma carte, celle donnée par la voyante... ça a fait surgir un énorme serpent. »

Voyant son ami sourire, Gojô continua : « Oui, je crois que tout compte fait, cette vieille femme n'est pas si mauvaise que ça... »

* * * * * * * *

Loin dans le village d'Undo, la voyante ridée soupira.

« La première version s'est réveillée, je le sens... »

Elle ferma les yeux et semblait palper en esprit les environs. « Elle est encore emplie de haine... pour bien faire, il faudrait que Nekebia redevienne une personne calme et raisonnable. Le fait d'être devenue amnésique est la meilleure chose qui ait pu lui arriver après la catastrophe du village... garder tout ce lourd passé, c'était trop dur pour elle. Il fallait qu'elle oublie tous ces douloureux souvenirs pour que son désir de vengeance s'éteigne et qu'elle vive à nouveau normalement. »

La vieille femme regarda la lune, par la fenêtre. Cette lune-là était pleine, contrairement à celle de son tatouage. Une demi-lune. Une moitié de vie. Une moitié d'âme...

« Ses compagnons ignorent comment faire disparaître totalement la Première Version. Ce n'est pas simple, mais c'est possible... comment les prévenir ? »

* * * * * * * *

Gojô regardait autour de lui, inquiet. Les marais étaient encore plus sombres qu'à l'habitude et lui-même ne voyait presque plus rien. C'était sûrement à cause de la brume qui s'était levée il y a maintenant plus d'un quart d'heure... Son bras et sa jambe lui faisaient toujours mal, mais les auras de Hakkai avaient en grande partie atténué la douleur.

Il se demandait encore comment son ami avait réussi à le retrouver dans l'eau et le sauver sans l'aide de sa vue. Mais il devrait d'abord se sortir de ce marais, et détruire le sortilège nommé Lunar... mais comment le trouver ? à quoi ressemblait-il ? sur la carte, un talisman était peint, mais le jeune homme se demandait comment trouver un tel pendentif au milieu de ces immenses marais...

Bah, il suffisait sûrement de sortir de là, et le charme disparaîtrait à coup sûr. Enfin, il espérait...

Guidant Hakkai par les épaules et le poussant devant lui, Gojô ressentait une impression de malaise. Il ne pouvait pas faire autrement mais c'était un peu comme si il exposait son ami à tous les dangers directs qu'ils pourraient rencontrer...

Mais il ne fallait pas qu'il pense à ça. Bientôt, ils seraient sortis de cet endroit immonde et tout redeviendrait normal. Mais il fallait encore retrouver Sanzô et Gokû, et quitter cette maudite forêt !

Alors qu'ils marchaient depuis quelques minutes dans la quasi obscurité, trébuchant et glissant, Hakkai entendit un bruit étrange. Un bourdonnement. D'un geste vif, il se retourna et tendit l'oreille vers l'endroit d'où avait semblé provenir le bruit. Etrangement, ce dernier s'était déplacé et était devenu de plus en plus fort, de plus en plus insupportable...

Le jeune homme montra du doigt le vide au-dessus de leurs têtes, mais Gojô ne comprit pas ce qu'il voulait lui dire.

« Quoi ? en haut ? » Il regarda en l'air mais ne vit rien. « Tu as dû te tromper... » dit-il, peut rassuré. A peine eut-il terminé sa phrase d'un immense insecte volant se dressa derrière Hakkai. L'animal était hideux, pourvu de longues pattes ressemblant à des dards, et ses mandibules claquaient avec force.

« Là ! ! ! » cria Gojô en fixant le monstre. « Hakkai, il est derrière toi ! »

A cet instant, l'insecte lança avec hargne un de ses dards sur les deux amis. Instinctivement, Gojô poussa Hakkai et se prit le coup de plein fouet dans le ventre. Il se sentit émettre un gargouillement et cracha du sang sur le sol humide. Et ce fut à cet instant qu'il le vit. Le talisman qui pendait au cou de l'insecte...

Brutalement, Hakkai s'était relevé et semblait chercher son ami grâce à son ouïe, mais le bourdonnement des ailes du monstre étaient si assourdissantes qu'il abandonna cette idée. Il était complètement vulnérable... où se trouvait Gojô ? s'il lançait une aura destructrice sur l'animal, Gojô étant sûrement à proximité, il y aurait de nombreux dégâts et son ami risquait d'être blessé...

Ce fut à cet instant qu'il entendit le bruit caractéristique d'un arc que l'on tend et du sifflement d'une flèche. Un bruit sourd s'en suivit, puis un hurlement qui provenait sans nulle doute de l'insecte géant.

Gojô regardait, stupéfait, le talisman percé d'un coup par une flèche argentée. Puis subitement, il recouvrit tous ses sens, et Hakkai de même. Encore sous le choc, ils regardèrent le cadavre de l'animal, qui se désintégrait à présent dans un tourbillon de fumée noirâtre... Curieux de savoir qui les avait ainsi sauvés dans cette immensité perdue, ils se retournèrent.

Ils le regrettèrent aussitôt.