Chapitre 3: 12 ans

Maintenant, Ghamina va à la petite école de son quartier et suit à coté l'enseignement des Pretres du Temple Aqua. Isaak aussi abandonné les études d'Invokeur et va maintenant à l'école du Dome. Ils se voient souvent, plusieurs fois par semaines.Aujourd'hui, il l'attend à la sortie de l'école. Ce n'était pas prévu, mais Ghamina a l'habitude des fantaisies d'Isaak. En s'approchant, Ghamina voit sur son visage un grand trouble au lieu du sourire moqueur qui le caractérise. Il ne la regarde pas et hésite un peu avant d'annoncer brutalement: " Ton père est mort."
Ghamina reste figée, refusant de croire ce qu'il lui annonce.
Isaak: "Il accompagnait un détachement de soldats à la Plaine Foudroyée pour exorciser les monstres. Ils ont été attaqués par un régiment de Bevelle. On ne sait pas pourquoi, mais il y a eu une grande bataille....et il n'y a aucun survivant."
Isaak regarde Ghamina toujours immobile et silencieuse avant de continuer: "C'est mon père qui me l'a dit.... et aussi qu'ils n'enverront pas de pretres là-bas pour la cérémonie d'Envoi..."
Là, elle réagit: "QUOI?!!"
Isaak: "C'est trop dangereux...."
Ghamina: " Alors..ils vont devenir des Errants...ou des monstres....Non! je ne veux pas! Je ne veux pas que Papa devienne un monstre! Je ne veux pas qu'il souffre! Je veux qu'il repose en paix!"

Bousculant Isaak au passage et laissant son sac derrière elle, Ghamina part en courant dans la rue. Le jeune garçon essaye de la rattraper, mais elle court si vite qu'il a peine à la suivre. Avec inquiétude, Isaak voit Ghamina s'engager sur les pentes du Mont Gagazet. Mais quand il veut la suivre, une grosse main bleue l'attrape et le soulève sans effort, le stoppant dans sa course. Un des Ronsos gardant le Gagazet, Kimahri, a intercepté le jeune Prince.
Kimahri:"Prince Isaak pas aller dans montagne, doit rester à Zanarkand. Soldats de Bevelle rodent dans la Plaine."
Isaak: "Lache moi, Kimahri! Je dois rattraper Ghamina! Elle est partie par là!"
Kimahri: "Fille passer très vite. Trop vite pour Kimahri. Mais Kimahri ne laissera pas passer Prince Isaak."
Le Ronso repose à terre le jeune homme qui tapes rageusement du pied par terre.
Isaak: "J'en ai marre! Je passe mon temps à lui courir après."
Le Ronso pose affectueusement sa grande main sur la tête blanche du petit Prince.
Kimahri: "Patience. Pour attraper fille du Vent, beaucoup courir, beaucoup de patience."

Trébuchant dans la neige, bousculée par le vent, Ghamina progresse difficilement sur les pentes. Le froid mordant des sommets lui fait reprendre ses esprits, et Ghamina appelle sa Soeur. Le Grand oiseau déploie ses nombreuses paires d'ailes et stoppe la course du Vent autour d'elle. Ghamina saute sur le dos de l'oiseau qui s'envole contre le vent. Portée par le puissant battement des ailes, Ghamina voit sous ses pieds défiler les pics du Gagazet, puis le vert de la Plaine et le bleu de Macalania. Elle fait se poser l'Oiseau et s'enveloppe de Vent comme d'une cape. Elle a conscience du danger et des soldats qui rodent. Mais le salut des morts passe au-delà de sa peur.
Ses pas hésitants l'amènent vite sur le sol pierreux de la Plaine Foudroyée. Les lourds nuages obscurcissent la vue comme en pleine nuit, et seuls les éclairs fréquents illuminent la Plaine. Très vite, Ghamina repère les vestiges de la bataille: trous calcinés d'explosion, machines éventrées et fumantes, cadavres éparpillés. Toute la plaine devant elle en est recouverte, corps inertes et méconnaissables, baignant dans la cendre et le sang qui stagne sur le sol rocheux. Ghamina appelle doucement: "Papa...papa..." mais elle se tait vite, la gorge nouée par tout ce qu'elle voit.
Cramponnée à son baton d'Invokeur tout neuf, la petite fille s'arme de courage et entreprend de chercher son père parmi les corps. Elle cherche pendant des heures, pataugeant dans le sang, la gorge asséchée par la fumée. Mais comment retrouver quelqu'un dans cette multitude de corps sans vie et mutilés. Ghamina n'arrive même pas à distinguer les gens de Bevelle de ceux de Zanarkand. La nuit tombante vient compliquer la tâche de la jeune fille, qui bientôt ne voit même plus où elle marche.
L'odeur de métal et de sang, l'obscurité de plus en plus profonde, son père introuvable, commencent à saper la détermination de Ghamina. Le désespoir et la panique finissent par la submerger et elle s'effondre à genoux par terre, roulée en boule sur elle-même en pleurant silencieusement.

