Chapitre 9: Jenna Lion Gowtrake
- Lyciane!
La lumière revint peu à peu aux yeux de la jeune fille, en même temps qu'elle sentait le sol prendre consistance sous ses pieds.
- Lyciane!!
Elle commença à distinguer le lieu qui l'entourait. Un lieu vaguement connu, aux murs couverts de formes colorées, rectangulaires des livres?
- Ho, Lyciane, tu rêve?
Cette fois, ses oreilles accrochèrent l'appel qui leur était destiné, elle prit pied complètement dans le monde réel et elle reconnut du même coup ce qui l'entourait: le CDI de son lycée, le livre dans ses mains et son amie Mary qui lui parlait d'un air courroucé:
- Ça y est, tu es parmi nous? Ça fait cinq minutes que je te demande la formule chimique de l'éthanoate de méthyle!
- CH3–COO–C2H5! babutia Lyciane.
- N'importe quoi, ça c'est l'éthanoate de propyle, ronchonna Mary en notant quelque chose sur son cahier. T'écoutes vraiment rien à ce qu'on te dit!
- Heu Mary? fit Lyciane d'une toute petite voix. Tu ça fait combien de temps qu'on est là?
- Là quoi? fit son amie, bougonne.
- Là, quoi, dans cette pièce.
- Ça fait au moins trois semaines. Si tu m'aidais à finir ces fichus devoirs, on serait déjà sorties depuis longtemps!
- Trois semaines? balbutia Lyciane.
Elle se sentit pâlir. Mary dût le remarquer, car elle se radoucit un peu et dit d'un ton moqueur:
- Mais non, patate, ça fait à peine une demi-heure. Qu'est-ce que t'as, t'as vu le diable? Ou peut-être Harry Potter en personne?
Lyciane blanchit encore plus, ce qui donna des soupçons à Mary:
- Mais qu'est-ce qui t'arrive au juste? C'est la chimie qui te fait cet effet-là? Fallait pas lire des fanfics jusqu'à trois heures du matin! Allez, assied-toi, on dirait que tu vas tomber dans les pommes.
- Il m'a renvoyé en arrière murmura Lyciane d'une voix blanche.
- Qui ça?
- Dumbledore Il m'a renvoyé à mon point de départ!
Mary fronça les sourcils. Mais de toute évidence, elle croyait que son amie parlait encore de la conversation qu'elles avaient eu juste avant le départ de Lyciane pour Poudlard, puisqu'elle demanda:
- Qu'est-ce que tu as découvert qui te fasse flipper comme ça, dis-moi?
Le tome 4 dans les mains de Lyciane était encore ouvert à cette page qu'elle feuilletait juste avant d'être emportée: le chapitre "La Croisée des Chemins". Mary se leva, vint lui prendre le livre des mains et scruta la surface de la page à la recherche d'une indication, mais elle ne remarqua rien de nouveau.
Mais Lyciane se remettait peu à peu de sa découverte. Après tout, le fait de n'avoir pas passé trois semaines d'absence dans ce monde lui simplifierait beaucoup la vie, notament lorsqu'elle rentrerait chez ses parents le soir. En revanche, son récit à sa meilleure amie perdait d'un coup tout espoir d'être cru. Un moment Lyciane envisagea de supplier Mary de la croire, puis elle se sentit très lasse et renonça à lui raconter, du moins pour le moment. Ce dont elle avait besoin, c'est d'être seule pour réfléchir en paix à son aventure. De toute manière, quand le moment serait venu elle confierait son précieux cahier à son amie, alors pourquoi s'embrouiller dans des explications trop précoces?
- Excuse-moi, j'étais dans un rêve, dit-elle en reprenant le livre des mains de Mary. Bon, il faut que je rentre maintenant.
- Non, ne me fais pas ça! s'offusqua Mary. Qu'est-ce que tu fais des devoirs de chimie?
- Je t'appelerai ce soir pour que tu me donnes les réponses! moqua gentiment Lyciane. De toute façon je ne peux pas t'aider, je ne me rappelle plus de ce cours.
- T'abuses!
- Un peu de silence s'il-vous-plaît! protesta la documentaliste depuis son bureau à l'entrée de la salle.
- Excusez-nous! lança Lyciane.
Elle ramassa son sac qu'elle avait déposé trois semaines plus tôt et qui traînait là depuis une demi-heure.
- À demain, "same time, same place"? fit-elle à voix plus basse.
- C'est ça, barre-toi, grogna Mary.
Et elle se replongea dans ses devoirs de chimie, tandis que Lyciane quittait le CDI en hâte.
Ses parents n'était pas rentrés quand elle ouvrit la porte de sa maison. Elle eut une impression de grande solitude, impression relayée par le fait qu'elle n'avait cessé de repenser à son aventure sur le trajet du retour, et qu'elle se sentait complètement désespérée. Oh, Dumbledore n'avait même pas eu besoin de lui interdire de parler de son voyage, il ne lui avait même pas scellé la bouche avec un sortilège, comme dans la fanfic la plus connue sur internet. En la renvoyant à l'instant où elle était partie, il avait fait bien pire: il avait fait disparaître toutes ses chances d'être crue, même de sa meilleure amie et complice. Si elle essayait de raconter, tout le monde la prendrait pour une folle, ou pour une rêveuse. Mary comme les autres.
