Chapitre 17 : Où que j'aille.
La cave était vraiment très sombre. Nekebia se demandait à quoi tout cela rimait. Qu'est-ce qu'elle faisait là ? elle sentait tous les objets sous ses doigts. était-ce un rêve ? on aurait dit la réalité, pourtant. Elle ne tenait pourtant pas rester ainsi dans cette maison répugnante, avec ces gens immondes qui la détestaient. Comment pouvait-elle s'échapper ? Le gros homme, qui semblait être son « père adoptif », veillait à l'entrée de la maison. Et la garce qui lui avait parlé d'un air si méprisant ne devait pas être loin non plus.
La jeune fille regarda autour d'elle et s'aperçut qu'il y avait une petite porte au fond de la cave. Mais il y avait peu de chances que ce soit une sortie.
Elle s'en approcha cependant, tourna la poignée et s'aperçut qu'il s'agissait d'une petite pièce où du charbon était stocké. Poussant un soupir de lassitude, Nekebia s'apprêtait à fermer la porte quand une faible lumière attira son regard. Au bout de la salle à charbon. la lumière du jour ?
Regardant si personne ne la suivait, la jeune fille avança prudemment dans la pièce, qui s'avérait être un couloir. Tout au fond, le sol montait un peu, et l'obscurité se faisait moins présente. Lentement, Nekebia suivit le petit couloir. mais poussa un gémissement de désespoir en voyant devant elle une fenêtre grillagée. Ce n'était qu'une aération.
Comment allait-elle pouvoir passer par là ? la grille était bien trop lourde à soulever, et bien trop ancrée dans la paroi.
Elle jeta tout de même un regard au-dehors. Cela débouchait sur une ruelle sombre. Il y avait des tas de vieilles armes près du mur d'en face, et des ordures non loin de là dégageaient une odeur infecte.
Mais soudain, elle sembla sentir autre chose. De totalement différent. C'était proche, mais elle avait du mal à chasser de ses sens l'odeur nauséabonde des déchets d'en face, qui masquaient en grande partie le parfum qu'elle venait de percevoir. Non, ça ne semblait pas être un parfum, tout compte fait, mais c'était agréable quand même. Ce n'était pas de la nourriture. c'était chaud et frais à la fois, léger et sucré.
Elle vit soudain quelle en était la source, et n'en crut pas ses yeux. Son regard étonné suivit la belle silhouette de l'ange blond qui passait devant elle. Pas de doute, c'était bien lui ! que faisait-il là, dans cette ville de cauchemar ?
Tout à coup, elle vit une grande ombre s'approcher de lui. Puis une autre. Il s'agissait de deux hommes costauds et aux airs de bandits. Elle pouvait entendre leurs voix.
« Tiens, mais que voilà ! » ricana celui qui était borgne. « Un moine ? ici ? le dernier que j'ai vu était un vieux plouc qui est parti sans demander son reste. »
« Dégage de là » ordonna Sanzô d'un ton sec.
Le borgne s'approcha un peu plus et regarda le jeune bonze de haut en bas, et s'attardant sur son beau visage fin. « J'aurais aimé avoir mes deux yeux pour profiter pleinement du spectacle que tu m'offres. » murmura le bandit avec un sourire un peu pervers.
Sanzô s'apprêta à dégainer son revolver quand le grand homme le plaqua violemment contre le mur, ce qui fit tomber l'arme des mains du moine.
« Espèce de. ! » commença Sanzô en regardant avec rage son revolver, inaccessible sur le sol.
Les deux bandits ricanèrent et le plus petit s'exclama : « Eh, un bonze c'est pas sensé se battre avec ça ! alors pas de triche, hé hé »
Nekebia était horrifiée par la scène. Cette ville et ces gens étaient vraiment tous des monstres, à se comporter uniquement par le vice ! comment pouvait s'en sortir Sanzô ? et là, de sa petite fenêtre grillagée au ras du sol, elle ne lui était d'aucune utilité. elle ne voulait pas voir ce qui risquait de suivre ! Mais comment l'empêcher ?
Le borgne riait en voyant le jeune moine tentant de se dégager.
« Tu n'y arriveras pas, inutile d'essayer de t'échapper. »
Sanzô afficha clairement son dégoût et répondit : « Ne me sous-estime pas, espèce de gros porc. »
Le grand homme ricana d'un air méprisant et frôla de ses lèvres le visage puis le cou du jeune homme.
