Chapitre 16 : L'enfer des songes
L'endroit était sombre et assez humide. Des murs. des murs de pierre. Un odeur de renfermé, un peu comme dans ces vieilles bâtisses isolées faites pour une vie intérieure continuelle. Des voix sourdes derrière ces parois. des chuchotements. Des conversations à voix basse.
« Par l'amour de Dieu, ma Mère, je vous répète que les s?urs Hélène et Marie sont encore sorties du couvent sans permission. Cela devient impossible.
Elles ne sont pas les seules à faire cela, s?ur Agnès. Cet isolement est dur à supporter pour toutes ici. Et surtout pour les jeunes demoiselles arrivées récemment.
Ce n'est pas pour dire, mais des aînées commencent elles aussi à avoir.certaines conversations, ma Mère. oh, Dieu me pardonne d'avoir entendu quelques-uns de ces mots maudits ! vous savez, elles parlaient.
D'hommes ? oui, je sais, ma s?ur. Mais vous savez bien que le Diable essaie par tous les moyens de corrompre les esprits des serviteurs de Dieu. c'est péché que de s'abandonner à ces pensées malsaines. Mais le problème n'est pas nouveau, hélas. »
Elles marchèrent en silence quelques minutes, puis débouchèrent sur un petit jardin intérieur. De nombreuses bonnes s?urs étaient assises là, sur des bancs, et discutaient tout bas. A l'approche de la Mère supérieure, toutes se turent. Signe que le sujet des conversations n'étaient pas vraiment portées sur Dieu.
Le couvent était immense, et abritait bien plus de deux cents religieuses. Des jeunes filles de seize ans ou même moins, aux nonnes plus vieilles qui vivaient là depuis de nombreuses années. Cet endroit était sacré et aucun homme, même pas les prêtres, ne pouvaient y rentrer. La vie n'était que prières, travail, adoration de Dieu. calme.
« Ma Mère ! ma Mère ! »
Une jeune religieuse d'une vingtaine d'année arrivait en courant vers la Mère supérieure.
« Qu'y a-t-il, s?ur Catherine ? »
La jeune femme était essoufflée et dans un état d'excitation anormal. « Ma Mère, dans la chapelle centrale. il y a. il y a. un. Oh Seigneur, l'entrée de ce couvent leur est pourtant interdite ! . »
La vieille religieuse n'en eut pas besoin de plus pour deviner. Vivement, elle suivit S?ur Catherine dans le dédale de couloirs qui menait au lieu de prières. Affolées, toutes les bonnes s?urs les regardèrent partir, puis se décidèrent à les suivre avec des airs paniqués et réjouis à la fois. Depuis combien d'années. n'en avaient-elles pas vu ?
L'endroit sentait vraiment la vieille pierre, le bois usé. Un rayon de lumière colorée baignait son visage. Lentement, il ouvrit les paupières. Ses yeux améthystes virent tout d'abord des fresques étranges représentant des anges et le paradis. Puis ils se tournèrent vers les vitraux peints qui filtraient et coloraient la lumière qui balayait l'endroit. Avec un petit gémissement de douleur, Sanzô tâta son front fiévreux. Qu'est-ce qu'il faisait là ? quel était cet endroit ? Il n'avait pas l'impression d'être déjà venu dans un lieu pareil. Il se releva péniblement et vit que son vêtement noir qui lui collait si étroitement à la peau était déchiré par endroits. Que s'était-il passé ? ah oui, la forêt maléfique. Nekebia et lui se battant contre le monstre. la brume noire. et puis plus rien. Ça. L'avait-on recueilli ? Où était la youkai ? Aucun endroit semblable ne se trouvait en Chine !
Il portait sa robe de moine à moitié, comme à son habitude. Il avait les mains moites. Et un horrible mal de tête. L'autel sur lequel il se trouvait était froid, si froid. il avait l'impression qu'il aurait pu le faire fondre rien qu'au contact de sa peau.
Trempé de sueur, il s'assit sur le rebord de la stèle de pierre et resta quelques secondes ainsi, haletant. Ce ne fut que lorsqu'il se passa une main dans ses beaux cheveux dorés qu'il releva les yeux.
Une bonne cinquantaine de paire d'yeux écarquillés étaient posés sur lui.
* * * * * * * * * *
La ville était sale. Dans les rues se trouvaient divers tas d'ordures, et un liquide immonde coulait dans le caniveau au milieu de la rue. Connaissait-elle ce quartier ? il lui rappelait vaguement quelque chose. Elle fit encore quelques pas et déboucha sur une place pavée. Un petit temple se trouvait en son centre. mais il avait l'air abandonné. Villageois de peu de foi. Nekebia regarda à terre et s'aperçut qu'elle était pieds nus. Elle se sentait aussi étrangement petite. Elle marcha le long de la rue sur sa droite et arriva devant un magasin très sale. Des tas de boucliers et de vieilles armes en tout genre étaient étalés dans la rue. La jeune fille se regarda son reflet dans un bouclier un peu mieux astiqué que les autres.