Il n'était que 17h30, mais le soir tombait déjà et il faisait sombre dans la maison. Lyciane monta dans sa chambre sans allumer les lumières, faisant courir ses doigts sur les murs, retrouvant ses marques. Quand elle eut refermé derrière elle la porte de sa chambre, elle s'adossa au chambranle et respira la solitude de ce lieu.
Rien n'avait changé. Le même bazar, le même lit en désordre, les mêmes affiches de films sur les murs. Dans sa cage, la petite souris grise du nom d'Énora faisait crisser ses dents sur un morceau de biscotte. En entendant ce bruit familier d'un autre âge, Lyciane se demanda si elle avait tout rêvé. Elle plongea alors la main dans sa poche et en ressortit le miroir donné par Dumbledore. Ce n'était pas un rêve.
Son ordinateur pulsait tranquillement dans un coin, signe qu'il était resté en veille durant ses trois semaines d'absence. Lyciane le ralluma.
Elle savait ce qu'elle avait à faire. Elle connecta internet, se rendit sur tous les forums Harry Potter qu'elle connaissait. Sur tous, elle laissa le même message: "Connaissez-vous Jenna Lion Gowtrake?"
Le réveil de Lyciane clignota, puis se mit à déverser une musique criarde. Une main jaillit de sous les couvertures et s'abattit dessus, lui coupant le sifflet. Puis une tête aux cheveux en bataille, à l'air ahuri, émergea à son tour.
La première chose que remarqua Lyciane, ce fut le miroir rond que lui avait confié Dumbledore: il luisait doucement. Aussitôt réveillée, elle bondit pour s'en emparer. Elle passa sa main dessus et il s'éclaira complètement:
- Salut Lyciane! dit Ginny. Tu viens de te réveiller?
- Non non, mentit la jeune fille (car il était onze heures du matin).
Ginny sourit et demanda:
- Ça se passe bien? Tes recherches?
- Je n'ai toujours rien trouvé, répondit Lyciane. Mais je continue, je suis sûre que je connais ce nom. Il m'est familier.
- Dumbledore a dit que dès que tu retrouvais la trace de Gowtrake, tu devais nous prévenir. Il te donnera des instructions pour la mettre hors d'état de nuire.
- Ok.
- Comment s'est passé ton retour? Tu as raconté ton histoire à Mary?
- À quoi bon? fit Lyciane d'un air triste. Elle est prête à croire beaucoup de choses, mais ça, non, pas ça.
- Tu vas quand même lui donner le cahier?
- Peut-être, mais pas tout de suite. J'attends que l'aventure soit finie, pour pouvoir y inscrire la fin.
La vérité, c'était que Lyciane avait du mal à se séparer de ce cahier. Elle avait tant pris l'habitude de tout raconter dedans qu'elle hésitait à l'idée de le confier à son amie. Avant, quand tout avait commencé, elle n'avait jamais douté que Mary croirait tout de son histoire; mais à présent elle savait que ça ne risquait pas d'arriver, et elle avait peur de lui donner à lire les fameuses notes, peur de sa réaction.
- Bon, je vais te laisser, dit Lyciane à Ginny. Je vais faire la tournée des forums.
Elle alluma son ordinateur, se rendit immédiatement sur les internet. Les forums dédiés à Harry Potter pullulaient, et il avait suffi d'une recherche sur ces trois mots pour trouver les cinquante forums les plus fréquentés par les fans en furie. Elle avait laissé son message sur chacun. Au fur et à mesure qu'elle les revisitait, elle perdait peu à peu espoir. Personne ne savait répondre à sa question, même quand elle lui donnait la forme d'une devinette "spéciale fans d'Harry Potter". Les gens essayaient; certains, comme elle, avaient l'impression de connaître ce nom, mais aucun ne trouvait.
Puis Lyciane bondit dans son siège. La réponse était là, sous ses yeux. Un message laissé la veille au soir par un internaute.
"Jenna Lion Gowtrake? C'est un anagramme, non? Ça fait Joanne Kate Rowling."
- Allo bonjour, je m'appelle Lyciane Aghast, je suis une des fans de Mrs Rowling, je souhaiterais la rencontrer.
- Mrs Rowling sera présente au festival du livre d'Edimbourg. Vous pourrez peut-être faire dédicacer votre livre.
- Non, vous m'avez mal comprise. Je souhaite la rencontrer en tête-à-tête.
- Je crains que ce soit impossible, mademoiselle. Imaginez, si elle donnait des rendez-vous privés, Mrs Rowling passerait sa vie pour rencontrer tous ses fans.
- Je le sais bien, mais écoutez. Je ne suis pas n'importe quelle fan. J'ai d'importantes informations à lui apporter. À propos du monde d'où elle vient.
- Écoutez, vous perdez votre temps. Rendez-vous plutôt au festival d'Edimbourg, si vous venez très en avance vous pourrez peut-être la voir.
- Attendez, ne raccrochez pas! Demandez à Mrs Rowling demandez-lui qui est Jenna Lion Gowtrake. Vous pouvez faire ça? C'est de la part de Lyciane Aghast. Jenna Lion Gowtrake, n'oubliez pas.
- Je n'y manquerai pas, mademoiselle. Maintenant je vais raccrocher. Aurevoir.
