Note : Bonjour tout le monde ! Voici le chapitre 3, enfin sa première partie. Il était beaucoup trop long et indigeste alors j'ai été obligée de le diviser en trois, mais bon c'est la vie ! Des gros bisous et à bientôt pour de nouvelles aventures !


CHAPITRE 3A

« Stark, vous savez que c'est un aller simple. » Retentit la voix du capitaine à ses oreilles.

Il y avait la tonalité d'un appel qu'on ne prenait pas, et il y avait son corps qui montait, droit oh si droit comme s'il allait s'envoler, la vitesse, l'angle, si raide, qu'il en avait la nausée. Le silence, autour de lui, le néant, quelques secondes qui lui parurent une éternité. Et puis soudainement, un vaisseau, plus large que tout ce qu'il avait jamais vu auparavant, énorme et sombre et, menaçant, oui menaçant, c'était le terme, comme la promesse de la mort, de la fin de tout. Des serpents métalliques et sans âmes sortaient par dizaines, non par centaines de ses entrailles grises.

Le missile rata sa cible. Il partit, loin dans le vide, la lumière de ses réacteurs absorbée par la pénombre environnante. Tony prit une inspiration rapide, mais déjà, la panique le frappait et aveuglait son esprit. Non, non, pensait-il frénétiquement. Il ne pouvait pas avoir échoué, il était Iron Man ! Il était meilleur que cela, meilleur que cette menace, meilleur que cette obscurité, meilleur, meilleur…

Il se revit adolescent, ivre mort, insulter une fille. Les contrats, les airs rusés de Stain. Oh, il avait su que quelque chose n'allait pas, les bénéfices étaient trop bons, ce n'était qu'un problème de maths, après tout, et il excellait en la matière. Il l'avait su et il avait détourné le regard. Il était coupable, coupable oui, tous ces gens qui étaient morts par sa faute… Et maintenant, maintenant…

Il se tenait au centre d'une ville détruite. Partout autour de lui, des civils, du sang. Il fixait leurs yeux morts et incapable de s'arracher au spectacle qu'ils offraient. Tout était de sa faute, oh oui, il les avait déçus en leur faisant croire qu'il était leur héros, qu'il pourrait les sauver, comme il avait déçu tous ceux qui avaient compté pour lui, par ses beuveries, ses insultes, son égoïsme, et son aveuglement volontaire.

Tony regarda le visage en face de lui. Il lui était familier. Une femme, une femme entre deux âges, ses cheveux gris… Pourquoi ne la reconnaissait-il pas ? Pourquoi, pourquoi ?

« Tony, l'appela une voix.

Il se tourna vers elle. Il vit Obi, ses yeux sombres, ses airs cruels. Il voulut crier, mais il était figé sur place, enfermé dans son propre corps, ou peut-être était-ce l'armure.

- Tu ne viens pas embrasser ton vieil ami ? »

Tony se réveilla en sursaut. Il était enfermé. Encore et encore. Avec un couinement pathétique, il tenta de se retourner, mais en vain. Son corps ne lui obéissait plus. Sa respiration se coinçait dans sa trachée en un sifflement funèbre et irrégulier, jusqu'à se bloquer complètement. Il ne respirait plus. Il allait mourir.

Son cerveau enregistra brièvement une voix robotique, mais elle lui parut terriblement lointaine, presque d'un autre monde. Elle résonna sans que le sens des mots ne lui parvienne. Enfin, une lumière diffuse se répandit autour de lui. Il ne distinguait plus rien, le monde était flou, et il réalisa qu'il pleurait.

Alors, il pleura encore et encore entre deux respirations haletantes. Il pleura jusqu'au bout de tout, jusqu'à ne plus sentir la honte qui le submergeait, cette honte d'être aussi faible, aussi terrifié. Il pleura jusqu'à ne plus sentir la haine, la haine pour tous ces putains d'extraterrestres qui butaient des gens, la haine pour Obadiah, ce connard de traître, et par-dessus tout, la haine pour le jeune homme qu'il avait été et l'homme qu'il était encore aujourd'hui. Cette haine de lui-même dont il ne se débarrasserait jamais, malgré Iron man, malgré l'argent qu'il donnait, les organisations qu'il finançait, les gens qu'il aidait.