« Beau, jeune, et encore plein de vitalité. et surtout, à ma merci ! par quoi vais-je commencer ?. »
« Par crever ! » lança Sanzô en lui crachant à la figure avec tout le dégoût qu'il pouvait montrer.
L'homme dégagea une de ses mains pour s'essuyer le visage, et le bonze en profita pour bouger et lui envoyer un coup de pied bien senti entre les jambes.
L'homme poussa un cri de douleur mais ne lâcha pas prise pour autant. Il replaqua Sanzô au mur encore plus violemment que la dernière fois, et dit avec colère : « Alors toi, tu vas vraiment regretter ça. Je vais t'en faire baver, sale moine ! » Il joignit les deux bras de Sanzô au-dessus de la tête de celui-ci et les tint avec une seule main, laissant l'autre totalement libre. D'un coup vif, il enleva à moitié la robe de moine, qui se déchira.
Nekebia ne put pas supporter ça plus longtemps. Elle se plaqua à la grille et cria.
« SANZOOOOO !!!! »
Le beau blond releva la tête, étonné, et vit bien vite d'où provenait le bruit. Cette voix. c'était celle d'une enfant, mais elle lui en rappelait une autre. Nekebia ?
A ses pieds, il y avait toujours le revolver. Avant que ses agresseurs n'aient le temps de réagir, le jeune homme donna un violent coup de pied dans l'arme, qui valsa à plusieurs mètres de là, juste contre la grille.
Nekebia regarda l'arme avec stupeur puis croisa à nouveau le regard de Sanzô. Il était toujours aussi fier mais mêlé d'un soudain espoir.
Sans hésiter plus longtemps, la jeune fille tendit la main à travers la grille, prit le revolver et visa l'homme borgne. Il était assez gros pour qu'elle l'ait du premier coup, sans risquer de blesser Sanzô.
PAAAN
L'homme tomba à terre, une balle dans la tête. L'autre comprit trop tard ce qu'il se passait, et eut le même sort que son compagnon. Son sang gicla contre le mur.
Sanzô resta silencieux quelques instants, puis donna un violent coup de pied dans la tête déjà bien endommagée de son agresseur. Ils étaient bel et bien morts. Quel soulagement.
Il s'approcha de la grille derrière laquelle était Nekebia, et se pencha vers elle.
« Nekebia ? » s'étonna-t-il.
« Sanzô !!! » s'exclama-t-elle en éclatant en sanglots. Ses petites mains avaient soudain prit celles de Sanzô et les avaient amenées vers son visage, contre des joues où coulaient à présent des larmes.
« J'ai eu si peur pour toi. » sanglota-t-elle. « Qu'est-ce qu'on fait là ? et pourquoi j'ai cet âge là ? »
Le jeune homme, encore choqué lui aussi, ne retira pas ses mains et laissa Nekebia les tenir tout contre son visage. La pauvre fille devait avoir aussi vécu pas mal de choses horribles. .mais ce n'était pas le moment de s'apitoyer. Il fallait sortir d'ici au plus vite.
Il retira doucement sa main et dit à la fillette :
« On va sortir de ce cauchemar, il est grand temps. J'imagine que quelqu'un t'a enfermée dans cette cave, non ? »
Nekebia jeta un rapide coup d'?il en arrière et répondit : « Oui. J'ai l'impression qu'ils me considèrent comme leur fille adoptive, mais ils me traitent plus comme une esclave qu'autre chose. l'entrée est dans l'autre rue. Il y a un gros homme et une vieille femme immonde. Et une fille vulgaire. »
Sanzô se releva et sentit sa vue se troubler, devenir très sombre. Une baisse de tension. Il s'appuya contre le mur et se mit une main sur son front brûlant.
« Ça va ? » demanda la jeune fille, inquiète.
Le bonze se contenta de soupirer et se détacha du mur. « Ça ira. Je vais essayer de te sortir de là mais ne reste pas plantée ici. quitte cette cave et retourne au rez-de-chaussée, j'arrive. »
Il ramassa son revolver et le rechargea. Une partie de sa robe de moine était en lambeaux, et ses bras étaient tailladés par de longues griffures rouges. Depuis combien de temps ne s'était-il pas reposé ? Un bon bain chaud lui ferait le plus grand bien. Il porta machinalement sa main dans l'une de ses manches mais ne parvint pas à trouver son paquet de cigarettes.
