Notes
Casting hypothétique :
Personnage introduit dans l'histoire précédente :
Erik Knudsen dans le rôle d'Ivan Preston.
Nouveaux personnages :
Karim Debbache dans le rôle de Karim Depéret
Gilles Stella dans le rôle de Giles
Ces deux derniers choix pourront en surprendre certains mais le délire était trop beau pour passer à côté.
Suggestions musicales :
Maisie explore le bunker :
- Scared of Sophie – Nathan Barr, Carnival Row.
-o-
— Avons-nous des nouvelles des animaux manquants ? Demanda Benjamin à Elijah alors qu'eux, Iris et Maisie déjeunaient.
— Malheureusement non, répondit-il. J'en suis navré.
Benjamin reposa ses couverts et s'enfonça dans son fauteuil.
— Bon sang…, jura-il à mi-voix d'un air inquiet.
Quelques minutes plus tard, Maisie repoussa son assiette, venant de finir sa part de gâteau, un peu trop précipitamment au goût d'Iris.
— J'ai fini de manger. Est-ce que je peux quitter la table ? Demanda-elle à son grand-père.
— Bien sûr ma puce.
Elle se leva et prit la direction de la porte.
— Préviens-nous si tu vas te promener, lui lança la gouvernante.
— Oui.
Sous le regard bienveillant de son grand-père, Maisie quitta leur salle à manger et tourna à droite, comme pour se diriger vers le hall d'entrée et son escalier. En chemin, elle passa devant la salle à manger des hôtes et sa porte étant ouverte, elle s'arrêta juste avant l'embrasure, de manière à regarder à l'intérieur avec un minimum de discrétion. A la table située en face de la porte, était assis le même trio de trentenaires que Guillaume avait vu lors de son séjour, celui constitué du maigrichon, de la femme négligée et de l'homme à lunettes d'origine nord-africaine. Maisie connaissait leurs noms : Le premier s'appelait Giles, la deuxième Nicole et le troisième Karim. Elle avait pu leur parler quelque fois car cela faisait plus d'un an qu'ils vivaient au manoir, tout comme le professeur Wu, Maya et les autres. Ils prétendaient travailler pour la fondation de son grand-père et Maisie voyait souvent Eli parler avec eux.
En compagnie de Karim, Giles et Nicole, se trouvaient aussi Maya Harris, que Maisie voyait de dos, ainsi qu'un homme assez petit avec des cheveux châtains, de quelques années le cadet de Karim : Ivan. Maisie avait beaucoup vu cet homme en compagnie du professeur Wu et savait qu'ils étaient proches. Très proches.
Constatant que le groupe était occupé à plaisanter tout en mangeant, elle ne s'attarda pas et continua. Elle déboucha dans le hall d'entrée puis tourna à gauche, pénétrant dans le musée. Il n'y avait personne. Elle continua tout droit, jusqu'au renfoncement à l'extrémité opposée. Elle s'arrêta devant lui, regarda derrière elle et tendit l'oreille à l'affût du moindre bruit. S'étant assurée qu'il n'y avait personne, elle approcha sa main d'un boîtier fixé sur le mur à sa droite et commença à appuyer sur les touches de son clavier.
— Sept… Trois… Trois… Sept… Dièse, murmura-elle tout doucement, se rappelant du code qu'elle avait appris par cœur après avoir espionné Elijah et le professeur Wu au cours des mois passés.
La diode s'illumina en vert et les parois devant elle coulissèrent sur le côté, révélant un ascenseur jusque-là caché. Partagée entre l'excitation et la prudence, Maisie entra et parcourut les boutons du regard. L'ascenseur ne conduisant qu'au sous-sol et non aux étages, tous les numéros, à l'exception du zéro qui correspondait au musée et au reste du rez de chaussée du manoir, étaient précédés d'un signe négatif. Il y avait quatre niveaux au sous-sol et Maisie ne connaissait que les deux premiers. Sous le rez de chaussée, il y avait des caves et des tunnels de maintenance, et au deuxième sous-sol, il y avait la salle de conférence et ses pièces annexes qu'Elijah avait condamnées pour y faire des travaux. Maisie n'était jamais allée au troisième et quatrième sous-sol mais elle avait entendue des histoires au sujet du bunker qu'avait construit son aïeul pendant la Seconde Guerre Mondiale. Peut-être qu'il se trouvait là et que le professeur Wu et ses collègues y travaillaient en secret.
