Chapitre 14 : Le sort des vivants

La foudre tombait à intervalles de plus en plus courts derrière eux, dans une précipitation affolante.

« Gokû !!! dépêche-toi !!!! »

Le garçon avait du mal à courir à une telle allure avec sa jambe blessée. Sanzô, soucieux, essayait d'éviter les obstacles du chemin tout en regardant de temps en temps en arrière pour voir où en était Gokû. Son propre dos lui faisait atrocement mal, et il sentait le sang couler abondamment. De plus, la brume qui s'épaississait à vue d'?il empêchait de voir distinctement autour de soi. Les bruits semblaient même s'étouffer à cause d'elle.

Une bifurcation. Allez, à gauche. Videl avait dit que si on prenait trop à droite, il y avait des marais. mais Nekebia avait parlé d'une caverne, aussi. Où était-elle ?

Le jeune homme courut ainsi à perdre haleine pendant quelques temps, espérant que Gokû n'ait pas été atteint par un des éclairs. Mais pourquoi s'en faisait-il pour lui ? il n'était pas fichu de crever, quelque soit la situation. Il ne mourrait pas.

Le bruit du tonnerre était maintenant lointain, et le bruit produit par le choc de la foudre sur les arbres se faisait de plus en plus faible.

Il finit par s'arrêter et s'adossa à un arbre, haletant.

Si Gojô était là, il dirait : « C'est parce que tu fumes trop, namaguza bozu ! tu as moins d'endurance ! » et lui, répondrait : « Tu fumes plus que moi, tu peux parler ! »

Sanzô soupira. Le kappa dirait « Oui mais moi je compense en faisant de l'exercice. Tu sais, de « l'exercice ». tu devrais t'y mettre aussi ! »

Le moine se passa une main dans ses cheveux blonds et s'aperçut qu'ils étaient presque secs. Qu'est-ce qu'il répondrait à ça ?

« Urusei ! omae o korosu ! »

Comme d'habitude, en fait. Ce qu'il dit toujours pour répondre à une question gênante. Ça avait l'avantage de clore une conversation en un instant.

De « l'exercice », comme le kappa appelait ça.

« Quelle connerie » murmura Sanzô en fermant les yeux. Sa blessure lui faisait de plus en plus mal. Ne plus penser à rien. oublier la souffrance.

Il sentit soudain quelque chose frôler sa plaie, ce qui lui arracha un petit cri de surprise et de douleur. Ouvrant tout à coup les yeux, il reconnut devant lui un visage qu'il ne connaissait que trop bien.

« Raaah mais qu'est-ce que tu fous ?!! cria-t-il. C'est ma blessure au cas où tu serais pas au courant ! »

Nekebia eut un petit rire et recula.

« Tu avais l'air si paisible. »

Le jeune homme soupira. « Ouais. Et j'aurai aimé le rester. Pourquoi t'as fait ça ? »

La youkai regarda sa main droite, tâchée d'un peu de sang du bonze.

« Pour créer une magie de guérison, je dois avoir un peu de sang du blessé. » répondit-elle sincèrement.

Sanzô la regarda d'un air mauvais. « Et t'aurais pas pu me demander avant !? »

Elle sourit. « Non. Je voulais t'embêter un peu. »

D'un air las, le jeune moine s'éloigna de l'arbre et dit : « C'est plus qu'un peu, crois-moi. »

La guerrière ne répondit rien et se contenta d'imprégner de sang un tissu qu'elle venait de sortir de sa sacoche. Elle récita quelques paroles étranges et le textile se mit à briller, s'entourant d'une douce aura verte.

C'était Davok qui lui avait appris la magie de guérison. Les youkais de la forteresse étaient très doués en magie. Ils apprenaient à la maîtriser dès leur arrivée au sein du groupe. Cette éducation pouvait durer de nombreuses années, mais le résultat était plus que satisfaisant.