Comment ?
Ce qu'elle voyait, là. c'était une jeune fille humaine. d'à peine quatorze ans. Que se passait-il ? Cette ville. c'était Undo ! Elle ne connaissait que ses rues spectrales et abandonnées, mais elle voyait bien qu'il ne pouvait s'agir que de ça. sauf que cette fois, des gens, des humains bien vivants, y habitaient !
S'agirait-il. de son passé ? Videl lui avait un peu expliqué. elle avait eu une vie humaine dans cette ville même, mais par la suite des étrangers étaient venus tout détruire, et elle seule avait survécu. Undo. étaient appelée Nouvelle Gomorrhe, en son temps. Pourquoi ?
Elle ne tarda pas à le savoir.
Un homme s'écroula à terre à quelques mètres d'elle. Il venait d'être projeté à travers une porte à battants, non loin de là.
« On t'a réglé ton compte, minable ! » s'exclama une grosse voix vulgaire.
« Tu vois, fallait pas nous énerver. » dit une autre avec un ricanement.
L'homme à terre avait encore un bagage sur le dos. Ce devait être un voyageur.
Deux très grands hommes sortirent de ce qui avait l'air d'être un bar assez miteux et se penchèrent sur leur victime.
« Eh, Jiko, on a oublié de lui prendre son fric. » ricana l'un.
« Et j'ai oublié de lui éclater la tête aussi. » répondit l'autre en levant son énorme pied au-dessus du visage ensanglanté.
Nekebia ne put s'empêcher de crier : « Arrêtez ! vous ne pouvez pas faire ça ! »
Elle savait que c'était inutile. Que ça ne sauverait pas cet homme, et que ça n'allait attirer que plus d'ennuis. Les deux brutes tournèrent la tête, étonnés, et furent pris d'un grand rire en la voyant.
« AH AH ah ah !. qu'est-ce que t'as, gamine ?. tu veux qu'on t'apporte un peu plus d'attention ? »
La jeune fille recula. Un des deux hommes s'était approché. Il ressemblait à un géant barbu et poilu. Ses petits yeux étaient enfouis sous d'épais sourcils broussailleux, et son sourire cruel révélait des dents jaunâtres. Ses grosses mains sales s'approchèrent de Nekebia.
« Allez, viens. »
La jeune fille poussa un petit cri et s'enfuit à toutes jambes. Derrière elle, elle entendit des pas de course. Avec un nouveau cri affolé, elle tourna la rue et courut aussi vite que ses petites jambes lui permettaient. Bientôt, elle n'entendit plus qu'un gros rire derrière elle, étouffé par la distance.
Angoissée, elle s'arrêta et regarda en arrière. L'homme n'était plus là. Il avait dû abandonner.
« JAINA ! te revoilà enfin ! »
La jeune fille se retourna en un sursaut. Une vieille femme revêche était face à elle, l'air mécontent. Apparemment, c'était bien à elle qu'elle s'adressait.
« Où étais-tu passée, petite peste ? tu n'as pas fini de nettoyer toute la cave ni rangé les bouteilles de ton oncle ! »
Nekebia ne savait pas comment réagir. Cette vieille devait se tromper de personne.
« Je ne vois pas de quoi vous parlez. vous devez confondre avec quelqu'un d'autre. » répondit timidement la jeune fille.
Elle se reçut une violente gifle.
« Ne joue pas à la plus maligne hein ! petite garce indigne ! »
Nekebia se sentit prise par le col est menée de force dans la maison minable qui se tenait à trois mètres de là. Un gros homme gras apparut devant la porte et fronça les sourcils. Sa chemise qui avait dû jadis être blanche était constellée de taches de graisse. Son pantalon était rapiécé, et ses gros bras poilus étaient assez grands pour étouffer un ours. Son visage, tout boursouflé par la graisse et teinté par l'alcool, se pencha vers elle. Nekebia réprima une grimace de dégoût et n'osa pas lever les yeux. L'homme approcha sa figure tout près de la sienne, et elle put sentir les relents nauséabonds qui émanaient de sa bouche.