Après un petit moment d'hésitation, elle appuya sur le bouton correspondant au quatrième sous-sol. Les portes se refermèrent et alors que l'ascenseur descendait vers les profondeurs, Maisie regarda les différents boutons s'illuminer les uns après les autres. Celui du quatrième sous-sol s'alluma enfin et les portes s'ouvrirent, révélant deux rangées de cellules obscures de part et d'autre d'une large allée bordée de poutres d'acier dans une vaste salle, aussi grande que le musée quelques niveaux au-dessus : Le bunker.
Maisie leva les yeux et voyant que la voute était haute, elle sut que le bunker occupait non seulement le quatrième sous-sol mais aussi le troisième. Bien que l'éclairage y fût faible, il y avait assez de lumière pour voir où l'on allait et la jeune fille n'eut pas besoin de sortir la petite lampe-torche qu'elle avait mise dans poche au cas où. Prudemment, Maisie s'aventura hors de l'ascenseur et celui-ci se referma derrière elle.
Elle balaya les lieux du regard, qui évoquaient une prison à ses yeux. Une prison silencieuse qu'elle espérait être vide. Elle remarqua que les poutres d'acier supportaient une mezzanine qui surplombait l'allée centrale, décrivant un U dont le bas était collé au mur est, là où se trouvait l'ascenseur. Bien que la distance à parcourir pour rejoindre la mezzanine côté sud depuis celle côté nord ou vice-versa n'était pas très importante, une passerelle située à seulement un jet de pierre de l'ascenseur reliait directement les deux côtés. En son centre, la mezzanine à droite de Maisie, celle côté nord, était interrompue par une petite pièce vitrée qui faisait saillie. Elle n'y vit personne et regarda l'extrémité opposée de la salle, où une grande porte était fermée. Jugeant qu'il n'était pas prudent d'emprunter l'allée tant qu'elle ne serait pas sûre d'être seule dans le bunker, Maisie rappela l'ascenseur et remonta d'un niveau.
Ainsi, elle ressortit au niveau de la mezzanine et s'avançant doucement hors du renfoncement précédant les portes de l'ascenseur, elle regarda les pièces longées par la mezzanine. A gauche, elle vit une longue pièce qui s'étirait jusqu'à l'extrémité opposée et les grandes baies vitrées dont elle était dotée laissaient entrevoir un laboratoire dernier cri, un laboratoire de génétique. Le lieu de travail de Wu et de son équipe.
Gagné ! Pensa Maisie.
Elle remarqua qu'il était désert.
Ouf.
Elle regarda ensuite à droite. La pièce qui s'y trouvait, également séparée de la mezzanine par des baies vitrées, faisait environ un tiers de la taille du laboratoire et était divisée en deux par une cloison. De sa position, Maisie vit une grande table à proximité de la baie et près de l'extrémité la plus lointaine de la table, un écran était fixé sur la cloison. Maisie sut qu'elle devait servir de bureaux et de salle de réunion pour les généticiens. Il ne semblait y avoir aussi personne dans cette partie du bunker.
Encore ouf.
Maisie sortit du renfoncement et tourna à gauche, prenant la direction du laboratoire. Elle vit que deux portes permettaient d'y accéder depuis la mezzanine. L'une était face à elle, et l'autre plus loin, à mi-chemin entre la première porte et l'escalier en colimaçon qu'on trouvait à l'extrémité de la mezzanine et qui permettait de descendre aux cellules. Elle emprunta la porte la plus proche et se retrouva dans une sorte d'antichambre tout en longueur qui devait également servir de vestiaire à en juger par la présence de plusieurs porte-manteaux sur lesquels étaient accrochés des blouses.
Elle repéra bien assez tôt une autre porte qui permettait d'entrer dans le laboratoire proprement dit mais laissa échapper un soupir empreint de déception en remarquant qu'elle ne pouvait pas y entrer, même si elle le voulait.
Zut !
En effet, la porte était non seulement munie d'une serrure mais aussi d'un boîtier sur lequel on devait glisser une carte magnétique or la jeune fille n'avait ni carte, ni clé. Elle songea que si elle voulait vraiment y entrer, elle allait devoir ruser pour en subtiliser une sur l'un des généticiens.