- Aure
- Tuuuut
Après cet appel, Lyciane attendit un certain temps en espérant que J.K.Rowling la rappelerait. Quand il devint évident que la secrétaire n'avait rien transmis du tout, Lyciane écrivit plusieurs mails, et même des lettres manuscrites. Mais toute la correspondance de l'auteur ultra-connue passait par de nombreux intermédiaires, et jamais les messages de Lyciane n'arrivèrent à leur destinataire.
Cependant, un jour, elle eut la surprise de voir un mail dans sa boîte signé J.K. Rowling. Le cur battant, elle l'ouvrit. Le mail contenait une seule phrase: "Venez demain à10h, à mon domicile."
- Non d'une éclogite, cette fois ça y est! murmura Lyciane face à son écran lumineux.
Elle prit le petit miroir rond, passa sa main dessus. Un visage de sorcière apparut et dit d'une voix suave:
- Veuillez patienter, votre correspondant est en ligne. Nous lui transmettons votre appel par un signal lumineux.
Lyciane marmonna un juron et, pour calmer son excitation, se leva et alla se faire un thé. Lorsqu'elle revint, elle se reconnecta à internet et alla visiter la section fanfics du Wizard's World Online.
Enfin, le miroir s'illumina et la tête de Dumbledore apparut:
- Mademoiselle Aghast? s'enquit-il avec sa politesse habituelle.
- Professeur, j'ai réussi! déclara-t-elle en se retenant pour ne pas crier. Je rencontre J.K Jenna Gowtrake demain!
Le vieux directeur lui demanda des détails, qu'elle fournit avec un brin d'agacement. Comment? Il ne partageait pas son enthousiasme?
- Voilà comment nous allons procéder, dit enfin Dumbledore. Demain, vous emporterez ce miroir avec vous. Vous le laisserez caché dans votre poche, si possible dans une poche de poitrine afin que je puisse voir votre interlocutrice à travers le tissu. Vous commencerez par lui poser des questions simples, comme le ferait une adolescente qui rencontre son idole, puis selon la réaction de Mrs Gowtrake je vous dicterai d'autres questions.
Lyciane ne fit même pas de commentaires. Elle était à la fois surexcitée et morte de peur. Surexcitée à l'idée qu'elle allait rencontrer la personne qu'elle rêvait le plus de saluer depuis des années , mais morte de peur à l'idée qu'il s'agissait d'une dangereuse sorcière exilée de son monde
Elle se leva à l'aube, prit le train jusqu'à la ville où résidait J.K. Rowling, puis se fit indiquer son chemin jusqu'à son domicile. Elle avait cherché vingt fois son adresse sur internet pour être certaine, avait imprimé une dizaine de cartes et acheté un plan de la ville. Enfin, elle parvint devant une maison à l'aspect assez simple, dans un quartier paisible. Derrière une haute haie de troëns s'étalait un jardin bien entretenu.
Un gardien vêtu de cuir noir, avec un talkie-walkie et un gros chien brun vint lui ouvrir, comme dans un vrai film de gangsters. Il l'accompagna jusqu'à la maison et l'introduisit dans le hall. Lyciane commençait à sentir ses jambes trembler.
Mais cela n'était qu'un début. Soudain, une porte s'ouvrit sur sa gauche et elle se retrouva face à une petite femme blonde, au visage sérieux, avec de petites rides rieuses au coin des yeux.
- Entrez, lui dit Joanne Rowling.
C'était la porte de son bureau. Lyciane entra à pas lourds, ses jambes tremblant comme des feuilles. La femme qui avait écrit le plus grand best-seller du siècle, traduit en 56 langues, adapté au cinéma, adulé par des millions de fans de par le monde, se rassit derrière son bureau et toisa la jeune fille.
- Asseyez-vous, faites comme chez vous, dit-elle tranquillement.
Lyciane s'assit maladroitement sur une chaise en bois et serra nerveusement ses mains sur ses cuisses.
- Alors? fit Joanne Rowling.
- Alors quoi? demanda Lyciane d'une voix hésitante
- Ma secrétaire m'a appris que vous aviez demandé à me rencontrer. Quelle en était la raison?
- Pourquoi avez-vous accepté? répliqua aussitôt Lyciane.
L'auteur sourit.
- Vous devez vous en douter. N'est-ce pas vous qui abreuvez tous les forums consacrés à Harry de devinettes sur le nom de Jenna Lion Gowtrake?
- Si, fit Lyciane.
- Alors j'imagine qu'à présent vous devez savoirqui est Jenna Lion Gowtrake.
- C'est vous, murmura Lyciane en la regardant droit dans les yeux.
Un grand sourire éclaircit le visage de la femme. Cette personne au visage si doux, au sourire un peu triste, ne pouvait pas être la redoutable sorcière que tout le monde craignait. Elle avait sans doute énormément changé depuis son exil; telles furents les pensées que Lyciane conçut à ce moment-là, et elle sentit son angoisse se radoucir peu à peu.
- Si c'est vous, dit-elle en plissant les yeux, vous avez plus que l'âge que vous faites, car vous êtes arrivée ici il y a cinquante ans et vous étiez déjà une sorcière expérimentée.