Lorsque ce fut fini, il respirait de nouveau normalement. Il fixa un long moment le plafond sans plus rien ressentir. Il pensait avoir disparu, et ce n'était pas un si mauvais sentiment que cela.


De manière plutôt compréhensible, Tony était d'humeur exécrable ce matin-là. Il avait passé le reste de sa nuit dans son atelier sans rien pouvoir en tirer de productif, et il était prêt à parier que DUM-E allait finir par court-circuiter avec la masse de bordel qu'il avait laissée derrière lui. Oui, il avait jeté des trucs contre les murs de frustration, et non, il n'était pas fier de ces accès de violence dignes d'un adolescent enragé.

Pour ne rien arranger, Loki entra dans la cuisine au moment même où il préparait son café matinal. Il n'avait pour l'instant pas grand-chose à reprocher au dieu, mais l'image de l'énorme vaisseau flottant dans l'espace était restée gravée derrière ses paupières, et il ne sentait pas très charitable envers son prisonnier du moment.

Loki s'était pourtant comporté de manière presque modèle au cours de la semaine qu'ils venaient de passer ensemble. Ouais, il n'avait pas toujours été présent pour le surveiller parce qu'il avait déjà beaucoup trop de choses à faire dans sa vie, entre les Avengers et leurs réunions incessantes, Stark Industries, et ses propres inventions. Mais il avait tout de même demandé à JARVIS des comptes-rendus réguliers et ce dernier se montrait formel : Loki ne faisait rien de répréhensible.

Après avoir choisi une des chambres avec la meilleure vue sur New York, Loki avait en effet passé ses journées à réceptionner des colis, essayer des vêtements, les renvoyer et en recommander, à lire des tonnes de livres, et certainement la plus amusante de ses occupations, à insulter des gens sur Internet parce qu'il ne partageait pas ses critiques littéraires. Tony avait jeté un coup d'œil dans sa chambre par curiosité et la taille des piles qui s'accumulaient avait donné le tournis. Sans compter qu'il ne lisait que des trucs apparemment très chiants.

Ils ne se croisaient pas beaucoup. De temps à autre dans la cuisine, plus rarement dans le salon, et une fois mémorable, sur le toit de la tour. Tony n'aurait pas su dire s'il en était déçu, ou soulagé. Dans tous les cas, il se sentait nettement moins anxieux qu'au début autour du dieu, ce qui était à la fois une bonne et une très mauvaise chose. Il n'en serait que plus vulnérable en cas d'attaque surprise. Oui, tout ce comportement modèle n'était certainement qu'une ruse pour endormir sa méfiance.

Il porta un regard suspicieux vers son prisonnier qui ne sembla même pas l'apercevoir. Habillé d'un de ces ridicules peignoirs en soie verte et armé de ce qui ressemblait à… un martini ? À sept heures du matin ? Loki arpentait lentement la pièce, absorbé par le livre qu'il tenait de sa main libre. Ses lèvres bougeaient, juste un peu, comme s'il lisait à voix haute, et de temps à autre, il prenait une gorgée nerveuse de sa boisson.

Cela suffit à Tony pour oublier ses ruminations obscures.

« Salut Rudolphe, lança-t-il en récupérant sa tasse fumante. Comme le dieu ne réagissait pas, il insista. Hey Rudolphe ! Je te parle !

Loki eut un sursaut qui manqua de lui faire renverser la moitié de son verre. Il le regarda comme s'il venait de se téléporter au beau milieu de la pièce.

- Quoi ? croassa-t-il.

- Bien dormi, princesse ?

- Quoi ? demanda à nouveau le dieu, visiblement perdu. Quelle heure est-il ?

JARVIS lui répondit sans attendre, d'un ton docte et un peu condescendant.

- Il est actuellement sept heures et dix-huit minutes, monsieur Loki.

Tony eut vaguement le temps de remarquer le changement d'adresse, mais il ne s'y attarda pas plus que ça. Il n'avait pas envie de se plonger dans des problèmes familiaux qui ne le regardaient pas, merci beaucoup. Il avait déjà ses propres merdes à régler à ce sujet.

