Année : 774 / fin octobre
Leçon n°1
- Reste calme ma belle, reste calme.
La voix rassurante de C17 faisait son effet sur la femelle mammouth. Il caressait lentement sa trompe, par de petits gestes dont il avait l'habitude et qu'il savait être efficace avec les animaux dont il assurait la protection. L'urgence était pour lui de mettre tout le monde à l'abri, que ce soit cet animal mais aussi les humains qui l'entouraient qu'elle pourrait tuer en une seule ruade. Il penserait à gérer plus tard les conséquences du piège dans lequel il venait de tomber, sachant qu'il ne pouvait de toute façon plus rien faire pour changer la situation. Prenant appui sur l'une des défenses de la femelle, il pivota légèrement pour l'obliger à le suivre, et ainsi la reconduire dans son enclos. Sa barrière en avait été brisée, mais il n'eut pas de grande difficulté à la remonter pour qu'elle puisse assurer temporairement sa fonction, le temps d'être réparée plus sérieusement. Il n'avait, de toute façon, plus aucune raison de cacher sa force et il déplaça en un rien de temps quelques troncs d'arbres de la forêt environnante, sous le regard médusé, curieux ou inquiet de la petite troupe qui l'observait en silence.
Quand il eut terminé de tout remettre en ordre, C17 revint vers Ruri qui de son côté n'avait pas bougé d'un centimètre, tenant toujours contre elle Willy qui tremblait encore sous le coup de la peur qu'il avait ressentie. Une fois certaine que le problème était réglé, la jeune femme pensa d'ailleurs immédiatement au petit garçon. Elle s'accroupit pour lui faire face et caressa tendrement ses belles boucles rousses tout en essuyant avec sa manche les larmes qu'elle voyait poindre sur ses joues.
- Tout va bien mon chéri, lui murmura-t-elle.
- Mais… Belle…
- C'est arrangé. Tu as vu comment Larry est fort ? Belle va bien, je te l'assure.
- C'est vrai ? demanda Willy en sanglotant, un filet de morve s'échappant de sa narine.
- Non, ça ne l'est pas.
Ruri sursauta en entendant la voix de C17 qui venait juste de les rejoindre. Elle connaissait ce ton, froid comme la banquise, qu'il n'avait que quand il était vraiment en colère. Elle était aussi parfaitement consciente du fait qu'il pouvait se montrer parfois un peu rude, notamment avec les braconniers, tant il était sensible à la souffrance des animaux. Un part d'elle-même espérait cependant qu'il comprendrait qu'en raison de son jeune âge Willy devait être ménagé, mais au vu de la dureté de son regard, elle n'en était pas si sure. Préférant prendre les devants, elle se releva donc rapidement pour s'interposer entre eux.
- Elle est dans sa cage, et tu sais comme moi que cette fléchette n'est pas faite pour blesser. Alors on va dire qu'elle va bien.
C17 ne se rendit pas compte de l'insistance que Ruri venait de mettre dans les dernières syllabes de sa phrase, ni du regard appuyé qu'elle lui lançait. Le sentiment de frustration et de colère qui l'animait étant trop grand pour qu'il soit ne mesure d'interpréter ses sous-entendus.
- Le simple fait qu'elle soit dans cette cage est une maltraitance, répondit-il alors.
- On en parlera plus tard, ce n'est ni le lieu ni le moment C17.
- Si tu veux, mais je ne vois pas pourquoi on devrait faire comme si de rien n'était.
- J'ai dit pas…
- T'es trop fort toi ! Tu vas travailler pour moi dit ?
Émergeant de derrière Ruri, Willy s'avança vers C17, les yeux écarquillés d'admiration. La jeune femme tenta de le retenir, sans grand succès, tant il était émerveillé par ce qui venait de se passer.
- Attends mon chéri, on parlera plus tard ensemble tu veux ? Laisse-moi finir de discuter avec Larry.
- Mais il doit le faire ! Je le veux !
- Oui mais…
- T'es d'accord hein ? reprit Willy en s'adressant de nouveau directement à C17.
- Non, certainement pas, lui répondit ce dernier, la mâchoire crispée.
- Je vais demander à Papa. Il m'achète tout ce que je veux.
- Je me fiche de ton père et de son argent, gamin.
- Mais je veux ! Et puis comme ça tu protégeras Belle !
- Je la protégerai. De tous les humains comme toi qui veulent lui faire du mal.
- C17, arrête immédiatement ! s'écria Ruri. Willy mon chéri…
Mais le petit garçon ne l'écoutait pas. Les larmes aux yeux, il se mit à pleurer, tirant désespérément sur les bretelles de son sac à dos. Il se jeta alors en avant, agrippant le pantalon de C17.
- Mais j'ai rien fait moi ! Je l'aime beaucoup Belle ! C'est mon cadeau d'anniversaire ! bafouilla-t-il entre deux sanglots.
- Un animal n'est pas un objet. Tu n'as aucun droit de te l'approprier.
- Mais c'est Kley qui….
- Je réglerais son compte à cet imbécile d'humain, sois en certain. Il paiera pour le mal qu'il a fait. Mais si ces animaux sont emprisonnés ici à cause de ton seul caprice…
- C17 ! Tais-t….
- … Alors tu ne vaux pas mieux qu'eux.
Ruri n'avait pas pu l'empêcher de terminer sa phrase, dont les derniers mots résonnèrent dans le silence environnant comme le claquement d'un fouet dans l'air glacial du Nord. Plus personne n'osait désormais faire le moindre mouvement, ni dire un seul mot, attendant de voir ce qui allait se passer. Comme s'il venait d'être frappé par la foudre, Willy se tenait droit et immobile. Mais les haussements désordonnés de ses épaules ne laissaient guère de doutes à Ruri.
Il pleurait, abondamment.
Puis soudain, sans qu'elle n'ait le temps de réagir, il fit un brusque demi-tour et se mit à courir droit devant lui, le visage enfouit dans son coude, sans se retourner ni réagir aux appels de Ruri. La jeune femme allait se lancer à sa poursuite, mais Oak lui fit un signe de la main et l'arrêta.
- Ne t'inquiète pas, il va sûrement se réfugier chez moi. Pas la peine de courir, suivons-le tranquillement.
Quelque peu rassurée, Ruri acquiesça et se mit en marche sans adresser le moindre regard à C17 qui la suivit, restant quelques pas en arrière. Alors que la jeune femme passait sans s'arrêter à côté de Kley qui n'avait pas perdu une miette du spectacle, ce dernier lui barra la route. Un grand sourire aux lèvres, l'homme l'interpella d'un ton moqueur :
- Quelle drôle d'idée de faire pleurer le fils du… AAAARGH !
Mais il ne put pas terminer sa phrase. Avant qu'il n'en ait eu le temps, Ruri venait de lui asséner un violent coup de genoux dans l'entrejambe.
- Personne t'as demandé ton avis pauvre crétin ! lui hurla-t-elle, furieuse, tandis que la douleur le faisait littéralement se plier en deux.
- Espèce de… répliqua-t-il en levant une main rageuse dans sa direction.
