Disclaimer : le personnage de Tristan n'est toujours pas à moi, bien que je fasse des pieds et des mains pour me l'approprier ! Sinon, le reste est à moi !

Ce qui devait être un chapitre unique va s'étoffer quelque peu, grâce aux encouragements de Dr Gribouille et sur la demande express de Tarahiriel, dont les excellentes idées relancent mon imagination ! Ce chapitre supplémentaire vous est dédié !!

Tristan et son frère aîné Loran sont donc partis à la suite des soldats romains pour remplir leur part du contrat imposé par l'empire… Comme Tristan l'espérait, ils ont été envoyés ensemble en Bretagne, au devant des aventures chevaleresques qui les faisaient rêver lorsqu'ils étaient enfants, mais aussi vers la violence, la brutalité et la mort… (hmm… Ca promet. Moi qui voulais écrire quelque chose de gai pour changer ! Le premier chapitre était plutôt joyeux, non ?) Cette histoire se passe environ cinq ans après le départ des deux jeunes gens de leur Sarmatie natale. Donc Tristan a approximativement 18 ans et Loran 21.

Bonne lecture !

Réponses aux reviews :

Tarahiriel : Joyeux anniversaire !! Tu m'as encore donné une bonne idée, elle a germé dans ma petite tête, et voici ce que ça a donné ! Je vois que tu as aussi des pistes à toi ! D'ailleurs je conseille à tout le monde d'aller lire "Prédiction" !

Dr Gribouille : ah ! Ma revieweuse préférée ! Merci merci merci ! Je suis ravie de voir que Bérian a autant de succès. C'est un vrai petit démon sous un visage d'ange, mais il est adorable malgré tout ! J'ai voulu le faire intervenir dans ce chapitre, mais, tu verras en lisant que c'était quasi impossible…

Bee Orchid : merci ! Vois comme je suis une gentille auteur et comme j'obéis aveuglément aux ordres de mes lecteurs ! Je n'ai pas de frère, mais un cousin avec lequel c'était un peu pareil… Dans le fons, je crois que le père de Tristan n'est pas si méchant que ça. Juste un peu rustre !

Kikou2011 : merci ! Il est vrai qu'il est toujours plus agréable de lire dans sa langue !

Kestrel : merci beaucoup! Succès unanime pour Bérian, on dirait… N'essaierait-il pas de voler la vedette à son grand frère ???

Atalante123 : merci ! Je me suis creusée la tête pour Lancelot (enfin, comme j'ai pu, parce que je suis très occupée en ce moment…) mais en vain. C'est plus difficile pour lui parce que je suis conditionné par "le chevalier de la charrette" de Chrétien de Troyes qui coupe cours à l'inspiration. Je suis vraiment désolée ! Si ça peut te consoler, il fait une apparition furtive dans ce chapitre…

L'âme d'un chevalier : loin de la terre et du ciel

Tristan relâcha la corde de son arc, tendue à l'extrême. La flèche partit en sifflant et vint se planter à quelques centimètres du centre de la cible de corde peinte.

- Pas mal, commenta Loran.

Tristan soupira.

- Je ne ferai jamais aussi bien que toi…

De dépit, il jeta son arc au sol. Loran qui était assis dans l'herbe verte, contre le tronc d'un arbre à l'écorce humide, le ramassa.

- Ne dis pas ça, Tristan. Tu débrouilles mieux que moi au corps à corps.

- L'épée c'est une arme de barbare, répliqua Tristan, manifestement vexé de ses maigres performances. Je voudrais devenir un éclaireur aussi doué que toi…

- Arthur n'a plus besoin d'éclaireur. Ce qu'il lui faut ce sont des combattants robustes et téméraires…

- De la chair à canon, soupira Tristan.

Loran ne trouva rien à répondre. Il savait que les années qu'ils devraient passer dans cette contrée seraient difficiles. Il pouvait supporter toute cette violence. Mais Tristan…

Il avait attendu, espéré longtemps avant de partir, de quitter son pays natal. Il avait souri quand il avait su que lui et son frère seraient affectés à une garnison de Bretagne. Mais depuis, aucun sourire n'avait plus éclairé son visage encore juvénile. Depuis cinq ans, il n'avait connu que la guerre, l'âpreté du combat, les coups tranchants d'épée, les pointes acérées des flèches ennemies, les blessures qui cicatrisaient mal sous l'humidité froide de cette contrée, les plaisanteries salaces des chevaliers plus âgée… Seule la présence de son frère aîné lui avait permis d'accepter son sort sans trop se révolter.

Tristan baissa les yeux sur la terre grasse qu'il avait tant souhaité fouler. Aujourd'hui, s'il ne regrettait en rien la grisaille sarmate, il ne trouvait plus aucun attrait aux vertes collines de la Bretagne. Le sang qui avait coulé sur cette herbe luxuriante en avait terni l'éclat, comme l'eau qui rouille le fer. Et, à présent, son coeur errait, sans terre, sans autre patrie que celle qu'il était obligé de suivre, sans autre famille que ses compagnons d'armes.

Loran fut secoué d'une violente quinte de toux qui sortit Tristan de ses pensées. Il se pencha sur son bras.

