Chapitre trois : l'Histoire
-Entre Doysa mon cher ami.
La voix, cruelle et sombre, froide comme la mort, poussa l'homme à obéir. La crainte révérencielle qu'il éprouvait pour son maître, ne pouvait qu'égaler l'aversion et la peur que celui-ci lui inspirait.
-Notre plan va bientôt être mis en place.
-Oui maître.
De sa main gantée, la créature tendit un verre à l'homme assis en face de lui. Un liquide brun, où la lumière des torches qui illuminaient faiblement la pièce, se refléta, permettant à l'homme de voir son visage. Couvert de cicatrices, marque d'un passé de combats et de blessures, semblaient toutefois moins effrayant que les yeux de cet humain. Une pupille noire, sans expression autre que la haine, s'entourait d'un œil blanc où la rougeur de la fatigue apparaissait.
-Bientôt, les enfants vont quitter leurs mondes et l'abri qu'il leur procure. Tu devras alors accomplir ton travail.
-Je le sais.
-Ton bras ne faiblira pas, je le sais. Tu sais ce qui t'en coûteraient sinon pas vrai ?
-Oui, maître. Je le sais
-Alors trinquons à ta réussite. Et à la République des Cieux !
L'être éclata d'un rire tonitruant, sombre et sans joie.
Doysa leva son verre jusqu'à ses lèvres et le liquide coula, chaud et fort.
Le meurtre avait été toute sa vie. Maintenant qu'il allait devoir tuer deux enfants, il se demandait ce que cet acte lui procurerait comme sensation. La douleur ? La joie ? La peur ? Bah, il s'en moquait. Il accomplirait son travail, un point c'est tout.
La nouvelle que l'être magique venait d'annoncer donna une claque à chacun.
-Vous êtes...Un Dieu ? Comme l'Autorité ? dit Lyra
L'ange poussa un profond soupir.
-Non, je ne suis pas un Dieu. Mais pour que vous compreniez, je dois vous raconter toute l'histoire.
Son visage sembla se transformer peu à peu. Des rides de tristesses et de joie se mêlèrent sur le visage sans âge.
-Tout à commencer il y a bien longtemps, bien plus que tout ce que vous pouvez imaginer. Mon peuple, les Erashen, étaient alors les êtres les plus avancés sous toute les formes : intelligence, pouvoirs, longévité... Notre monde commençait à s'effondrer sous la surpopulation qui l'habitait. Les hommes, les créatures et les anges se multipliaient à une vitesse folle. Lorsque nous avons ouvert pour la première fois un passage vers un autre monde, nous avons découvert une multitude de mondes inhabités. Nous avons donc résolu de répartir les populations sur des mondes différents, afin d'éviter la disparition totale de toute les races devant l'énormité de la situation.
-Quel était votre monde d'origine ? demanda Will.
-Je suis sûr que tu le sais, mon garçon.
-Citagazze, pas vrai ?
-Exactement. Nous avons donc laissé les peuples se déverser dans d'autres mondes que le notre afin de leur permettre de survivre. A cette époque, les Erashen étaient encore nombreux, et ce transfert se passa sans aucune anicroche notoire. Lorsque le transfert s'acheva, une terrible menace se répandit sur les Erashen, les décimant peu à peu. Un seul y survécut, moi.
-Ne me mentez pas, je le sais quand vous mentez, coupa Will. Notre ennemi est un Erashen aussi, pas vrai ?
L'être, une de fois plus, eu un sourire triste.
-En quelques sortes. Votre adversaire a été rejeté de la société des Erashen. Il a été banni, puis exilé. Comment l'as-tu su ?
-Votre visage. Quand vous en avez parlé la première fois, votre visage s'est empreint d'une douleur sourde. J'en ai déduit que vous connaissiez personnellement cet ennemi.
-Il était autrefois mon frère. Il n'est plus aujourd'hui qu'un fou assoiffé de pouvoir. Les Erashen sont un peuple non violent, pacifique et pacifiste. Seul Kilarion, mon frère, a eu la folie de s'opposer à cette coutume. Il voulait que les Erashen prennent le contrôle des races qu'il traitait d'inférieures grâce à leurs pouvoirs. La folie avait emporté son esprit fragile.
-Comment des Dieux ont-ils pu mourir, s'enquit Serafina.
-Je vous l'ai dit. Nous n'étions pas des Dieux. Seulement un peuple irresponsable. Des Dieux, nous possédions les pouvoirs et la longévité. Mais il nous manquait sagesse et réflexion. Notre peuple, bien que vivant extrêmement longtemps, n'était pas pour autant immortel. Une maladie décima notre peuple, comme je vous l'ai dit tantôt.
-Que s'est il passé ensuite ? le poussa Will.
-Les Anges, devant la disparition des Erashen, ont estimé qu'ils devaient poursuivre leur œuvre. Ce fut la première génération d'ange qui sombra dans la folie de Kilarion, servant par là même son dessein.
-Quel dessein ?