« Kso ! » pesta-t-il. Lors de la bagarre de tout à l'heure, le paquet avait dû tomber. Et étant donné les flaques de boues qui se trouvaient alors à ses pieds, les cigarettes ne devaient même plus être reconnaissables. Et ça n'allait pas arranger son humeur.
Il se dirigea tout de même vers la rue parallèle et reconnut aussitôt les gens dont lui avait parlé Nekebia. Ça n'allait pas être facile de parlementer pour reprendre la fillette. ici, il y avait un danger constant et il ne valait mieux pas causer de bagarres.
Il s'approcha du couple qui discutait à l'entrée.
« Excusez-moi. »
Les deux personnes se tournèrent vers lui et le regardèrent bizarrement.
« Qu'est-ce que tu veux ? » grogna le gros homme.
La femme fronça les sourcils en voyant les habits sales et déchirés de leur visiteur. « Encore un étranger ? » demanda-t-elle. « Ils ne sont pas les bienvenus ici. »
Bon. Ça commençait bien. mais après tout, il ne s'attendait pas à un accueil chaleureux. Il avait envie de leur lancer une réplique bien cinglante à la figure, mais dans ces conditions-ci, il ne valait mieux pas. Qu'est-ce qu'il allait pouvoir trouver comme prétexte pour voir la jeune fille ?
« Je.je cherche quelqu'un. Une jeune fille brune. Elle m'a dit qu'elle habitait ici. » L'homme bourru prit un air important et dit : « Ah, vous parlez de Jaïna ? cette petite peste habite sous notre toit, c'est vrai. Qu'est-ce qu'elle a encore fait !? »
Sanzô croisa les bras. « C'est mon problème. J'aimerais la voir pour qu'on s'explique. »
L'autre s'apprêtait à répliquer quand une jeune femme habillée très court et au visage trop maquillé sortit de la maison.
« Qu'est-ce qu'il veut à cette naine ? » demanda-t-elle à son père. Devant le silence de celui-ci, elle regarda leur visiteur de bas en haut et eut un sourire prononcé.
« Va, beau blond, t'occupe pas des vermines comme elle. t'as l'air d'être fatigué. ma chambre est tout prête à t'accueillir. »
Les parents ne réagirent même pas. Ce devait être monnaie courante par ici. Mais s'il y avait bien quelque chose que Sanzô ne supportait pas, c'était ce genre de réflexions.
« Pourquoi, y'a deux places dans une poubelle ? » répliqua-t-il.
Ses trois interlocuteurs devinrent rouges de colère.
« Qu'est-ce que tu as osé dire !!!? »
Ça y est, il n'avait pas pu s'en empêcher. De toute façon, il sentait que ça devait finir de cette manière. Mais que faisait Nekebia !? il attirait l'attention de ce côté-ci, elle devait donc pouvoir sortir de la cave sans problème.
Il vit bientôt une petite ombre se faufiler hors de la cave, à l'intérieur de la maison. Il fallait qu'il amène les trois personnes dans la rue pour ne plus qu'ils bloquent l'entrée.
Le jeune moine regarda les alentours. Personne. Parfait. C'est vrai, pourquoi se casser la tête alors qu'il y avait des moyens simples ?
Il dégaina son revolver et le pointa sur eux.
« Allez, avancez. »
Tremblant, le gros homme bégaya : « Mais. que. »
« POSEZ PAS DE QUESTIONS ET BOUGEZ DE LA !!! » s'énerva Sanzô.
Effrayés, ses interlocuteurs obéirent sans dire un mot et allèrent s'appuyer contre le mur à quelques mètres de là.
Nekebia se tenait maintenant dans l'embrasure de la porte et regardait la scène avec surprise. Puis un sourire satisfait se dessina sur son visage, et elle courut vers le jeune moine.
« Attention » lui souffla-t-elle. « Au bout de la rue. »
Sanzô regarda l'endroit indiqué par la jeune fille et vit trois grands hommes arriver. Nekebia reconnut deux d'entre eux : c'était ceux qui avaient frappé l'homme à la sortie du bar, et qui avaient tenté de lui courir après ! Elle ne savait pas qui était l'autre mais n'avait vraiment pas envie de faire connaissance.