- Ca va ? demanda-t-il en tendant la main vers lui.

Loran repoussa sa main. Lorsque sa toux se fut calmée, il se redressa un peu, le dos toujours appuyé contre l'arbre, les jambes tremblantes. Du revers de sa manche, il essuya le mince filet de sang qui lui coulait sur le menton.

Tristan fronça les sourcils.

- Tu es malade, Loran, dit-il d'une voix sévère.

Loran, peu habituée à voir son petit frère employer ce ton, se força à sourire.

- Ce n'est rien. Il fait un peu plus froid cet hiver. Ca passera au printemps.

Mais, au fond de lui, il en doutait. De terribles quintes de toux le saisissaient depuis l'automne, lui déchirant la poitrine et lui arrachant des grimaces de douleur, lui qui ne se plaignait pourtant jamais de ses blessures. Mais, depuis quelques semaines, son état empirait : il crachait régulièrement du sang et s'essoufflait à la moindre course. Si, par malheur, l'une de ses terribles toux le prenait au milieu de la bataille, elle risquait non seulement de lui coûter la vie, mais aussi de faire payer ses compagnons… Il tenait peut-être peu à la vie, mais il ne voulait surtout pas que les autres pâtissent de sa mauvaise santé.

- Allez, viens, reprit-il en faisant signe à son frère de le suivre. Arthur veut nous parl…

Mais il ne termina pas sa phrase. Sa gorge se serra et le goût métallique du sang envahit sa bouche. Se détournant de Tristan, il cracha un flot de liquide rouge sombre par terre. Mais son frère l'avait bien vu et lui saisit le bras. Il le repoussa violemment.

- Laisse tomber, Tristan ! Ne t'occupe de moi ! Tu ferais mieux de t'entraîner au tir si tu veux progresser…

Blessé, Tristan lui jeta un regard noir. Loran comptait parmi les plus doués et les appréciés des chevaliers, malgré son jeune âge. Tristan avait pris l'habitude de rester dans son ombre ; il se fichait de la gloire pourvu qu'il puisse rester en vie et à peu près valide. Mais que son propre frère remette en question ses capacités d'archer… Cela, il ne pouvait l'endurer.

Il tourna brusquement les talons et s'éloigna de son frère, qui, sous l'effet de la douleur, se glissait glisser à terre, la respiration saccadée et irrégulière.

- Tristan… parvint à dire Loran.

Mais sa voix faible se perdit dans le souffle du vent et son frère ne l'entendit pas.


La seule chose que Tristan appréciait dans ce pays, en dehors du fait qu'il pouvait "jouer au chevalier" tout à loisir, était la forêt. Dans son pays, il n'y avait rien de comparable. Ici, les arbres semblaient toucher le ciel, comme s'ils voulaient toutes les créatures qui venaient se réfugier sous leurs branches épaisses. Tristan, comme les énigmatiques rapaces aux yeux furtifs, allaient parfois trouver un abri sous les feuillages abondants.

Loran était la seule personne qu'il aimait ici. Il était le seul être pour qui il avait envie de se battre. Mais il était si sérieux… Pour lui, être chevalier était un but en soir. Pour Tristan, ce n'était qu'une transition obligée vers un autre monde, un monde meilleur, où le sang ne coulait ni des blessures que les hommes s'infligeaient pour des raisons qu'ils ignoraient, ni de la bouche des chevaliers épuisés par le combat.

Le soleil se couchait encore une fois sur les collines de Bretagne. La terre brune et grasse s'abreuvait à nouveau de sang. Il semblait au chevalier que, chaque soir, tous les hommes morts au combat allaient rejoindre le soleil et se mettaient à briller dans sa lumière incandescente. Et il ne pouvait s'empêcher de penser qu'un jour son frère et lui-même viendraient grossir les rangs de ces braves qui avaient donné leur vie à une cause qu'ils ne comprendraient jamais.

De la centaine de chevaliers qui avaient rejoint cette garnison, sous les ordres de leur confrère, mais néanmoins meneur, Arthur, il n'en restait aujourd'hui qu'à peine trente. Et seulement cinq années avaient passé.

Tristan se demandait si d'autres que lui se posaient parfois la question de savoir pourquoi, pour qui ils se battaient. Loran, si sage et si réfléchi, avait bien du s'interroger sur leurs motivations… Mais c'était un sujet sur lequel il ne fallait pas s'aventurer. Même Loran n'aurait pas voulu en entendre parler. Il suffisait de savoir que là était leur devoir et qu'ils ne pouvaient pas y échapper. Il leur fallait risquer leur vie sur-le-champ de bataille, chaque jour, pendant quinze, affrontant des ennemis parfois plus nombreux qu'eux, mais jamais plus forts, disait Arthur. Alors, ils se battaient. Mais pourquoi, pour qui ?

Arthur se battait pour Rome, pour son dieu et pour un idéal. Tristan ne connaissait ni Rome, ni le dieu des Romains et il avait perdu ses idéaux le jour où son épée avait donné la mort pour la première fois.