- J'ai soixante-dix-sept ans, confirma l'auteur. Je ne suis qu'à la moitié de ma vie, peut-être moins. C'est un détail que je n'ai pas encore stipulé clairement dans mes romans, c'est vrai.
- Pourquoi avez-vous été envoyée ici? demanda Lyciane, bien qu'elle le sache déjà.
- J'imagine que vous l'avez deviné, non? Sinon vous, au moins Harry, Ron et Hermione. Ils sont si brillants.
Lyciane acquiesça, mais elle voulait quand même entendre l'histoire dans ses détails.
- Voilà, commenca Joanne/Jenna, j'ai découvert la Voie des Enfers lorsque j'étais enfant. Mon père, un sorcier un peu fou mais génial, rêvait de l'ouvrir, d'ouvrir l'accès à cet autre monde qui semblait vivre comme un miroir du nôtre, mais ne connaissait ni magie, ni bêtes fabuleuses, rien que des moldus. Quelle expérience extraordinaire, pensait mon père, que d'entrer en contact avec des gens qui sont notre reflet, des ombres de nous-même à moins que nous ne soyons leurs ombres à eux!
"C'était sa théorie. Pour ma part, après qu'il soit mort, tué dans un accident causé par la bêtise d'un moldu, j'ai repris ses recherches, mais je n'avais plus qu'un idée en tête: détruire ce monde, détruire cette stupide ruche, ce foyer de moldus dangereux et hérétiques, imperméables à la magie, perméables à toute cette technologie meurtrière inventée par leurs cerveaux les plus géniaux. Je ne pensais plus qu'à ça.
J.K. Rowling parlait au passé, avec un ton de repentie, et elle avait un tel talent de conteuse que Lyciane ne pouvait s'empêcher d'acquiescer, les yeux brillants, fascinée par la voix douce et chaude, par les petites rides au coin des yeux.
- Voilà comment, il y a un demi-siècle de cela, j'ai failli détruire ce monde où je vous parle actuellement. L'acte a échoué, mais n'est pas passé inaperçu, et j'ai évidemment été arrêtée et condamnée. Ce qui a excité les fureurs vengeresses de mes juges, c'est que j'avais fait parler d'un phénomène que la communauté des sorciers préfère ignorer, l'existence d'au moins un monde parallèle. Les sorciers sont de fieffés poltrons. Quand ils ne maîtrisent pas un phénomène qui les dépasse, ils préfèrent l'enterrer que de voir s'il va exploser. Seuls, moi et mon père avant moi avions eu le courage de l'étudier et de tenter quelque chose.
"Et j'ai été exilée. Ils ont tous voté contre moi, sauf Dumbledore. Lui disait que c'était dangereux, il n'avait pas tort. Les autres étaient trop contents de se débarasser du problème, de m'éjecter purement et simplement de leur vie. Cela ne leur a pas porté bonheur.
Au fur et à mesure du récit, on sentait pointer la rancur derrière les mots, vieille d'un demi-siècle, mais toujours la femme continuait avec cette même voix douce et envoûtante, et Lyciane ne pouvait que l'approuver.
- Et arrivée ici, vous avez perdu tous vos pouvoirs? s'enquit-elle, incapable de se taire.
- Arrivée ici, répondit doucement Joanne K. Rowling, j'ai vécu des années terriblement difficiles, au milieu de ces gens que je rendais responsables du meurtre de mon père, car tous les moldus sont les mêmes. J'étais incapable d'agir comme j'avais toujours agi, avec la magie au quotidien, et cela m'a handicapé plus qu'on ne peut l'imaginer. Puis, tout doucement, je me suis acclimatée. Cela m'a pris des années et des années. J'ai compris que tous les moldus n'étaient pas des meurtriers aveugles, que même sans magie, certains agissaient intelligemment. Je me suis repentie peu à peu de ma haine. Les années passant, j'ai même souhaité faire quelque chose pour rapprocher les deux mondes, à ma manière. Je me suis alors mise à à écrire les aventures d'un petit sorcier, et l'originalité aidant je me suis retrouvée à la tête du best-seller que vous connaissez apparemment très bien.
L'auteur conclut son histoire par un sourire d'une gentillesse à faire fondre un rocher. Lyciane sourit en retour. Elle était à présent complètement envoûtée.
- Je vois, dit-elle d'une voix pâteuse. je suis ravie que vous m'ayez raconté votre histoire, Mrs Rowling. Je comprends bien mieux certaines choses à présent.
Le miroir dans sa poche de poitrine frémit d'un air menaçant. Lyciane l'ignora.
- Ce fut un plaisir, minauda l'auteur. J'ai tout de suite compris que vous saviez plus de choses que les autres. Vous êtes allée dans mon monde, n'est-ce pas? Si vous me racontiez par quel extraordinaire hasard, et ce que vous avez vécu là-bas
C'était une invitation tellement charmante, formulée si poliment, avec un intérêt si manifeste, qu'il était impossible de s'y soustraire. pourtant, Lyciane recula sa chaise et croisa les bras sur sa poitrine d'un air moqueur.
- Je ne vais rien vous raconter du tout, Mrs Rowling, parce que vous savez déjà tout.