Frustrée, elle ressortit de l'antichambre et gagna la porte de l'espace bureaux. En appuyant sur la poignée de sa porte, elle fut surprise de découvrir qu'elle n'était en aucun cas verrouillée et put ainsi pénétrer dans la pièce. Sur sa gauche, elle trouva la grande table, l'écran et la cloison qu'elle avait vus plus tôt et face à elle, elle vit une aire ouverte où se trouvaient plusieurs bureaux avec ordinateur. Plusieurs d'entre eux étaient allumés et affichaient un logo d'InGen tournoyant, indiquant qu'ils étaient en veille. Au delà, deux bureaux avaient été dressés à l'écart et remarquant qu'ils étaient plus gros que les autres, Maisie en déduisit qu'il devait s'agir de ceux de personnes importantes au sein de l'équipe. L'un de ces bureaux était-il celui du professeur Wu ? Probablement. Pour le savoir, Maisie s'avança, dépassant la table de réunion et commençant à contourner le groupe de bureaux dans le sens des aiguilles d'une montre, ce qui la fit passer devant une trouée au milieu de la cloison, qui la laissa entrevoir une autre table, des chaises, une kitchenette dans l'angle nord-ouest de la pièce et un canapé contre le mur à l'angle sud-ouest : C'était là une salle de détente. Maisie y jeta un rapide coup d'œil puis repris sa progression vers les bureaux du fond.
C'est alors qu'elle remarqua que dans le coin juste à côté du bureau le plus éloigné d'elle, un présentoir se dressait et portait une armure. Intégralement noire, celle-ci ressemblait à une armure de soldat contemporaine, bien qu'avec une apparence légèrement plus futuriste et au lieu d'être une calotte hémisphérique recouvrant le haut du crâne, le casque en protégeait la majorité, masquant les yeux derrière une visière opaque et ne laissant découvert que le pourtour de la bouche. A quelqu'un d'autre, le casque aurait peut-être évoqué ceux de Judge Dredd ou de Robocop mais Maisie ne connaissant pas ces personnages de fiction, cette comparaison ne lui vint pas à l'esprit. Non seulement la présence de cette armure dans un bureau secret sous sa maison la laissa circonspecte mais la jeune fille n'en aimait pas l'aspect, la trouvant intimidante.
Pensant que ça ne ferait aucun sens que Wu ait une telle d'armure près de son bureau, elle déduisit que celui-ci était celui juste à sa gauche. Mais au lieu de le contourner et de commencer à fouiller les tiroirs ou son ordinateur comme elle comptait faire initialement, elle s'approcha de l'autre bureau, dans le but d'en savoir plus. Elle le contourna, écarta un peu la chaise et le balaya du regard. Lorsqu'elle vit un cadre contenant une photo d'une quarantenaire aux cheveux noirs, d'un homme du même âge et de deux adolescents, tous souriants, elle sut que c'était celui de Maya Harris.
Mais que fait-elle avec Wu ? Et pourquoi a-elle cette armure ?
Non loin de ce cadre montrant Maya et sa famille, il y en avait un qui la montrait accroupie au bord d'un bassin où un dauphin la regardait avec attention, et à côté du clavier, il y avait une pile de livres et de documents.
Maisie la défit pour regarder les titres, prenant soin de mémoriser l'ordre de la pile afin de remettre plus tard les choses comme elles étaient et d'effacer le plus possible les traces de son passage. Il y avait un livre sur la communication avec les grands singes, un autre sur la langue des signes, et un épais rapport dont la couverture affichait les logos d'InGen et de Jurassic World. Ce rapport avait pour titre Journal de bord – Projet IBRIS et Maisie lut le nom de ses auteurs : Owen Grady, Nikolaas Lorenz, Barry Sembène. Intriguée par la présence du logo du parc de Simon Masrani, celui qu'elle avait visitée avec son grand-père, Iris et Elijah lorsqu'elle était petite, Maisie commença à le feuilleter et son regard eut tôt fait de s'attarder sur des photos montrant Owen en compagnie des achillobators lorsqu'elles étaient encore jeunes, pas plus grandes qu'un renard, puis ces dernières une fois qu'elles avaient grandi et étaient presque devenues adultes. Maisie se souvenait de l'impression que lui avait laissée Blue lorsqu'elle était allée voir les animaux peu après leur arrivée au domaine. Elle lui avait évoqué un aigle. Grande, belle, majestueuse… mais très intimidante, avec un regard sombre et perçant terrible et des griffes inspirant l'effroi. A l'autre bout du bureau, il y avait également un cahier que Maya avait titré Le Journal d'Elsa.