Le soleil disparut derrière les collines, qui sombrèrent dans une pénombre adoucie par la lumière mystérieuse d'une lune gibbeuse. Les guerriers avaient fait leurs adieux à ceux qui restaient, et leurs esprits flamboyants laissaient la place à l'astre de la nuit, échangeant les couleurs vives et brûlantes du crépuscule contre la douceur pâle du clair de lune. Et les arbres se fondaient dans la nuit, et les feuilles et les branches pénétraient l'obscurité, et le ciel disparaissait dans le néant sombre. Et Tristan ne pouvait penser à autre chose qu'aux paroles blessantes de son frère.

Loran était le meilleur des archers du régiment. Tous le respectaient et Tristan aurait voulu recevoir les mêmes égards. Au lieu de cela, tout ce qu'il avait obtenu aujourd'hui, c'était une remarque cinglante de la part de son frère, ce frère qu'il admirait, ce frère qu'il tentait, par mille efforts quotidiens, d'égaler.

Vexé et blessé, il décocha un violent coup de pied dans une souche en dégradation, qui s'effondra sous le choc. Déséquilibré, Tristan bascula et tomba à plat ventre sur le sol humide. Il soupira profondément, autant de colère contre lui-même que de déception.

- Alors, tu ne tiens plus ses tes jambes, petit frère ?

La voix de Loran, à présent rétablie, retentit au-dessus de Tristan. Il se retourna sur le dos et dévisagea son aîné avec des yeux pleins de rancune, sans lui dire un mot. Loran lui souriait d'un air un peu embarrassé, comme s'il n'osait s'excuser. Tristan, que ce silence pesant agaçait au plus haut point, s'assit contre un tronc d'arbre, attrapa une petite branche, sortit un couteau de sa poche et commença à tailler une hampe de flèche, l'air de rien.

- Tu m'en veux ? finit par demander Loran.

Son frère ne daigna pas lever la tête de sa prenante occupation. Loran, comprenant qu'il était allé trop loin, se mordit la lèvre d'impatience et d'irritation.

- Fais pas le con, Tristan… Tu n'as plus 10 ans !

Tristan cessa son activité, déposa ses outils et s'installa plus confortablement contre son arbre, étendant ses longues jambes devant lui. Mais il ne leva pas les yeux. Loran fit un pas en avant, vers lui. Avec un imperceptible sourire aux lèvres, Tristan déplaça l'une de ses jambes en direction des pieds de son frère, qui ne vit rien. Dans un éclat de rire de Tristan, Loran s'affala devant son jeune frère.

- T'es vraiment un salaud… gémit-il en se massant le coude.

- Tu peux parler ! répliqua Tristan en l'aidant à se remettre debout.

- Tu m'en veux ? répéta Loran.

- Évidemment… répondit Tristan.

Mais il souriait.

- Pardon, dit Loran d'un air penaud. Je ne le pensais pas. Si seulement tu arrêtais de jouer les grands frères…

- Si seulement tu arrêtais de jouer les héros… rétorqua Tristan avec ironie. Laisse cette place à Arthur. Je me fiche bien qu'il se fasse tuer ou qu'il tombe malade, lui.

- Tu es dur avec lui. C'est quelqu'un de bien. Nous aurions pu tomber sur pire.

Tristan haussa les épaules. Il n'avait rien contre Arthur. Il le trouvait sévère mais juste. C'était un bon chevalier, un excellent même, que chacun prenait comme exemple. Mais ce que le jeune Sarmate n'appréciait pas, c'était de voir que son frère s'entendait parfaitement bien avec Arthur. Parfois mieux qu'avec lui-même. Il ne se le serait jamais avoué, mais il était jaloux de l'attention que Loran portait à Arthur, jaloux des talents que les deux hommes partageaient et qu'il ne parvenait pas à acquérir…

- Pourquoi est-ce que tu ne l'apprécies pas ? demanda Loran.

- Pourquoi est-ce que tu l'apprécies ? renchérit Tristan, irrité.

Loran mit un certain temps avant de répondre, rêveur :

- Je l'admire. Il est fort, brave ; il se sait se battre, il ne craint ni le danger ni la mort. J'aimerais lui ressembler…

- Mais tu lui ressemble ! s'écria Tristan. Tu vaux même mieux que lui !

- Merci pour ton jugement impartial et très objectif, petit frère… répondit Loran en riant.

Puis, plus sérieux, il ajouta :

- A chaque bataille, je sens la mort. Et elle me fait peur.

- Nous craignons tous de ne pas survivre au prochain combat. Même Arthur. C'est humain !

- Nous sommes des guerriers, Tristan, dit Loran en contemplant le sol sous ses pieds. Quand nous tuons, ce n'est pas seulement pour nous protéger. Quand nous tuons, nous en retirons du plaisir, de la fierté. Nous ne sommes plus humains…

Tristan haussa un sourcil incrédule, se demandant où son frère voulait en venir. Après quelques instants, il répondit :

- Arrête de philosopher. Laisse ça aux Romains ! Nous sommes simplement là parce qu'on nous y a forcés.

Loran eut un sourire faible, peu convaincu.