-Le chaos. Le chaos total et destructeur, répandant ainsi la souffrance et la tristesse, afin de pouvoir apparaître en sauveur et que les peuples le suivent aveuglément dans sa démence. Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Mon frère avait alors des disciples de chaque peuple à son service. Il en envoyant un dans chaque monde qu'il pouvait atteindre. Les Erashen n'avait pas tous le pouvoir d'ouvrir une fenêtre. Lui l'avait. Il a ensuite fait bâtir la Tour des Anges et créer le Poignard Subtil, permettant à ses troupes de se répandre dans tous les mondes tels des loups affamés. Il a également permis l'avènement de l'Eglise tel qu'on la connaît, ainsi que tout les méfaits qu'elle a accompli ces dernières années. Peu importe le nombre de victime. Plus grands seront la rébellion et l'appui qu'il aura de la part du peuple. Mais vous avez contrarié ses plans en tuant l'Autorité, son Régent (l'envoyé chez les anges de Kilarion) et renversé l'Eglise.
-Pourquoi n'est il pas intervenu ? demanda Lyra. Il aurait pu empêcher tout ça si il avait voulu, vu ses pouvoirs.
-Il ne le pouvait pas. Son intervention aurait favorisé l'Eglise et l'Autorité, et révélé en partie son plan final. Les peuples ne lui auraient portés de soutient si tel avait été le cas. Voila, l'histoire est terminée, vous savez tout. Comment as-tu su que je n'étais pas qui je disais être, Will ?
-Je ne savais pas. La méfiance de Kir à votre égard m'a fait comprendre que peut être vous mentiez. Alors j'ai dit que vous n'étiez pas la Poussière. La Poussière est consciente, c'est vrai. Mais si elle avait pu prendre une forme, elle l'aurait fait avant, quand on l'a sauvé par exemple. Mais tout ça n'était que des suppositions. Si vous étiez honnête et bienveillant comme vous le prétendiez, vous alliez révéler la vérité. Ce qui s'est passé.
Le Erashen sourit au jeune homme et dit d'une voix plus aigue.
-Mais sache, Will, que je ne t'ai pas mentit. Je suis la Poussière.
-Comment ça ? s'enquit Kirjava.
-Nous sommes tous fait de Poussière. Vous et moi, les créatures, les anges. Tous. Je suis vous, et vous êtes moi. Je suis la poussière.
Sa voix mourut sur cette dernière phrase et il disparut dans une volute de fumée.
-Il m'énerve à faire ça ! J'aimerais bien savoir comment il s'y prend ! grogna Pan.
-Les runes, dit Serafina, plus pour elle-même qu'autre chose.
-Les ruines ? dit Lyra.
-Non, Lyra, les runes. Nous, sorcières, utilisons le pouvoirs des paroles. Les Erashen semble utiliser le pouvoir des runes, les symboles, les gestes.
-Comment le sais tu ? s'enquit Mary.
Will sursauta. Dans la confusion, il en avait oublié la présence de Mary.
-Lorsqu'il a disparut, il avait ses mains cachées derrière son dos. Puis j'ai vu pendant quelques secondes un symbole briller là où il se trouvait quelques instants plus tôt. J'e déduit que ce sont les runes.
Lyra sembla ne rien comprendre à ce que disait la sorcière. Le regard dans le vague, elle réfléchissait et ne disait rien.
-Et maintenant, dit elle enfin. On fait quoi ?
Will haussa les épaules. Il ne savait pas plus qu'elle ce qu'ils devaient faire à présent.
-Je pense qu'on devrait passer dans ton monde, pour commencer.
-Pourquoi, demanda Mary.
-Si un tueur est à nos trousses, dans notre mondes nous risquons plus gros. Les armes à feu sont courantes et plus précises qu'un couteau.
-Mais si il veut nous tuer avec une « larme de feu », comme tu dis, il s'en moqueras bien d'être chez toi ou chez moi !
-Non, Lyra. Une arme à feu. Et n'oublie pas que son maître doit tout faire pour que notre meurtre passe inaperçu. Sans quoi, son plan échouera.
-Tu as probablement raison, dit Pan. Passons dans l'autre monde.
-Bonne chance, dit Mary.
Lyra se retourna vers elle, les yeux embués de larmes.
-Vous ne venez pas avec nous ? s'étrangla-t-elle.
-Non, Lyra. Je dois veiller sur la mère de Will. Et je ne crois pas devoir...
Elle s'interrompit, une main sur son cœur, le souffle court. Haletante, elle redressa la tête.
-Je...Je crois que je viens en fin de compte.
-Comment ? Pourquoi ?
-J'ai ressenti comme une main qui se referme sur mon cœur. Mon daemon me fait savoir que je dois vous accompagner. Je ne sais pas quel sera mon rôle là-bas, mais je dois venir !
Elle reprenait peu à peu son souffle, difficilement. Will l'a prit par un bras, Lyra de l'autre côté, et ils suivirent Serafina qui passaient à travers la fenêtre sur le monde de Lyra. Will lâcha la jeune femme une fois sur le toit et se retourna pour refermer la fenêtre. Sa mère, sur le palier le regardait d'un air triste.
-Maman, tu va mieux pas vrai ?
Mme Parry acquiesça et sourit à son fils.
-Vas-y, je me débrouillerais, assura-t-elle.
Will pinça les bords de la fenêtre et son monde se referma sur sa mère, pleurant à chaudes larmes.