- En ce cas, j'ai peur de ne pas comprendre votre question, Stark. C'est à peine le début de la soirée.

- Ça explique le martini… Mais il est sept heures du matin. »

La bouche de Loki forma un petit cercle surpris. Tony but son café pour camoufler son sourire.

« Eh bien, vous ne m'avez pas l'air particulièrement reposé non plus, remarqua le dieu, visiblement sur la défensive.

Tony leva les mains au ciel en signe d'apaisement. Il avait tapé juste, et ils le savaient tous les deux.

- Très bien, très bien, je faisais juste un effort pour être poli, après tout.

- Non, vous vous moquiez de moi, le corrigea Loki en se baissant pour se ravitailler en martini. Tony aurait pu protester qu'on le pillait, mais il n'aimait pas assez le martini pour risquer une dispute avec monsieur le psychopathe dieu du chaos en personne.

- Vous en voulez, Stark ? »

Tony fit de son mieux pour contenir sa surprise. Le peignoir, le livre et le verre de martini rendaient la scène surréaliste. Il se força à ignorer le fait que le dieu se trimballait pieds nus, chez lui, et que ses cheveux non entretenus formaient de petites boucles. Tout cela devait faire partie d'un plan diabolique pour endormir sa méfiance, il ne voyait pas d'autres explications rationnelles.

Il avait beau avoir beaucoup changé depuis l'Afghanistan, Tony savait bien qu'il avait toujours un petit problème d'alcool. Oui, il en avait fini des soirées déjantées et non, il ne passait plus ses nuits à vomir, boire, pleurer, vomir, boire et pleurer (ou alors, quelque chose avait sérieusement déconné dans sa journée.), mais il les vestiges de ce vice particulier continuaient de le hanter. Une coupe de champagne n'avait jamais tué personne, se disait-il. Pas plus que deux, trois ou dix. Enfin, à titre personnel, il n'en était encore jamais mort.

Et il avait terriblement du mal à regarder quelqu'un boire sans lui. Encore plus de mal à refuser un verre. Même si celui qui le lui proposait se trouvait être un dieu extraterrestre et tueur en série, plus que capable de lui rompre le cou par haine ou simple ennui.

« Je n'aime pas le martini, protesta-t-il dans un dernier espoir de résistance.

Loki sortit une bouteille de whisky en réponse. Battu, Tony alla chercher glaçons et verre.

- Tu es une terrible influence.

- Je ne vous force à rien, Stark, répondit-il galamment en versant le whisky, et merde, parce que Tony sentait déjà sa bouche saliver au bruit des glaçons qui clinquaient contre le verre.

- Oui, parce que tu es un tel modèle de probité, maugréa-t-il. Eh bien, à un emprisonnement réussi, je suppose.

Loki rit et leva son verre en répétant.

- À un emprisonnement réussi. Surtout pour vous, je dois bien l'avouer.

- Tu n'es pas en mesure de te plaindre, Rudolphe, lui rappela-t-il. T'es vêtu, nourri, logé aux frais de la princesse, et t'as genre, une putain de tour haute technologie pour te balader. Tu dois être le prisonnier le mieux traité de l'histoire, sans déconner.

Loki haussa les épaules et porta son verre à ses lèvres.

- Vous n'avez pas tort, peut-être même bien que cela suffirait à l'un de vous autres, petits midgardiens, mais je suis le dieu du Chaos et vous feriez bien de ne pas l'oublier. J'aime trop la liberté pour rester trop longtemps au même endroit. Sans compter que vos menottes sont une vraie plaie, ajouta-t-il en agitant son poignet gauche pour démonstration. Et elles sont laides.

- Oui, parce que leur esthétique était ma priorité quand je les ai désignées, ironisa Tony. Juste pour information, j'étais un peu trop occupé par l'extraterrestre psychopathe qui dormait dans la même pièce que moi et pouvait se réveiller à tout moment pour mettre fin à ma brillante existence. Vraiment, l'idée de rajouter deux ou trois émeraudes à dix mille balles m'est pas passée par la tête.

Loki sourit derrière son verre, ses yeux calculateurs et amusés.