Davok. Il lui manquait. atrocement. Mais il fallait qu'elle fasse le vide dans sa tête. Ne plus y penser, au moins pour le moment. Pour sa propre survie. Si elle se laissait submerger par la douleur, elle ne serait pas en état de surmonter tous les nouveaux dangers qui allaient se dresser devant elle pour mener à bien sa mission. Il y avait une heure pour les larmes, et une autre pour être garder la tête froide.

La caverne était bien là, cachée derrière d'épais buissons.

« Tu ne sais pas où sont passés les autres ? » demanda-t-elle à Sanzô qui scrutait les alentours.

Il haussa les épaules. « Ils ont dû prendre un autre chemin. J'imagine que Videl connaît le coin, et le Dragon-ogre aussi. »

La youkai sentit une pointe d'inquiétude dans le silence qui suivit, laissant en suspens le devenir de Gokû.

« Il s'en sortira. » murmura-t-elle, devinant les questions que se posait le bonze.

Celui-ci lui jeta un regard noir et répliqua : « Je m'en fous de ce qui pourrait lui arriver ! »

Le sourire que lui rendit Nekebia ne fit que l'énerver davantage. Déjà, il avait répondu aussitôt, comprenant de qui elle parlait, ce qui montrait que c'était bien à Gokû qu'il pensait. Ce sourire qui signifiait : « Pourquoi t'obstines-tu à dire ça ? je sais bien que tu penses le contraire. »

Il soupira et prit une cigarette, qu'il porta à sa bouche. Il s'apprêtait à sortir son briquet pour l'allumer quand il vit de longs doigts fins la lui retirer.

« Je pourrais dire : c'est parce que c'est mauvais pour la santé » murmura doucement Nekebia, « Mais étant donné que ta bonne santé passe d'abord par la guérison de ta blessure, je vais juste dire : il est très déconseillé de fumer alors que l'on se fait guérir par la magie. »

Sanzô serra le poing. « T'as vraiment décidé de me rendre la vie impossible, hein ? rends-moi cette cigarette. Et je n'ai pas besoin de ta prétendue magie. »

Il tendit la main pour récupérer ce qui lui appartenait, mais rien que le fait de contracter ses muscles créa une vague de douleur intense dans tout son corps.

Nekebia s'en aperçut et dit gravement :

« Tu devrais mettre un peu ta fierté de côté et me laisser te soigner. Tu en as vraiment besoin. La blessure va finir par s'infecter, sinon. Et tu n'iras pas bien loin sans soins. »

Le jeune homme soupira. Evidemment, il ne pourrait pas continuer longtemps comme ça. Pourquoi s'obstinait-il à vouloir tenir tête à cette youkai ? Elle aimait le taquiner, mais elle avait l'air de inquiéter pour lui. Il n'aimait pas faire confiance aux gens, mais dans ce cas-ci. il y était un peu obligé.

Sans un mot, il se dirigea vers la caverne, et s'assit sur un coin du sol à peu près sec. Il enleva lentement sa robe de moine et sentit encore une fois la douleur fuser. L'habit beige était taché de sang sur tout l'arrière.

« Tourne-toi » dit la youkai en s'approchant de lui.

Soupirant, il lui présenta son dos.

« C'est pas joli joli. » murmura-t-elle en regardant la plaie. Mais l'habit noir empêchait toute guérison efficace. « Tu peux. ? » commença-t-elle à demander timidement.

Elle n'eut pas besoin de finir sa phrase. Il avait compris. Il retira son vêtement sombre, et Nekebia l'aida pour faire en sorte qu'il ne se frotte pas à la blessure. Elle s'aperçut que cette dernière était bien plus importante qu'elle n'avait parut au premier abord.

« Détend-toi. » dit-elle, le sentant se raidir dès que le tissu magique eût touché sa peau. « Ça va apaiser la douleur puis désinfecter et cicatriser la plaie. Ça va prendre un peu de temps, mais tu souffriras de moins en moins. »

En silence, elle appliqua le textile sur le dos du jeune homme et frotta avec douceur pour essuyer le sang. L'aura verte que générait le tissu semblait stopper peu à peu l'hémorragie. Sanzô, quand à lui, continuait de serrer les dents. A chaque fois que le bout d'étoffe passait sur sa blessure, une douleur fulgurante traversait son corps comme un frisson. De nombreux nerfs avaient dû être touchés, en plus des muscles. mais paradoxalement, la douceur avec laquelle les soins étaient portés ainsi que la magie lui procuraient un grand bien-être. Peu à peu, il sentit la douleur s'apaiser, à mesure que le tissu glissait sur sa peau en lents mouvements circulaires. Il sentit ses paupières devenir lourdes, et ses membres s'engourdir.