Ruri ne chercha pas à esquiver, mais elle n'en eut pas besoin, car C17 avait déjà intercepté le bras de Kley qu'il serrait fermement, lui jetant un regard si sombre que sa colère s'évanouit en une seconde. Il voyait au-dessus de lui cette silhouette fine qui n'avait pas l'air très impressionnante au premier abord, mais dont se dégageait pourtant une aura terrifiante. Il sentait une pression formidable s'exercer sur son bras, alors même que C17 ne donnait pas l'air de forcer du tout. Rien que par la puissance qui émanait de sa main, il parvenait à bloquer l'entièreté du corps de Kley qui sentait que ses os étaient à deux doigts de se briser.
- Si tu tiens à ton bras, ne fais plus jamais ça, murmura C17, sèchement.
Kley acquiesça en silence, reculant aussitôt de quelques mètres pour laisser C17 et Ruri seuls, face à face. Un court silence s'ensuivit, avant que le cyborg ne prenne la parole.
- Je croyais que c'était moi qui m'occupais de la manière forte ?
- Tu attends quoi de moi ? Un merci ?
- Non, pas particulièrement, je voulais juste te féliciter pour ce joli coup, bien visé et bien exécuté.
- Si je ne savais pas que cela me coûterait mon genou, tu aurais eu droit exactement au même, exactement au même endroit.
- Tu es fâchée ?
- Bravo, quel sens de l'observation dis donc.
- Pourquoi ? C'est à cause du gamin ?
- À ton avis ?
- Je n'ai fait que dire la vérité Ruri. Rien de plus.
Au fond d'elle-même, la jeune femme savait que C17 était sincère, qu'il ne comprenait pas du tout ce qui venait de se passer. La quiétude de son visage et la naïveté de son regard lui étaient tant familiers qu'elle en avait la certitude absolue. Mais cette fois-ci, elle ne parvint pas à se montrer compréhensive. L'image de ce petit garçon pleurant toutes les larmes de son corps lui brisait le cœur. Alors elle tourna les talons, ne répondant que dans un soupir de tristesse :
- Parfois, tu es juste… désespérant…
Et elle laissa derrière elle C17 qui hésita une seconde, perplexe. La situation lui paraissait être incompréhensible. Si l'énervement de Ruri lui était évident, sa cause en revanche était totalement obscure pour lui. Bien décidé à obtenir une explication, C17 allait se mettre en marche pour la rattraper quand il sentit une main se poser sur son torse.
C'était Oak.
- Écoute le conseil d'un homme plus âgé mon grand. Ce n'est pas la peine, elle n'est pas prête à t'écouter. Alors reste ici, laisse-nous un peu d'avance, le temps que tout le monde se calme. Reviens ensuite directement à la maison. Et ne t'inquiète pas pour Ruri : je veille sur elle. Ok ?
Bien que C17 ne soit pas du genre à se laisser dicter sa conduite, quelque chose dans l'attitude du ranger lui fit sentir qu'il devait prêter attention à son avis. Comme Owen, cet homme qui était comme lui un défenseur des animaux lui inspirait une grande sympathie. Et comme Hazel, il posait sur lui un regard empli de bienveillance et de sagesse. Il n'arrivait pas à mettre un mot sur ce que lui rappelait ce regard, mais cette sensation lui était connue.
Écouter les conseils d'un homme plus âgé que lui…
En fin de compte, C17 finit donc par simplement hocher la tête, avant de laisser repartir Ruri dont la silhouette disparaissait déjà au loin. Oak se mit à sourire, satisfait, puis il s'en alla à son tour.
Une fois seul, C17 se retourna pour s'apercevoir qu'aucun des autres humains n'était encore là. Kley, son frère et toute leur bande étaient partis, ce qui était sans doute bien mieux pour leur sécurité. Il fit donc quelques pas pour retourner près de l'enclos du mammouth, et tendit doucement sa main vers l'animal. Dodelinant toujours sa tête de droite à gauche, la femelle finit par répondre à son geste en effleurant sa main du bout de sa trompe.
C17 lui sourit, la caressant en retour, profitant de ce moment pour s'assurer qu'elle n'était pas blessée. Mais soudain, une sensation l'envahit, et son corps se raidit instinctivement.
Il était observé.
Un seul mouvement d'œil lui permit d'apercevoir sur sa droite l'ombre de Lacenaire qui, de son côté, ne cessait de le dévisager avec attention. Son sourire narquois ne trompait guère C17 : il n'avait sans doute rien perdu de sa démonstration de force. Tout ceci avait été fait délibérément, sans doute pour leur faire vérifier les hypothèses qu'ils avaient sur lui, et que sa conversation avec Suno n'avait dû faire qu'amplifier.
Que faire ?
En l'absence de Ruri, C17 n'était pas certain de la bonne stratégie à adopter.
Réfléchir. Établir un plan, et seulement alors, agir. Mais pas avant.
Pas trop tôt.
Pourtant…
« Tchhhh… Tant pis. De toute façon il est inutile de faire encore semblant. Alors autant faire la seule chose que je sais faire… »
C17 se décida à prendre les devants. Il n'était pas certain que cela soit une bonne idée, mais il ne voyait aucune autre manière de gérer la situation. Ses années d'expérience auprès de la faune sauvage lui avaient appris une chose : dans certains cas, le dernier recours d'une proie pour empêcher une attaque était de se montrer fort et menaçant, pour dissuader son assaillant en lui faisans miroiter une perte plus grande que l'enjeu qu'il convoitait.
Alors il s'avança vers Lacenaire, arriva à sa hauteur, et engagea la conversation le premier.
- Le spectacle t'a plu ?
- Oh que oui mon cher, c'était à la fois divertissant et… très instructif, lui répondit Lacenaire, son sourire moqueur se faisant presque carnassier.
« Un sourire de tueur… » pensa aussitôt C17.
Cet homme ne lui faisait pas peur pour lui. Mais il était un danger, c'était évident, pour la femme qu'il aimait. Il avait déjà tué. L'odeur de la mort rôdait autour de lui.
- Et qu'as-tu donc appris ?
- Que tu possèdes une grande force. Une force que je qualifierais de… surhumaine.
- Elle l'est, en effet. Au-delà de ce que tu peux imaginer.
- J'ai une imagination très riche… Larry. Je plains les pauvres braconniers qui ont le malheur de croiser ta route.
- Je n'use que de la force nécessaire pour protéger les animaux.
- Nous partageons donc le même objectif cher ami.
- Oui, heureusement.
Ni l'un ni l'autre n'étaient dupes. Tous deux savaient à présent qu'ils étaient adversaires, et qu'ils en savaient plus que ce que leurs paroles exprimaient. Les yeux fixés chacun dans ceux de l'autre, cette conversation était de toute évidence la dernière qu'ils allaient avoir avant leur future confrontation. La partie était à présent engagée, Lacenaire comme C17 ayant pu juger de leurs forces et faiblesses. Maintenant, tout allait être question de stratégie, de déterminer où frapper, quand et de quelle manière pour l'emporter. C'était presque amusant pour C17 de s'engager dans une forme de combat différente, où sa force pure ne lui garantissait pas forcément la victoire. Mais il se rappela aussi pourquoi il avait décidé de jouer cartes sur tables : protéger Ruri, sa plus grande faiblesse. Car il pressentait que cet homme était capable de lui faire du mal, maintenant qu'il était évident qu'il tenait à elle.