« Fais ton boulot, sinon tu le regretteras. » déclara-t-il. « On est encore trop bons avec toi. » D'un seul coup, il la poussa à l'intérieur de la maison et Nekebia faillit trébucher sur des bouteilles vides jonchant le sol. La maison était encore plus minable de l'intérieur. Sous le regard furieux du gros homme, elle descendit à contre-c?ur les marches qui menaient à la cave. « Mais allez, dépêche-toi ! » ricana une jeune femme d'une vingtaine d'années, à la tenue plus que provocante, d'une voix vulgaire. Elle se tenait devant les escaliers qui menaient à l'étage. « Tu voudrais pas que papa te frappe à nouveau, hein ? » Puis, avec un soupir de mépris, elle continua : « Je suis contente que tu sois pas ma vraie s?ur. »
* * * * * * * *
« Mon Dieu ! » s'exclama une des s?urs aînées, les mains sur les joues. « Il pourrait très bien s'agir d'un ange envoyé par notre Seigneur. »
La Mère Supérieure ne dit rien, et regarda fixement le jeune homme aux cheveux d'or qui se tenait assis sur l'autel sacré. Qui pouvait-il être ? Comment était-il arrivé dans cet endroit clos ?
Une des s?urs se tenait les mains devant les yeux et ne cessait de répéter : « Oh Seigneur, oh Seigneur. et des habits si provocants ! » Les autres religieuses qui avaient depuis trop longtemps attendu un moment pareil se gardèrent bien de se refuser cette vue plus qu'agréable. Les rares hommes de l'extérieur qu'elles avaient pu entrevoir ou se souvenir durant leur enfance étaient loin de ressembler à ça. Celui-ci avait quelque chose. de captivant. D'unique. Beau, angélique et élégant à la fois.un mot leur venait à l'esprit avant tout autre : Divin. Il portait des habits inconnus dans la région. Mais qu'importe ? leurs regards ne pouvaient s'en détacher. Toutes leurs pensées, aussi diverses soient-elles, étaient désormais tournées vers lui, et vers lui seul.
Sanzô regarda tour à tour les nonnes d'un air plus qu'inquiet. Qui étaient toutes ces femmes ? Il avait l'air de se trouver dans une sorte de monastère des contrées occidentales. Pourquoi le regardaient-elles comme ça ? Il ressentait un malaise étrange. Le lieu était trop petit. Les gens trop nombreux. Il avait l'impression d'étouffer. Pourquoi continuaient- elles de le déshabiller du regard ainsi, se signant d'une croix d'un air affolées ?
Il frémit. Oui, c'était ça : elles le déshabillaient du regard. Il avait une sainte horreur de ça. Des religieuses, en plus ! comment pouvaient- elles. Il sentit son front devenir encore plus brûlant, et son c?ur battre à tout rompre. Combien étaient-elles comme ça ? qu'est-ce qu'elles lui voulaient ?
« Elles ont jamais vu un homme ou quoi ? » pensa Sanzô en voyant leurs yeux brillants et grands ouverts.
Il déglutit péniblement en réfléchissant à la phrase qui venait de lui venir à l'esprit. Euh. oui. C'était peut-être bien ça le problème. Ou alors pas vu depuis trop longtemps. Ça leur tapait sur le système. Maintenant qu'elles en voyaient enfin un.
Sanzô se sentit respirer de plus en plus fort, et plus rapidement. Il fallait absolument qu'il sorte d'ici. mais comment ? par où ? il ne savait même pas où il était. Voyons, dans le monastère bouddhique de Chôan, il ne se passait rien de la sorte. Si une femme était entrée par mégarde, les bonzes auraient été plus fâchés qu'autre chose. Enfin, à vrai dire, comme cela n'était jamais arrivé, Sanzô ne savait pas trop. Il n'y pensait même pas. Gojô ne cessait de le taquiner là-dessus : « Eh alors ? comment fais- tu pour ne pas être attiré par les femmes ? » A chaque fois, le moine lui répondait « Urusei ! ». Mais quand l'autre s'amusait à pousser le bouchon trop loin, du genre « Tu préfères peut-être les hommes ? », Sanzô lui collait le revolver sur la figure.
Non. Il n'était pas attiré par les hommes non plus. Il se désintéressait de tout, mais ne se l'expliquait pas... La vie était si monotone. Peut-être qu'un jour, il ressentirait vraiment quelque chose pour quelqu'un. Mais il ne voyait franchement pas qui, ni comment. Ça n'arriverait sûrement jamais, il serait mort avant. et puis, pourquoi s'attacher à nouveau à quelqu'un, si c'était pour le perdre à nouveau ? il y avait toujours ce risque. Il ne voulait plus revivre l'enfer qu'il avait vécu à la mort de son Maître.
Une voix le fit sortir de ses pensées.
« Monsieur. »
La plus vieille des religieuses, qui avait l'air d'être leur « dirigeante », venait de lui parler. Mais impossible de comprendre ce qu'elle disait. Cette langue lui était totalement inconnue.