- Tu as peut-être raison… Allez, viens. Tu n'es pas venu à la réunion. Arthur va te passer un sacré savon…


- Tu crois vraiment que tu peux te permettre de venir quand ça te chante ? Et que comptes-tu faire ensuite ? Jouer les dilettantes sur le champ de bataille ?

Loran avait vu juste. Arthur était toujours furieux lorsque l'un des chevaliers refusait de venir s'informer des nouvelles directives de l'armée romaine. Et cela arrivait de plus en plus souvent à Tristan. Par conséquent, il se retrouvait, encore une fois, face à un Arthur passablement énervé, sans même la présence de Loran pour lui sauver la mise. Mais c'était peut-être mieux ainsi. Se faire rabaisser par Arthur devant son frère n'était pas une perspective susceptible de plaire à Tristan.

En général, il ne répondait rien, se contentant de regarder le sol avec une obstination caractéristique. Il écoutait simplement le sermon d'Arthur d'une oreille distraite, en songeant à la liste des tâches auxquelles il allait devoir s'appliquait ensuite.

- Je ne crois pas que tes capacités te permettent de rester vivant très longtemps en tenant un tel rôle… lança Arthur avec courroux.

Là, c'en était trop. Tristan pouvait supporter les piques que son frère lui lançait lorsque la colère le prenait. Il pouvait aussi supporter les remontrances d'Arthur. Mais s'entendre dire par lui qu'il n'était pas à la hauteur des autres, c'en était trop.

Il serra les dents pour éviter de parler plus vite que sa raison, déjà bien emportée, ne le lui conseillait.

- Tu ferais mieux de t'entraîner… poursuivit Arthur.

- C'est ce que je fais, murmura Tristan entre ses dents.

- Alors tu le fais mal. Ou pas assez. Regarde ton frère ! Est-ce qu'il disparaît dans la nature quand il s'agit de préparer le combat, de mettre au point des stratégies ? Est-ce qu'il…

- Je ne suis pas mon frère ! l'interrompit-il, haussant fortement le ton.

- Tu n'as pas le droit de me parler comme ça ! s'écria Arthur.

- Et toi, tu n'as pas le droit de me donner des ordres ! Tu oublies qui tu es, Arthur. Tu es comme nous, tu ne vaux pas plus que nous, quoique certains puissent en dire…

Arthur ne parut pas blessé de cette remarque. Il n'avait jamais prétendu être leur chef. Son expérience et ses relations avec Rome faisaient simplement de lui un meneur. Mais jamais il n'aurait accepté un titre officiel.

- Je sais qui je suis, Tristan, répondit-il plus calmement. Et il serait temps que tu comprennes qui tu es, toi aussi…

Ce disant, il le quitta, toujours digne et respectable. Cela aussi, Tristan détestait. Arthur restait toujours égal à lui-même, sans jamais une saute d'humeur, ni une parole plus haute qu'une autre. Arthur, comme Loran, était trop parfait…

Il desserra les poings et contempla ses mains blessées par les armes. Il faisait des efforts, même si Arthur pensait le contraire. Il s'entraînait dur, mais les résultats ne suivaient pas, parce qu'il n'y prenait aucun plaisir. Comment prendre du plaisir à manier une épée dans le vide, ou à tirer sur une cible de paille ? C'était différent au coeur de la bataille, lorsque les ennemis tombaient sous ses coups et ne se relevaient plus, lorsqu'il faisait couler le sang… A chaque coup, à chaque flèche décochée, il se sentait plus fort. Combien d'hommes avait-il déjà tués ? A cette pensée, il frissonna. Était-ce humain de donner la mort ? Ce pouvoir n'était-il pas un privilège des dieux ? Tous ces combats n'étaient-ils pas une offense à leur suprématie ?

Mais, cela importait peu. Tristan chassa bien vite toutes ces pensées angoissantes de son esprit. Ce qui comptait pour l'instant, c'était de faire comprendre à Arthur qu'il valait aussi bien qu'eux tous et, surtout, aussi bien que Loran.


L'épée fendit l'air comme à l'entraînement. Mais cette fois, il y avait un but ; l'arme avait une destination bien précise. Et elle y parvint avec une exactitude qui aurait profondément satisfait Arthur s'il n'avait pas été occupé à égorger un Saxon à quelques pas de là.

Tristan retira son épée du corps sanglant qui s'effondrait sous lui, et se précipita vers l'un de ses compagnons, bien en peine face à trois hommes armés de haches. Il leva à nouveau son arme et, avec la même précision, abattit un autre ennemi. A chaque coup, la lame tranchante s'enfonçait dans les corps comme s'ils avaient été fait d'eau. Et, dès qu'il retirait l'épée de leurs entrailles, le sang coulait à flots, abreuvant la terre de Bretagne d'un engrais écarlate qui la fertilisait mieux que toutes les potions de ménagère.

Lorsque les trois Saxons qui leur tenaient tête se retrouvèrent à terre, Tristan et son compagnon échangèrent un sourire sauvage de rapace victorieux.