- Mais tu sais, il y a une chose qui pourrait me faire user de toute l'étendue de ma puissance, sans aucune forme de retenue, reprit-il après un bref silence.
- Laquelle ?
- Si l'on s'en prend à Ruri.
- Mais qui diable pourrait avoir une idée pareille ? s'exclama Lacenaire, prenant un air faussement outré qui ne trompa pas C17 un seul instant.
- Je vais te dire une chose. Une seule. Et je ne me répéterai pas.
- Je suis tout ouïe.
- Quoi qu'il se passe ici, je ferai tout mon possible pour protéger les animaux. Tout. Mais si des personnes mal intentionnées parviennent à les tuer, alors j'en assumerai les conséquences. En revanche, s'il venait à l'idée de ces personnes de faire le moindre mal à Ruri, alors…
C17 prit une inspiration profonde, avant de s'avancer jusqu'à pratiquement toucher le visage de Lacenaire qui était devenu tout à coup parfaitement sérieux.
- … Alors je ne cesserai jamais de les traquer. Où qu'ils aillent je les trouverai. Il n'existe aucun endroit sur cette planète ni même dans l'univers tout entier ou ils pourraient échapper à ma vengeance. Je les rattraperai. Et je les tuerai. Mais avant de le faire je m'assurerai de leur faire regretter chaque seconde de leur existence. Je briserai leurs corps, je briserai leurs esprits, et quand j'en aurais fini avec eux, il n'en restera même pas une poussière.
- J'en ai des frissons… lui répondit Lacenaire en souriant, avant que C17 ne l'interrompe brutalement.
- Tu es un homme intelligent. Je pense donc qu'il n'est pas nécessaire que cette conversation se poursuive, non ?
- En effet mon cher ami. Nous nous sommes dit tout ce que nous avions à nous dire.
Ils se toisèrent pendant encore une seconde, puis C17 se retourna. Sans plus un seul mot, il se mit en route. La voiture d'Oak n'était plus là, mais cela n'avait pas d'importance. Une fois certain que les arbres de la forêt le dissimulaient aux regards indiscrets, C17 se mit à courir, et n'eut besoin que de quelques minutes pour rejoindre la maison du ranger.
Quand il en franchit le seuil, il trouva tout le monde rassemblé au rez-de-chaussée, à l'exception du jeune garçon qui ne semblait pas être là. Oak était assis dans son fauteuil, plongé dans la lecture d'un dossier au point de ne même pas remarquer son arrivée. Hazel était visiblement occupée dans la cuisine. Quant à Ruri, elle était assise sur le sol du salon, près de la cheminée qui y trônait. Elle tenait d'une main Volt par le col et de l'autre elle empêchait les deux bébés de la famille de s'en approcher de trop près. Visiblement tout aussi fasciné par les deux humains miniatures qui voulaient le caresser, le chien loup luttait de toutes ses forces pour s'en rapprocher. Ruri faisait de son mieux pour les séparer, mais elle ne pouvait s'empêcher de s'amuser de la difficulté de l'exercice. Elle soupirait puis faisait mine de se plaindre, tout en éclatant de ce rire si pur que C17 aimait tant chez elle. Rien qu'en la voyant, l'anxiété et l'incompréhension qu'il éprouvait s'évaporèrent pour ne laisser place qu'à la profonde tendresse qu'il ressentait pour elle. Il voulait juste être près d'elle, et comprendre ce qu'il avait fait de mal pour essayer de réparer les dégâts.
Il vint donc à sa rencontre, s'accroupit à ses côtés et attrapa à son tour Volt qui se tourna immédiatement vers lui en jappant de dépit de se sentir ainsi fermement tenu.
- Deux contre un, la lutte est plus équilibrée maintenant tu ne trouves pas ?
Ruri n'était plus en colère non plus, il pouvait le voir dans le regard qu'elle lui adressa. Mais une pointe de tristesse s'y lisait que C17 était bien décidé à faire disparaître. Pour son plus grand plaisir, la jeune femme lui adressa alors un léger sourire et lui répondit d'une voix douce :
- Oui, j'avoue que je commençais à me sentir débordée…
- Tu sais que tu peux toujours compter sur moi, n'est-ce pas ?
- Oui, je sais. D'autant que mon super coup de pied ne me sera pas utile ici.
- À ce propos, depuis quand tu sais donner de tels coups ?
- J'ai lu ton carnet de notes, n'oublie pas. Ce truc était ma botte secrète pour te vaincre.
- Je suis ravi d'y avoir échappé.
Rassuré par le ton de cet échange, C17 remarqua alors qu'un changement important avait eu lieu chez Volt. Sous sa main il sentit que son poil n'était plus sec et rêche comme la veille, mais incroyablement doux et soyeux. Il était aussi bien plus volumineux et ressemblait maintenant à une boule de coton argenté sautillant de partout sur ses petites pattes.
- Mais que…
- Ne me demande pas comment elle a fait mais Hazel a réussi à lui faire prendre un bain. Elle lui a même fait une sorte de brushing. Il est tout doux maintenant on dirait une peluche !
- Ah… un bain…
- Oui, je sais…
Ils échangèrent un bref regard, chacun d'eux sachant les impacts potentiels de ce lavage sur la vie du chiot. Mais cela n'était pas le plus important. Volt avait l'air de se sentir bien mieux et de surmonter le traumatisme de sa capture, et c'était tout ce qui comptait. De toute façon, C17 était plus préoccupé par leur dernière discussion, alors il reprit :
- J'ai fait quelque chose de mal tout à l'heure pour que tu sois en colère contre moi ?
- … Oui. Tu n'aurais pas dû parler à Willy comme tu l'as fait.
- Mais ce que j'ai dit est vrai.
- Non, justement. Ce n'est qu'un enfant.
- Et alors ?
- Et alors tu ne peux pas lui parler comme à un humain adulte. Il y a tout un tas de choses qu'il ne comprend pas. Cela ne t'a pas fait de la peine de le voir partir après tout ce que tu lui as dit ?
- Pas vraiment.
- Tu l'as fait pleurer C17 !
- Je ne le voulais pas. Mais si ces animaux sont enfermés ici, c'est bien de sa faute non ?
- C'est plus compliqué que ça.
- Admettons. Et donc ?
- Et donc il faut que tu règles ça.
- Pardon ?
- Tu m'as entendu. Voir ce pauvre petit si mignon avec sa petite frimousse toute rouge à cause des larmes… c'était horrible. Alors je veux que tu trouves un moyen de le consoler.
- … Et je suis censé faire comment ?
- Je sais pas, j'y connais rien en enfant.
- Parce que moi j'y connais quelque-chose peut-être ?
- C'est pas le sujet. Tu l'as fait pleurer, c'est donc à toi de t'en occuper. Et d'ailleurs…
- C17 ! Tu peux venir me voir s'il te plaît ? J'ai besoin de ton aide.
