Chapitre six : le nouveau matelot

La cabine était surpeuplée. Tous les êtres ici réunis appartenaient tous à des races différentes et très diversifiées. Les ours côtoyaient les sorcières, elles même pressées contre les gitans. Mais ces différences avaient été mises de côtés pour écouter la petite fille qui se tenait au centre de la pièce. Lorsque Lyra révéla le cube qu'elle avait gradé près de son aléthiomètre, le silence se fit.

-Qu'est ce c'est que ça, Lyra ? demanda Lord Faa.

Lyra lui sourit et passa le cube à Mary, qui dessina la rune et en marmonnant la formule d'apparition. Le symbole s'enflamma et la carte commença à se dessiner.

-C'est une carte, dit un des gitans. Je reconnais l'Angleterre, les côtes, les marais...

-Et ici c'est notre royaume, grogna Iorek. Je le reconnais.

-Je vois aussi notre lac, ajouta une sorcière aux longs cheveux bruns.

Puis le regard de chacun se posa sur la petite île qui venait d'apparaître.

-Mais...Quelle est cette île ? Je ne la connais pas ! s'étonna un gitan.

-Tu n'es pas le seul, Henry. Moi, Lord Faa, qui ait parcouru toutes les mers et tous les océans, ne connaît pas cette île. Quelle est elle, petite ?

-Notre amie ici présente, Serafina Pekkala, reine des sorcières du lac Enara, l'a reconnut grâce à une inscription, disant qu'il s'agit de l'île de Yambe-akka.

Lorsque Lyra prononça ce nom, la plupart des sorcières présentes dans la pièce eurent un frisson incontrôlable. Un murmure passa sur les lèvres de chacune d'entre elles.

-Yambe-akka ?

Serafina prit alors la parole et dit d'une voix calme et forte.

-Oui, mes sœurs, Yambe-akka. Et nous irons sur cette île pour aider la petite Lyra ainsi que Will. Dois-je vous rappeler tout ce qu'ils ont fait pour nous ?

-Mais, ma reine, dit une sorcière aux cheveux blonds coupés court, Vous savez ce que ça signifie n'est ce pas ? C'est impossible !

-Pardonnez mon intrusion dans votre discussion, coupa Lord Faa, mais pourriez vous nous expliquer de qui il s'agit exactement, à moi et à mes gitans.

La reine-sorcière se retourna vers le roi des gitans et le sonda du regard. Elle sembla estimer qu'il était en droit de savoir.

-C'est très simple, Roi-gitan. L'île de Yambe-akka est le dernier endroit que chacun visite.

-L'île...de la Mort.

-Oui. Yambe-akka est la Mort chez les sorcières, un personnage toujours souriant promettant la fin des douleurs à nos sœurs blessées.

-Et c'est notre dernière destination ????

Il semblait ne pas en croire ces oreilles.

-En effet, dit Serafina, posément, défiant le gitan du regard.

Piqué au vif, celui-ci se reprit immédiatement.

-Bien. Nous partons cette après midi même. Soyez près ! On appareille à quatorze heures précise.

Puis il congédia les hommes, les sorcières et les ours ayant assistés à la réunion. Seuls restèrent Lyra, Will, Farder Coram, Iorek et Serafina. Lord Faa s'éclaircit la gorge et dit d'une voix maîtrisée.

-Soyons honnêtes les uns envers les autres. Quelles sont nos chances de revenir vivant de se voyage ?

-Quasiment nulle, assura Serafina.

Et la réunion se termina réellement.

Doysa avait assisté à toute la réunion, caché derrière un hublot ouvert afin d'apporter de l'air aux participants de la discussion, confinés dans la petite pièce. Il avait sourit à l'annonce de la nouvelle par la petite Lyra. Oui, ces hommes, ces femmes et même ces ours, tous allait partir pour la Mort en ligne directe. Mais ce serait lui qui la prodiguerait. Il tuerait d'abord les enfants, puis la scientifique, et enfin la reine des sorcières. Puis il détruirait le cube et saboterait le bateau, promettant une morte lente aux autres. Son problème, c'était les ours. Ils pourraient sauter et tirer le bateau. Bah, il trouverait bien une solution. Pour le moment, il devait s'infiltrer sur ce bateau. Il suivit donc les gitans lorsque ceux-ci quittèrent le navire pour une dernière allée au bar. Il attendit patiemment que l'un d'entre eux sorte pour soulager sa vessie trop pleine, il s'approcha sans bruit, tira son poignard, et l'égorgea sans bruit. Le corps inerte retomba et il prit soin de prendre la bourse du jeune homme avant de disparaître sans bruit. On croirait ainsi à un vol, où le gitan avait tenté en vain de résister.

Lorsque Lyra, Will et Mary revinrent à deux heures de l'après midi, ils trouvèrent la péniche vide et les gitans réunis près de la berge, tous regardant au loin, sans bruit. L'atmosphère était lourde et ils s'approchèrent sans bruit. Lyra se faufila jusqu'à Tony Costa et le poussa du coude. Il tourna vers elle un regard chargé de tristesse.

-Qu'est ce qui se passe, souffla-t-elle.

-On a retrouvé Henry mort. Egorgé.

Lyra porta sa main à sa gorge et déglutit avec difficulté.

-Comment est ce arrivé ?

-Un vol qui a mal tourné. Il n'avait plus sa bourse.

Lyra vit Lord Faa pousser un corps dans l'eau tandis que Farder Coram récitait des prières gitanes. Puis le roi se tourna et dit d'une voix forte.