Le miroir frémit de nouveau, d'un air inquiet cette fois, mais Lyciane fit comme si de rien n'était. Elle ne détachait pas son regard des yeux de J.K. Rowling, et derrière l'infinie douceur qui l'avait bercée ils étaient durs comme de l'acier.
- Qu'est-ce qui vous fait croire ça? fit la femme sans se départir de son sourire.
- Je ne suis pas une idiote, Mrs Gowtrake. Vous saviez parfaitement que j'étais allée dans votre monde, et vous savez très bien comment, puisque c'est vous qui m'y avez envoyée. Croyez-vous que je n'aie pas remarqué la partie de votre histoire que vous avez soigneusement oubliée? Comment vous avez pu écrire la vie d'un certain petit Harry Potter, alors que vous n'étiez pas allée dans son monde depuis cinquante années? Vous ne vous êtes pas repentie, pas plus que vous n'avez perdu tout pouvoir magique. Depuis des années vous arrivez de nouveau à faire de la magie, par quel moyen, je l'ignore, c'est vous la sorcière, toujours est-il que vous avez ouvert une fenêtre sur votre monde, peut-être même y êtes-vous retournée, encore que j'en doute puisque cela aurait provoqué un déséquilibre qui aurait renvoyé quelqu'un ici à votre place. Vous avez observé. Vous avez suivi Harry dans ses moindres faits et gestes, depuis sa naissance et même avant, de manière à écrire des romans qui fassent connaître à un nombre immense de gens l'exacte vérité de ce qui se passe dans l'autre monde. Une fois cette vérité connue, c'était comme si tous ces gens savaient que les deux mondes coexistaient, comme s'ils pouvaient presque franchir la barrière. Voilà ce qui a fendillé le sortilège que Dumbledore peine à réparer. Et une fois cette vérité connue de tous, il suffisait de n'importe quel petit déséquilibre pour que tout bascule. J'ai été envoyée à Poudlard, mais ç'aurait aussi bien pu être une grand-mère sud-coréenne, ou un petit enfant lapon. N'importe qui qui lisait un de vos livres à ce moment-là. Et une fois moi de l'autre côté, la balance s'inverse, le déséquilibre provoque le passage de quelqu'un d'autre dans ce monde, etc etc jusqu'à ce que Dumbledore réussise à stabiliser le sortilège, ce qu'heureusement il a fait avant que tout ne s'emballe.
J.K. Rowling écoutait, les mains sous le menton. Elle ne cilla pas, ne remua pas un seul muscle de son visage, mais elle dit d'une voix nettement refroidie:
- C'est à peu près ça.
- Ce que je ne comprends pas, dit Lyciane, c'est ce à quoi vous pensiez arriver. Au bout d'un moment, les deux monde se seraient détruits, non? Où seriez-vous allée vivre, alors?
- Je me serais arrangée pour qu'un seul des deux reçoive toute l'onde de choc, celui où je ne me trouverais pas à ce moment-là par exemple.
- Je comprends. C'était un plan d'une grande finesse. Il vous a fallu de nombreuses années pour l'élaborer, j'imagine?
- Depuis mon arrivée, je n'ai cessé d'essayer de refaire de la magie. Les flux magiques ne sont pas inexistants ici, ils sont simplement plus rares, beaucoup plus rares. J'ai fini par affiner suffisament me talents pour être capable de les utiliser. C'est à partir de là que j'ai pu enchanter ce miroir.
Elle désigna un grand miroir à pied que Lyciane n'avait pas remarqué, dans un coin de la pièce. En se concentrant un moment, elle finit par comprendre que ce n'était pas la pièce qu'il reflétait: il était comme une fenêtre ouverte sur les plafonds de Poudlard. Ce qu'elle voyait, c'était la Grande Salle en vue aérienne. Elle était vide à cette heure: tous les élèves étaient en cours.
- Qu'allez-vous faire à présent? s'enquit la jeune fille en se tournant de nouveau vers le femme.
Elle eut un hoquet de surprise. Une baguette d'une longueur impressionante était braquée sur elle. Des étincelles crépitaient à son bout.
- Quelle question idiote, se moqua doucement J.K. Rowling. Je vous ai trouvée incroyablement brillante aujourd'hui, une vraie petite Hermione en puissance, mais vous êtes décidément un peu trop naïve. Je vais vous effacer la mémoire et continuer exactement comme j'ai commencé. Quant à toi, Albus, qui m'écoute depuis le début, je t'assure que j'ai largement développé mes pouvoirs depuis que je suis ici. Tu avais raison de ne pas vouloir m'y envoyer. Mais prend garde, si je reviens je te battrai à plate couture. Même le Seigneur des Ténèbres, je ne le crains pas.
- C'est peut-être là ton erreur, dit le miroir dans la poche de Lyciane. Tu t'es toujours surestimée.
Il y eut deux éclairs de lumière, l'un provenant de la poche de Lyciane, l'autre de la baguette braquée sur elle. Prise entre deux feux, terrorisée, elle se jeta sous la table, mais la voix de Dumbledore, autoritaire, l'arrêta:
- Redressez-vous, miss Aghast! Redressez-vous si vous voulez que je vous protège!