La voix d'Hazel venait de se faire entendre, faisant sursauter le couple. C17 regarda Ruri qui hocha la tête en souriant, manifestement pas surprise de cette soudaine interpellation. Il se leva donc et regagna la cuisine pour rejoindre Hazel à côté de laquelle il se plaça, silencieux comme à son habitude. La présence de cette femme était incroyablement rassurante et amicale, et C17 se sentait étrangement à l'aise en sa compagnie. Quand elle lui tendit un souriant un panier remplit de pommes, il l'accepta donc sans hésiter.
- J'aimerais que tu les apportes à Willy, lui demanda Hazel.
- Quoi ?
- Ces fruits sont pour lui. Je dois préparer le dîner, Oak est en train de rédiger un document pour le vétérinaire du parc et Ruri surveille les bébés et Volt. Alors il ne reste que toi. Tu veux bien me rendre ce petit service ?
- Euh… je… ne crois pas être la meilleure personne pour faire ça, bredouilla C17, confus.
- Oh que si jeune homme, tu es même la seule personne qui devrait s'en charger.
Comprenant en un instant qu'Hazel était au courant de ce qui s'était passé, C17 se sentit soudain comme « prit en faute ». Si l'énervement de Ruri lui avait déplu car il ne voulait jamais rien faire qui puisse la blesser, il était perturbé par le regard de cette femme pour une raison très différente. Il avait l'appréhension de la décevoir, et il en était le premier étonné. Si bien qu'il se trouva incapable de refuser. Prenant le panier qu'elle lui tendait, il acquiesça en soupirant.
- D'accord. Il est où ?
- Troisième chambre à droite. Oh et surtout, n'oublie pas de lui demander la raison pour laquelle il voulait autant de fruits frais.
- Pourquoi ?
- Parce que je pense que tu dois entendre sa réponse.
- Mais…
- Je ne vous l'ai pas demandé mais est-ce que toi et Ruri vous avez des enfants ?
- Quoi ? Non !
- C'est bien ce que je pensais.
- Si tu veux me dire que j'ai mal agi avec le gamin, c'est inutile. Ruri me l'a déjà dit.
- Et sais-tu en quoi tu as mal agi ?
- Pas vraiment.
- Alors je vais t'expliquer une chose. Les gens peuvent être parfois méchants, stupides, insensibles ou cruels, en toute connaissance de cause. Les hommes qui sont là-bas sont mauvais et dangereux. Tu le sais, et moi aussi.
- C'est évident.
- Mais pas les enfants, C17. Ils ne naissent pas mauvais, au contraire. Et donc, parfois, cela peut les amener à faire des choses qui ne sont pas bien, sans vraiment s'en rendre compte. C'est justement le travail des adultes de les guider pour qu'ils deviennent de bonnes personnes. Et cela implique de leur expliquer leurs erreurs, de leur montrer le bon exemple, de leur inculquer des valeurs qu'ils auront envie de suivre toute leur vie. Être parent c'est montrer le chemin. Et Willy n'est qu'un enfant. Un enfant n'est pas un adulte en plus petit, c'est un être en construction qu'il est de notre devoir à tous d'aider à grandir.
- … Euh d'accord, répondit C17 avec perplexité, mais… quel rapport avec moi ?
- Apporte les fruits. Et tu comprendras. Je te le garantis.
- Mais…
- Quand on fait une erreur, on la répare. Tu ne penses pas ?
Hazel avait l'air tellement sûre d'elle que C17 n'osa pas la contredire. Le panier toujours en main, il se dirigea donc vers les escaliers, sentant peser sur lui le regard très attentif de Ruri. Arrivé à l'étage, il toqua à la porte de la troisième chambre. Une toute petite voix en sortit, lui indiquant qu'il pouvait entrer. À l'intérieur, C17 remarqua tout de suite le lit sur lequel Willy était allongé à plat ventre, le visage enfoui sous plusieurs coussins.
« Raah zut, il pleure encore… Ruri va encore s'énerver si je ne calme pas ce mioche… »
C17 ne savait pas quoi faire. Sa compagne était la seule humaine dont il commençait à comprendre les réactions, et ce n'était pas une partie de plaisir pour lui d'interpréter ses innombrables changements d'humeur. Mais en ce qui concernait les enfants, il était au comble de l'ignorance.
Comment se comporter face aux larmes du petit garçon ?
Il n'en avait aucune idée, mais s'il voulait que Ruri soit contente, il devait trouver une solution.
Alors qu'il réfléchissait au moyen de se sortir de ce mauvais pas, il tourna machinalement son visage de droite à gauche, observant avec plus d'attention la pièce et ce qu'elle contenait. Des sacs à dos, des affiches, des vêtements, des dessins… Il s'agissait sans nul doute des affaires de Willy. Et un détail lui sauta aux yeux : tous ces objets étaient décorés de motifs d'animaux. Des éléphants, des requins, des dinosaures… il y en avait absolument partout.
Une forme de « doute » commençait à s'emparer de C17, car quelque chose ne collait pas. Aimer les animaux et vouloir les voir enfermés lui paraissait trop contradictoires pour qu'une même personne puisse ne pas s'en apercevoir.
Il s'avança donc près de lit et y déposa le panier, mais Willy ne réagit pas.
C17 se racla donc la gorge, prit quelques ultimes secondes de réflexion, puis il se décida à lui parler, sans trop savoir où cette conversation allait bien pouvoir le mener.
- Je t'ai apporté les fruits que tu as demandés à Hazel.
Le petit garçon frissonna en entendant sa voix, et il hésita un peu avant d'oser se relever et le regarder. Ses yeux étaient encore rougis par les larmes, C17 s'en aperçut immédiatement, et il avait même l'air d'avoir un peu peur de lui. Ce ne fut qu'à cet instant qu'il prit conscience que l'impact de ses mots avait été bien plus fort que ce qu'il n'avait anticipé.
Comprenant un peu mieux ce que Ruri et Hazel avaient essayés de lui dire, il essaya d'adoucir un peu sa voix et s'assit sur le lit à côté de Willy.
- Ces fruits sont pour toi ?
- Non… c'est pour Belle… murmura le garçonnet en s'asseyant à son tour.
- Tu voulais les lui donner ?
- … Oui. Elle a l'air triste, tout le temps, alors je voulais lui apporter des fruits pour lui faire plaisir.
- … Tu… es… sérieux quand tu dis ça ?
- Ben oui, j'aime beaucoup Belle, elle est gentille…
C17 le regardait, plein d'incrédulité. Il croisa ses bras, et observa le jeune garçon qui le regardait aussi, ses grands yeux ouverts et pleins d'une sincérité désarmante. Il lui parut alors évident qu'en effet, contre toute logique, Willy ne mentait pas.
- Écoute gamin, reprit-il après quelques secondes, il faut que je… t'explique quelque chose mais avant je voudrais que tu répondes à une question.
- Laquelle ?
- Tu aimes les animaux ?
- Oui ! Je les adore !
- C'est pour ça que tu as demandé à avoir un zoo ?
- Oui. Mon rêve c'est de voir plein d'animaux ! Et mon papa me les a offerts pour mon anniversaire !