« Qui êtes-vous, Monsieur ? ce lieu est interdit aux hommes. comment êtes- vous arrivé là ? »
Il se décida à parler. Au moins, elles comprendraient qu'il était étranger. « Je ne pige pas ce que vous dites, mais j'aimerais bien sortir de ce trou à rats. » déclara-t-il.
Les religieuses se regardèrent toutes et des murmures parcoururent les rangs. La Mère Supérieure leur ordonna de se taire et reprit :
« Oh, vous n'êtes pas d'ici. c'est étrange. il est vrai que vous ne ressemblez pas aux hommes du pays. » Elle se tut un instant.
« Vous ne savez vraiment pas parler notre langue ? p-a-r-l-e-r » reprit- elle en mimant les syllabes avec sa bouche.
Sanzô soupira et pensa : « Mais elle me prends pour qui cette vieille folle ? on dirait vraiment qu'elle tente de parler à un attardé ! »
Sur ce, il fit glisser ses jambes de l'autel et se mit debout sur le sol de pierre.
« J'imagine que je vais devoir trouver la sortie par moi-même, c'est ça ? » lui lança-t-il. Elle ne comprenait rien. Il allait pouvoir un peu se défouler. depuis tout à l'heure, il avait envie d'évacuer sa rage, mais la solution du « coup de revolver » qu'il utilisait d'habitude serait vraiment mal perçue dans un endroit comme celui-ci, et avec un public comme celui- là !
Mais les nonnes se pressaient autour de lui. Qu'est-ce qu'il se passait ? Comment avaient-elle cru comprendre sa phrase ? Il sentit tous les regards posés sur lui. Des murmures parcourir la foule. Le c?ur du jeune homme commença à battre à nouveau plus rapidement, son front brûler toujours plus fort. Bientôt les chuchotements devinrent un vacarme infernal pour ses oreilles. Il se plaqua les mains sur celles-ci pour ne plus rien entendre, et se sentit comme tomber. tomber toujours plus bas. non pas ici, pas maintenant. pas un malaise, pas là ! Les visages penchés au-dessus de lui semblaient sombres, difformes. il n'en voyait plus que les yeux brillants. Ces femmes, elles étaient là, elles se rapprochaient inexorablement. Il avait l'impression qu'elles allaient l'engloutir. Des mains. des dizaines de mains qui avançaient vers lui ! non, qu'elles s'en aillent ! pourquoi lui, pourquoi toujours lui ? ces frôlements sur sa peau, comme des fourmillements. Il voulut se débattre, mais il semblait bouger au ralenti. Ces cris dans sa tête. qu'elles ce taisent, qu'elles se taisent donc ! Son front lui faisait atrocement mal. sa vue se troublait de plus en plus. puis tout devint absolument noir.
Il se releva soudain dans un cri, haletant.
La première chose qu'il sentit fut le froid glacial qui lui mordait la peau. Mais son front était toujours aussi chaud. lentement, il s'allongea à nouveau sur le sol et posa sa tête contre la pierre froide de la caverne. Un cauchemar. ce n'était qu'un cauchemar. Bon sang, qu'il était heureux de se retrouver ici, même dans cette grotte glacée et humide emplie d'ossements de bêtes sauvages. Il esquissa un faible sourire et poussa un long soupir soulagé. Puis il se rendit compte qu'un corps était allongé non loin du sien.
« Nekebia ! »
Le jeune homme se releva soudain et s'accroupit près de la youkai. Ainsi, c'était ça l'effet de la brume noire. Endormir les gens pour les plonger dans des cauchemars. A voir le visage crispé et empli de douleur de la guerrière, elle devait en faire un vraiment horrible.
Il tenta de la secouer, mais rien ne semblait pouvoir la réveiller.
Sanzô se surprit à tendre la main vers celle de la youkai pour l'aider à surmonter la souffrance. bien maigre réconfort.
« Qu'est-ce que je fous ! » se dit-il. « Elle n'a qu'à faire comme moi, s'en sortir seule. De toute façon, serrer sa main ne servirait à r. » il n'eut pas le temps de finir sa pensée. Alors que ses doigts s'étaient irrémédiablement approchés de la main de Nekebia, le seul fait d'entrer en contact avec sa peau lui lança une vague de douleur dans tout le corps. La même douleur que lorsqu'il avait été plongé dans son cauchemar. Puis ses paupières se firent lourdes, et il sombra à nouveau dans le sommeil.
Lorsqu'il rouvrit les yeux, il se trouvait assis sur le pavé. D'un air dégoûté, il se releva et épousseta sa robe de moine. La rue était sale, et toutes sortes d'ordures traînaient dans les rues. Puis il sursauta en voyant ce qui se trouvait devant lui. Une place, avec un petit temple en mauvais état en plein milieu. Il connaissait cet endroit. Undo.
