Chapitre quatre : La carte.

La fenêtre refermée, Will se retrouva sur un toit, en compagnie de Lyra, Mary et Serafina.

-Où on est ? Qu'est ce qu'on fait sur ce toit ?

-On est à Jordan Collège. Enfin, sur Jordan Collège, rectifia Lyra. C'est ma maison.

Will parcourut du regard le toit. Il s'éloignait au loin, en direction de l'horizon, sur plusieurs centaines de mètres, peut être des kilomètres.

-Et maintenant ? demanda Will.

-Je ne sais pas. J'interroge l'aléthiomètre ? proposa Lyra.

Serafina acquiesça et la jeune fille sortit l'objet précieux.

-Et je demande quoi ?

-Ce qu'on doit faire, dit simplement Will.

Lyra acquiesça et se plongea dans l'état de transe nécessaire à la compréhension de l'instrument. Elle bougea avec dextérité les petites aiguilles, et la réponse apparut peu à peu. Enfin, elle cligna des yeux pour se sortir de sa transe et transmit la réponse.

-Il dit qu'on est dans le bon monde, sans y être tout de fois. Il dit aussi qu'on doit laisser faire les événements et dire la vérité. C'était assez confus, désolé, s'excusa-t-elle.

-Pas de problème, assura Mary devant l'air défait de la jeune fille.

-Et si on descendait, suggéra Will.

Il n'avait jamais eu le vertige, mais il n'aimait pas non plus crapahuter sur les toits. Lyra les conduisit jusqu'à une porte qui s'ouvrait sur un escalier de bois, et qui disparaissait dans la pénombre de la pièce en dessous.

-Suivez moi, ordonna-t-elle.

Elle entra avec sûreté dans la cage sombre et descendit de quelques marches, suivie de Mary, Serafina et enfin Will. Elle interrompit sa descente au bout de quelques marches et chercha quelque chose à tâtons. Puis elle alluma une lampe à naphte, ce qui diffusa une faible lumière, mais suffisante pour voir les marches.

-On va sortir dans un couloir. Laissez moi parler, d'accord ?

Tous acquiescèrent et la descente reprit. Au bout de quelques instants, ils débouchèrent en effet à l'air libre, dans un long couloir. En face d'eux se tenait un vieil homme. Will pouvait le détailler clairement d'où il se trouvait. Vêtu d'une sorte de soutane de prêtre noire, qui lui descendait à mi-mollet, il portait de petites lunettes rondes, et des chaussures vernies. Il émanait de l'homme une bonne odeur d'après-rasage, et une aura de gentillesse. Son visage, la surprise passé de voir apparaître quatre personnes au lieu de Lyra seule, s'éclaira d'un sourire de bienvenue méfiante.

-Qui nous ramènes tu là, Lyra ? demanda le maître.

-Maître, vous vous souvenez de mon histoire il y a deux ans. Avec Lord Asriel, l'Autorité et tout et tout ?

-Oui bien sûr. Jamais je ne pourrais l'oublier mais...

-Et bien voici Serafina Pekkala, reine des sorcières du lac Enara, Mary Malone, uns savante du monde Will, l'équivalent féminin de nos théologiens expérimentaux, et bien sûr Will.

-Le porteur c'est ça ?

Il tendit une main au jeune homme et Will la serra. Il sentit la main de l'homme ferme, mais douce. Il n'avait sûrement pas beaucoup travaillé de ses mains. Il salua ensuite Mary et Serafina.

-Et puis je savoir ce que vous faites à Jordan, sans être discourtois ?

-Et bien en fait, commença Lyra, nous repartons. A l'aventure.

-Comment ça, vous repartez ?

Lyra se lança dans son histoire : la rencontre avec le Erashen, la nouvelle d'une nouvelle aventure, le couteau réparé, l'aléthiomètre et son don revenu. Elle glissa cependant sur le danger de mort imminent, du à un tueur et sur l'ennemi divin qu'ils allaient devoir affronter. Elle acheva sur la fermeture de la fenêtre et leur arrivé devant le Maître.

-Alors si je comprends tout, vous repartez risquer vos vies pour nous sauver tous du Grand Chaos, causé par un Er... Erashen, un Dieu en quelques sortes.

Will vit passer dans le regard du Maître une onde de peur et de sympathie pour ces jeunes gens. Lyra répondit aussi vite qu'elle pu, ce qui lui laissait présumer qu'il était le seul à avoir vu cela.

-C'est ça.

-Mais il fait nuit dehors. Restez au moins ce soir! Vous êtes mes invités !

-D'accord, dit Will, mais pas un mot de tout ça à quiconque !