- Tu sais ce que je fais comme travail ?
- Ruri a dit que tu protèges les animaux dans un parc.
- Exactement. Alors je les connais bien. Les animaux sont malheureux quand on les prive de leur liberté. Les animaux comme les chiens ou les chats, c'est différent mais les animaux sauvages ne sont pas faits pour être en cage. Et c'est pour ça que Belle est triste.
- Tu crois ? s'exclama Willy qui se releva sur le lit.
- Oui. Imagine un peu. Elle est enfermée toute la journée dans une petite cage. Elle ne peut plus marcher dans les plaines comme avant et surtout elle n'a plus sa horde avec elle.
- Sa horde c'est sa famille ? C'est Ruri me l'a dit.
- Oui c'est ça. Les mammouths sont des éléphants, ils vivent donc en groupe.
- Mais il y en a partout des zoos ! Pourquoi si ça fait du mal aux animaux ?
- Imagine un instant ce que tu ressentirais à sa place. Si tu devais passer tout ton temps dans une cage, sans plus jamais voir ton père ou tes amis. Tu ne te sentirais pas triste ?
Le petit garçon se tut un instant, et C17 vit à son expression qu'il réfléchissait sérieusement à ce qu'il venait de lui dire. Soudain, il fut pris de tremblements et de grosses larmes apparurent dans ses yeux qui submergèrent son visage, coulant sur ses joues comme deux gigantesques chutes d'eau. Il se mit à pleurer, bruyamment, plongeant C17 dans la plus grande panique.
- NON NON NON, ne pleure pas ! Je ne disais pas ça pour que tu te sentes mal !
À peine avait-il prononcé cette phrase que le petit garçon l'entoura de ses petits bras et plaqua sa tête contre son torse. N'ayant encore jamais tenu contre lui aucun autre être humain que Ruri, C17 resta là, les bras ouverts, sans trop savoir ce qu'il devait faire ensuite. Il sentait les soubresauts de ce petit corps pris de hoquets incontrôlables que rien ne semblait capable d'arrêter.
« Ruri va me tuer… » pensa C17 en imaginant la réaction de sa compagne si par malheur elle venait à rentrer dans cette chambre « mais comment est-ce qu'on fait taire un gamin ? »
Comme s'il ne l'avait pas entendu, Willy continuait de pleurer, se blottissant toujours plus fort dans ses bras. C17 était en train d'envisager très sérieusement la possibilité de l'assommer, quand il eut le réflexe de baisser les yeux pour l'observer.
Sa détresse était sincère, tout comme la peine qu'il ressentait, bien réelle. En le voyant ainsi, C17 eut soudain comme une sensation de déjà-vu très vive. Devant ses yeux apparut alors le souvenir de Ruri, peu de temps après leur rencontre, quand ils avaient retrouvé l'éléphant que les braconniers avaient tué. Elle s'était agenouillée, pleurant elle aussi avec la même intensité, la même douleur, la même impuissance.
Et instinctivement, les bras de C17 se refermèrent alors sur le petit garçon. Le ramenant vers lui, il le serra un peu, avec très peu de force, avant de se remettre à parler.
- Dis, demi-portion, tu crois que c'est en pleurant que tu vas aider Belle et les autres animaux ?
Le ton de sa voix n'était pas du tout accusateur, bien au contraire, et Willy ne s'y trompa pas. Percevant le changement d'intonation de C17, il releva la tête pour le regarder à son tour.
- Je peux aider Belle ?
- Oui.
- Mais comment ?
- Pour l'instant tu ne peux pas encore. Mais crois-moi, tu vas pouvoir m'aider après.
- Après quoi ?
- Après que j'ai réglé deux trois petites choses ici. Fais-moi juste confiance. Je suis ici pour remettre un peu d'ordre, et à la fin j'aurais sûrement besoin de toi.
- Pour de vrai ? Tu me mens pas hein ?
- Non. Tu peux demander à Ruri, je mens très mal de toute façon.
- Tu vas aider Belle à ne plus être triste alors ?
- Oui.
Le petit garçon recula un peu et se rassit. Il avait l'air d'être soudain très content. Ses minuscules jambes s'agitaient de droite à gauche, et un grand sourire se dessinait sur son visage. Et surtout : il ne pleurait plus. Il parut hésiter un instant, puis se tourna de nouveau vers C17 pour le questionner.
- Dis Larry, comment je fais si je veux voir des animaux si les zoos c'est pas bien ?
- Les animaux ne sont jamais aussi beaux que dans la nature. Et c'est là qu'il faut les voir. Des mammouths et des tas d'autres espèces sont visibles dans le parc.
- Mais je peux pas y aller moi ! Oak il a dit que c'était trop dangereux.
Une idée vint alors à l'esprit de C17. Une idée qu'il trouva immédiatement brillante.
- Tu sais quoi gamin ? Je pense que toi et moi on peut passer un marché, lui répondit-il en riant.
- Lequel ?
- Tu restes bien ici ce soir ?
- Oui. C'est les vacances, j'ai pas école et papa est d'accord pour que je reste ici.
- Parfait. Alors écoute : si tu descends au salon, que tu vas voir Ruri et que tu lui dis que j'ai bien agi avec toi, que tu n'es plus triste, et que tout va bien, je t'emmène au parc cet-après-midi avec moi. Et nous irons voir absolument tous les animaux que tu voudras.
- T'ES SÉRIEUX ?
- Oui.
- Mais… c'est pas dangereux ?
- Pour les rangers habituels, oui, parfois. Mais je ne suis pas n'importe quel ranger tu vois. Je suis fort, tu l'as vu non tout à l'heure ?
- Oui, t'es trop balèze !
- Merci. Alors avec moi, tu ne risques rien. J'ai déjà affronté un requin géant et même un dragon des mers tu sais.
- POUR DE VRAI ?
- Demande à Ruri de te montrer, elle a des centaines de photos dans son ordinateur.
- COOOOOL !
- Alors ? Deal ?
- DEAL !
Et sans attendre une seule seconde, Willy se précipita hors de la chambre, oubliant même d'emporter avec lui le panier de fruits. Il dévala les escaliers en quelques secondes et déboula au rez-de-chaussée pour se précipiter vers Ruri. En l'espace de quelques secondes, le petit garçon lui expliqua que C17 avait été formidable, ce que le cyborg ne nia pas, ravi du sourire plein d'amour que sa compagne lui adressa. Pour répondre à l'insistante demande de Willy, Ruri alla ensuite récupérer son ordinateur pour lui montrer les innombrables photographies qu'elle avait prises lors de leur grande expédition sous les mers.
Puis, après le repas, Oak reparti régler quelques affaires administratives avec les autres rangers. Hazel et Ruri restèrent à la maison pour s'occuper des enfants et de Volt. Et comme il l'avait promis, C17 parti avec Willy dans le parc.