L'endroit était sombre et assez humide. Des murs. des murs de pierre. Un odeur de renfermé, un peu comme dans ces vieilles bâtisses isolées faites pour une vie intérieure continuelle. Des voix sourdes derrière ces parois. des chuchotements. Des conversations à voix basse.
« Par l'amour de Dieu, ma Mère, je vous répète que les s?urs Hélène et Marie sont encore sorties du couvent sans permission. Cela devient impossible.
Elles ne sont pas les seules à faire cela, s?ur Agnès. Cet isolement est dur à supporter pour toutes ici. Et surtout pour les jeunes demoiselles arrivées récemment.
Ce n'est pas pour dire, mais des aînées commencent elles aussi à avoir.certaines conversations, ma Mère. oh, Dieu me pardonne d'avoir entendu quelques-uns de ces mots maudits ! vous savez, elles parlaient.
D'hommes ? oui, je sais, ma s?ur. Mais vous savez bien que le Diable essaie par tous les moyens de corrompre les esprits des serviteurs de Dieu. c'est péché que de s'abandonner à ces pensées malsaines. Mais le problème n'est pas nouveau, hélas. »
Elles marchèrent en silence quelques minutes, puis débouchèrent sur un petit jardin intérieur. De nombreuses bonnes s?urs étaient assises là, sur des bancs, et discutaient tout bas. A l'approche de la Mère supérieure, toutes se turent. Signe que le sujet des conversations n'étaient pas vraiment portées sur Dieu.
Le couvent était immense, et abritait bien plus de deux cents religieuses. Des jeunes filles de seize ans ou même moins, aux nonnes plus vieilles qui vivaient là depuis de nombreuses années. Cet endroit était sacré et aucun homme, même pas les prêtres, ne pouvaient y rentrer. La vie n'était que prières, travail, adoration de Dieu. calme.
« Ma Mère ! ma Mère ! »
Une jeune religieuse d'une vingtaine d'année arrivait en courant vers la Mère supérieure.
« Qu'y a-t-il, s?ur Catherine ? »
La jeune femme était essoufflée et dans un état d'excitation anormal. « Ma Mère, dans la chapelle centrale. il y a. il y a. un. Oh Seigneur, l'entrée de ce couvent leur est pourtant interdite ! . »
La vieille religieuse n'en eut pas besoin de plus pour deviner. Vivement, elle suivit S?ur Catherine dans le dédale de couloirs qui menait au lieu de prières. Affolées, toutes les bonnes s?urs les regardèrent partir, puis se décidèrent à les suivre avec des airs paniqués et réjouis à la fois. Depuis combien d'années. n'en avaient-elles pas vu ?
L'endroit sentait vraiment la vieille pierre, le bois usé. Un rayon de lumière colorée baignait son visage. Lentement, il ouvrit les paupières. Ses yeux améthystes virent tout d'abord des fresques étranges représentant des anges et le paradis. Puis ils se tournèrent vers les vitraux peints qui filtraient et coloraient la lumière qui balayait l'endroit. Avec un petit gémissement de douleur, Sanzô tâta son front fiévreux. Qu'est-ce qu'il faisait là ? quel était cet endroit ? Il n'avait pas l'impression d'être déjà venu dans un lieu pareil. Il se releva péniblement et vit que son vêtement noir qui lui collait si étroitement à la peau était déchiré par endroits. Que s'était-il passé ? ah oui, la forêt maléfique. Nekebia et lui se battant contre le monstre. la brume noire. et puis plus rien. Ça. L'avait-on recueilli ? Où était la youkai ? Aucun endroit semblable ne se trouvait en Chine !
Il portait sa robe de moine à moitié, comme à son habitude. Il avait les mains moites. Et un horrible mal de tête. L'autel sur lequel il se trouvait était froid, si froid. il avait l'impression qu'il aurait pu le faire fondre rien qu'au contact de sa peau.
Trempé de sueur, il s'assit sur le rebord de la stèle de pierre et resta quelques secondes ainsi, haletant. Ce ne fut que lorsqu'il se passa une main dans ses beaux cheveux dorés qu'il releva les yeux.
Une bonne cinquantaine de paire d'yeux écarquillés étaient posés sur lui.
* * * * * * * * * *
La ville était sale. Dans les rues se trouvaient divers tas d'ordures, et un liquide immonde coulait dans le caniveau au milieu de la rue. Connaissait-elle ce quartier ? il lui rappelait vaguement quelque chose. Elle fit encore quelques pas et déboucha sur une place pavée. Un petit temple se trouvait en son centre. mais il avait l'air abandonné. Villageois de peu de foi. Nekebia regarda à terre et s'aperçut qu'elle était pieds nus. Elle se sentait aussi étrangement petite. Elle marcha le long de la rue sur sa droite et arriva devant un magasin très sale. Des tas de boucliers et de vieilles armes en tout genre étaient étalés dans la rue. La jeune fille se regarda son reflet dans un bouclier un peu mieux astiqué que les autres.