Le père adoptif de Nekebia, voyant ces voyous, qu'il avait l'air de connaître, reprit soudain du courage et leur cria :
« Eh ! Jiko, Balden, Kernos ! par ici !!! »
Sanzô tira, et la balle vint se loger dans le mur, à quelques centimètres de la tête de l'homme, qui cria : « C'EST UN MALADE !!! »
Aussitôt, les trois compères qui arrivaient commencèrent à accélérer l'allure.
« Vaut mieux pas rester ici. » murmura Sanzô. « On cours ! »
Nekebia ne se le fit pas dire deux fois. Elle suivit le jeune homme à travers les rues sales de la ville, à toute allure, trébuchant parfois sur des ordures ou des gravas.
Restés près de leur maison, la petite famille les regarda courir. Puis la vieille femme s'adressa à son mari, sur un ton tremblant :
« Tu as vu. ce moine. tu as vu ses habits ? le sutra qu'il portait ? »
L'homme fronça les sourcils. « Ouais » répondit-il. « J'ai déjà vu ça quelque part. »
Dans sa course folle, Nekebia risqua un ?il en arrière et poussa un cri.
« Sanzô !!! Ils sont juste derrière !!! »
Le bonze regarda derrière son épaule et vit qu'elle ne se trompait pas. Ce n'était pas étonnant, ils devaient connaître la ville et ses raccourcis comme leur poche.
« Nekebia ! » lança Sanzô. « Tu connais bien la ville toi aussi, non ? qu'elle soit spectrale ou pas son plan reste le même. Tu saurais trouver une cachette, ou de quoi les semer ? »
« Sanzô, tu cours trop vite pour moi !. » s'exclama la jeune fille, essoufflée.
Le bonze l'entendait à peine. « Eh, tu réponds ? c'est important ! » cria-t- il. Le vent sifflait à ses oreilles. Son mal de tête empirait.
Mais personne ne répondit.
« Nekebia ? » s'inquiéta-t-il.
Il se retourna.
Et vit ce qu'il craignait. Les trois bandits tenaient la jeune fille en otage. Elle se débattait, mais ne parvenait pas à s'en sortir.
Nekebia plongea ses yeux dans ceux de Sanzô. On pouvait y lire le doute, la douleur. la résignation.
Non, elle n'allait pas encore se montrer faible. Il était mal en point et elle était en train de lui causer encore plus de soucis qu'il n'en avait. elle ne voulait pas être une charge pour lui. Une fois sortis de ce cauchemar, elle pourrait à nouveau montrer sa valeur, mais ici. Elle sentait les gros doigts de l'homme serrer sa petite gorge. Elle commençait à étouffer.
« Alors, le bonze, on rigole moins là, hein ? » commença un des hommes. « Tu sais que. »
Il ne fallait pas perdre espoir, elle pouvait encore s'en sortir. Elle sourit faiblement. Une idée, enfin.
Nekebia arrêta de s'agiter et cria de toutes ses forces. Un cri strident, à vous casser les oreilles. Son agresseur, interrompu dans sa phrase, grogna et mis sa main sur la bouche de la fillette.
« Voilà, parfait. » pensa-t-elle. D'un seul coup, elle mordit la main de l'homme de toutes ses forces.
« AAAARRGH !!! » cria-t-il en lâchant prise.
Nekebia lui donna un grand coup de pied dans le genou et se détacha de l'emprise du bandit.
Sanzô la vit le rejoindre à toutes jambes et soupira de soulagement. Plus rien ne pouvait maintenant l'empêcher de se débarrasser d'eux.
Celui qui semblait être le chef du petit groupe se jeta sur eux.
« Shi-ne !!! » cria Sanzô.
PAAN
Le corps fumant du bandit tomba à terre.
Les deux autres restèrent pétrifiés d'horreur et fixèrent le jeune moine.
« Vous vous cassez ou je vous sers la même chose ? » demanda Sanzô en pointant son revolver sur eux.
Les voyous détalèrent sans demander leur reste.
« C'est la fin, je crois. » soupira le beau blond.
La fillette le regarda et sourit. « Oui, je pense aussi. »
Une aura sombre les entoura peu à peu, et le noir se fit complet autour d'eux.
Une goutte. Nekebia ouvrit les yeux. La condensation sur la voûte de la caverne retombait sur son visage brûlant. Elle tourna la tête et vit Sanzô, les paupières à moitié closes, fixant le plafond rocheux au-dessus d'eux. Des perles de liquide froid glissaient sur son visage. Il souriait.