Elsa ? Comme Elsa de la Reine des Neiges ? C'est un joli nom. Mais qui est-elle ?
Maisie ouvrit le cahier et réalisa rapidement que Maya y avait consigné des observations comportementales. Les dernières entrées faisaient état de l'accomplissement de progrès notables et d'un grand potentiel, et l'ex-soldate avait ajouté que le Conseil d'Administration allait être satisfait de ces résultats encourageants pour le projet Giger, et qu'il se pourrait que le projet Wagner ne soit bientôt plus qu'un mauvais souvenir pour eux. Interloquée par ces noms, Maisie se demanda en quoi consistaient ces projets et sa curiosité ne fit que croître, tant qu'elle se décida à s'installer sur la chaise et de sortir l'ordinateur de son mode veille.
Le nom de Maya Harris s'afficha et bien sûr, un mot de passe fut demandé. Maisie réfléchit un instant puis entra « Elsa » et à sa satisfaction, l'accès lui fut autorisé. C'est alors qu'elle écarquilla les yeux de surprise en voyant le fond d'écran du bureau. C'était une photographie, montrant un bébé dinosaure au milieu de ses jouets, une image qui aurait été somme toute très attendrissante si l'animal eut été un dinosaure qui aurait pu figurer dans les livres que Maisie possédaient.
Tout noir, il avait de longs bras et des pieds griffus munis de griffes en forme de faucille, pareilles à celles des raptors, mais contrairement à Blue et tout comme certains des raptors apparaissant dans le journal de bord du projet IBRIS, sa peau était nue. Il avait une tête plutôt grosse assez étrange, avec un museau surmonté d'une proéminence frontale arrondie à l'aspect lisse, faisant ressembler la tête davantage à celle d'une Fausse Orque ou d'autres cétacés à dents que celle d'un dinosaure dromaeosauridé. Maisie savait que chez les orques, bélougas, dauphins et compagnie, le front était majoritairement occupé par le melon, un organe servant à l'écholocation. Cela rendait le dinosaure vraiment étrange, difforme même, tout comme ses mains munies de non pas trois doigts comme la plupart des dinosaures prédateurs mais cinq, avec un pouce opposable, comme les primates. Il regardait la caméra avec de petits yeux rouges qui semblaient pétiller de curiosité et d'intelligence. Maisie ne savait pas quoi en penser et elle sentait que quelque chose n'allait pas avec ce dinosaure. Etait-ce un mutant ? Souffrait-il d'une malformation congénitale ? Ou était-il le fruit des dernières expériences d'Henry Wu ? Il n'avait pas l'air naturel en tout cas.
En détournant le regard un instant, ses yeux furent à nouveau attirés par l'armure et elle fut soudain frappée par la similarité entre sa grande visière et le front bizarre du dinosaure. Tous deux étaient noirs, arrondis et plutôt volumineux. C'était comme si la première était une imitation du second.
Maya se fait-elle passer pour sa mère en mettant cette armure ? Un peu comme ces gens qui élèvent à la main des jeunes grues pour les relâcher dans la nature, se déguisant en grues adultes pour que les petits ne soient pas imprégnés par les humains ?
Mais Maisie savait que Maya et Wu ne comptaient pas relâcher le dinosaure noir dans la nature, et que ce dernier était probablement unique, et lorsqu'elle vit un dossier nommé « Sessions d'entraînement » sur le bureau, elle sut qu'ils dressaient le dinosaure.
Entraîné à quoi ?
Elle cliqua sur le dossier, ouvrit l'un des fichiers vidéo les plus récents et sa lecture se lança. Une grande salle vide, tout en longueur et plutôt haute, apparut et de par l'angle et la hauteur de la caméra qui avait pris les images, Maisie réalisa que cette dernière devait être à mi-hauteur sur le mur dans un des coins. La lumière du jour pénétrait dans cette salle inconnue par plusieurs séries de vitres sur le toit, qui présentait une forme étrange, en dents de scie.
Un toit en dents de scie ? Serait-ce le vieil atelier, que grand-père a transformé en gymnase pour maman ? Ça y ressemble en tout cas.