Comment ?
Ce qu'elle voyait, là. c'était une jeune fille humaine. d'à peine quatorze ans. Que se passait-il ? Cette ville. c'était Undo ! Elle ne connaissait que ses rues spectrales et abandonnées, mais elle voyait bien qu'il ne pouvait s'agir que de ça. sauf que cette fois, des gens, des humains bien vivants, y habitaient !
S'agirait-il. de son passé ? Videl lui avait un peu expliqué. elle avait eu une vie humaine dans cette ville même, mais par la suite des étrangers étaient venus tout détruire, et elle seule avait survécu. Undo. étaient appelée Nouvelle Gomorrhe, en son temps. Pourquoi ?
Elle ne tarda pas à le savoir.
Un homme s'écroula à terre à quelques mètres d'elle. Il venait d'être projeté à travers une porte à battants, non loin de là.
« On t'a réglé ton compte, minable ! » s'exclama une grosse voix vulgaire.
« Tu vois, fallait pas nous énerver. » dit une autre avec un ricanement.
L'homme à terre avait encore un bagage sur le dos. Ce devait être un voyageur.
Deux très grands hommes sortirent de ce qui avait l'air d'être un bar assez miteux et se penchèrent sur leur victime.
« Eh, Jiko, on a oublié de lui prendre son fric. » ricana l'un.
« Et j'ai oublié de lui éclater la tête aussi. » répondit l'autre en levant son énorme pied au-dessus du visage ensanglanté.
Nekebia ne put s'empêcher de crier : « Arrêtez ! vous ne pouvez pas faire ça ! »
Elle savait que c'était inutile. Que ça ne sauverait pas cet homme, et que ça n'allait attirer que plus d'ennuis. Les deux brutes tournèrent la tête, étonnés, et furent pris d'un grand rire en la voyant.
« AH AH ah ah !. qu'est-ce que t'as, gamine ?. tu veux qu'on t'apporte un peu plus d'attention ? »
La jeune fille recula. Un des deux hommes s'était approché. Il ressemblait à un géant barbu et poilu. Ses petits yeux étaient enfouis sous d'épais sourcils broussailleux, et son sourire cruel révélait des dents jaunâtres. Ses grosses mains sales s'approchèrent de Nekebia.
« Allez, viens. »
La jeune fille poussa un petit cri et s'enfuit à toutes jambes. Derrière elle, elle entendit des pas de course. Avec un nouveau cri affolé, elle tourna la rue et courut aussi vite que ses petites jambes lui permettaient. Bientôt, elle n'entendit plus qu'un gros rire derrière elle, étouffé par la distance.
Angoissée, elle s'arrêta et regarda en arrière. L'homme n'était plus là. Il avait dû abandonner.
« JAINA ! te revoilà enfin ! »
La jeune fille se retourna en un sursaut. Une vieille femme revêche était face à elle, l'air mécontent. Apparemment, c'était bien à elle qu'elle s'adressait.
« Où étais-tu passée, petite peste ? tu n'as pas fini de nettoyer toute la cave ni rangé les bouteilles de ton oncle ! »
Nekebia ne savait pas comment réagir. Cette vieille devait se tromper de personne.
« Je ne vois pas de quoi vous parlez. vous devez confondre avec quelqu'un d'autre. » répondit timidement la jeune fille.
Elle se reçut une violente gifle.
« Ne joue pas à la plus maligne hein ! petite garce indigne ! »
Nekebia se sentit prise par le col est menée de force dans la maison minable qui se tenait à trois mètres de là. Un gros homme gras apparut devant la porte et fronça les sourcils. Sa chemise qui avait dû jadis être blanche était constellée de taches de graisse. Son pantalon était rapiécé, et ses gros bras poilus étaient assez grands pour étouffer un ours. Son visage, tout boursouflé par la graisse et teinté par l'alcool, se pencha vers elle. Nekebia réprima une grimace de dégoût et n'osa pas lever les yeux. L'homme approcha sa figure tout près de la sienne, et elle put sentir les relents nauséabonds qui émanaient de sa bouche.