- Je n'aurais jamais osé, voyons…

- À d'autres, Rudolphe, à d'autres… Je suis sûr que t'es en train de planifier mon assassinat pendant qu'on parle, avec ton martini et ton espèce de peignoir de vieille riche.

Loki s'attaqua à son olive du bout des doigts, l'air pensif. Il la mangea lentement, en trois coups, une petite moue sur sa bouche fine. Tony se força à se concentrer sur son propre verre qui, oh surprise des surprises, était déjà vide. Il se resservit histoire de s'occuper l'esprit.

- Cela montre simplement que vous n'êtes pas complètement stupide, lui fit remarquer Loki. Je suis physiquement plus fort que vous. Et magie ou pas, je me suis entraîné toute ma vie avec les meilleurs guerriers d'Asgard. Vous trancher la gorge ne me prendrait que quelques secondes, et ni les secours, ni votre ingénieuse armure n'arriveraient à temps. C'est que, je fais ça bien.

- Je n'ai aucun doute là-dessus. T'as l'air d'un gars avec de l'expérience.

- Je suis expérimenté dans bien des domaines, confirma-t-il avec un sourire.

Tony grogna, parce que c'était clairement une autre référence sexuelle. Mais évidemment, sa bouche parla plus vite que sa raison.

- Je n'en doute pas non plus, t'as l'air d'un vrai tombeur, Rock of Ages.

Le sourire de Loki s'étira encore davantage, si cela était possible. Tony avait l'impression d'être au premier rang d'un de ces humoristes stupides, et que ledit humoriste l'avait pris pour cible lors d'une de ses blagues de mauvais goût.

- Oh, mais quel compliment, êtes-vous en train d'essayer de me séduire Stark ?

Non, non, et non. Tony n'était pas en train de séduire qui que ce soit, merci beaucoup. Peut-être qu'il n'avait plus Pepper, mais il était certain de pouvoir emballer une dizaine de gars attirants, grands et bruns si l'envie lui en prenait. Non pas qu'il en ait envie. Absolument pas. Mais ce que tout ce que sa stupide bouche parvint à répondre fut :

- Peut-être que si tu te comportais plus sagement, je pourrais être convaincu de t'offrir une petite récompense.

Les yeux de Loki brûlaient dans les siens à présent. Tony regrettait tous ses putains de choix de vie.

- Vraiment ? Parce que je pensais que vous n'aimiez pas les mauvais garçons, ronronna-t-il.

Okay, mission annulée, mission annulée, paniqua-t-il. Il toussa, croisa les jambes et rompit le contact visuel. Oh, il avait la soudaine envie de remplir son verre. Encore.

- Insupportable. » Marmonna-t-il dans sa barbe, ce qui ne sembla pas particulièrement vexer le dieu. Celui-ci se resservit aussi et posa son menton dans le creux de sa main pendant que Tony cherchait désespérément un moyen de détourner la conversation.

« Alors, comme ça, t'aimes bien lire ?

Ouais, pas sa meilleure réplique. Loki ricana, parce qu'il ne pouvait que voir clairement dans son jeu, mais il sembla tout de même le prendre en pitié parce qu'il lui répondit sans autre sous-entendu.

- C'est l'une des seules choses que votre civilisation fait correctement, oui. Les auteurs asgardiens n'ont pas autant de liberté que les vôtres, et cela se ressent dans leurs écrits.

- De liberté ? demanda Tony, à la recherche de plus de précisions.

Loki le regarda comme s'il était stupide. Sa bouche prit des airs réprobateurs et un peu snobs. Tony pensa distraitement que, pour un dieu du mensonge, il avait un visage très expressif.

- Asgard a des millions d'années d'existence, Stark, l'informa-t-il avec mépris. Il est très difficile pour une société aussi vieille de changer ses normes, sociales ou culturelles, car elles constituent le socle sur lequel elle s'est construite. Et plus les siècles passent, moins notre monde change. Les asgardiens pensent avoir atteint le stade ultime de leur évolution parce que cette croyance les conforte dans leurs vies calmes et bien rangées. Ils n'ont aucune envie de voir du changement parce que cela pourrait bouleverser leur confort matériel et, plus important encore, les bases de leurs valeurs morales auxquelles ils croient tous fermement.