Lyra se tourna vers le reste du groupe et ils acceptèrent avec joie l'offre du directeur de Jordan. Le repas du soir fut servi, puis chacun regagna une chambre mise à sa disposition.

La nuit était tombée depuis longtemps déjà quand quelqu'un frappa à la porte de Lyra. Encore endormie, la jeune fille repoussa ses draps d'un geste rageur du pied en se frottant les yeux afin de se réveiller. Les coups se firent insistants et elle se leva pour aller voir qui osait la déranger dans son sommeil. Elle ouvrit brusquement la porte et s'apprêta à hurler sur l'insensé qui lui faisait face avant de réaliser qu'il s'agissait du Maître en personne.

-Ah, Lyra, tu ne dormais pas ! Bien. Viens vite, en silence.

-Je passe une robe de chambre et je vous suis.

Sa colère s'était évaporée. Pourquoi le Maître en personne était il venu. Pourquoi ne pas avoir envoyé son domestique la quérir ? La curiosité l'emporta et elle passa une robe de chambre en laine rouge grossière avant de suivre le Maître jusqu'à une porte adjacente à la sienne. La chambre de Will.

-Lève ton ami, ordonna-t-il.

Lyra s'exécuta et frappa trois coups à la porte, qui s'ouvrit presque instantanément, Will habillé, frais et dispo sur le palier.

-Ex...Excuse moi de te réveiller mais le Maître a insisté.

-Je ne dormais pas. Quand j'ai entendu qu'on frappait chez toi, je me suis habillé en vitesse pour te suivre si besoin était.

Il avait parlé tout bas de sorte que seule Lyra puisse l'entendre.

-On a pas le temps, les pressa le Maître. Réveillez vos amies, maintenant !

Devant tant de mystères, Lyra et Will obéirent et tirèrent un Serafina fraîche comme une fleur du lit, tandis que Mary semblait plus fatiguée que jamais.

-C'que c'est ? dit cette dernière.

-Viens vite Mary, la pressa Will.

En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, mais non sans grognements, elle était réveillée, habillée (une robe de chambre bleue foncée) et marchait derrière le jeune garçon dans le couloir, en compagnie de Lyra, Serafina et le Maître. Celui-ci les conduisit à travers les cuisines, toutes sortes de couloirs, pour terminer devant une porte massive de bois. Lyra connaissait bien cet endroit pour l'avoir visité deux ans auparavant sans en avoir la permission. Ils étaient devant le Salon.

-Que vient-on faire ici ? demanda-t-elle.

-C'est le seul endroit où on ne nous dérangera pas, affirma ce dernier.

Il poussa la porte en bois après avoir tourné une minuscule clé dans la serrure et ils pénétrèrent dans une pièce assez vaste, où ronflait un feu de bois. Le Maître s'assit en gémissant dans un fauteuil de velours noir, et désigna d'autre siège au groupe. Chacun trouva place autour d'une table basse en bois où reposait un cube de verre.

-Pourquoi tant de mystère, Maître, s'enquit Lyra.

-Car personne ne doit savoir ce qui se passe ici. Votre ennemi à des espions partout, peut être même ici. C'est pourquoi je suis allé vous chercher moi-même.

Will acquiesça, imité par Kirjava et Pantalaimon. Cette réponse lui convenait très bien. Serafina et Mary semblait plus intéressées par le cube de verre que par le Maître lui-même.

Ce dernier servit à chacun un verre de vin brun foncé.

-C'est du tokay, de ma réserve personnelle.

Mary s'empara de son verre et bu sans quitter le cube des yeux.

-Qu'est ce que c'est, Maître demanda Lyra.

Chacun avait attendu que la question soit posée, mais personne ne pouvait se résoudre à forcer le maître à parler.

-Ce pourquoi vous êtes venus, expliqua le Maître. Je vous dois des explications je crois.

Il reposa son verre après en avoir bu une longue rasade. Il plongea son regarde dans es profondeur du cube comme pour raccommoder ses souvenirs entre eux et commença son récit.

-Lorsque je vous ai retrouvé sortant de la cage d'escalier tout à l'heure, et que vous m'avez raconté votre histoire, rien en moi n'a laissé penser que je connaissait quoi que soit de ce vous me présentiez. Puis au cours du repas mon esprit s'est égaré. Je réfléchissait à tout ce que vous m'aviez révélé. Sans que je sache pourquoi, une partie de votre récit restait plus ancrée en moi que le reste. La partie sur les Erashen.

De nouveau, il but une gorgée du vin épais.

