Chapitre 18 : Au plus profond de nous
" Qu'est-ce que j'ai faim " soupira Gokû tout en courant aux côté des autres sur le chemin.
Hakkai le regarda mais ne dit rien. Il n'avait rien à lui donner à manger et il se sentait tellement fatigué d'un seul coup ! était-ce cette brume noire qui lui faisait cet effet ?
" On dirait que son truc commence à fonctionner ! " toussota Gojô en sentant ses jambes se faire de plus en plus molles.
Bientôt, plus aucun des trois amis ne put faire un pas de plus. Il s'affaissèrent, les yeux fermés, sur le sol boueux. Et entrèrent à leur tour dans un monde de cauchemars
* * * * * * *
Tout était étrange autour de lui. Le paysage semblait soudain se tordre, devenir flou, puis peu à peu, il redevint net. Hakkai ouvrit grand les yeux. Il était au milieu d'une foule compacte. Le bruit semblait étouffé
Mais soudain, une voix plus nette que les autres l'interpella.
" Gonô ! je vous retrouve enfin qu'est-ce qu'il vous a pris de partir ainsi ? "
Le jeune homme se retourna, et se retrouva devant une vieille femme aux habits de religieuse.
" Je m'inquiétais, Gonô. Je me disais que maintenant que vous étiez devenu un religieux, vous seriez plus sage et ne partiriez pas ainsi, soudainement, sans un mot et en quittant les enfants. Ils vous attendent ! "
Hakkai regarda sans comprendre la vieille femme repartir.
" Ne tardez pas ! " continua-t-elle tout en s'en allant. " Les enfants de l'orphelinat ont besoin d'être surveillés, et c'est bientôt l'heure de la prière. "
Le jeune homme s'aperçut soudain qu'il portait une longue tunique noire à col blanc. Lui, un religieux ? et cette ville il la connaissait ! Ces rues, oui, c'étaient bien celles qu'il avait connues durant son enfance lorsqu'il avait grandi à l'orphelinat.
Il regarda devant lui et posa ses yeux sur le grand bâtiment blanc.
CET orphelinat !
Mais que faisait-il ici ? pourquoi était-il un prêtre ? ça n'avait aucun sens mais tout paraissait si réel !
Il se dirigea cependant vers l'orphelinat. Il en apprendrait sûrement plus là-bas
Tous ces visages autour de lui, il les connaissait sans s'en souvenir vraiment. Comme une vague impression de déjà-vu
Puis, à mesure qu'il scrutait les visages des gens qui marchaient vers lui, la vision de l'un d'eux le fit se figer.
Une jeune femme brune, aux longs cheveux ramenés en tresse Elle lui sourit.
Il sourit à son tour, mais un frisson glacé le parcourut soudain. Non, ce n'était pas à lui qu'elle avait souri. C'était à une personne qui s'avançait vers elle qui la prend dans ses bras
Une personne qui ne lui est pas inconnue, loin de là. Ces longs cheveux rouge sang, cette griffure sur la joue
" Gojô ! "
L'homme se retourna.
Mais il ne sembla pas le reconnaître.
Hakkai jeta un regard paniqué vers la jeune femme. C'était bien elle, c'était bien Kanan que faisait-elle là ? et avec Gojô ?
" Kanan ! " cria cette fois Hakkai.
La jolie brune réagit à ce nom et se tourna vers lui. Un sourire illumina son visage, mais il ne semblait pas naturel, presqueforcé.
" Gonô ! oh, c'est toi Gonô je suis désolée, je ne t'avais pas vu " balbutia-t-elle.
Mais le regard que lança Gojô au jeune homme lui fit presque aussi mal que le sourire peu sincère de sa sur. Il ne le reconnaissait pas. Il le regardait comme un parfait inconnu.
" Ah, c'est donc ton frère, ce type ? depuis quand il connaît mon nom ? " marmonna le kappa d'une voix traînante.
" Oui, oui, c'est lui " répondit la jeune femme. " Il est prêtre dans cette ville mais je lui ai déjà un peu parlé de toi, tu sais. "
Elle se tourna vers lui.
Un air gêné apparut sur son visage.
" Gonô nous venions t'annoncer nos fiançailles. "
Hakkai crut sentir son cur s'arrêter.
" Gojô et moi avons décidé que notre amour était arrivé à maturité, et que nous pourrions vivre ensemble, comme un couple officiel. "
Laissant à peine Kanan finir sa phrase, le jeune homme aux cheveux rouges se pencha vers elle et l'embrassa.
Cet air heureux qu'ils eurent à ce moment là, cette lumière au fond des yeux, ces sourires de bonheur pur
Ça salissait tout.