Tony huma, les explications du dieu se tenaient plus ou moins, songea-t-il.

- Et donc ? Le rapport avec tes bouquins ?

- Et donc, la littérature asgardienne est très convenue, continua Loki. Elle suit tout un tas de codes, souvent moraux. Les notions de bien et de mal sont très présentes et beaucoup de nos histoires n'ont qu'une valeur éducative. D'ailleurs, passé l'âge de l'adolescence, la plupart des asgardiens cessent totalement de lire.

- C'est vraiment ridicule, abonda Tony. Je suis pas fan de tous ces trucs, il faut tourner des pages et tout, mais ça doit être incroyablement frustrant.

- Ça l'est. Heureusement pour moi, il reste tout un tas de livres traitant de magie, science, et autre à Asgard. Mais encore une fois, tout cela reste très didactique. Si je cherche un ouvrage avec un tant soit peu d'originalité, je suis obligé d'aller visiter d'autres mondes. Vous verriez nos poètes, ajouta-t-il avec dédain, ils n'ont rien écrit d'autre que des ballades guerrière en des décennies. Vous penseriez qu'ils feraient un peu évoluer leur art de temps en temps ? Mais non, surtout pas !? C'est d'un ridicule à pleurer.

Tony rit, parce que l'enthousiasme avec lequel Loki parlait de ballades était absolument hilarant, et peut-être aussi parce qu'il était plus que pompette à ce stade de la conversation.

- Rappelle-moi de t'introduire à Cinquante Nuances de Gris, j'ai hâte de voir ce que ça va donner. »


Tony se réveilla sur son canapé avec le goût d'un rat mort dans la bouche. Un classique. Il se souvenait même plus ou moins de la manière dont il était arrivé là : avec le dieu du chaos en personne, plutôt hilare sous l'effet de beaucoup, beaucoup de martinis et d'olives. Tony lui avait montré avec emphase le tapis, collection spéciale, à quelques milliers de dollars, parce qu'il aimait les choses chères et inutiles, sur lequel il était arrivé une semaine auparavant, et lui avait expliqué en long en large et en travers pourquoi il était très impoli de se vider de son sang dessus.

Loki en avait déduit que, même dans la mort, il n'acceptait que les choses de luxe. Tony avait été d'accord.

En parlant du loup… Tony évalua son entourage d'un bref coup d'œil. Loki semblait dormir du sommeil des bienheureux dans le fauteuil de son salon. Deux ou trois cadavres de bouteille l'entouraient.

Amusé, Tony se leva, ramassa le gros des déchets et partit à la recherche d'une poubelle, d'un café et d'un Doliprane. Il ignora l'étrange sentiment d'allégresse qui fleurissait dans sa poitrine malgré la gueule de bois. C'était le problème du Tony du futur.

JARVIS l'informa aimablement qu'il avait raté un autre shooting photo dont il n'avait jamais connu l'existence, puis lui indiqua qu'il avait une réunion de prévue avec l'équipe marketing des Avengers dans une dizaine de minutes. Tony annula. Il ne se sentait pas particulièrement enclin à discuter conférence de presse et esprit d'équipe en ce moment, plutôt à s'enfermer dans son atelier, ranger le bordel qu'il y avait foutu et s'assurer que les robots allaient bien.

Est-ce que Tony culpabilisait de cacher le dieu au reste de son équipe de super-héros du dimanche ? Peut-être un peu. Mais quoi, ils avaient été prévenus, il était du genre à se la jouer solo. De plus, il connaissait assez bien Natasha et Clint pour savoir à qui irait toujours leur loyauté. Au SHIELD, à leurs armes et à leurs méthodes douteuses. Tony pouvait leur reconnaître un certain niveau de compétences, mais il savait qu'aucune organisation n'arrivait à une position aussi puissante en gardant son éthique intacte. Il avait dirigé Stark Industries, après tout.

L'autre problème, c'était qu'il était allé trop loin dans ses cachotteries pour faire marche arrière. Peut-être que s'il les avait appelés pendant que le dieu était encore à moitié comateux, ou à sa première tentative d'évasion, il aurait pu s'en tirer avec des excuses en règles. Mais à présent qu'il le laissait se balader dans sa tour, qu'il buvait des coups et flirtait avec, il y avait de bonnes chances pour qu'on se questionne sur sa santé mentale. Si on ne l'enfermait pas tout bonnement pour complicité.