Quelqu'un passa sous la caméra et s'avança vers le cœur de la salle, transportant des mannequins sous ses bras en direction de l'extrémité opposée. Maisie remarqua que l'individu portait une armure sombre pareille à celle se tenant à quelque pas d'elle. Maya. La vidéo accéléra ensuite, montrant Maya aller et venir entre les deux extrémités de la salle, jusqu'à ce qu'un groupe de mannequins soit dressé au fond. Ensuite, Maya disparut du champ de la caméra mais soudain, Maisie sursauta en entendant l'ascenseur se mettre en marche. Elle regarda sa montre. Il n'était que treize heures et pourtant quelqu'un descendait. Surprise, Maisie se figea un instant, ne sachant que faire. Elle croyait qu'elle allait pouvoir descendre au laboratoire, l'explorer et remonter avant treize heures trente, l'heure à laquelle les généticiens redescendaient travailler d'ordinaire, sans que personne s'aperçoive de quoi que ce soit. Elle devait agir et vite. Heureusement qu'elle avait laissé la porte entrouverte car sinon, elle aurait été probablement prise sur le fait.
Alors que la vidéo montrait une grenade tomber parmi les mannequins et libérer une fumée rougeâtre ainsi qu'une grande forme sombre et sinistre rôder en périphérie du champ de la caméra, Maisie éteignit l'ordinateur, reconstitua la pile de livres et de rapports du mieux qu'elle put dans sa précipitation, et, les portes de l'ascenseur venant de s'ouvrir, elle n'eut d'autre choix que de passer dans la salle de détente et de se cacher derrière la cloison qui la séparait de l'espace bureaux alors qu'une voix masculine, celle de Karim, chantonnait en français :
— Le Dimanche à Bamako, c'est le jour du mariage…
Lorsqu'ils arrivèrent près de la porte, ils furent surpris de la trouver entrouverte.
— Tiens, quelqu'un a mal fermé en partant ? Demanda Nicole.
— Oh, c'est peut-être un de nous, répondit Giles.
Sans se poser plus de questions que ça, ils pénétrèrent dans la salle et allèrent s'installer à leurs bureaux respectifs, qui étaient mitoyens, avec celui de Giles faisant face à la porte, celui de Nicole à sa gauche et celui de Karim à sa droite.
— Allez. C'est repartit mon kiki, déclara ce dernier en se frottant les mains. On doit finir cette putain de présentation avant demain soir. T'as des clopes sur toi, Giles ?
— Ouais.
— Ben fais-pêter ! Lui dit Nicole. J'en veux une aussi.
De ses poches, Giles sortit un paquet de cigarette ainsi qu'un briquet et les posa sur son bureau. Ils se les passèrent, s'allumant chacun une cigarette et se mirent au travail, portant de temps à autre leurs cigarettes à la bouche.
— C'est vraiment un con, Mills ! S'exclama Nicole. Il nous a laissés qu'un peu moins de quatre jours pour faire une présentation alors qu'on n'a pas que ça à foutre.
— Résultat, on doit charbonner comme des masos, ajouta Karim. On se croirait chez Bugisoft ! Elle a eu du flair, Mia ! Moi aussi j'aurais pu prétendre que ma mère était malade et que je devais m'en occuper. Elle va revenir qu'après la tempête.
— Et Henry n'a rien fait dans cette histoire, dit Giles sur un ton de reproche.
— En même temps, il a les mains liées, lui fit remarquer Nicole, et s'il fait chier Mills et le CA, à mon avis ils seraient capables de le foutre dehors, de le jeter en pâture aux autorités et à la presse à scandales avant de le remplacer par Ivan ou même Kajal.
— Non, pas Kajal, dit Karim. Elle est trop occupée à San Diego et elle est hors du coup. Il faudrait tout lui expliquer. Si elle ne se barre pas en courant direct en apprenant qu'on a fait des trucs pas très légaux. Dire que pendant ce temps, il y a tout un tas d'anciens de Jurassic World qui ont pu se barrer ailleurs…
— Ouais, prends Michael par exemple, dit Nicole.
— Michael ?
— Ouais, Michael Lang, de l'ingénierie. Non mais tu sais… Celui qui ne pouvait pas encadrer Siffredi, le gars qui s'occupait des Profondeurs.
— Ah oui, lui…
— Maintenant, il bosse pour une compagnie high-tech spécialisée dans la robotique. Elle a un nom grec si je me rappelle bien.
— L'enculé doit être en train de bosser sur des sexbots je te parie…, gloussa Giles.
— Une belle position de planqué quoi, renchérit Karim. Aucun risque de se faire mutiler ou tué par l'objet de son travail.