Tremblante de peur, elle fit face à son ennemie, désarmée, incapable de se défendre. Sa poche lançait des éclairs qu'elle ne pouvait contrôler, mais J.K. Rowling répliquait avec d'autres. Puis il y eut un bruit de cavalcade dans le couloir et le garde en cuir noir avec son chien arriva. La bête bondit sur Lyciane et la plaqua au sol, l'épaule enserrée dans l'étau de ses dents. Lyciane hurla de douleur et avec l'énergie du désespoir, pivota sur le dos, exposant l'animal aux sorts de Dumbledore. Celui-ci saisit imédiatement ce qui se passait et mit le chien hors d'état de nuire. Le corps inerte de la bête vola à travers la pièce et alla cogner un buffet couvert de porcelaines délicates.
Restaient le garde et la sorcière. Le premier voulut sortir son pistolet, rangé dans son holster, la crosse luisante de menace. La seconde l'en empêcha d'un geste et, avec un sortilège, fit décoller le lourd bureau en bois massif et le projeta sur Lyciane, accroupie au pied d'un mur, l'épaule en sang. Dumbledore dévia le meuble. Mais il ne pouvait voir que les menaces venant de devant Lyciane, étant limité au petit miroir de poche. Lorsque J.K. Rowling fit tomber la lourde étagère de livres qui se trouvait au-dessus de la jeune fille, elle fut à moitié assomée, et les éclairs de Dumbledore coupés net.
Hagarde, la tête et l'épaule en sang, complètement meurtrie, Lyciane plongea la main dans sa poche à la recherche du miroir. Il était brisé.
Elle vit avec terreur la baguette s'approcher d'elle
- Attendez! s'écria-t-elle, et c'est alors qu'elle s'aperçut qu'elle avait du sang dans la bouche, et certainement une côte cassée. J'ai le droit au moins de savoir! Pourquoi avoir choisi Harry pour raconter son histoire? Pourquoi pas n'importe quel autre sorcier?
Un grand sourire éclaira le visage de celle qui la menaçait de sa baguette. "Pourvu qu'il fasse vite, pria Lyciane dans sa tête, pourvu qu'il courre de toutes ses jambes"
- Lui ou un autre, quelle importance? fit l'auteur avec une sorte de fierté malveillante. J'ai simplement choisi un enfant qui avait des chances d'avoir une vie assez mouvementée, et quand cela ne suffisait pas j'ai influencé le cours des évènements pour avoir plus de matière.
- Vous voulez dire que vous avez écrit une histoire grandeur nature?
- Oui, c'est à peu près ça, fit J.K. Rowling en faisant taire de la main le garde qui essayait d'intervenir. Il fallait que la réalité soit la plus proche possible de ce que j'écrivais, afin que le lecture permette aux esprits des gens de forcer le passage, de briser le sortilège, malgré eux.
- Excusez-moi, Mrs Rowling, mais fit le garde qui n'y comprenait rien.
- Oubliator! lança-t-elle sans se retourner. Eh bien, que faites-vous ici, jeune homme? Vous voyez bien que vous me dérangez. Retournez donc à votreposte, il n'y a rien à signaler.
- Oui madame fit l'homme d'un air penaud en quittant la salle.
Lyciane, dont les oreilles sonnaient de toutes leurs cloches, dont la vue se bouchait, chercha furieusement une nouvelle question à poser pour retarder l'inévitable, pour laisser à Dumbledore le temps d'arriver Mais elle ne trouvait plus, elle était anéantie, par la douleur, par la fatigue, parce qu'elle n'était pas habituée à faire l'héroïne
- Autre chose? s'enquit gentiment la sorcière avant de lui lancer son sortilège.
- Aaallez-y, marmonna Lyciane, découragée. J'ai plus envie de lutter.
- Stupéfix!
L'éclair fusa, Lyciane le vit fuser, mais ce n'est pas sur elle qu'il allait. D'ailleurs, ce n'était même pas le sorcière qui l'avait lancé. L'éclair venait du grand miroir dans le coin de la pièce, où Dumbledore était apparu, d'où il avait visé J.K.Rowling avant qu'elle ne la vise
- Tout va bien, miss Aghast? fit le directeur d'une voix inquiète en la voyant écrasée sous un tas de livres, la tête ensanglantée, l'épaule en charpie.
- Jamais allée mieux murmura Lyciane en s'évanouissant pour de bon.
Une porte blanche s'ouvrit sur une pièce blanche, avec un lit blanc et des rideaux blancs. D'ailleurs, par la fenêtre aux encadrures blanches, le ciel de novembre était blanc lui aussi. On annonçait de la neige, et Lyciane était très impatiente d'aller se casser la jambe au ski, ce qui lui permettrait de choisir par elle-même ses blessures, pour une fois.
La personne qui avait ouvert la porte comportait deux yeux noisettes et des cheveux bruns derrière une énorme bouquet de fleurs de toutes les couleurs, et cette débauche de couleurs faisait comme un ouragan sur la mer paisible des Caraïbes.
- Salut Lyly! s'écria Mary en agitant l'énorme bouquet devant son amie, ce qui lui fit tomber plein de pollen sur le nez en teinta ses draps blancs d'un joli jaune poudreux.
- Salut grande perche, marmonna Lyciane à travers son bandage, car on lui avait découvert également un os cassé dans la mâchoire, ce qui l'empêchait de parler, de rire et même de manger normalement.