La cave était vraiment très sombre. Nekebia se demandait à quoi tout cela rimait. Qu'est-ce qu'elle faisait là ? elle sentait tous les objets sous ses doigts. était-ce un rêve ? on aurait dit la réalité, pourtant. Elle ne tenait pourtant pas rester ainsi dans cette maison répugnante, avec ces gens immondes qui la détestaient. Comment pouvait-elle s'échapper ? Le gros homme, qui semblait être son « père adoptif », veillait à l'entrée de la maison. Et la garce qui lui avait parlé d'un air si méprisant ne devait pas être loin non plus.
La jeune fille regarda autour d'elle et s'aperçut qu'il y avait une petite porte au fond de la cave. Mais il y avait peu de chances que ce soit une sortie.
Elle s'en approcha cependant, tourna la poignée et s'aperçut qu'il s'agissait d'une petite pièce où du charbon était stocké. Poussant un soupir de lassitude, Nekebia s'apprêtait à fermer la porte quand une faible lumière attira son regard. Au bout de la salle à charbon. la lumière du jour ?
Regardant si personne ne la suivait, la jeune fille avança prudemment dans la pièce, qui s'avérait être un couloir. Tout au fond, le sol montait un peu, et l'obscurité se faisait moins présente. Lentement, Nekebia suivit le petit couloir. mais poussa un gémissement de désespoir en voyant devant elle une fenêtre grillagée. Ce n'était qu'une aération.
Comment allait-elle pouvoir passer par là ? la grille était bien trop lourde à soulever, et bien trop ancrée dans la paroi.
Elle jeta tout de même un regard au-dehors. Cela débouchait sur une ruelle sombre. Il y avait des tas de vieilles armes près du mur d'en face, et des ordures non loin de là dégageaient une odeur infecte.
Mais soudain, elle sembla sentir autre chose. De totalement différent. C'était proche, mais elle avait du mal à chasser de ses sens l'odeur nauséabonde des déchets d'en face, qui masquaient en grande partie le parfum qu'elle venait de percevoir. Non, ça ne semblait pas être un parfum, tout compte fait, mais c'était agréable quand même. Ce n'était pas de la nourriture. c'était chaud et frais à la fois, léger et sucré.
Elle vit soudain quelle en était la source, et n'en crut pas ses yeux. Son regard étonné suivit la belle silhouette de l'ange blond qui passait devant elle. Pas de doute, c'était bien lui ! que faisait-il là, dans cette ville de cauchemar ?
Tout à coup, elle vit une grande ombre s'approcher de lui. Puis une autre. Il s'agissait de deux hommes costauds et aux airs de bandits. Elle pouvait entendre leurs voix.
« Tiens, mais que voilà ! » ricana celui qui était borgne. « Un moine ? ici ? le dernier que j'ai vu était un vieux plouc qui est parti sans demander son reste. »
« Dégage de là » ordonna Sanzô d'un ton sec.
Le borgne s'approcha un peu plus et regarda le jeune bonze de haut en bas, et s'attardant sur son beau visage fin. « J'aurais aimé avoir mes deux yeux pour profiter pleinement du spectacle que tu m'offres. » murmura le bandit avec un sourire un peu pervers.
Sanzô s'apprêta à dégainer son revolver quand le grand homme le plaqua violemment contre le mur, ce qui fit tomber l'arme des mains du moine.
« Espèce de. ! » commença Sanzô en regardant avec rage son revolver, inaccessible sur le sol.
Les deux bandits ricanèrent et le plus petit s'exclama : « Eh, un bonze c'est pas sensé se battre avec ça ! alors pas de triche, hé hé »
Nekebia était horrifiée par la scène. Cette ville et ces gens étaient vraiment tous des monstres, à se comporter uniquement par le vice ! comment pouvait s'en sortir Sanzô ? et là, de sa petite fenêtre grillagée au ras du sol, elle ne lui était d'aucune utilité. elle ne voulait pas voir ce qui risquait de suivre ! Mais comment l'empêcher ?
Le borgne riait en voyant le jeune moine tentant de se dégager.
« Tu n'y arriveras pas, inutile d'essayer de t'échapper. »
Sanzô afficha clairement son dégoût et répondit : « Ne me sous-estime pas, espèce de gros porc. »
Le grand homme ricana d'un air méprisant et frôla de ses lèvres le visage puis le cou du jeune homme.