Ils restèrent une grande partie de l'après-midi ensemble, observant au loin les animaux qui y vivaient en liberté. Le petit garçon fut époustouflé de pouvoir s'approcher d'incroyables espèces, telles qu'il n'en avait jamais vu. Des cerfs, des mammouths, mais aussi des ours et même de gigantesques félins aux dents de sabres. De terrifiantes créatures, mais que C17 parvint sans aucune difficulté à maintenir à distance, permettant à Willy de se balader dans le parc comme jamais encore il n'avait pu le faire, y compris avec Oak.
Au bout de quelques heures toutefois, Willy montra des signes de fatigue, et C17 décida qu'il était temps de rentrer. Sur le chemin du retour, ils aperçurent un rhinocéros laineux, immense créature qui parcourait les plaines gelées, dotée d'une impressionnante corne capable de tout transpercer. Ils en restèrent à bonne distance, mais le petit garçon ne put s'empêcher de demander s'il pouvait essayer de le caresser. Après une petite hésitation, C17 accepta de tenter la manœuvre, mais à peine eurent-ils tenté de s'approcher que l'animal réagit à leur présence en grattant le sol avec ses pattes, expirant avec lourdeur sur le sol.
Prudent face à ce signe précurseur d'une attaque, C17 recula, attrapant Willy par le col pour lui faire comprendre qu'il devait le suivre. Curieux, le petit garçon lui demanda pourquoi le rhinocéros avait réagi ainsi.
- Sans doute par peur, répondit C17.
- Mais je voulais juste le caresser !
- Il ne le sait pas. Et les animaux sauvages se méfient des humains.
- Mais une caresse c'est gentil.
- Oui, mais tu ne dois pas imposer ton contact. Tout est une question de patience.
- Ah bon ?
- Oui. C'est difficile, mais tu dois mériter la confiance des animaux. C'est long, mais c'est comme ça que tu dois faire. La nature doit être respectée, et il ne faut pas la forcer. Dans le parc dans lequel je travaille, si je m'assois, au bout de 5 minutes je suis entouré d'animaux. Ruri aussi d'ailleurs. Parce qu'ils savent que nous sommes là pour eux, mais c'est toujours les animaux qui font le pas pour venir vers nous, jamais l'inverse.
- Wow, t'en sais des choses dis donc !
- Oui, c'est vrai.
Et l'après-midi se termina ainsi, jusqu'à ce que C17 et Willy rentrent à la maison dans laquelle tout le monde les attendait. Le repas se passa très bien, le petit garçon monopolisant la parole pour raconter tout ce qu'il avait vu pendant sa visite du parc sous les regards attendris et rassurés d'Hazel et Ruri.
Une fois le repas terminé, la jeune femme voulut d'ailleurs rejoindre C17 pour le féliciter.
Mais elle se rendit compte qu'il était sorti, à peine son assiette vidée. Sans doute, pensa-t-elle, avait-il besoin d'un peu d'air frais pour s'aider à digérer de la grande quantité de nourriture qui lui avait encore été servie.
Amusée, elle décida de le laisser seul, mais elle l'observa depuis la fenêtre de la cuisine tandis qu'il regardait l'horizon en silence. Tout à coup, Oak surgit de l'intérieur de son garage accompagné de Volt. Il avait fabriqué une sorte de laisse à l'aide d'une large ficelle et promenait ainsi le jeune chien loup, apparemment ravi de cette ballade nocturne. Intriguée, Ruri les vit se rapprocher de C17 qui se baissa pour caresser Volt. Oak l'imita, et la jeune femme put voir qu'une conversation venait de commencer entre eux. Elle était trop loin pour entendre, et finit donc par s'occuper de faire un peu de vaisselle, ne jetant que quelques coups d'œils intermittents dans leur direction.
De son côté, C17 avait été très étonné de voir le ranger venir à sa rencontre, et encore plus quand celui-ci se mit à lui parler, à voix basse, comme s'il craignait toujours d'être écouté.
- Rude journée n'est-ce pas ?
- Oui. Mais j'ai appris pas mal de choses donc je suppose que le bilan est plutôt positif.
- Je suis content que tu sois venu, vraiment. Ta réputation n'est pas usurpée, ta force est proprement… extraordinaire.
- Oui, c'est vrai, répondit C17 en tournant la tête pour pouvoir regarder le visage d'Oak.
Ses lèvres tremblaient et ses sourcils étaient agités. De toute évidence, il voulait lui dire quelque chose, mais il n'osait pas le faire. Les grognements de Volt qui venait de se jeter par terre les interrompirent. Le chiot venait de se saisir de la ficelle qu'il agitait dans tous les sens, autant pour jouer que pour essayer de en libérer, bien que ses minuscules dents ne le lui permettent pas encore.
Amusé de ce spectacle, Oak se mit à sourire, mais son visage restait toujours étonnamment crispé.
- Il va mieux dit donc ce petit bonhomme, s'exclama-t-il en caressant les oreilles de Volt.
- Oui, Ruri et Hazel s'en sont bien occupé.
- C17… Je peux te demander pourquoi tu es devenu un ranger ?
- … Je ne sais pas trop. C'est Ruri qui m'a fait découvrir les splendeurs du monde animal. Après… disons que je m'entends mieux avec les animaux. Je ne suis pas très sociable et je ne comprends pas toujours les hum… personnes. C'est sans doute peu clair. Je ne suis pas doué pour les discours.
- Non non, c'est parfaitement clair au contraire, répondit Oak.
- Et toi ? renchérit C17 dont la curiosité avait été piquée par cette demande.
- C'est une longue histoire. Quand j'étais petit, j'avais un chien. Je l'ai eu tout bébé, et je l'adorais. Mais un jour, alors qu'il devait avoir quelques mois, il est mort. Empoisonné.
- Quoi ?
- Des voisins sans doute, je n'ai jamais su, j'étais jeune et mes parents n'ont pas jugé que c'était important. Il a agonisé de longues minutes dans mes bras, et puis il est parti. Ce souvenir m'a hanté. Depuis ce jour, je veux protéger les animaux.
C17 ne répondit rien. En fait, cette histoire ravivait chez lui une très ancienne blessure. Pour faire plaisir à Ruri, il avait fait de son mieux pour être poli et plus loquace afin de s'intégrer autant que possible dans son nouvel environnement. Et il devait bien admettre que les habitants du village limitrophe au parc étaient des gens paisibles qui s'étaient montrés très accueillants avec lui. Pourtant, il n'avait jamais vraiment réussi à dépasser cette rupture qu'il avait autrefois faite entre lui et le reste de l'humanité. Bien qu'il soit un être de chair et de sang et que la femme qu'il aimait soit une humaine, il gardait au fond de lui une méfiance mêlée d'indifférence envers les autres hommes, à laquelle s'ajoutait une forme de dégoût pour la cruauté qu'il savait exister dans le cœur de certains. Chaque geste de maltraitance envers un animal lui rappelait ainsi les souffrances que Gero avait été capable de lui infliger. Il ne pouvait s'empêcher de penser qu'une violence gratuite sommeillait en certain humains, et qu'il ne leur manquait souvent qu'un peu de pouvoir pour oser l'exprimer sur quiconque leur paraîtrait plus faible.
C'est pourquoi il préférait de loin la compagnie des animaux, chez qui la cruauté était très rare, et quasiment jamais gratuite.