Il y réfléchit en prenant l'ascenseur qui le menait à son atelier. Envoyer le dieu à Asgard, plutôt que de le remettre au SHIELD restait sa meilleure option. Certes, il s'était déjà échappé des prisons de sa planète dorée, mais cela n'avait de toute évidence pas bien fini pour lui puisqu'il s'était retrouvé en arrêt cardiaque sur son tapis de luxe. Peut-être que Thor serait prêt à écouter ses arguments, et à garder son petit secret loin des oreilles indiscrètes du SHIELD ?

Oui, plus il y songeait et meilleure lui paraissait l'idée. Thor ne pourrait que se montrer reconnaissant, il avait sauvé la vie de son petit frère, s'était parfaitement occupé de lui, et avait subi ses tentatives de drague auxquelles il avait bravement résisté. Il lui en devait bien une. Voire deux.

Un peu rassuré, Tony entra dans le labo. Il avait du rangement à faire.

Comme toujours, il perdit toute la notion du temps une fois immergé dans l'atmosphère du lieu. Il n'avait pas causé tant de dommages que cela, et les robots avaient déjà bien entamé le rangement. Une fois la pièce remise en ordre, il décida de jeter un œil à sa dernière armure, un prototype haute vitesse, histoire de voir ce qui pouvait être amélioré.

Il fut sorti de ses pensées par un bruit sourd, si fort que les murs autour de lui tremblèrent. Il manqua d'en faire tomber la tablette qu'il tenait à la main alors que le son se répétait.

« JARVIS ? Je peux savoir d'où vient ce séisme ?

- Il semblerait que monsieur Loki ait décidé de faire un peu de bricolage. Mes excuses, je n'ai pas réussi à l'en dissuader. »

Tony songea un instant à abandonner la bataille et à rester dans son atelier. Il ne se sentait pas vraiment d'aller s'embrouiller avec le dieu. Malheureusement pour lui, il devait tout de même garder sa tour debout…

Frustré et maudissant le super-vilain local et son propre altruisme qui l'avait poussé à sauver sa vie de psychopathe, Tony abandonna son travail et se dirigea vers l'ascenseur.

Tony s'était toujours considéré comme un énorme bordélique. Le Roi des bordéliques en personne, en fait. C'était aussi pour cela qu'il travaillait si mal avec les autres : personne ne comprenait ses méthodes. D'ailleurs, lui-même avait du mal à les comprendre parfois.

Loki pratiquait cependant l'art du bordel à un tout autre niveau. Il y en avait jusque dans le couloir, des piles et des piles de livres, de documents, de fringues. La porte avait été démontée de ses gonds et il en manquait une partie. Tony repéra avec un certain niveau d'inquiétude une scie sauteuse, toujours branchée et abandonnée au sol, sécurité désactivée.

L'intérieur de la chambre était indescriptible. Des outils, scies, ponceuses, tournevis, des bouts de bois, de métaux absolument partout. Il y avait des trous énormes dans le mur et la plupart des meubles avaient été démontés ou réduits en morceaux. Loki, en plein milieu de la chambre, avait fixé une planche entre deux chaises et sautait dessus. Il ne portait ni lunettes, ni casque de protection, mais avait de toute évidence décidé que ses propres vêtements étaient trop bien pour ce genre d'activité parce que Tony reconnut un de ses tee-shirts d'adolescent et le pantalon noir qu'il portait déjà lors de sa dernière évasion en date.

Tony, à ce stade, se sentait trop putain de désespéré pour ne serait-ce que crier.

« Tu sais, si j'avais voulu décorer ma tour, j'aurais engagé des professionnels, s'annonça-t-il avec un raclement de gorge.

La planche craqua dans un bruit sinistre. Loki atterrit gracieusement entre les deux chaises et rejeta ses cheveux en arrière, essoufflé. Il avait l'air très satisfait de son œuvre.

- Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, je me souviens nettement avoir reçu permission de votre part, mentit-il.