« Beau, jeune, et encore plein de vitalité. et surtout, à ma merci ! par quoi vais-je commencer ?. »
« Par crever ! » lança Sanzô en lui crachant à la figure avec tout le dégoût qu'il pouvait montrer.
L'homme dégagea une de ses mains pour s'essuyer le visage, et le bonze en profita pour bouger et lui envoyer un coup de pied bien senti entre les jambes.
L'homme poussa un cri de douleur mais ne lâcha pas prise pour autant. Il replaqua Sanzô au mur encore plus violemment que la dernière fois, et dit avec colère : « Alors toi, tu vas vraiment regretter ça. Je vais t'en faire baver, sale moine ! » Il joignit les deux bras de Sanzô au-dessus de la tête de celui-ci et les tint avec une seule main, laissant l'autre totalement libre. D'un coup vif, il enleva à moitié la robe de moine, qui se déchira.
Nekebia ne put pas supporter ça plus longtemps. Elle se plaqua à la grille et cria.
« SANZOOOOO !!!! »
Le beau blond releva la tête, étonné, et vit bien vite d'où provenait le bruit. Cette voix. c'était celle d'une enfant, mais elle lui en rappelait une autre. Nekebia ?
A ses pieds, il y avait toujours le revolver. Avant que ses agresseurs n'aient le temps de réagir, le jeune homme donna un violent coup de pied dans l'arme, qui valsa à plusieurs mètres de là, juste contre la grille.
Nekebia regarda l'arme avec stupeur puis croisa à nouveau le regard de Sanzô. Il était toujours aussi fier mais mêlé d'un soudain espoir.
Sans hésiter plus longtemps, la jeune fille tendit la main à travers la grille, prit le revolver et visa l'homme borgne. Il était assez gros pour qu'elle l'ait du premier coup, sans risquer de blesser Sanzô.
PAAAN
L'homme tomba à terre, une balle dans la tête. L'autre comprit trop tard ce qu'il se passait, et eut le même sort que son compagnon. Son sang gicla contre le mur.
Sanzô resta silencieux quelques instants, puis donna un violent coup de pied dans la tête déjà bien endommagée de son agresseur. Ils étaient bel et bien morts. Quel soulagement.
Il s'approcha de la grille derrière laquelle était Nekebia, et se pencha vers elle.
« Nekebia ? » s'étonna-t-il.
« Sanzô !!! » s'exclama-t-elle en éclatant en sanglots. Ses petites mains avaient soudain prit celles de Sanzô et les avaient amenées vers son visage, contre des joues où coulaient à présent des larmes.
« J'ai eu si peur pour toi. » sanglota-t-elle. « Qu'est-ce qu'on fait là ? et pourquoi j'ai cet âge là ? »
Le jeune homme, encore choqué lui aussi, ne retira pas ses mains et laissa Nekebia les tenir tout contre son visage. La pauvre fille devait avoir aussi vécu pas mal de choses horribles. .mais ce n'était pas le moment de s'apitoyer. Il fallait sortir d'ici au plus vite.
Il retira doucement sa main et dit à la fillette :
« On va sortir de ce cauchemar, il est grand temps. J'imagine que quelqu'un t'a enfermée dans cette cave, non ? »
Nekebia jeta un rapide coup d'?il en arrière et répondit : « Oui. J'ai l'impression qu'ils me considèrent comme leur fille adoptive, mais ils me traitent plus comme une esclave qu'autre chose. l'entrée est dans l'autre rue. Il y a un gros homme et une vieille femme immonde. Et une fille vulgaire. »
Sanzô se releva et sentit sa vue se troubler, devenir très sombre. Une baisse de tension. Il s'appuya contre le mur et se mit une main sur son front brûlant.
« Ça va ? » demanda la jeune fille, inquiète.
Le bonze se contenta de soupirer et se détacha du mur. « Ça ira. Je vais essayer de te sortir de là mais ne reste pas plantée ici. quitte cette cave et retourne au rez-de-chaussée, j'arrive. »
Il ramassa son revolver et le rechargea. Une partie de sa robe de moine était en lambeaux, et ses bras étaient tailladés par de longues griffures rouges. Depuis combien de temps ne s'était-il pas reposé ? Un bon bain chaud lui ferait le plus grand bien. Il porta machinalement sa main dans l'une de ses manches mais ne parvint pas à trouver son paquet de cigarettes.