« Logiquement tu vas avoir un peu sommeil. souffla Nekebia. C'est l'effet secondaire de cette magie. mais nous sommes à l'abri et tu as besoin de te reposer, ça tombe bien. » Elle avait à peine terminé sa phrase que Sanzô s'affaissa. Elle le retint dans ses bras pour ne pas que sa tête percute le sol rocheux.

« Quoi, déjà ? » s'étonna-t-elle.

Le jeune homme dormait profondément. L'air paisible qu'affichait son beau visage fit sourire la youkai.

Lentement, elle l'allongea sur le sol, improvisant un oreiller avec la robe du moine (elle prit soin de poser le côté taché de sang côté pierre) et défit sa cape pour le couvrir et le protéger du froid ambiant.

« Espérons qu'aucune bête sauvage ne vienne nous attaquer. » pensa-t-elle en regardant au-dehors, inquiète. « Il faut que je reste éveillée. que je montre la garde. » tenta-t-elle de se convaincre.

Une demi-heure plus tard, la fatigue la gagna complètement, et elle s'endormit à même le sol, dans un sommeil sans rêve.

* * * * * * * *

La voyante sentit son c?ur battre plus vite. Sa peau était redevenue à peu près normale, mais elle ressentait un sentiment étrange. Une peur de trahir un souvenir. Et une peur de s'attacher à quelque chose qui ne semblait pas fait pour elle. Le danger, le danger grandissant de perdre à nouveau ce qui lui est cher. Sans jamais pouvoir le retrouver.

Peut-être que. « cette » carte serait celle qu'elle tirerait, cette fois- ci. Il le fallait.

Fermant les yeux, elle en retourna une.

Et la regarda.

Non, décidément, les villageois de jadis avaient peut-être raison. elle apportait toujours le malheur. « Dargesh, le prédateur des brumes »

* * * * * * * *

Hakkai et Gojô couraient à perdre haleine sur le chemin qu'ils avaient emprunté quelques minutes plus tôt.

Un énorme félin venait de sortir des buissons et de les prendre en chasse ! Comment un animal aussi gigantesque pouvait exister ? il faisait bien deux mètres de haut.

« Hakkai ! » cria Gojô. « Il faudrait l'attirer dans un endroit où l'on pourrait y voir distinctement, et le buter ! »

Le jeune brun hocha la tête en signe d'approbation mais répondit cependant : « Ça va être dur ! la brume a l'air de s'être étendue partout ! et je ne peux pas lui lancer des auras comme ça. il faudrait que je m'arrête, mais il me rattraperait !.»

L'animal faisait d'immenses bonds. Dans quelques secondes, il serait sur eux. Les deux amis avaient du mal à ne pas glisser sur le sol boueux, mais ils tentaient de garder l'allure comme ils pouvaient.

Le fauve poussait d'ignobles feulements, juste derrière eux.

Encore un bond, et ils seraient son prochain repas.

Et c'est là que Hakkai, essayant d'énumérer les rares solutions qu'ils avaient pour échapper à une mort certaine, repensa à la carte qu'il détenait encore. Gojô avait utilisé la sienne, mais pas lui !

D'un geste paniqué, il fouilla dans sa poche et y trouva ce qu'il cherchait. Il espérait que ce soit vraiment une bonne carte.

Il avait du mal à se concentrer sur le dessin pendant qu'il courait, mais il finit tout de même par y parvenir.

Il s'agissait de. « Saem et Beos, les ours spectraux ».

Tout à coup, le temps sembla ralentir. Le mouvement des deux compagnons se fit bien plus lent, un peu comme s'ils essayaient de courir dans l'eau.