Renfermée sur sa douleur, elle ne ressent plus rien du monde extérieur, jusqu'à ce qu'elle soit heurtée par quelque chose et qu'elle tombe sur le coté. Le quelque chose, ou plutôt le quelqu'un qui lui est rentré dedans est tombé lui aussi, sur Ghamina. Dans le noir total, les deux personnes à terre se dépêtrent comme ils peuvent. Et Ghamina s'accroche à ce qui est sûrement un bras, rassurée par la présence d'un autre humain. Le bras tremble lui aussi et essaye de se dégager.
Ghamina gémit:" Ne partez pas...."
Le bras se fige: "Une fille...?" c'est la voix d'un jeune garçon, sans doute à peine plus agée qu'elle. La vois continue: "Tu t'es perdue?"
Ghamina: "Je cherche... mon papa. Mais je n'arrive pas à le retrouver."
La voix reste un instant silencieuse avant de répondre: "Moi, je cherche mon grand frère."
Le silence retombe sur la Plaine, mais un éclair tout proche fait sursauter les deux enfants. Dans l'éclat de lumière soudain ils se sont vus et...
Ghamina recule de terreur en hurlant "Bevelle!!!". En face d'elle, le garçon a eu la même réaction: "Zanarkand!". Puis la nuit a ré envahi la Plaine. Ghamina terrorisé appelle la plus puissante forme de Soeur et les ailes de l'oiseau de Vent apparaissent, baignant les alentours de leur lumière irréelle. Cet éclairage insolite permet aux deux enfants de s'observer attentivement, avec méfiance, sans oser bouger. Lui, il a la peau bronzée des gens du Sud, les cheveux d'ébène, des yeux bruns, mais très doux, dans un visage aux traits calmes. Il est recouvert d'un grand manteau Vert, détrempé par la pluie continuelle. Il a 12 ou 13 ans apparemment. Elle, elle a la peau blanche comme la neige, de longs cheveux châtains, retenu en queue-de-cheval et tressés sagement. Ses yeux sont de glace et d'océan délavés, pâles comme le Nord. Ses vêtements de voiles légers sont maculés de sang et de cendres. Il est de Bevelle, elle est de Zanarkand. Sur cette plaine, les deux villes se sont battues et entretuées.

Mais dans ce champ de cadavre silencieux, ils se reconnaissent tellement semblables par leur peine que toute animosité s'envole. Le jeune homme regarde autour de lui d'un air désemparé. Il semble réaliser l'impossibilité de retrouver quelqu'un dans ce charnier. Avisant le baton dans les mains crispées de Ghamina, il lui demande avec une note d'espoir:" Tu es Invokeuse?"
Ghamina: "Non...."
Il a l'air déçu. Ghamina poursuit: "Je suis Mage blanc, pretre des morts."
Il la regarde d'un air suppliant: "Tu pourrais ... faire une cérémonie d'Envoi?"
Ghamina: "Ici?"
Lui:"Oui....pour mon frère, pour ton père...je sais que tu n'as pas le droit de faire de cérémonie pour les gens de Bevelle, mais..."
Ghamina: "Dans la mort, tous sont semblables. Je voulais envoyer mon père...mais en fait, je vais tous les Envoyer dans l'Au-Delà. Tous les morts ont droit au Repos et à la Paix."
Alors Ghamina commence à danser, tandis que les lueurs des âmes se détachent des corps pour illuminer la plaine de leur lueur blanchâtre. A terre, l'eau de pluie, mêlée de sang et de cendres frémit. Tournant sur un rythme lent, les pieds de Ghamina se posent sur les flaques rouges et noires, les entrainant dans sa danse. Le tourbillon s'élève, écarlate, emmenant dans sa spirale les âmes défuntes pour leur dernière destination.