« Fais ton boulot, sinon tu le regretteras. » déclara-t-il. « On est encore trop bons avec toi. » D'un seul coup, il la poussa à l'intérieur de la maison et Nekebia faillit trébucher sur des bouteilles vides jonchant le sol. La maison était encore plus minable de l'intérieur. Sous le regard furieux du gros homme, elle descendit à contre-c?ur les marches qui menaient à la cave. « Mais allez, dépêche-toi ! » ricana une jeune femme d'une vingtaine d'années, à la tenue plus que provocante, d'une voix vulgaire. Elle se tenait devant les escaliers qui menaient à l'étage. « Tu voudrais pas que papa te frappe à nouveau, hein ? » Puis, avec un soupir de mépris, elle continua : « Je suis contente que tu sois pas ma vraie s?ur. »
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« Mon Dieu ! » s'exclama une des s?urs aînées, les mains sur les joues. « Il pourrait très bien s'agir d'un ange envoyé par notre Seigneur. »
La Mère Supérieure ne dit rien, et regarda fixement le jeune homme aux cheveux d'or qui se tenait assis sur l'autel sacré. Qui pouvait-il être ? Comment était-il arrivé dans cet endroit clos ?
Une des s?urs se tenait les mains devant les yeux et ne cessait de répéter : « Oh Seigneur, oh Seigneur. et des habits si provocants ! » Les autres religieuses qui avaient depuis trop longtemps attendu un moment pareil se gardèrent bien de se refuser cette vue plus qu'agréable. Les rares hommes de l'extérieur qu'elles avaient pu entrevoir ou se souvenir durant leur enfance étaient loin de ressembler à ça. Celui-ci avait quelque chose. de captivant. D'unique. Beau, angélique et élégant à la fois.un mot leur venait à l'esprit avant tout autre : Divin. Il portait des habits inconnus dans la région. Mais qu'importe ? leurs regards ne pouvaient s'en détacher. Toutes leurs pensées, aussi diverses soient-elles, étaient désormais tournées vers lui, et vers lui seul.
Sanzô regarda tour à tour les nonnes d'un air plus qu'inquiet. Qui étaient toutes ces femmes ? Il avait l'air de se trouver dans une sorte de monastère des contrées occidentales. Pourquoi le regardaient-elles comme ça ? Il ressentait un malaise étrange. Le lieu était trop petit. Les gens trop nombreux. Il avait l'impression d'étouffer. Pourquoi continuaient- elles de le déshabiller du regard ainsi, se signant d'une croix d'un air affolées ?
Il frémit. Oui, c'était ça : elles le déshabillaient du regard. Il avait une sainte horreur de ça. Des religieuses, en plus ! comment pouvaient- elles. Il sentit son front devenir encore plus brûlant, et son c?ur battre à tout rompre. Combien étaient-elles comme ça ? qu'est-ce qu'elles lui voulaient ?
« Elles ont jamais vu un homme ou quoi ? » pensa Sanzô en voyant leurs yeux brillants et grands ouverts.
Il déglutit péniblement en réfléchissant à la phrase qui venait de lui venir à l'esprit. Euh. oui. C'était peut-être bien ça le problème. Ou alors pas vu depuis trop longtemps. Ça leur tapait sur le système. Maintenant qu'elles en voyaient enfin un.
Sanzô se sentit respirer de plus en plus fort, et plus rapidement. Il fallait absolument qu'il sorte d'ici. mais comment ? par où ? il ne savait même pas où il était. Voyons, dans le monastère bouddhique de Chôan, il ne se passait rien de la sorte. Si une femme était entrée par mégarde, les bonzes auraient été plus fâchés qu'autre chose. Enfin, à vrai dire, comme cela n'était jamais arrivé, Sanzô ne savait pas trop. Il n'y pensait même pas. Gojô ne cessait de le taquiner là-dessus : « Eh alors ? comment fais- tu pour ne pas être attiré par les femmes ? » A chaque fois, le moine lui répondait « Urusei ! ». Mais quand l'autre s'amusait à pousser le bouchon trop loin, du genre « Tu préfères peut-être les hommes ? », Sanzô lui collait le revolver sur la figure.
Non. Il n'était pas attiré par les hommes non plus. Il se désintéressait de tout, mais ne se l'expliquait pas... La vie était si monotone. Peut-être qu'un jour, il ressentirait vraiment quelque chose pour quelqu'un. Mais il ne voyait franchement pas qui, ni comment. Ça n'arriverait sûrement jamais, il serait mort avant. et puis, pourquoi s'attacher à nouveau à quelqu'un, si c'était pour le perdre à nouveau ? il y avait toujours ce risque. Il ne voulait plus revivre l'enfer qu'il avait vécu à la mort de son Maître.
Une voix le fit sortir de ses pensées.
« Monsieur. »
La plus vieille des religieuses, qui avait l'air d'être leur « dirigeante », venait de lui parler. Mais impossible de comprendre ce qu'elle disait. Cette langue lui était totalement inconnue.