Il les comprenait, eux qui comme lui ne savaient pas exprimer par des mots intelligibles les émotions qu'ils ressentaient. Et il était capable d'éprouver envers eux une empathie très grande. C17 avait le désir profond de réparer les fautes dont il s'estimait coupable, mais aussi sans doute de protéger des êtres innocents, comme lui-même n'avait pas eu le sentiment d'être protégé.
En tout cas, si sa réponse évasive avait eu l'air de le satisfaire, il pressentait qu'Oak avait tout de même autre chose à lui dire. Et en effet, le ranger reprit rapidement la parole, le regard posé sur Volt qui avait à présent décidé de mordiller ses chaussures.
- C'est quand ils l'ont capturé lui que j'ai décidé qu'il fallait que cela cesse… murmura-t-il. Ce petit chiot… c'était trop. Je devais faire quelque chose. Ils vont tous les enlever, C17. Tous.
- Pas tant que moi, je serais là.
- Je te remercie tu sais, vraiment. Nous aurons besoin de ta force pour empêcher ces types de réformer l'armée. Et de récupérer… ce qui se trouve dans la tour. Il ne faudrait pas que des choses puissantes se retrouvent entre leurs mains.
- Tu penses à quelque chose de particulier ? lui demanda alors C17 pour qui cette conversation prenait une tournure de plus en plus intrigante.
Oak ne répondit pas. Alors C17 reprit, persuadé d'avoir compris où le ranger voulait en venir.
- Tu as déjà vu quelqu'un possédant le même genre de force surhumaine que moi, n'est-ce pas ?
- … Oui.
- Hacchan c'est ça ?
- Ce n'est pas son vrai nom… une fois… je l'ai entendu en parler avec Suno…
- Et quel est son vrai nom alors ?
- C8.
« Le numéro 8… alors c'est bien un robot créé par le Red Ribbon… » pensa aussitôt C17, que cette information ne surprenait pas réellement.
Oak enchaîna immédiatement, comme s'il avait peur que le courage de parler ne finisse par lui manquer.
- C8, C17… des noms… plutôt originaux.
- C'est pour ça que tu as fait appel à moi ?
- Avec ta réputation j'aurais de toute façon fait appel à toi. Mais c'est vrai que…
Le ranger semblait devenir de plus en plus anxieux au fil de la discussion, et C17 le regardait avec circonspection. Il comprenait mieux son insistance au fait qu'il accompagne Ruri. Oak avait clairement fait le rapprochement entre lui, l'armée du Ruban Rouge, et cet autre robot qui vivait dans le village voisin. Plus la discussion avançait, plus le ranger paraissait être de plus en plus anxieux, au point que C17 finisse par se demander si, en fin de compte, il ne commençait pas à le considérer lui aussi comme un danger.
- Tu as peur de moi ? l'interrogea-t-il alors.
- Non, pas du tout. Je sais que tu es quelqu'un de bien, et Hacchan aussi. Mes enfants l'adorent, si tu voyais comme il est gentil avec eux… mais c'est vrai que j'ai peur. Ces types me font peur, de plus en plus. Tiens, tu vois là ?
Oak pointa la porte d'entrée de sa maison, sur laquelle C17 se rendit compte qu'une toute petite lumière rouge était visible dans l'un des bords supérieur du bâti.
- C'est une caméra, expliqua le ranger. Je l'ai installée récemment, pour rassurer Hazel… Kley, et surtout son frère… depuis quelque temps, ils sont de plus en plus menaçants… C17… j'ai…
De lourds sanglots l'interrompirent.
Il n'était pas effrayé.
Il était terrorisé.
Cet humain était quelqu'un de bien. De sincèrement attaché, comme lui, aux animaux. Mais il avait peur. Pour lui, et surtout pour sa famille. C17 pouvait parfaitement comprendre ça, car il avait lui aussi à veiller sur la vie d'un être qu'il aimait au-delà de toute mesure.
- Tu n'as plus de souci à te faire. Je suis là maintenant, et je vais tous vous protéger. Ils ne feront de mal ni aux animaux, ni à aucune des personnes auxquelles tu tiens, ni à aucun des habitants du village Jingle. Tu as ma parole.
C17 ne souriait pas, mais ses yeux bleus étaient fixés sur Oak. À l'intérieur, le ranger y lut une détermination sans faille, mais aussi une absolue certitude. La confiance en lui qu'il dégageait semblait être infinie, et il paraissait soudain infiniment puissant, invincible même. Oak se sentit comme soulagé d'un poids immense, et il poussa un profond soupir qui fit sursauter Volt.
Le ranger et C17 se mirent aussitôt à rire.
- Je crois qu'il est encore un peu trouillard ce petit, s'amusa Oak.
- Oui, c'est indiscutable.
- Il faudrait que je rentre. Il doit avoir très faim pour s'acharner autant sur mes chaussures.
- Oui, fais donc cela. Les jeunes de son âge doivent manger régulièrement.
- Et toi ? Tu vas faire quoi ?
C17 se releva, sans un mot, avant de finalement répondre :
- Retourner parler avec Suno.
Une fois Oak rentré, C17 s'était rendu au village Jingle, empruntant pour cela la même route que précédemment, mais cette fois en marchant. Bien qu'il soit à présent certain que Lacenaire se doutait de sa véritable nature, il préférait ne pas lui dévoiler sa capacité à voler, par précaution. Il ne décela aucune présence humaine sur son trajet, mais il était presque sûr que d'une manière ou d'une autre ses déplacements étaient surveillés.
Quand il arriva au village, il était désert. Ou plus exactement sa place, car en réalité les habitants étaient tous chez eux, à en juger par le nombre de lumières encore allumées à l'intérieur des habitations. C17 se dirigea tout d'abord vers l'entrepôt dans lequel il avait discuté avec Suno, mais il était vide. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, il allait frapper à la porte de la maison la plus proche pour trouver celle dans laquelle elle habitait, quand il entendit une série de bruits, secs et brefs, en provenance de la forêt.
« Des coups de hache » se dit-il en reconnaissant ce son familier.
Il bifurqua alors pour déterminer l'origine de ce son étrange, l'heure tardive ne se prêtant pas vraiment à la découpe du bois. Il avança donc dans la forêt, et parvint en quelques minutes jusqu'à une petite clairière, bordée de part et d'autre par de jeunes sapins en croissance. Et là, devant lui, occupé à trancher les troncs des plus petits conifères, il reconnut la silhouette imposante du cyborg numéro 8.
L'occasion était trop belle pour qu'il ne la saisisse pas.
Voyant qu'Hacchan n'avait pas remarqué sa présence, C17 activa les scanners optiques dont Gero l'avait doté. Comme il l'avait jadis fait avec C16, il examina en détail le corps du robot devant lui pour essayer d'en déterminer la nature exacte.
Et ce qu'il vit le surpris, au plus haut point.
La grande majorité de sa structure interne était robotique. C17 était même incapable de distinguer un seul os dans le corps de C8 qui donnait l'air de n'être fait que de métal, comme un authentique robot. Pourtant, au-dessus de ce squelette d'acier il pouvait clairement voir une fine couche de matière organique. Sans doute de la chair, bien qu'il n'en ait pas la certitude.