- T'as reçu aucune permission et tu sais pourquoi ? Parce que je sais que t'aurais foutu des putains d'animaux cornus partout !

- Je n'ai pas de problèmes avec les animaux cornus ! protesta le dieu.

- Tu as des cornes de genre deux mètres sur ton armure de bataille ! s'agaça Tony, que la mauvaise foi évidente de son prisonnier énervait.

Loki croisa les bras sur sa poitrine, l'air maussade. Il marmonna :

- Elles me font paraître plus grand.

Ce n'était pas la justification à laquelle Tony s'était attendue. Il jeta les bras en l'air de désespoir.

- Mais c'est complètement débile ! T'es déjà genre, super grand, releva-t-il.

- Pour un nabot comme vous, peut-être, rétorqua Loki, menton levé.

- T'as dit quoi là ?

- Oh, excusez-moi monsieur le nabot, je ne savais pas que mes mots mettraient si longtemps à atteindre le sol. Il doit y avoir un problème de décalage horaire, le nargua le dieu.

Petit enfoiré sournois.

- Très drôle, mais le problème est clos, Rudolphe, tu vas me remettre tout ça en ordre, et que ça saute ! Je suis pas contremaître et j'ai autre chose à faire que de superviser ton bordel.

- Mais je ne faisais que de m'inspirer de ma dernière lecture Stark. Vous savez, celle que vous m'avez si gentiment recommandé.

Oh, oh. Tony ne voyait pas très bien le rapport entre le bouquin porno qu'il avait mentionné complètement ivre et la destruction de sa tour, mais cela ne pouvait signifier qu'une chose Loki cherchait vengeance :

- Tu n'as pas apprécié l'expérience ? demanda-t-il le plus innocemment du monde.

- Oh si, si, très inspirant. J'ai juste perdu le peu d'espoir qu'il me restait en votre espèce.

Tony rit malgré lui, ce qui ne sembla pas améliorer l'humeur du dieu.

- Parce que vous trouvez ça drôle, Stark ?! Vous n'avez aucune idée d'à quel point la prose de cette E. L. James est une insulte à l'intégralité de votre littérature. Comment votre race peut-elle avoir produit des génies comme Shakespeare, Wilde ou même ? Et en même temps pondre cette bouse infâme. Et je ne parle même pas de toutes les problématiques morales que ces cinquante nuances de vide intellectuel soulèvent ! Oh, et, vraiment, c'est cela que vous appelez sexe ? Quel âge avez-vous exactement, cinq cents ans ?

Le génie n'avait aucune idée de ce à quoi équivalaient les cinq cents ans d'un asgardien, mais il trouvait sa tirade hilarante. Loki était bel et bien un snob de la littérature, il n'y avait plus de doute permis.

- Je ne vois toujours pas le rapport avec ta soudaine envie de décoration, articula-t-il lorsque son rire se fut un peu calmé.

Loki haussa les sourcils.

- Je construis ma bibliothèque. Il semblerait que je doive rester ici un moment, après tout. Et j'avais besoin de relâcher un peu de tension.

- Je connais des moyens plus efficaces pour relâcher ta tension, répartit Tony avant d'avoir pu bien réfléchir. Il se reprit brusquement. Enfin, je suppose que c'est un truc de Dieu du chaos, hein, qui suis-je pour juger ? Simplement, ça me paraît pas être très efficace ton histoire.

- C'est que vous êtes arrivé en plein milieu de mon processus créatif, lui répondit le dieu. Ne vous en faites pas, tout retournera dans l'ordre d'ici… quelques semaines, je dirais ?

Ah oui, le fameux processus créatif qui consistait à détruire ses portes et à sauter sur des planches innocentes… Tony ne parvint pas à être réellement énervé. Il était sûr que son invité essayait simplement de l'asticoter. Par contre, il craignait un peu que le chantier dure vraiment plusieurs semaines. Loki en serait plus que capable.

- Tu sais quoi ? Je suis sûr que lire ce chef-d'œuvre du vingt-et-unième siècle a été une énorme épreuve intellectuelle pour toi, tout le monde ne peut pas comprendre son génie après tout, dit-il, et Loki plissa son nez, l'air vaguement dégoûté. Je suis prêt à t'aider à construire la meilleure bibliothèque du monde pour me faire pardonner, qu'est-ce que tu en dis ?