Mais, soudain, une douleur fulgurante transperça le bras gauche de Tristan. Il eut simplement le temps de sauter de côté, avant qu'une hache saxonne, arme vile par excellence, lui sectionne le bras. Mais l'arme lui avait déjà entaillé la chair, presque jusqu'à l'os, et le sang coulait abondamment. La Bretagne était ainsi : elle buvait aussi bien le sang de ses envahisseurs que celui de ses défenseurs. Mais, finalement, les Romains étaient en quelque sorte des envahisseurs…

Tristan grimaça de douleur. Sa vue se brouilla un instant, mais il était encore suffisamment lucide pour voir que le saxon qui l'avait blessé s'avançait d'un air menaçant vers lui, brandissant sa hache. Tout à coup, il s'immobilisa et tomba comme une masse, le nez dans la boue, une flèche fichée dans l'arrière du crâne. Tristan regarda autour de lui et sourit à Loran qui venait encore une fois de lui sauver la vie.

Loran voulut répondre par le même signe, mais une terrible quinte de toux le saisit et il s'écroula, à genoux sur le sol, crachant le sang que quémandait la terre, toujours assoiffée. Tristan fit un pas vers son frère, mais il était au beau milieu du champ de bataille, et ce n'était vraiment pas le moment pour songer à apporter de laide à ceux qui diriger l'offensive de plus loin. Il pensa qu'il aurait tout de même dû parler à Arthur de l'état de santé de Loran. Mais, ce dernier aurait préféré prendre tous les risques plutôt que de rester en arrière lorsque ses compagnons d'armes fonçaient dans la mêlée.

Il renversa encore quelques féroces Saxons à coup d'épée, se frayant un chemin à travers la foule des chevaliers. Sa monture était rétive. Il la connaissait assez mal et depuis trop peu de temps pour qu'une véritable relation de confiance, base de tout l'art de la chevalerie, se soit établie entre eux. Le cheval qu'il avait amené de Sarmatie, cet animal qu'il avait vu naître et qui l'avait accompagné dans son périple jusqu'en Bretagne, puis dans les premières batailles, avait fini par tomber au champ d'honneur, en héros. Tristan n'avait encore jamais pleuré pour la mort des hommes, mais il avait versé des larmes sur la dépouille de son cheval. Plusieurs autres lui avaient succédé depuis lors, mais aucun n'avait eu la même valeur à ses yeux.

- Repliez-vous ! hurla soudain la voix d'Arthur.

Tristan envoya deux coups en direction d'un dernier Saxon, et scruta le champ de bataille. Les seuls hommes encore debout étaient ses compagnons. Ils avaient éliminé tous les saxons, mais Arthur craignait qu'un autre groupe se dirigeât vers eux. Il souhaitait sans doute éviter à ses hommes une seconde bataille, lorsqu'ils étaient déjà épuisés. De plus, l'idée de se battre contre les hommes bleus qui risquaient de faire leur apparition, n'avait rien de rassurant.

- Repliez-vous tous ! répéta-t-il.

Tristan, sans demander son reste, talonna son cheval qui lui obéit prestement. Le groupe s'éloigna au galop afin de ne pas être rattrapé par les Pictes, qui ne se seraient jamais aventurer jusqu'au mur où ils se rendaient.

Tristan jeta un regard d'ensemble sur les cavaliers qui fuyaient, pour trouver son frère. Il fit plusieurs fois le tour du group, chercha longtemps mais ne le trouva pas. Arthur croisa son regard et fit ralentir l'allure. Il dirigea sa monture vers le jeune chevalier.

- Où est-il ? demanda brusquement Tristan.

Arthur le regarda d'un air navré. Il avait ces yeux tristes qu'il portait chaque fois qu'il perdait un homme.

Tristan entrevit la vérité une seconde, mais il ne voulut pas y croire.

- OÙ EST-IL ? répéta-t-il plus fort.

Plusieurs chevaliers se retournèrent vers eux. Tous connaissaient l'attachement de Tristan à son frère aîné. Et ils comprirent vite ce qui venait de se passer.

- Je suis désolé, Tristan… dit Arthur visiblement peiné.

Tristan chercha à nouveau son frère dans les rangs, mais ne rencontra que les regards attristés des autres chevaliers.

- Non… murmura-t-il.

Cela ne pouvait pas arriver… Son frère ne pouvait pas être… Pas lui, pas Loran !

- NON ! hurla-t-il.

- Je suis sincèrement désolé… répéta Arthur.

Il savait toujours quoi faire, quoi dire à ses hommes. Sauf dans ce cas. Il n'y avait rien à faire, rien à dire pour consoler un homme de la mort de son frère.

La souffrance dans les yeux de Tristan se transforma subitement en une colère explosive.

- Tu l'as laissé là-bas ? Tu n'as même pas pris la peine de ramener son corps ? Et tu te prends pour notre chef ?

- C'est faux ! répondit Arthur en espérant qu'il réussirait à calmer le jeune homme sans trop attirer l'attention des autres. Tu sais aussi bien que moi que nous ne pouvions pas nous attarder là-bas. Nous y retournerons dès que le terrain sera sûr…

Tristan lui jeta un regard méprisant.

- Tout ce que je sais, c'est que c'est mon frère. Si tu n'as pas le courage d'y retourner, j'irai seul.