« Kso ! » pesta-t-il. Lors de la bagarre de tout à l'heure, le paquet avait dû tomber. Et étant donné les flaques de boues qui se trouvaient alors à ses pieds, les cigarettes ne devaient même plus être reconnaissables. Et ça n'allait pas arranger son humeur.
Il se dirigea tout de même vers la rue parallèle et reconnut aussitôt les gens dont lui avait parlé Nekebia. Ça n'allait pas être facile de parlementer pour reprendre la fillette. ici, il y avait un danger constant et il ne valait mieux pas causer de bagarres.
Il s'approcha du couple qui discutait à l'entrée.
« Excusez-moi. »
Les deux personnes se tournèrent vers lui et le regardèrent bizarrement.
« Qu'est-ce que tu veux ? » grogna le gros homme.
La femme fronça les sourcils en voyant les habits sales et déchirés de leur visiteur. « Encore un étranger ? » demanda-t-elle. « Ils ne sont pas les bienvenus ici. »
Bon. Ça commençait bien. mais après tout, il ne s'attendait pas à un accueil chaleureux. Il avait envie de leur lancer une réplique bien cinglante à la figure, mais dans ces conditions-ci, il ne valait mieux pas. Qu'est-ce qu'il allait pouvoir trouver comme prétexte pour voir la jeune fille ?
« Je.je cherche quelqu'un. Une jeune fille brune. Elle m'a dit qu'elle habitait ici. » L'homme bourru prit un air important et dit : « Ah, vous parlez de Jaïna ? cette petite peste habite sous notre toit, c'est vrai. Qu'est-ce qu'elle a encore fait !? »
Sanzô croisa les bras. « C'est mon problème. J'aimerais la voir pour qu'on s'explique. »
L'autre s'apprêtait à répliquer quand une jeune femme habillée très court et au visage trop maquillé sortit de la maison.
« Qu'est-ce qu'il veut à cette naine ? » demanda-t-elle à son père. Devant le silence de celui-ci, elle regarda leur visiteur de bas en haut et eut un sourire prononcé.
« Va, beau blond, t'occupe pas des vermines comme elle. t'as l'air d'être fatigué. ma chambre est tout prête à t'accueillir. »
Les parents ne réagirent même pas. Ce devait être monnaie courante par ici. Mais s'il y avait bien quelque chose que Sanzô ne supportait pas, c'était ce genre de réflexions.
« Pourquoi, y'a deux places dans une poubelle ? » répliqua-t-il.
Ses trois interlocuteurs devinrent rouges de colère.
« Qu'est-ce que tu as osé dire !!!? »
Ça y est, il n'avait pas pu s'en empêcher. De toute façon, il sentait que ça devait finir de cette manière. Mais que faisait Nekebia !? il attirait l'attention de ce côté-ci, elle devait donc pouvoir sortir de la cave sans problème.
Il vit bientôt une petite ombre se faufiler hors de la cave, à l'intérieur de la maison. Il fallait qu'il amène les trois personnes dans la rue pour ne plus qu'ils bloquent l'entrée.
Le jeune moine regarda les alentours. Personne. Parfait. C'est vrai, pourquoi se casser la tête alors qu'il y avait des moyens simples ?
Il dégaina son revolver et le pointa sur eux.
« Allez, avancez. »
Tremblant, le gros homme bégaya : « Mais. que. »
« POSEZ PAS DE QUESTIONS ET BOUGEZ DE LA !!! » s'énerva Sanzô.
Effrayés, ses interlocuteurs obéirent sans dire un mot et allèrent s'appuyer contre le mur à quelques mètres de là.
Nekebia se tenait maintenant dans l'embrasure de la porte et regardait la scène avec surprise. Puis un sourire satisfait se dessina sur son visage, et elle courut vers le jeune moine.
« Attention » lui souffla-t-elle. « Au bout de la rue. »
Sanzô regarda l'endroit indiqué par la jeune fille et vit trois grands hommes arriver. Nekebia reconnut deux d'entre eux : c'était ceux qui avaient frappé l'homme à la sortie du bar, et qui avaient tenté de lui courir après ! Elle ne savait pas qui était l'autre mais n'avait vraiment pas envie de faire connaissance.