-Nous vengerons ce crime, je le promets. Mais nous devons partir. Maintenant, il nous manque un homme. Cherchez partout un matelot prêt à partir moyennant finance.

Tous se séparèrent et Lyra s'approcha de Will et Mary. A voir leur visage, eux aussi savaient.

Lord Faa les rejoignit quelques instant après.

-Montez. Nous partons dans dix minutes environ.

En effet, dix minutes plus tard, les gitans revinrent en compagnie d'un homme grand et maigre, mais musculeux. Son visage se distinguait par deux yeux noirs où aucun sentiment ne se reflétait. Ce visage évoquait furtivement quelque chose à Will, sans qu'il sache dire quoi exactement. Nul d'entre eux ne savait que Doysa avait eu recours à la magie Erashen afin de faire disparaître les larges cicatrices qui barraient habituellement son visage.

-Bonjour, je suis Doysa, dit l'homme. Heureux de vous rencontrer.

Il serra successivement la main de Lord Faa, Farder Coram, Lyra, Will et Mary.

-J'espère que nous ferons bon voyage, ajouta-t-il.

Le voyage avait maintenant commencé depuis deux jours. Les ours, nageant à côté du bateau pour éviter de trop le ralentir par leur poids, traçaient dans l'eau calme un sillage où avançait le large navire des gitans. Lyra était sur le pont en compagnie de Doysa. Elle avait trouvé en lui un nouveau compagnon de jeu. Elle passait le plus clair de son temps avec lui, et il semblait apprécier sa compagnie, au grand malheur de Will qui restait à l'écart de l'homme, poussé par un sentiment de crainte indéfinissable.

-Tu ne devrais pas voir le bien en chacun, dit il un jour qu'elle lui racontait son aventure passée en compagnie de Will.

-Pourquoi dis tu ça ?

-Car certaine personne donne l'impression d'être bonne, mais en réalité elles sont perfides et cruelles. C'était le cas de ta mère, Mme Coulther, si j'ai bien suivi.

Lyra, pensive, acquiesça devant le bien fondé de cette réflexion.

-Tu as sûrement raison, mais je préfère voir le bien en chacun, plutôt que le mal. Je suis sûre que tout le monde à en lui quelque chose de bon.

Tu ne devrais pas croire ça, se dit mentalement Doysa. Pourtant, la compagnie de la fillette semblait lui éclaircir les idées. Jamais depuis longtemps il ne s'était senti aussi calme, aussi heureux. La veille, il avait grimpé en sa compagnie dans les hauteurs du mât de misaine du navire afin de sentir l'air frais du large sur son visage. Il avait l'impression que la candeur de cette fillette adoucissait son âme meurtrie par des années de servitudes et de punitions.

Arrête ça tout de suite. Elle est ta cible, ne l'oublie pas, se morigéna-t-il. Tu ne dois pas te lier avec elle, pas plus qu'avec aucun autre ici !

Mais sa détermination fut mise à mal dès le lendemain.Alors que le bateau approchait à présent des côtes de la Norvège afin de remplir ses cales en provisions, ils furent attaqués par un vaisseau ennemi. Ce fut le guetteur qui donna l'alerte. Tout était calme depuis maintenant deux jours, la mer était d'huile et une légère brise permettait aux voiles de se gonfler et d'avancer. Jack, la vigie, se mit soudain à crier, tirant la plupart des matelots de leur rêverie.

-Vaisseau en vue !! Vaisseau en vue, criait il.

-Une distinction, lui hurla Lord Faa qui avait accouru.

-Oui, Lord Faa. Un drapeau. Le drapeau Nor !

Lyra cru qu'elle avait mal compris.

-Le drapeau Nor ? Qu'est ce que c'est ?

-Une mauvaise nouvelle, petite ! Les Nors sont les pirates les plus féroces et les plus sanguinaires qui écument cette mer. Leur vaisseau sont armés de canon et eux sont fournis en armes et munition plus que nécessaire.

Il se tourna alors vers ces hommes qui attendaient ces ordres.

-Branle-bas de combat, hurla-t-il. Armez vous, préparez vous à vous battre ! Notre seule chance reste les ours et les sorcières !

Bien que cela lui en coûte, Lord Faa savait que seule l'aide que les ours et les sorcières pourraient leur donner leur permettraient de survivre à cette attaque.

-Lord Faa, cria la vigie, c'est le navire de Gants Sanglants !

-Magnifique, grogna le roi. Il fallait qu'on tombe sur le pire de tous ! Serafina Pekkala, cria-t-il.

La sorcière vint se poser sur le pont et le salua.

-Nous allons avoir besoin de vous, dit il. Vos sorcières peuvent abattre le plus d'homme possible à distance. Nous n'irons pas plus loin sans votre aide.

La sorcière acquiesça et s'envola. Tandis que le roi donnait des ordres aux ours, Lyra vit un essaim de sorcière partir en vol jusqu'au bateau pirate et le cribler de flèche aux pennes noires. Des dizaines d'homme tombèrent à la mer sous la pluie mortelle. Puis les ours se ruèrent sur le navire et le percutèrent de plein fouet. Entre temps, le vaisseau pirate s'était assez approché pour faire feu et Lyra vit les hommes armer le canon, le plus gros qu'elle ait jamais vu. Puis le boulet fusa et percuta la coque, ouvrant une brèche, et Lyra fut projetée par-dessus bord.