Il obligea son cheval, rendu nerveux par la confrontation des deux hommes, à faire demi-tour. Mais Arthur le rattrapa.

- Tu veux te faire tuer, toi aussi ? C'est ça que tu veux ? Tu crois que ça rendra hommage à la mémoire de ton frère de mourir comme lui ?

Tristan eut un geste brusque pour repousser Arthur.

- Tais-toi ! Ne parle pas de lui comme si tu le connaissais vraiment ! Tu ne sais rien de lui ! C'est moi son frère ! Toi, tu n'es rien…

- N'y va pas Tristan ! s'écria Arthur en tentant de s'emparer de la bride du cheval de Tristan.

Mais Tristan dégaina son épée avec une telle force que son mouvement atteignit Arthur et lui fit vider les étriers. Aussi, il talonna violemment sa monture en direction du champ de bataille, sans ajouter un mot.

Quelques chevaliers voulurent se lancer à sa poursuite, mais Arthur les retint.

- Laissez-le, dit-il en se relevant. J'ai confiance en lui. Il saura se débrouiller.

Il avait beau le traiter durement, il savait que Tristan avait l'étoffe d'un bon chevalier. Comme son défunt frère...


Tristan ne regarda rien autour de lui tandis qu'il chevauchait pour retrouver son frère. Une armée toute entière aurait pu l'assaillir sans même qu'il la voit. Mais, heureusement pour lui, il n'y avait plus aucun ennemi susceptible de lui vouloir du mal.

Son cheval refusa d'avancer au milieu des corps. Tristan mit pied à terre et traversa péniblement le champ de bataille, pour atteindre l'endroit d'où Loran avait dirigé l'assaut, là où il l'avait vu pour la dernière fois. Et il y était toujours…

Ses grands yeux bruns fixaient le ciel nuageux avec un semblant d'admiration. De gros nuages blancs constellaient le ciel bleu. Mais, bien au-delà de cette réalité, Loran revoyait la grisaille céleste de sa Sarmatie natale. On meurt là où est son coeur…

Dès que Tristan vit son frère allongé, les yeux grands ouverts sur l'étendue céleste, il comprit qu'Arthur avait dit vrai. Ses yeux s'emplirent de larmes, mais il refusa de se laisser aller au désespoir.

Il s'agenouilla aux côtés de Loran et lui ferma les yeux d'un geste tendre, tâchant de garder en mémoire une ultime vision des yeux rêveurs de son frère. Celui-ci était terriblement pâle et émacié. Tristan n'avait pas remarqué à quel point son frère était malade. Il essuya un mince filet de sang qui lui coulait encore au coin des lèvres. Puis, oubliant la douleur qui vrillait son bras meurtri, il souleva le corps amaigri. Il n'aurait jamais pu imaginer que son frère fusse si léger. La maladie l'avait affaibli à un tel point qu'il n'était déjà plus que l'ombre du grand chevalier qu'il avait été. Et Tristan n'avait rien fait pour empêcher cette tragédie, alors qu'il avait toutes les cartes en main pour l'éviter…

Il le porta avec délicatesse jusqu'à l'endroit où son cheval l'attendait, piaffant d'anxiété. Tristan n'y prêta pas attention et déposa doucement le corps de son frère sur le dos de l'animal.

Soudain, une flèche siffla à leurs oreilles et vint se planter entre eux. Le cheval fit un écart et faillit renverser sa précieuse charge. Furieux, Tristan lui décocha un violent coup de pied dans les pattes avant. Le cheval se calma, plus effrayé des avertissements de son maître que de la probabilité d'une attaque inattendue.

Tristan scruta les environs de son regard acéré. Il n'eut besoin que d'un instant pour repérer un soldat Saxon isolé, à demi-allongé par terre. Il s'empara de son épée et se dirigea vers lui. Son agresseur était apparemment gravement blessé. Il rampa, terrorisée, pour fuir l'homme enragé qui s'approchait de lui à grands pas, l'air menaçant. En vain… La tristesse de Tristan se muait peu à peu en colère, contre lui-même et contre tous ceux qui osaient le déranger dans son deuil à peine entamé.

Il rattrapa rapidement l'importun, qu'il immobilisa. Il ne vit rien de la peur qui faisait trembler les yeux de son ennemi. Dans d'autres circonstances, il y aurait peut-être lu que cet homme n'était pas si différent de lui, ou de Loran. Il aurait peut-être compris qu'il n'était qu'un pion dont on se servait pour tailler un chemin couronné de succès au milieu des envahisseurs, à coups de poings et d'armes tranchantes.

Mais son frère venait de mourir. Il venait de perdre le seul être pour lequel il lui avait semblé que cela valait encore la peine de faire semblant. Et il ne voyait rien d'autre qu'une menace supplémentaire dans le visage effrayé de ce Saxon blessé.

Il brandit son épée. Le Saxon, sachant qu'il était inutile d'implorer la pitié de cet homme ou de lui demander grâce, ferma les yeux et attendit.

- Mon frère est mort… murmura Tristan d'une voix étranglée.

L'homme ne comprit pas, mais il n'eut pas le temps de s'interroger. L'arme s'abattit et la tête du Saxon roula aux pieds de Tristan. Il n'y porta aucun regard et retourna à son cheval sitôt sa tâche accomplie.