— Ou encore Kurtzmann, des ressources humaines, ajouta Giles. Il est retourné à son ancien taf en Europe.
Nicole tapota sa cigarette au-dessus d'un cendrier posé près de son clavier.
— Dire que j'avais arrêtée de fumer dès que j'ai eu mon doctorat, déclara-elle.
— Ah bah, c'est la décadence hein…, dit Giles.
— Arrêtes, j'ai l'impression de vivre comme un déchet depuis la Chute, renchérit Karim. Tes parents ont réagi comment en apprenant que t'as bossé sur le Fléau de Masrani ?
— Ils m'ont fait un de ces sermons…, répondit Giles. Mais je leur ai répondu que c'était des connards antiscience.
— Ah, l'argument imparable ! S'écria Nicole. C'est comme traiter d'antisémite quelqu'un critiquant Israël.
— En tout cas, plus jamais je ne bosse dans une baraque abandonnée infestée d'araignées, déclara Karim. Heureusement qu'on dormait à l'hôtel. Henry et Ivan n'ont pas eu cette chance.
— C'est le revers de la célébrité, répondit Nicole. Henry reçoit peut-être toute la gloire de notre boulot collectif, mais d'un autre côté, il est harcelé si le fruit de ce même boulot se révèle être nocif tandis que nous, on peut sortir et se balader tranquillement dans la rue sans être embêté par personne. Je vous le dis, l'anonymat a du bon parfois.
— N'empêche on avait vraiment merdé ce coup-ci, il est tout pourrit le bestiau ! S'exclama Karim tout en tapant sur son clavier.
— Il est con surtout ! Renchérit Nicole.
— Ouais, autant que ce non-binaire à moitié Libanais que j'avais rencontré un coup.
— Oui, ou comme Regis le gorille.
— Celui avec lequel bosse ta pote ? Demanda Giles à Nicole. Je croyais qu'il savait parler la langue des signes.
— C'est le cas ! Mais il ne dit que des conneries malheureusement.
— Ça pourrait être pire pour nous, bien pire, soupira Karim. Souvenez-vous du concours du meilleur concept d'hybride. Je crois que c'étais toi qui avais soumis les espèces de raptors-taupes débiles. Les excavaraptors je crois, dit-il à Giles.
— Oh ça va, on fait tous des erreurs. Ce n'est pas non plus comme l'autre cinglée de Canadienne et son Stégoceratops de mes couilles, digne d'un nanar italien des années quatre-vingt. Qu'est-ce qu'elle a pu nous faire chier avec !
— Et ne parlons pas de l'Ankylodocus et de sa tête de bovin consanguin, se moqua Nicole. Au final, c'est le Spinoraptor qui a gagné. C'est vrai qu'il n'était pas trop mal celui-là.
— En même temps, c'est du Kajal Dua. Ça se respecte, déclara Karim.
— Tu dis ça parce que tu en pinces pour elle, dit-elle.
— Même pas vrai, rétorqua-il.
— Gros mytho va…, lui lança Giles.
Il remarqua alors que son collègue fumait trop près d'une peluche posée à la jonction entre leurs bureaux. De la taille d'un chat, la peluche représentait un Ornitholestes et avec son corps gris rayé de blanc ainsi que sa crête de plumes noires striées de blanc, elle était fidèle aux individus clonés par InGen. Une étiquette estampillée du logo Jurassic World indiquait qu'elle avait été en effet faite pour être vendue dans une des boutiques du parc. Giles tendit le bras pour la saisir et l'éloigner de la fumée.
— Fais attention à Hermann, dit-il à son collègue tout en époussetant la peluche.
— Ouais, il faut être gentil avec lui, renchérit Nicole.
Giles se mit alors à caresser Hermann, comme si ça le détendait.
— Heureusement qu'on n'a pas de chat ou de compy de compagnie… Il ne ferait que des conneries. Du coup, tu as trouvé une musique pour accompagner la présentation ? Demanda Karim à sa collègue.
— Je pensais mettre du Metal Gear, répondit Nicole.
— Mais on va avoir des emmerdes avec Hideo Kojima (*). Il est capable de nous coller un procès ce con, plaisanta-il à moitié.
— Genre il va savoir qu'on a utilisé la musique d'un de ses jeux pour une présentation top-secrète…
— C'est un procès de la part de Kojima qui t'inquiète le plus ? Moi, j'ai la trouille d'un raid surprise de la part des fédéraux, déclara Giles. Les problèmes de droits d'auteur sont le cadet de nos soucis.