Son amour pour Kanan.
Son amitié pour Gojô.
Tous ces sentiments étaient encore présents mais semblaient creuser un ravin entre eux et lui, un ravin dont la profondeur n'avait d'égale que celle de la souffrance qu'il éprouvait maintenant dans son cur et dans tout son corps.
Là où commençait le rayonnement de leur jour marquait le début de la plus profonde de ses nuits.
" Kanan " murmura-t-il.
Elle le fixa, attendant la suite.
" Je peux te parler seul à seule ? "
Une expression étonnée passa sur son visage, mais elle acquiesça en silence.
Il l'entraîna à quelques mètres de là, sous un châtaignier.
" Kanan ", commença-t-il, " Je ne sais pas ce qui se passe ici "
Il lui prit les mains. Elles sont bien là, douces et chaudes dans les siennes.
" Kanan " reprit-il, " Gojô est un ami à moi, et toi, tu es celle que j'aime. Tu ne te rappelles pas ? "
La jeune femme eut l'air choquée.
" Voyons, Gonô, tu es mon frère ! et tu es un religieux ! "
Tout cela n'avait aucun sens.
Un malaise ignoble le prit soudain, et des centaines d'images passèrent dans sa tête. Un poignard, du sang, Chin Isô, Kanan morte, des corbeaux, des cendres tout semblait plongé dans le néant, le noir complet puis une lumière dorée apparut. Un beau et chaud flot de lumière
Le jeune homme vit un visage apparaître. Des cheveux blonds comme le soleil, et un air réprobateur.
" Hakkai, reprends-toi ! " disait la belle voix profonde. " Trois divinités m'ont un jour dit de regarder la vérité avec " les yeux de mon cur " les trois quarts de ce qu'ils disent sont des conneries, mais il y en a bien deux qui valent quelque chose. Ça, et le fait qu'ils m'aient confié un crédit illimité pour le voyage "
Hakkai sourit.
Puis il ouvrit les yeux. Kanan était devant lui et paraissait inquiète.
" Gonô ? ça va ? "
Elle tendit une main pour l'aider, mais il la repoussa vivement.
" Mes yeux voulaient voir des choses que je ne peux plus voir " répondit-il faiblement.
La jeune femme avança d'un pas.
" Gonô, qu'est-ce que tu racontes ? "
Hakkai leva les yeux vers elle et murmura :
" Je m'appelle désormais Hakkai. Cho Hakkai. Tu étais ma sur et ma fiancée. Tu es morte devant mes yeux, de tes propres mains et de mon propre poignard. Gojô m'a recueilli alors que j'étais aux frontières de la mort, et j'avais tué, massacré, énormément de gens. Puis j'ai été jugé et sauvé par Sanzô, j'ai aussi rencontré Gokû "
Kanan soupira d'un air peiné.
" Tu dis n'importe quoi, qu'est-ce qu'il t'arrive ? "
Hakkai la regarda à nouveau dans les yeux.
" Tout semble si réel ici mais il est impossible que ce soit la réalité. Mon cur voit autre chose que mes yeux, et il me dit que tout cela est faux ! "
Le jeune homme vit soudain des larmes rouler sur les joues de sa bien-aimée. Mais le visage triste devint flou, et, peu à peu, s'estompa avec tout ce qui l'entourait.
" Qu'est-ce qui te donne cette force ? "
Ce fut les dernières paroles qu'il entendit de la bouche de Kanan, disparaissant avec l'obscurité.
Il ne restait plus désormais qu'un affreux mal de tête, et la terre humide contre son visage.
Il se sentait encore trop faible pour se relever, mais il vit en ouvrant les yeux que ses compagnons étaient encore à ses côtés. Mais ils dormaient encore
Soupirant, il laissa une nouvelle fois la lumière du soleil caresser son visage. Ce devait être ça qui lui donnait " cette force "
* * * * * * * * * *
C'était un désert de glace comme il y en avait peu dans la région.
" Sanzô, j'ai faaaaaaim ! "
Gokû ouvrit les yeux. Pas de coup de baffeur, accompagné d'un " Urusei, bakasaru ! " ?
Un vent froid lui fouettait le visage.
Mais pas de Sanzô, ni personne d'autre d'ailleurs.
" Mince, c'est vrai " se souvint le garçon. " Un démon nous a poursuivi, Sanzô est parti par un autre chemin, et j'ai rencontré Gojô et Hakkai. Et puis "
Et puis quoi ? il ne se rappelait plus. Sa tête lui faisait mal, c'est tout et son ventre criait famine. Le garçon se releva et regarda tout autour de lui. Un désert la glace, le gel, et l'horizon à perte de vue.