Il saisit d'une main ferme la bride de son cheval, qui comprit qu'il ne pouvait pas désobéir. Et, une main posée sur le dos de son défunt frère, Tristan marcha.


Le mur était éloigné. Tristan aurait pu rencontrer mille ennemis sur sa route. Mais il n'y pensait pas. Il marchait.

Il traversa d'innombrables prairies vallonnées de Bretagne, de sombre sous-bois. Il reçut les violentes rafales de vent marin, la pluie glaciale de l'hiver. Mais rien ne l'arrêta.

Tout son esprit et tout son corps étaient à un seul objectif : ramener son frère au mur et lui rendre les derniers hommages.

Il marchait aux côtés de sa monture épuisée. L'animal n'aurait pas pu supporter le poids de deux hommes, ni avancer à une allure plus soutenue.

Alors Tristan marchait, les yeux rivés sur un rêve perdu, sur une image dorénavant obsolète de son frère vivant.

Il marchait.

Il marcha pendant des heures. Lorsque le mur fut enfin dans son champ de vision, il faisait nuit noire et la lune brillait déjà haut dans le ciel

Il reprit le corps frêle entre ses bras et se dirigea directement vers le cimetière de Badon Hill, sans prendre la peine de s'occuper de son cheval ou de donner de ses nouvelles à ses compagnons inquiets. Son frère était le seul qui lui importait, comme avant.

Le cimetière de Badon Hill… Cela avait été sa première vision des années qu'il allait passer en Bretagne. Une vision funeste…

Des centaines de chevaliers avaient élu ce lopin de terre verdoyante comme dernière demeure. Parmi les compagnons de Tristan, combien viendraient les rejoindre, jour après jour, année après année, comblant les lacunes entre les tombes ? Combien d'autres preux guerriers reposeraient ici ? Et, surtout, combien repartiraient vivants au terme de leurs quinze ans de bons et loyaux services ?

Sans trop y croire, car il connaissait la dureté du sort qui l'attendait, Tristan s'était vu chevauchait aux côtés de son frère vers d'autres terres, le soleil d'Italie… S'il quittait un jour ce pays, ce serait seul. Mais il ne pourrait jamais se résoudre à abandonner la tombe de son frère, cette tombe qu'il creusait de ses propres mains, ignorant la blessure de son bras et ses mains meurtries par la bataille.

Lorsque l'alcôve fut suffisamment vaste, il y coucha son frère avec la délicatesse dont il aurait fait preuve si Loran avait été un enfant fragile. Mais n'était-ce pas ce qu'il était, ce que cette insalubre vie de guerre avait fait de lui ?

Il était toujours beau, d'une beauté brute et authentique, malgré la mort, la violence et la maladie. Son visage était certes amaigri, mais ses traits avaient conservé un caractère paisible et doux, comme il l'avait toujours lorsqu'il s'adressait à son jeune frère.

Tristan serra les poings pour rassembler ses forces et empêcher les larmes qui lui emplissaient les yeux de couler. Il ne pouvait pas, pas maintenant, pas encore. Il ne pouvait pas pleurer, il ne pouvait pas crier, il ne pouvait rien dire de sa douleur. Il ne pouvait que rester immobile devant le corps tranquille de son frère, qui semblait dormir sur un lit de terre humide.

La fine bruine qui tombait depuis des heures augmenta peu à peu, et se transforma en une averse torrentielle. Tristan réagit. Il ne devait pas laisser son frère à la merci des intempéries comme une vulgaire carcasse. Refusant que ses larmes amères se mêlent à la vulgaire pluie, il recouvrit le corps de son cher frère de cette terre bretonne qu'il avait tant désiré fouler et qu'il détestait à présent plus que tout.

Brisant la mélodie monotone de la pluie, un cri strident retentit. Tristan, agacé par celui qui osait rompre la pénitence qu'il s'imposait. Dans le ciel sombre, un oiseau tournoyait harmonieusement. Un vautour, pensa Tristan.

Mais c'était un petit faucon, très jeune d'après sa taille. Il vola en cercles concentriques pendant un certain temps, sans se manifester outre mesure. La pluie et le vent semblaient à peine le gêner, malgré son poids léger. Tristan se détourna, ne prêtant plus attention à l'oiseau, qui se rapprochait imperceptiblement.


La lune avait disparu, les premiers rayons du soleil commençaient à éclaircir le ciel nocturne, et Tristan était toujours agenouillé en face de l'épée qui marquait le sépulcre de son frère. Il se souciait peu du jour qui se levait, des regards des premiers éveillés qui l'observaient d'un air inquiet ou intrigué, ou des quelques gouttes de pluie qui terminaient la tempête de la nuit. Il voulait rendre un dernier hommage à son frère et ne connaissait d'autre méthode que de rester ainsi, cultivant sa souffrance dans le silence, le recueillement et la solitude.

Le sang de sa blessure au bras s'était caillé, badigeonnant sa tunique d'un rouge sombre. La douleur physique s'était tue pendant sa nuit de deuil, laissant la priorité à sa profonde affliction. Mais elle s'éveillait avec la venue du jour, et déconcentrait Tristan de sa douloureuse tâche. Il ferma les yeux un instant.