-Je n'ai compris pourquoi que plus tard. Mon esprit fonctionnait à plein régime et je n'écoutais les conversations que d'une oreille distraite. Lorsque le repas se termina, un souvenir me revint, encore indistinct. Je laissais mon esprit travailler à sa redécouverte totale, mais il restait dans l'ombre, refusant de surgir de nouveau. Ma mémoire n'est plus ce qu'elle était, soupira-t-il. Puis alors que je me préparais à me coucher, il est revenu, aussi clair qu'auparavant.

Ménageant son effet, il prit une longue inspiration et expira bruyamment.

-Je connais les Erashen. Dans ma bibliothèque personnelle, il existe un texte très ancien. Plus que tout ce qu'on croyait connaître. J'ai réussi à la sauver de la folie de l'Eglise en le cachant dans un coffre en cèdre, à effet soporifique sur les daemons comme chacun le sait. Je l'ai sortit de sa cachette pour le feuilleter de nouveau et j'ai appris l'histoire partielle de la disparition des Erashen. L'Eglise a élu ces êtres comme des Dieux, parti devant le dégoût que leur inspirait la race humaine.

Il aspira avidement une bouffée d'air, comme s'il avait parlé d'une traite sans reprendre son souffle. De nouveau, il but une gorgée et reprit.

-Les Erashen sont morts, disparus du jour au lendemain. Mais ils ont laissé derrière eux une magie puissante qui ferait apparaître ceci lorsque le jour viendrait.

Il désignait le cube de verre, reposant sur la table. Will regarda l'objet et ne vit dedans que les reflets dorés du feu qui brûlait derrière.

-Je crois que le jour est venu, dit simplement le Maître. Mais je ne sais pas comment ça marche, ajouta-t-il.

Lyra, bouillante d'excitation, se jeta sur l'objet magique pour le regarder de plus près, imitée par Will et Mary. Seule, Serafina restait à distance correcte, et le Maître ne pouvait se baisser.

La jeune fille tourna l'objet sous toutes les coutures mais ne vit rien de suspect.

-Je ne sais pas, avoua-t-elle. Je ne comprends pas !

Will non plus ne voyait pas. Mary, elle, se demandait ce que pouvait contenir le cube. Lorsqu'elle prit l'objet, il lui sembla discerner quelque chose dedans, et elle jeta le cube par terre pour le briser. Sans résultat. Pourtant elle sentait que l'objet l'appelait. Alors que Lyra se rasseyait pour réfléchir, elle caressa le cube sur toutes ses faces avec douceur.

-On dirait qu'il y a quelque chose, là.

Son doigt passait sur une face du cube en le touchant à peine. Pourtant elle sentait sous ses doigts une lettre. Non, un dessin.

-On dirait une sorte de dessin.

-Retrace le, ordonna Serafina en se saisissant d'une feuille de papier et d'un crayon.

Mary obtempéra et retraça le sigle avec justesse.

-C'est une rune, dit la jeune sorcière.

-Une rune magique ? dit le Maître.

-Vous connaissez ?

-Juste entendu parler, assura-t-il.

-En tout cas, cette rune veut dire révélation. Mais je ne peux pas la faire marcher. Je n'ai pas ce pouvoir, se désola la sorcière.

Mary continuait à passer son doigt sur les lignes harmonieuses du dessin, tout en répétant ce que venait de lui dire sa sœur de sang.

-Révélation. Révélation.

Peu à peu, a rune se mit à briller, puis elle explosa, marquant l'air d'une trace flamboyante, la forme agrandie du dessin. Le cube se mit alors à briller.

-Qu'as-tu fait, s'écria Will.

-Mais rien ! Je t'assure ! Je passais mon doigt sur le dessin en disant révélation quand ça a fait ça !

La lumière du cube sembla alors s'extraire peu à peu de son enveloppe et frappa le mur opposé, éclairé par la lumière diffuse du feu de bois. Des lignes se tracèrent peu à peu, faisant apparaître un dessin net et précis.

-Une carte. C'est une carte, dit Lyra. Je reconnais l'Angleterre ici, la France aussi. Puis le Grand Nord. C'est notre monde !

Chacun regarda le dessin se former peu à peu, puis le trait s'acheva en rejoignant son point de départ. Mais le dessin de la carte n'était pas terminé. Par de là l'océan qui s'étendait après le Grand Nord, une île gigantesque se dessina peu à peu.

-Mais cette île n'existe pas, assura Lyra. Je ne l'ai vue sur aucune autre carte ! C'est insensé !

Sous la carte apparue alors un texte, que Will lut à haute voix.

-Terre du Erashen Yambe-akka. Ca ne veut rien dire !

Il se tourna vers ses compagnons. Tous regardaient Serafina qui bafouillait, comme en proie à une immense frayeur.

- C'est le pays de la Mort !