Le père adoptif de Nekebia, voyant ces voyous, qu'il avait l'air de connaître, reprit soudain du courage et leur cria :
« Eh ! Jiko, Balden, Kernos ! par ici !!! »
Sanzô tira, et la balle vint se loger dans le mur, à quelques centimètres de la tête de l'homme, qui cria : « C'EST UN MALADE !!! »
Aussitôt, les trois compères qui arrivaient commencèrent à accélérer l'allure.
« Vaut mieux pas rester ici. » murmura Sanzô. « On cours ! »
Nekebia ne se le fit pas dire deux fois. Elle suivit le jeune homme à travers les rues sales de la ville, à toute allure, trébuchant parfois sur des ordures ou des gravas.
Restés près de leur maison, la petite famille les regarda courir. Puis la vieille femme s'adressa à son mari, sur un ton tremblant :
« Tu as vu. ce moine. tu as vu ses habits ? le sutra qu'il portait ? »
L'homme fronça les sourcils. « Ouais » répondit-il. « J'ai déjà vu ça quelque part. »
Dans sa course folle, Nekebia risqua un ?il en arrière et poussa un cri.
« Sanzô !!! Ils sont juste derrière !!! »
Le bonze regarda derrière son épaule et vit qu'elle ne se trompait pas. Ce n'était pas étonnant, ils devaient connaître la ville et ses raccourcis comme leur poche.
« Nekebia ! » lança Sanzô. « Tu connais bien la ville toi aussi, non ? qu'elle soit spectrale ou pas son plan reste le même. Tu saurais trouver une cachette, ou de quoi les semer ? »
« Sanzô, tu cours trop vite pour moi !. » s'exclama la jeune fille, essoufflée.
Le bonze l'entendait à peine. « Eh, tu réponds ? c'est important ! » cria-t- il. Le vent sifflait à ses oreilles. Son mal de tête empirait.
Mais personne ne répondit.
« Nekebia ? » s'inquiéta-t-il.
Il se retourna.
Et vit ce qu'il craignait. Les trois bandits tenaient la jeune fille en otage. Elle se débattait, mais ne parvenait pas à s'en sortir.
Nekebia plongea ses yeux dans ceux de Sanzô. On pouvait y lire le doute, la douleur. la résignation.
Non, elle n'allait pas encore se montrer faible. Il était mal en point et elle était en train de lui causer encore plus de soucis qu'il n'en avait. elle ne voulait pas être une charge pour lui. Une fois sortis de ce cauchemar, elle pourrait à nouveau montrer sa valeur, mais ici. Elle sentait les gros doigts de l'homme serrer sa petite gorge. Elle commençait à étouffer.
« Alors, le bonze, on rigole moins là, hein ? » commença un des hommes. « Tu sais que. »
Il ne fallait pas perdre espoir, elle pouvait encore s'en sortir. Elle sourit faiblement. Une idée, enfin.
Nekebia arrêta de s'agiter et cria de toutes ses forces. Un cri strident, à vous casser les oreilles. Son agresseur, interrompu dans sa phrase, grogna et mis sa main sur la bouche de la fillette.
« Voilà, parfait. » pensa-t-elle. D'un seul coup, elle mordit la main de l'homme de toutes ses forces.
« AAAARRGH !!! » cria-t-il en lâchant prise.
Nekebia lui donna un grand coup de pied dans le genou et se détacha de l'emprise du bandit.
Sanzô la vit le rejoindre à toutes jambes et soupira de soulagement. Plus rien ne pouvait maintenant l'empêcher de se débarrasser d'eux.
Celui qui semblait être le chef du petit groupe se jeta sur eux.
« Shi-ne !!! » cria Sanzô.
PAAN
Le corps fumant du bandit tomba à terre.
Les deux autres restèrent pétrifiés d'horreur et fixèrent le jeune moine.
« Vous vous cassez ou je vous sers la même chose ? » demanda Sanzô en pointant son revolver sur eux.
Les voyous détalèrent sans demander leur reste.
« C'est la fin, je crois. » soupira le beau blond.
La fillette le regarda et sourit. « Oui, je pense aussi. »
Une aura sombre les entoura peu à peu, et le noir se fit complet autour d'eux.
Une goutte. Nekebia ouvrit les yeux. La condensation sur la voûte de la caverne retombait sur son visage brûlant. Elle tourna la tête et vit Sanzô, les paupières à moitié closes, fixant le plafond rocheux au-dessus d'eux. Des perles de liquide froid glissaient sur son visage. Il souriait.