- Alors, qu'est-ce que tu fais depuis trois jours? Je suis sûre que tu t'amuses comme une petite folle, fit Mary d'un air enjoué.
- Comme tu dis. J'ai une vie de folie. D'ailleurs j'ai tellement d'occupations qu'il m'a fallu faire le tri et refuser la visite de trois beaux garçons pour pouvoir me consacrer à mes devoirs.
Mary sourit.
- À propos des sujets qui fâchent, je t'en rapporte un sac entier.
- Je n'en attendais pas moins de ma meilleure amie, fit Lyciane d'une voix faussement enchantée.
La vérité, c'est qu'elle s'ennuyait tellement qu'elle avait fait tous ses devoirs dès le premier jour (si si! Tous!).
- Comment ça va la vie au lycée? reprit-elle moins ironiquement.
- Tout le monde va bien, la rumeur que tu t'étais fait tabasser par un gang de dealeurs a fait le tour du lycée en deux jours, certains certifient qu'on a dû te mettre une prothèse en plastique à l'épaule, d'autres que tu t'es défendue grâce aux cours d'aikido et que tu seras de retour dans quelques jours, fraîche comme un hareng.
- Comme une rose.
- Comme un hareng, c'est plus parlant, insista Mary avec un clin d'il.
Lyciane sourit.
- Au fait, reprit son amie, le mystère qui plane autour de toi porte ses fruits. Julian Etchevery et Billy Cain veulent tous les deux sortir avec toi.
- Ils ont raison de profiter de ce que je suis clouée au lit, je risque pas de leur filer entre les doigts, à eux, marmonna Lyciane avec amusement.
- Comment ça?
- Rien, j'ai eu deux ou trois expériences rigolotes avec des garçons récemment enfin, pas rigolotes pour les garçons, je crois. D'ailleurs, même pas rigolotes du tout, acheva-t-elle en fronçant les sourcils.
- Ah ouais? fit Mary. Dans une de tes vies parallèles?
La jeune fille se redressa tant bien que mal dans son lit et murmura d'un air mystérieux:
- Tu peux pas savoir à quel point
Mary fronça les sourcils à son tour, puis haussa les épaules.
- Est-ce que tu vas finir par me dire ce qui t'est réellement arrivé, et pourquoi tu es dans cet état-là?
- Bien sûr. Si je te dis que c'est Joanne Kate Rowling qui m'a tabassé, tu vas me croire?
- Qui ça?
- J.K. Rowling.
- Mais encore?
Pour la première fois, Lyciane sentit une ombre passer. Une angoisse terrible l'étreignit.
- Tu sais l'auteur de Harry Potter.
Devant l'air interrogatif de son amie, elle ajouta:
- Le best-seller Notre livre préféré Connu dans le monde entier
- Ah! fit soudain Mary. Si tu me parles des livres que tu m'as prêté, je te préviens, j'ai pas encore eu le temps de les lire. Désolée.
- Non, Mary, Harry Potter, dont on écrit les noms sur les tables depuis quatre ans
La grande fille brune secoua encore la tête.
- Désolée, je vois pas de quoi tu parles.
- Arrête de faire l'imbécile, bon sang, tu vois pas que j'en ai assez bavé dans cette histoire? s'exclama Lyciane, qui craquait pour la toute première fois depuis son retour. "Harry Potter à l'école des sorciers", "Harry Potter et la chambre des secrets", "Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban", "Harry Potter et la coupe de feu"! "Il a des maux de tête? Des cauchemars? Peut-être aussi des hallucinations?" p 627! La lueur de triomphe dans les yeux de Dumbledore p 619! Voldemort dans son chaudron! Rogue: "Oh, mais je comprends! Potter doit mettre à jour son dossier de presse!"; " La blessure secrète d'Harry Potter le mal-aimé . Voyons, voyons, Potter, qu'est-ce qui ne va pas?". Tout ça, tu t'en souviens, dis? Tu t'en souviens? Et les HP avec des éclairs, que tout le monde croyait qu'on faisait de la pub pour Hewlett Packard ou pour les hôpitaux psychiatriques, mais on continuait à les écrire sur les tables et à devoir rester à la fin des cours pour aider les femmes de ménage à tout nettoyer, tu l'as pas oublié? Dis, tu l'as pas oublié?
Mary, l'il troublé, regardait son amie s'agiter dans son lit. Pas une fois une lueur n'alluma son regard. Elle ne savait pas de quoi Lyciane parlait. Par quel miracle? Qu'est-ce qui s'était produit? C'est alors que Lyciane se souvint, elle avait là un exemplaire du tome 4, elle se l'était fait apporter par sa mère mais n'avait pu se résoudre à replonger dans cette histoire, elle l'avait rangé dans le tiroir de sa table de chevet. Elle l'ouvrit à la volée
Il n'y était plus.
Le livre n'était plus là. Il n'avait jamais été là. Il n'existait plus.
- Mais alors pourquoi moi je m'en rappelle? murmura-t-elle d'une voix brisée.