Le même cri strident que la veille le tira de sa triste rêverie. Tristan leva la tête, trop fatigué et peiné pour éprouver de la colère contre un oiseau. Mais il ne vit rien d'autre dans l'étendue bleu foncé qui le surplombait que les dernières étoiles, dont l'éclat faiblissait.

Lorsque son regard se reposa sur la tombe de son frère, il écarquilla les yeux. L'oiseau était là, posé sur l'épée de Loran, comme si de rien n'était. Tristan étendit le bras pour le chasser mais la douleur de son bras était trop forte et il ne réussit qu'à laisser échapper un gémissement. L'oiseau répondit en lançant son cri, déployant ses ailes. Tristan remarqua que l'une d'elles saignait.

- Toi aussi ? fit Tristan.

Sa voix cassée le surprit. Il n'avait pas prononçait un mot depuis des heures et les sanglots refoulés lui avaient serré la gorge.

- Mais ton frère n'est pas mort à cause de toi… soupira-t-il en sentant les larmes lui brouiller la vue.

- Loran n'est pas mort à cause de toi.

Tristan se raidit en entendant la voix d'Arthur. Il n'avait pas le droit d'être ici.

- Non. C'est à cause de toi, répondit-il sans se retourner, ni même se lever.

- C'est vraiment ce que tu crois ?

Tristan garda le silence. Non, il ne pensait pas cela. Il se sentait responsable de la mort de Loran mais trouvait un vague réconfort en accusant Arthur.

- C'est vraiment ce que tu crois ? répéta Arthur.

- IL EST MORT ! rugit Tristan en se levant d'un bond.

Arthur ne sembla pas surpris. Il ne recula pas.

Le faucon émit un gémissement faible, résonnant dans l'atmosphère tendue.

- Oui, répondit-il. Il est mort. Nous le regrettons tous.

Tristan secoua la tête.

- Non. Non. Il n'y a que moi.

- Tu sais très bien que c'est faux, Tristan, dit Arthur calmement.

- J'étais le seul à le connaître ! s'écria Tristan. Que savais-tu de lui ? Son frère, c'était moi, pas toi !

Les poings serrés, il se précipita sur Arthur et lui envoya un coup violent dans le torse. Arthur ne bougea pas.

- Je n'ai jamais prétendu être son frère. Et tu le sais très bien.

- IL EST MORT ! hurla Tristan en rouant Arthur de coups.

Mais ses forces l'avaient quitté.

- Il est mort… répéta-t-il plus faiblement.

Arthur posa sa main sur l'épaule blessée de Tristan.

- Viens, il faut soigner ça.

Tristan leva des yeux pleins de larmes vers lui.

- Il est mort, Arthur… Mon frère est mort

Arthur perçut toute la détresse du jeune chevalier et, dans un élan de tendresse paternelle, il le prit dans ses bras. C'était le seul geste qu'attendait Tristan pour se laisser submerger pas sa douleur. Consolé par Arthur, il éclata en sanglots.


- Ca devrait être bon comme ça, dit Arthur en serrant le bandage autour du bras de Tristan. Ca ira mieux d'ici quelques jours.

Tristan, les yeux encore rougis, remercia Arthur.

- Tu devrais aller dormir un peu.

Tristan hocha la tête et se leva. Il se sentait affaibli par les larmes qu'il s'était laissé aller à verser, mais son coeur était désormais plus léger.

- Tu viendras me chercher en cas de besoin ? demanda-t-il avant de sortir de la pièce.

- Bien sûr, répondit Arthur, un sourire à peine perceptible aux lèvres. Je ne partirai pas sans mon éclaireur.

Tristan se figea. Sans lui laisser le temps de demander des précisions, Arthur ajouta :

- Sois à la hauteur.

Tristan sourit. Il ne voyait plus la sévérité d'Arthur de la même façon.

- Je le serai, répondit-il avant se sortir.

Dehors, le soleil brillait, faisant scintiller les collines luxuriantes décorées de perles de rosée. Le ciel était d'un bleu pur. Quelques nuages y voguaient. Une légère brise transportait les effluves lointains de la mer. C'était cette Bretagne là qui avait fait rêver Tristan pendant ses années d'enfance. Mais, aujourd'hui, ce rêve était devenu une réalité, si difficile soit-elle. Et l'enfant était devenu un homme, un chevalier dont le destin était de défendre cette terre, même si elle n'était pas sienne.

- Hé Tristan ! interpella la voix de Lancelot. C'est à toi ça ?

Tristan se retourna vers lui. Lancelot pointait le doigt vers une masse ébouriffée de plumes fauves, en laquelle Tristan reconnut le faucon qui lui avait tenu compagnie la nuit précédente, contre son gré. Son aile était en très mauvaise état, mais il vola de guingois jusqu'à l'épaule de celui qu'il avait élu. Il poussa un petit cri en se posant. Tristan ne le repoussa pas.

- Oui, répondit-il. Je crois qu'il est à moi.


FIN.


Thaele Ellia