— Pourquoi crois-tu qu'on nous a envoyés ici ? Fouiller la demeure du vioque ne leur traversera pas l'esprit avant un bout de temps crois-moi. Et la perquisition au siège n'ayant rien donné de concret, je pense que l'affaire est plus ou moins enterrée, lui fit remarquer Nicole.
— Je me souviens de la fois où les gens du FBI ont trouvés les dessins de John et William, se rappela Karim. Vous savez, ceux avec les hybrides dino-humains et les espèces d'hommes-raptors cyborgs. On a eu chaud ce coup-là. Ils auraient été capables de croire que c'était pour un de nos projets alors que ce n'était rien d'autre que le fruit d'un passetemps. J'espère vraiment que ce lieu est aussi sûr que Mills le prétends parce que si quelqu'un cafte, on est bons pour la taule.
— Je ne tiendrais pas une semaine en prison, dit Giles.
— Il faudra faire très attention avec le savon lorsque vous prendrez des douches messieurs. Il ne s'agirait pas de le faire tomber, il pourrait vous arriver des bricoles…, les taquina leur collègue.
— Arrêtes, dit Karim en frissonnant.
— Vous voulez des cafés ? Leur demanda-elle. Je vais m'en servir un.
— Ouais, s'il te plaît, répondirent-ils.
Nicole se leva de sa chaise et prit la direction de la kitchenette. Lorsqu'elle dépassa la cloison entre les bureaux et la salle de détente, Maisie n'y était plus. En vérité, la jeune fille était partie se cacher dans le meuble sous-évier, contre le mur nord et donc hors de vue du trio de généticiens. Maisie se tenait assise, les jambes repliées contre son corps, et respirait tout doucement, afin de ne pas se faire entendre.
Tout en préparant les cafés, Nicole se mit à chantonner une chanson qu'elle avait entendue dans un film (**) il y a quelques temps.
…
Don't worry about hell
No harm will come to your soul
We're not a Pentecostal
And everybody's got an a...
Fort heureusement pour les oreilles innocentes de Maisie, la voix de Nicole devint plus inaudible alors qu'elle versait du café dans trois tasses. Elle emmena d'abord sa tasse à son bureau, puis amena celles de Karim et Giles, qui la remercièrent. Avant de commencer à boire, ils posèrent leurs cigarettes dans le cendrier, joignirent leurs mains et se mirent à psalmodier une sorte de mantra :
C'est par la caféine seule que je mets mon esprit en mouvement.
C'est par les grains de Java que les pensées acquièrent de la vitesse,
Les mains deviennent tremblantes,
Le tremblement devient un avertissement.
C'est par la caféine seule que je mets mon esprit en mouvement.
C'est à ce moment que Mills débarqua dans la salle.
— Non mais ça va comme vous voulez ? C'est quoi cette manière de travailler ? Leur demanda-il sévèrement, croyant qu'ils faisaient les pitres au lieu de travailler. Vous vous croyez chez mamie là ? J'ose espérer que cette présentation avance.
— Oui oui… ça avance, patron, répondit Karim.
— Faites-voir, ordonna Mills.
Il passa derrière les trois généticiens pour regarder leur travail, commençant par Nicole. Tout en regardant son travail, il ne put s'empêchait de répéter « Ouais, ouais. » d'un air mi-convaincu.
— Cette façon de présenter les skins est intéressante mais il n'y a pas moyen de rendre ça plus… dynamique… ? demanda l'homme d'affaires après être arrivé au niveau de Karim. Et plus attrayant visuellement parlant ?
Le généticien se retourna pour le regarder dans les yeux.
— Je vous rappelle que nous sommes généticiens, pas des tantouzes d'écoles d'art design, déclara-il d'un ton ferme.
Mills ne répondit rien, se contentant de froncer les sourcils. Il regarda ensuite les trois généticiens.
— Elle a intérêt à être terminée demain soir. Si vous échouez à tenir les délais, j'en informerais personnellement Madame Lynton. Quoiqu'il en soit, reprenez votre sérieux et ayez au moins l'air occupés car je vais amener un visiteur ici dans quelques minutes.
— Qui ça ? Demanda Karim.
— Monsieur Eversol.
— Je ne connais pas.