Un jour, après sa sortie de l'hôpital, un après-midi où elle avait fait croire à ses parents qu'elle était chez Mary, car ils ne la laissaient plus sortir seule en ville, elle reprit le train et refit le trajet jusqu'à la petite banlieue chic où elle avait rencontré J.K. Rowling. En passant, elle s'arrêta dans une librairie. Au rayon jeunesse, le livre vedette se nommait "Aristide Branchefolle, les aventures décapantes d'un petit sorcier". Apparemment, J.K. Rowling, ou Jenna L. Gowtrake, ou quel que soit son nom, n'avait fait qu'exploiter une veine que d'autres avaient aussi bien découvert. À tout hasard, elle chercha aux auteurs en "R". Entre Jean-Jacques Rousseau et Tadeusz Rozewicz, un grand espace de plusieurs volumes donnait l'impression qu'ils s'étaient évaporés, ou que quelqu'un était venu en hâte tous les récupérer.
Lyciane reprit sa route jusqu'à la maison où avait abouti son aventure et ne la retrouva pas. À la place, un terrain miteux couvert de boue et de traces de bulldozers arborait un panneau "Vendu" avec le numéro de téléphone de l'agence immobilière responsable de cet exploit. À tout hasard, Lyciane pénétra par un espace arraché entre deux troëns et fit le tour du terrain, à la recherche d'une preuve qu'une maison avait existé. Elle n'en trouva pas la moindre brique, et, évidemment, pas le moindre morceau de miroir.
Cependant, l'aventure n'était pas tout à fait close. Il manquait encore une pièce au puzzle. Cette pièce, elle la découvrit par hasard, un jour où la pluie de novembre battait les vitres de la salle d'histoire, où la neige et la fin du cours se faisaient attendre. En feuilletant au hasard son livre d'histoire, Lyciane tomba en arrêt devant une photo en noir et blanc, une photo qu'elle avait déjà vu quelque part. Elle sentit instantannément sa torpeur la quitter et se redressa d'un coup sur sa chaise, ce qui eut pour effet que la prof d'histoire s'arrêta de parler une seconde et la fixa d'un regard perçant. Lyciane se fit toute petite sur sa chaise. Dès que la prof eut repris son monologue, elle s'intéressa de nouveau à la photo. C'était la photo un peu floue de cinq résistants français posant fièrement devant une maison en ruine, cinq resistants parmi lesquels une jeune femme d'une vingtaine d'années lui rappellait étrangement quelqu'un, le regard sérieux, les lèvres pincées
Elle se souvint alors d'une même photo qu'elle avait découvert, un jour où elle faisait le ménage avec Harry dans un bureau abandonné, le petit mot dans un livre adressé à une Minerva de douze ans, en 1935, et puis elle se souvint encore de l'air furieux de McGonagall quand Dumbledore avait parlé de ramener Jenna Gowtrake dans son monde, et puis elle fit la liaison, car tout cela n'était pas très compliqué, c'était elle, tout bêtement, celle qui avait fait l'échange lorsqu'ils avaient envoyé Gowtrake dans ce monde, c'était McGonagall qui avait surgi au milieu des sorciers, et avec le temps ses pouvoirs magiques s'étaient développés à leur tour, et elle était devenue une vraie sorcière.
La dernière pièce du puzzle était en place. Lyciane referma le livre d'histoire.
Et voilà où elle en est. Pendant longtemps, elle a espéré que Harry, ou Ginny, ou même Ron ou Hermione transgresseraient l'interdit que Dumbledore a sans nul doute posé, qu'ils essayeraient de la contacter de nouveau. Maintenant elle n'y croit plus trop, mais au fond d'elle elle espère toujours. Il n'y aura jamais de tome 5 avec une petite ahurie surgie de nulle part, pas plus qu'il n'y aura de nouveaux délires autour de Harry Potter. La plus grosse section de a purement et simplement disparu. Dumbledore a pris soin de retirer de toutes les mémoires l'existence du petit sorcier, il a simplement coupé le phénomène à sa source en faisant disparaître Joanne Kate Rowling, où et quand, Lyciane l'ignore. C'est tout un univers qui s'est écroulé, tout un monde détruit
Quoique. En faisant une recherche sur internet, Lyciane a trouvé un site de mystiques un peu allumés. Tous prétendent se souvenir de quelque chose qui a été effacé des mémoires, un garçon qui faisait de la sorcellerie, une sorte de messie. Ils ont lancé une annonce à quiconque se souvient, de venir à leurs réunions. C'est dans un quartier un peu miteux de Londres. Peut-être que Lyciane ira, elle ne sait pas encore. Après tout, ces gens sont peut-être, comme elle, des sorciers en puissance, des gens qui, plongés dans le monde magique de Poudlard, se découvriraient des pouvoirs. Ou peut-être que ce sont des fous et que tout ça n'est qu'une coïncidence. Elle ne peut pas savoir. Peut-être qu'elle ira.
Et puis la vie continue. Elle a trouvé bien d'autres sujets de conversation avec Mary. Elle a arrêté d'inventer des histoires abracadabrantes, enfin presque. Mary et elle sont toujours à faire de grandes histoires autour de grands romans, en ce moment c'est la Trilogie de Gaïa, demain ce sera peut-être Hypérion, ou quelque chose de complètement différent, on ne sait pas. Ce qui compte, c'est qu'au fond de son cur, Lyciane garde un petit coin dédié à sa première vraie aventure, à son petit héros de sorcier dont elle ne peut que se souvenir, elle peut encore regarder par la fenêtre et rêver.
Elle attend la neige.
– Fin –