" Mais qu'est-ce que je fais là, moi ?! "
Par où partir ?
Il regarda le ciel. Il ne lui avait jamais paru aussi vaste Et le soleil était masqué par des nuages gris. L'odeur qui flottait était étrange, on aurait dit la poussière, la mort étrangement, lorsque le jeune youkai imaginait la guerre, il la voyait toujours se déroulant dans une vaste plaine froide comme celle-ci, et un ciel gris et lourd de nuages, comme cachant tout espoir d'une lumière nouvelle
Soudain une ombre se dessina devant lui. Elle avançait vers lui, sortant des brumes, paraissant plus nette à mesure qu'elle approchait. Une pensée frappa Gokû au moment même où il ouvrit la bouche.
" Nataku ! "
Il avait crié ce nom sans même s'en rendre compte. Qui était ce garçon devant lui ? Comment savait-il son nom ? Il avait l'impression de l'avoir déjà vu quelque part, mais cela semblait enfoui au plus profond de sa mémoire Des idées le traversaient à toute allure. Ce garçon. Son visage. Ses yeux qui ressemblaient aux siens. Cet air triste. Ce sabre à sa hanche. Et la guerre qui il lui allait si bien
" Viens " murmura la silhouette du garçon, en tendant une main.
Gokû écarquilla les yeux. Il n'arrivait pas à détacher ses yeux de cette main tendue Car maintenant, étrangement, il se rendait compte que la première personne qui l'avait sorti des ténèbres, ça n'avait pas été Sanzô
ça avait été ce garçon.
Qui lui avait sourit quand tout était froid autour de lui.
Qui lui avait pour la première fois fait entendre un rire sincère.
Qui lui avait parlé comme à un égal, et non comme à un animal ou à un gosse.
Qui lui avait montré que le temps, même infini, était précieux.
Mais tout était flou dans son esprit. Il ne sentait que des impressions lointaines, et ne voyait que des flash confus et entrecoupés pourquoi maintenant ? pourquoi ici ? pourquoi lui ?
" Viens " dit à nouveau Nataku d'une voix atone. " Il est grand temps. On a trop attendu "
Gokû le regarda et s'approcha lentement. " J'ai l'impression de te connaître, mais "
Nataku sourit faiblement et répondit : " C'était il y a longtemps. Nous étions amis, là haut Mes capacités ont été altérées, tout comme les tiennes "
Gokû continuait d'avancer vers ce visage amical mais si triste Vers cette main tendue. Mais le vent commençait à souffler, l'empêchant de marcher aussi vite qu'il l'aurait voulu. Il avait mal aux jambes, aux bras au visage, fouetté maintenant par la grêle qui commençait à tomber
" Je n'ai presque plus de forces, moi non plus " murmura Nataku en voyant Gokû peiner. " Je devrais être figé. Je le suis. Mais mon esprit, lui, continue à son débattre sans jamais pouvoir se libérer "
Gokû avança d'un pas de plus. La neige lui recouvrait maintenant les pieds. Il y était presque.
" C'est mon esprit que tu vois. Il n'y a plus que lui qui ait assez d'énergie pour communiquer Depuis des siècles j'ai attendu ce moment. J'ai amassé, jour après jour, de l'énergie psychique pour pouvoir promener mon esprit sur la surface de cette planète. Pour te chercher. Pour te trouver. Pour te dire que même figé, je serai toujours là pour mon seul et unique ami "
Gokû n'avait plus de forces. La douleur qu'il ressentait dans tout son corps était infernale. Mais la main était là, si proche à présent
Il tomba à genoux dans la neige.
" Un jour tu viendras me sauver, hein ? " demanda Nataku faiblement. " Tu reviendras au ciel me libérer et on jouera comme avant. On se cachera dans les arbres tu seras là, hein ? "
Gokû sentait les larmes perler à ses yeux. Sa gorge était nouée, mais il tendit faiblement la main vers celle du jeune dieu.
Mais elle la traversa.
Les larmes de rage redoublèrent.
Nataku sourit tristement.
" Je suis un esprit "
Peu à peu, sa silhouette devenait de moins en moins nette. Son énergie faiblissait
" Je n'aurai plus qu'un souhait à faire "
Gokû releva la tête, l'interrogeant du regard.
" Je voudrais connaître le nom de mon seul ami " souffla Nataku presque imperceptiblement.
Gokû sourit à travers ses larmes.
" Je m'appelle Gokû Son Gokû. "
Nataku sourit tristement et continua de fixer son ami, pendant que sa silhouette disparaissait dans la brume.
" Je t'attendrai Gokû "
Puis tout devint noir.