Puis un tourbillon bleu se dressa entre le fauve et eux, et se matérialisa en deux énormes ours fantômes.

Gojô, tout comme son ami, n'arrivait plus à faire un pas de plus. Haletant, il dit : « C'est ta carte ? quel con, j'aurais dû y penser plus tôt ! mais des spectres, ça. ça se traverse, non ? » Hakkai n'avait pas pensé à ce « détail ».

« N.non. regarde, ils ont tout de même l'air de lui bloquer le chemin. Le félin ne peut pas bouger, il est immobilisé comme nous ! »

Hakkai tenta de lever le bras droit, et s'aperçut que l'ours qui se trouvait dos à lui venait de faire de même.

« Hein ? » s'étonna le jeune homme. Il essaya avec le bras gauche, et l'ours le fit aussi. Même si Hakkai n'arrivait pas lui-même à bouger, l'ours « obéissait » à sa volonté, en quelque sorte. Gojô comprit le système et tenta de faire pareil. Il s'imagina donner un coup de pied phénoménal au monstre. Aussitôt, l'ours envoya un redoutable coup au fauve, qui fut éjecté avec un rugissement de douleur.

« Ouais ! ouais ! ouais ! » jubila Gojô. « On va lui rendre la monnaie de sa pièce ! »

Alliant le geste à la parole, il envoya trois coups de poing successifs à la bête, qui se reçut les griffes de l'ours en plein ventre. Hakkai y mettait moins d'enthousiasme, mais se joignait aussi à la partie. Bientôt, le fauve, blessé de partout, fit mine de s'enfuir. Coup de pied bien senti envoyé par l'ours de Gojô l'atteint à l'arrière-train, ce qui acheva de décider l'animal à prendre la poudre d'escampette.

« AH AH ah ah c'est ça tire-toi ! » ricana le jeune homme aux cheveux rouges.

Mais Hakkai ne faisait pas une mine aussi réjouie.

« J'aurais préféré en finir pour de bon avec cette bête. soupira-t-il. Je n'aime pas faire de mal aux animaux, mais ce félin risque de revenir une fois la magie dispersée. »

Son ami afficha un grand sourire réconfortant.

« Mais non. il a pris une bonne leçon, il ne reviendra pas de sitôt ! »

Tchaaaac !!!.. Tchaac !!!!... Tchaac !!!.. Tchaaaac !!!

Les deux youkais se regardèrent. « C'est quoi ce bruit ? » demanda Hakkai. « On dirait que ça se rapproche ! »

Gojô pesta. « Et dire qu'on est venus pour chercher le bonze !.Il nous revaudra ça ! »

Ils virent soudain, au bout du chemin, la foudre tomber. Puis retomber encore. On aurait dit que ça suivait quelque chose. ou quelqu'un.

Hakkai se retint de poussa un cri de surprise.

« Mais.mais c'est Gokû ! » parvint-il à dire, les yeux écarquillés.

En effet le garçon courait à toute allure, poursuivi par cette force du ciel. Il les aperçut, et n'en crut pas ses yeux non plus. La foudre qui tomba à quelques mètres à peine lui rappela cependant le danger extrême.

« Courez !!! » cria-t-il. « Ces éclairs me suivent depuis tout à l'heure ! Courez ou ils vous tomberont dessus ! »

Hakkai parvint à crier : « Tu sais où est Sanzô ?! »

Gokû, essoufflé, répondit : « J'en sais rien, il a dû prendre un autre chemin ! »

Le jeune homme à monocle sentit son c?ur se serrer. « Sanzô. »

Soudain, les éclairs s'arrêtèrent de tomber.

« Qu'est-ce qu'il se passe ? » s'exclama Gojô.

Un immense visage ressemblant vaguement à un crâne fait de nuages noirs et d'électricité se pencha au-dessus d'eux. Il couvrait tout le ciel, de là où étaient les trois amis. Nar'zuhl, le Démon du ciel en personne, venait voir le visage des prochains à mourir.