- J'en dis que votre proposition m'a tout l'air d'un plan mal déguisé. Vous voulez juste vous assurer que je ne détruis pas votre précieuse tour dans mes travaux, observa-t-il.

- Peut-être… Alors, on a un marché ? demanda Tony en tendant la main.

Loki le regarda quelques secondes de trop, surpris. Ses yeux verts étaient un peu écarquillés, ses sourcils haussés et sa bouche s'était affinée. Il avait l'air désarmé, presque innocent, surtout avec les vêtements de Tony.

C'était une mauvaise idée, une très mauvaise idée, songea Tony. Parce que Loki était loin d'être un innocent. Mais à cet instant précis, il ne parvint pas à se raisonner, et, en regardant dans ces yeux verts, il y entrevit quelque chose, des jours à venir, où il pourrait les voir sourire, entre deux blagues et moqueries. Un futur où il ferait n'importe quoi pour ces yeux, où ils n'auraient qu'à battre des cils, écarter un peu les paupières pour obtenir n'importe quoi de lui.

Le moment fut rompu lorsque Loki lui serra la main. Tony déglutit nerveusement, priant pour que le dieu n'ait rien perçu de ses pensées, et que quelqu'un, n'importe qui, vienne l'en guérir. Certes, il était loin d'être un saint, mais il ne serait pas non plus le gars qui abandonnait toutes ses valeurs pour un joli minois. Il était meilleur que ça, merde.

Il se força à se concentrer sur la tâche qui les attendait. Il leur restait beaucoup de travail, après tout.


Les travaux ne se passèrent pas spécialement bien. Loki avait genre, un million d'idées complètement irréalisables auxquelles il tenait dur comme fer, et considérait que l'incapacité de Tony à les réaliser était due à de la fainéantise ou à une espèce de stupidité pathologique. Tony lui-même n'était ne se comportait pas mieux. Il avait sa propre vision de la chose, et il était trop têtu pour admettre que, effectivement, ce n'était pas sa chambre qu'ils étaient en train de retaper.

Heureusement pour eux deux, ils parvinrent tout de même à trouver un terrain d'entente entre deux concours d'insultes, et même, de manière plus mémorable, jets de tournevis, d'écrous et de peinture.

Lorsque leur entreprise parvint à sa fin, Loki était l'heureux propriétaire d'une bibliothèque qui couvrait un mur entier de sa chambre. Ils avaient eux-mêmes scié, poncé, peint et vernis les planches qui servaient aux étagères, et Tony s'était occupé de fabriquer une échelle qui coulissait entre les rayons, et permettait au dieu d'accéder aux livres plus en hauteur.

Loki avait également insisté pour avoir une bibliothèque au plafond. Tony avait eu très envie de l'assassiner à ce moment-là, mais le dieu n'en avait pas démordu, aussi avait-il cédé, principalement pour épargner ses propres nerfs. Le résultat n'était pas si mal, mais honnêtement, cela avait été beaucoup d'effort pour pas grand-chose.

À la fin de leur grande entreprise, la pièce était encore plus en bordel qu'auparavant et le couloir s'était transformé en un énorme atelier improvisé. Tony était épuisé, suant, couvert de copeaux de bois qui le grattaient vicieusement, et de peinture parce que Loki avait trouvé que : « Le vert lui allait bien », mais il se sentait miraculeusement apaisé. Peut-être que retourner aux bases du bricolage avait fait plaisir à son enfant intérieur, ou qu'il avait un faible caché pour les batailles de peinture, mais vraiment, il n'avait pas reçu autant de dopamine depuis un moment.

« Qu'est-ce que tu dirais d'une pizza maintenant ?

Loki le regarda à travers ses cils, il n'était pas dans un meilleur état que Tony, mais il souriait un peu, une tache de peinture rouge au travers de son front blanc, et des petits bouts de bois dans ses cheveux.

- Je n'aurais jamais cru dire cela un jour, mais la rumeur dit vrai, vous êtes un génie Stark. »