A la fin de la danse, le garçon sèche ses larmes. Ghamina n'a pas pleuré.
Ghamina: "Je dois me laver.. je suis toute sale.."
Lui: " Il y a un petit lac, à Macalania. Je vais te montrer."

C'est la première fois que Ghamina pénètre sous les feuillages bleutés de Macalania. Les grands arbres millénaires et le son cristallin baignant la foret enchantent la jeune fille et atténue momentanément son chagrin. Le jeune garçon lui fait prendre de petits sentiers qu'il connait apparemment très bien.
Ghamina: tu t'appelles? Moi c'est Ghamina Magus."
Lui: " Je m'appelle Baralai."

Ils arrivent bientôt au petit lac d'eau bleutée, et Ghamina s'y plonge tout habillée avec soulagement. Baralai reste sur le bord, trempant juste ses pieds dans l'eau. Une fois débarrassée de tout le sang, Ghamina sort de l'eau et se laisse sécher par le Vent avant d'aller s'asseoir à coté de Baralai. Ils restent silencieux longtemps, puis la conversation démarre, sur leurs défunts, sur les Invokeurs et les machines, sur Zanarkand et Bevelle. Ils parlent longtemps. Au moment de se séparer, ils prennent rendez-vous pour se revoir, un autre jour, au même endroit.
Baralai récupère son glisseur caché un peu plus loin et s'engage sur la route de Bevelle. Ghamina monte sur son oiseau et s'envole vers Zanarkand, suivant du regard le petit point blanc du glisseur sur la route aussi longtemps qu'elle le peut. Quelques battement d'ailes suffisent pour que Soeur atteigne les cimes du Gagazet et Ghamina la fait se poser, puis elle descend à pied vers la ville endormie.
Elle est perdue dans ses pensées quand la haute silhouette d'un Ronso veillant sur une petite forme noire plus bas attirent son regard. Assis aux pieds de Kimahri, enveloppé dans sa cape noire, Isaak l'attend en bas de la piste. Dès qu'il la voit, il accourt à sa rencontre et lui prends la main.
Isaak: "Tu es toute froide."
Ghamina prend alors conscience de ses membres engourdis par le froid et elle frissonne. Sans lui laisser l'occasion de refuser, Isaak lui passe sa cape autour des épaules avant de l'entraîner dans la ville. Il ne sait pas quoi dire pour la réconforter tandis qu'il la ramène chez elle, sa main froide serrée dans la sienne. Il reste silencieux pour ne pas la déranger. Il doit etre patient.

Chapitre 4: 14 ans

Depuis deux ans maintenant, le conflit entre Zanarkand et Bevelle ne cesse de se durcir. C'est une guerre d'usure, longue, quelques accrochages locaux entrecoupés de longues périodes de calme.
Ghamina est maintenant apprentie technicienne et pretresse des morts presque accomplie. Elle travaille souvent au temple pour aider financièrement sa mère. Depuis la mort de son père, la mère de Ghamina a repris son travail d'Invokeur pour subvenir au besoin de ses quatre filles. Elle part souvent en mission, laissant les cadettes à la garde de l'aînée.

Isaak et Ghamina se voient souvent, d'abord au temple, où il l'aide à accomplir les cérémonies mortuaires en la protégeant des monstres en formation, puis pendant leurs sorties dans tous les lieux de loisirs de la ville. Isaak ne perd jamais une occasion pour l'inviter et lui faire des cadeaux qu'elle n'arrive pas à refuser. C'est officiellement sa "petite amie", maintenant, et c'est ainsi qu'il l'a présentée quand il l'a emmené visiter le Dome du palais royal. C'est aussi à cette occasion que d'autres jeunes nobles ont remarqué cette belle jeune fille aux yeux de glace.