— Vous n'avez pas besoin de savoir qui c'est. D'ailleurs, ce serait bien si vous pourriez vous changer, Karim.
— Pourquoi ? Demanda ce dernier.
Mills avait le regard rivé sur le T-shirt qu'il portait. Sur celui-ci, était écrit les caractères MIGA, sous-titré de la phrase « Make InGen Great Again ».
— Disons que Monsieur Eversol ressemble un peu, d'un point de vue physique, à l'actuel locataire de la Maison Blanche…, répondit le gérant de la fondation Lockwood.
— Ce serait cocasse en effet…, commenta Nicole avec un rictus moqueur.
— Ah mais attendez…, dit Karim. Ce n'était pas le petit blond avec qui vous étiez lorsque ça sifflait des flûtes de champagne et mangeait des petits fours là-haut ? Celui avec la gueule de pédophile ?
Mills soupira.
— Je vais faire comme si je n'avais rien entendu…
— Parce que les pédophiles ont une gueule en particulier, Karim ? Tu juges les gens au faciès ? Ah bas bravo…, lui dit Nicole tout en l'applaudissant de manière moqueuse.
L'homme d'affaires leva ensuite les yeux au ciel et inspira doucement pour garder sa patience, tel un professeur étant resté trop longtemps en compagnie d'élèves turbulents.
— Vous avez intérêt à être calmes quand il sera là, les avertit-il. Si il y en a un ou une qui fait le guignol, je demanderais à ce qu'on l'enferme au Donjon pendant une heure ou deux, lumière éteinte.
— Oh non, pas le Donjon ! Gémit Giles. Cet endroit sent le viol !
— Alors calmez-vous. Et aérez bon sang, ça empeste la cigarette ! Vous auriez pu déclencher l'alarme incendie ! Dire que l'avenir d'InGen est entre vos mains…
Puis il partit, regagnant l'ascenseur.
Giles se leva, s'approcha de la porte et regarda Mills disparaître derrière les portes de l'ascenseur. Il l'entendit monter.
— Ça y est, Il est partit ? Demanda Nicole.
— Ouaip.
Karim se leva et alla se tenir près de Giles. Il fit alors un bras d'honneur adressé à l'ascenseur.
— Prends ça, pédé !
Copiant son exemple, Giles fit un double doigt d'honneur tout en se dandinant.
— Qu'il aille retourner niquer la vieille, dit-il.
Ils retournèrent à leurs postes, Karim alla à l'antichambre prendre une blouse et enlever son T-shirt, et une à deux minutes plus tard, une alarme s'activa sur le téléphone de Nicole.
— C'est l'heure d'aller faire des prélèvements sur l'autre débile, déclara-elle. Vous m'accompagnez ?
— Ouaip.
— C'est bien trois doses ?
— Oui, trois doses, confirma Karim.
Le trio posa les mégots dans les cendriers, se leva, quitta la pièce, et une fois qu'ils furent suffisamment éloignés, Maisie sortit du meuble sous-évier. Tout en avançant progressivement vers la porte, restant cachée derrière une cloison ou un meuble un instant avant de passer à la cachette suivante, elle regarda en direction du laboratoire. Elle vit Karim, Nicole et Giles y entrer, prendre un kit de prélèvement dans une armoire et ensuite descendre aux cellules par l'escalier en colimaçon.
S'approchant de la baie vitrée, Maisie les vit ouvrir une porte en métal à droite de l'escalier et la refermer derrière eux.
C'est ma chance !
Elle se précipita hors de la salle sans même jeter un seul coup d'œil à l'écran des ordinateurs des généticiens. Elle n'avait plus le temps. Elle devait remonter avant l'arrivée d'Eli et de ce Monsieur Eversol. Mais alors qu'elle venait de s'engager sur la mezzanine, elle entendit l'ascenseur commencer à descendre. Consciente qu'il allait débarquer ses usagers d'un instant à l'autre, elle fonça à l'antichambre servant de vestiaire et eut juste le temps de se cacher derrière des blouses lorsqu'Eli et son visiteur s'avancèrent sur la mezzanine. Voyant l'aide de son grand-père guider ce Eversol vers les bureaux et non le laboratoire, Maisie soupira de soulagement.
Notes
(*) Hideo Kojima : Créateur de jeux-vidéo japonais.
(**) Le film en question est Les Feebles, une parodie trash du Muppet Show réalisée par Peter Jackson et sortie en 1989.