« Qui êtes-vous, Monsieur ? ce lieu est interdit aux hommes. comment êtes- vous arrivé là ? »
Il se décida à parler. Au moins, elles comprendraient qu'il était étranger. « Je ne pige pas ce que vous dites, mais j'aimerais bien sortir de ce trou à rats. » déclara-t-il.
Les religieuses se regardèrent toutes et des murmures parcoururent les rangs. La Mère Supérieure leur ordonna de se taire et reprit :
« Oh, vous n'êtes pas d'ici. c'est étrange. il est vrai que vous ne ressemblez pas aux hommes du pays. » Elle se tut un instant.
« Vous ne savez vraiment pas parler notre langue ? p-a-r-l-e-r » reprit- elle en mimant les syllabes avec sa bouche.
Sanzô soupira et pensa : « Mais elle me prends pour qui cette vieille folle ? on dirait vraiment qu'elle tente de parler à un attardé ! »
Sur ce, il fit glisser ses jambes de l'autel et se mit debout sur le sol de pierre.
« J'imagine que je vais devoir trouver la sortie par moi-même, c'est ça ? » lui lança-t-il. Elle ne comprenait rien. Il allait pouvoir un peu se défouler. depuis tout à l'heure, il avait envie d'évacuer sa rage, mais la solution du « coup de revolver » qu'il utilisait d'habitude serait vraiment mal perçue dans un endroit comme celui-ci, et avec un public comme celui- là !
Mais les nonnes se pressaient autour de lui. Qu'est-ce qu'il se passait ? Comment avaient-elle cru comprendre sa phrase ? Il sentit tous les regards posés sur lui. Des murmures parcourir la foule. Le c?ur du jeune homme commença à battre à nouveau plus rapidement, son front brûler toujours plus fort. Bientôt les chuchotements devinrent un vacarme infernal pour ses oreilles. Il se plaqua les mains sur celles-ci pour ne plus rien entendre, et se sentit comme tomber. tomber toujours plus bas. non pas ici, pas maintenant. pas un malaise, pas là ! Les visages penchés au-dessus de lui semblaient sombres, difformes. il n'en voyait plus que les yeux brillants. Ces femmes, elles étaient là, elles se rapprochaient inexorablement. Il avait l'impression qu'elles allaient l'engloutir. Des mains. des dizaines de mains qui avançaient vers lui ! non, qu'elles s'en aillent ! pourquoi lui, pourquoi toujours lui ? ces frôlements sur sa peau, comme des fourmillements. Il voulut se débattre, mais il semblait bouger au ralenti. Ces cris dans sa tête. qu'elles ce taisent, qu'elles se taisent donc ! Son front lui faisait atrocement mal. sa vue se troublait de plus en plus. puis tout devint absolument noir.
Il se releva soudain dans un cri, haletant.
La première chose qu'il sentit fut le froid glacial qui lui mordait la peau. Mais son front était toujours aussi chaud. lentement, il s'allongea à nouveau sur le sol et posa sa tête contre la pierre froide de la caverne. Un cauchemar. ce n'était qu'un cauchemar. Bon sang, qu'il était heureux de se retrouver ici, même dans cette grotte glacée et humide emplie d'ossements de bêtes sauvages. Il esquissa un faible sourire et poussa un long soupir soulagé. Puis il se rendit compte qu'un corps était allongé non loin du sien.
« Nekebia ! »
Le jeune homme se releva soudain et s'accroupit près de la youkai. Ainsi, c'était ça l'effet de la brume noire. Endormir les gens pour les plonger dans des cauchemars. A voir le visage crispé et empli de douleur de la guerrière, elle devait en faire un vraiment horrible.
Il tenta de la secouer, mais rien ne semblait pouvoir la réveiller.
Sanzô se surprit à tendre la main vers celle de la youkai pour l'aider à surmonter la souffrance. bien maigre réconfort.
« Qu'est-ce que je fous ! » se dit-il. « Elle n'a qu'à faire comme moi, s'en sortir seule. De toute façon, serrer sa main ne servirait à r. » il n'eut pas le temps de finir sa pensée. Alors que ses doigts s'étaient irrémédiablement approchés de la main de Nekebia, le seul fait d'entrer en contact avec sa peau lui lança une vague de douleur dans tout le corps. La même douleur que lorsqu'il avait été plongé dans son cauchemar. Puis ses paupières se firent lourdes, et il sombra à nouveau dans le sommeil.
Lorsqu'il rouvrit les yeux, il se trouvait assis sur le pavé. D'un air dégoûté, il se releva et épousseta sa robe de moine. La rue était sale, et toutes sortes d'ordures traînaient dans les rues. Puis il sursauta en voyant ce qui se trouvait devant lui. Une place, avec un petit temple en mauvais état en plein milieu. Il connaissait cet endroit. Undo.