De temps en temps, Ghamina part seule sur le Mont Gagazet. Elle s'enfonce dans les souterrains secrets jusqu'à la Crypte, puis gagne la Chambre de l'Au-delà, cette plate-forme rocheuse qui donne directement sur le monde des morts, comme à Guadosalam. C'est là que les vivants viennent pour prier devant l'image de leurs morts crées par les furo-lucioles à partir de leurs souvenirs. Discrètement, Ghamina se glisse de la plate-forme et se laisse tomber dans l'Au-delà et ses champs de fleurs bleues violettes. Nul autre qu'elle ne s'y risquerait, les ames des morts et les nuées de furo-lucioles pouvant rendre fou n'importe qui. Mais Ghamina enveloppée par Soeur ne craint rien des souvenirs et des rêves.

Une fois en bas, elle s'envole et guide l'oiseau dans les cavernes et boyaux creusés dans le coeur de Spira, tous reliées à l'Au-delà. Elle ressort à l'air libre à l'extrémité Sud de la Plaine aux Loups, dans une caverne secrète découverte par hasard un jour où le glisseur de Baralai s'était emballé. C'est là qu'elle et Baralai se retrouvent, en secret. Avec les soldats patrouillant en permanence, il était devenu impossible de se retrouver à la source de Macalania, et même n'importe où à l'air libre.
Depuis qu'elle apprend la mécanique, Ghamina parle souvent de machines avec Baralai. Ils comparent les techniques de Bevelle et Zanarkand , s'inventent des machines combinant les deux et explorent ensemble les profondeurs de Spira avec, sans jamais oser monter à la surface. Pour Ghamina, la vie est redevenue paisible, mais la guerre va de nouveau la frapper.

Quand elle ramène ses soeurs de l'école, Ghamina voit devant sa porte Isaak qui l'attend. Elle voit à son attitude qu'il est une fois encore porteur de mauvaises nouvelles. Effectivement, il annonce avec sa franchise habituelle la mort de la mère des quatre soeurs. Les trois cadettes agées de 11, 12 et 13 ans se mettent à pleurer, alors que Ghamina reste silencieuse. Puis elle demande à mi-voix: "La cérémonie?"
Elle ne peut pas pleurer, elle ne doit pas. Elle doit être forte pour soutenir ses soeurs.
Isaak: "Le corps a été rapporté et l'Envoi aura lieu lors d'une cérémonie commune avec les autres victimes au Temple du quartier militaire."
Ghamina ferme les yeux, soulagée. Sa mère aura une cérémonie mortuaire digne de ce nom, au moins. Isaak et Ghamina guident les trois plus jeunes jusqu'à la chapelle militaire. Elles resteront là toute la nuit, jusqu'à la fin de la Veille. Isaak aussi.
Ghamina réalise qu'elle est maintenant complètement seule pour s'occuper de ses soeurs. Elle n'a plus d'autres familles, plus d'autres ressources. Elle va devoir travailler, plus.
Les quatre orphelines sont rentrées chez elles à l'aube. Les trois plus jeunes se serrent les unes contre les autres sur le canapé du salon, épuisées par les larmes. Ghamina est dans la cuisine pour préparer des boissons chaudes et un petit-déjeuner pour elles et Isaak. Elle doit annoncer à ce dernier une décision qui ne lui plaira pas.
Ghamina: "Isaak, je suis désolée...mais je n'irais pas avec toi à Luca."
Il la regarde sans comprendre. Il s'était attendu à la voir abattue, pleurante, mais elle lui parle tranquillement de leurs vacances.
Ghamina: "Je vais travailler pendant les vacances. Et les dimanches aussi. Je crois... que nous ne nous verrons plus..."
Isaak: "Je ne comprends rien à ce que tu racontes, Ghamina. Tu crois que c'est le moment....?"
Elle est presque aggressive quand elle réplique:" Il faut que je gagnes ma vie, moi!"
Elle veut penser à autre chose. Elle s'accroche aux petits détails de la vie. Il le faut, elle ne doit pas laisser le desespoir l'envahir. Elle pourrait.... en mourir.
Surprenant Ghamina, Isaak la tire contre lui par la taille et la tient fermement dans ses bras.
Isaak: "Ghamina, s'il le faut, je te payerais tous le temps qu'on passera ensemble. Mais ne me quittes pas.... s'il-te-plait."