« Mais quel type de robot es-tu toi… » s'interrogea C17 face à cette machine qui était fait d'une manière encore différente de ce qu'il connaissait des techniques du Dr Gero.
Sa crainte d'être face à un modèle certes plus ancien mais potentiellement plus fort que lui se raviva, et il décida qu'il était plus prudent d'essayer de tester un peu sa puissance. Silencieusement, il se saisit d'un caillou qu'il ramassa sur le sol de la forêt. Puis il arma son bras, toujours sans faire le moindre bruit, avant de soudain lancer la pierre dans la direction d'Hacchan. Il n'avait mis qu'environ un dixième de sa force mais pourtant, quand le projectile heurta le crâne du robot, celui-ci vacilla, déstabilisé par la violence du choc. Il ne poussa aucun cri, mais il en fit tomber sa hache au sol, avant d'aussitôt lever les bras pour stopper la chute de l'arbre qu'il était en train de couper. D'une seule de ses mains gigantesques il immobilisa le tronc et le remit droit sans aucune difficulté avant de finalement l'arracher du sol pour l'y coucher. Puis, comme si de rien n'était, il se retourna pour faire face à C17.
- Oh ! Tu es Larry, l'ami de Suno ! lui cria-t-il en le saluant.
- Oui, répondit C17 en s'avançant. Je suis navré, dans le noir je t'ai pris pour un braconnier et j'ai lancé une pierre sur toi. J'espère ne pas t'avoir fait mal ?
- Oh c'était ça alors le coup sur ma tête ! Ne t'inquiète pas je n'ai rien senti !
« Assez fort pour tenir sans effort un arbre de cette taille, insensible à la douleur alors que moi je la ressens… Mais assez faible pour qu'un jet de pierre dans lequel je n'ai pratiquement rien mis de ma puissance te fasse perdre l'équilibre… »
Tout en s'avançant vers lui, C17 continuait à l'analyser pour essayer de comprendre.
« Cela voudrait dire qu'il est beaucoup plus faible que moi, ce qui serait logique… À moins qu'il ne m'ait entendu venir et qu'il ait joué la comédie…pourtant je suis presque certain qu'il n'a pas pu me détecter… »
Hacchan le regardait en souriant, sans avoir l'air de se soucier le moins du monde de cette attaque physique, comme si l'explication de C17 lui convenait parfaitement. Arrivé à sa hauteur, ce dernier le regarda encore, de haut en bas, de plus en plus perplexe face au visage doux et serein qui se tenait face à lui.
« Ce sourire… Je n'arrive pas à savoir si tu mens ou si tu es… comme lui… »
- Tu voulais parler à Suno ? lui demanda soudain le géant, l'air toujours aussi parfaitement calme et détendu.
- … Oui. Pourrais-tu me conduire à sa maison ?
- Bien sûr ! Je dois juste finir de couper les trois derniers sapins.
- Et pourquoi fais-tu cela ?
- C'est bientôt Noël alors je prépare les arbres pour les habitants du village ! Moi je vais vite, c'est plus pratique pour eux.
- Mais pourquoi faire ça en pleine nuit ? Tu dois être fatigué de travailler à cette heure-ci.
- Non, je dors pas beaucoup tu sais. Et puis aujourd'hui je devais m'occuper de distribuer toute la nourriture que Suno a acheté.
- Eh bien, tu fais beaucoup de choses nécessitant de la force ici on dirait.
- Oui ! Je suis fort et c'est comme ça que je me rends utile pour mon village !
- Je vois ça.
C17 nota intérieurement que le numéro 8 avait l'air d'avoir besoin de dormir, ce qui là aussi ne collait ni avec le profil d'un robot, ni avec son propre schéma disposant d'une énergie infinie. Là encore, les spécificités de sa construction lui échappaient complètement. Mais il décida d'arrêter là son interrogatoire, du moins pour le moment. Il ne pouvait pas exclure que C8 lui mente, bien que tout dans son attitude reflétait une franchise presque naïve vu les circonstances. C17 savait que seule Suno pouvait vraiment l'aider à mieux comprendre, et il voulait pourvoir lui parler seul à seul. Il persuada donc Hacchan de lui indiquer dès maintenant le chemin pour rejoindre sa demeure, afin de lui permettre de terminer tranquillement son travail de découpe.
Une fois arrivé, il sonna à la porte et Suno l'accueillit avec joie.
C17 s'installa sur son canapé, juste en face d'une grande cheminée dans laquelle un feu brûlait doucement. Il ne dit rien pendant qu'elle lui prépara une tasse de tisane parfumée, patientant jusqu'à ce qu'elle le rejoigne.
- J'espère qu'Hacchan finira rapidement de couper les arbres, il adore la tisane ! lui dit-elle aussitôt après s'être assise à ses côtés.
- Il ne devrait pas avoir besoin de trop de temps pour couper trois sapins.
- Oh tu sais ce pauvre Hacchan est parfois si maladroit. En ce moment à chaque fois que je lui donne du travail le soir il s'absente pendant des HEURES haha !
- Vraiment ? demanda C17 en relevant un sourcil.
- Oui. Mais bon, il a toujours été un peu distrait, depuis toujours. On va boire sans lui, il finira bien par revenir.
- Tu as confiance en lui ?
Le caractère abrupt de cette question, que C17 venait de poser en la regardant droit dans les yeux, perturba Suno au plus haut point.
- Évidemment, répondit-elle cependant sans attendre.
- Pourtant tu sais qui il est.
- Oui. Mon ami.
- Je ne parlais pas de ça.
- Et pourrais-je savoir de quoi tu parles ?
- C'est un robot. Une arme créée par l'Armée du ruban rouge.
- Bien sûr que je sais qu'il est un robot. Mais Hacchan n'est pas une arme, pas du tout.
- Il a été conçu pour ça.
C17 n'était pas agressif, mais son visage et le ton de sa voix s'étaient considérablement durcis. Il ne voulait pas être impoli envers Suno, mais il cherchait à la pousser dans ses retranchements, à chercher à obtenir d'elle des informations qu'elle pourrait vouloir lui cacher. Et son attitude eut exactement l'effet escompté sur elle, car elle posa rudement sa tasse sur sa table basse, avant de lui répondre, passablement énervée.
- Peut-être, mais il n'a jamais fait le moindre mal à quiconque ici. C'est notre gardien, notre protecteur et notre ami à tous ici.
- C'est un robot.
- Robot ou pas, quelle importance ? Hacchan est mon ami. Point. Qu'est-ce que tu veux savoir exactement ? Pourquoi insister autant sur ça ?
- Parce que je vais protéger toutes les personnes et tous les êtres qui habitent ici, tu peux en être certaine. Et je veux pouvoir identifier tout ce qui menacera leur bien être.
Suno sembla s'apaiser un peu. La sincérité de C17 ne faisait aucun doute pour elle, et même si son attitude l'avait un peu heurté, elle comprenait sa détermination.
- Oak te fais confiance, alors je t'ai dit que je ferais de même, lui dit-elle alors en souriant. Je ferais tout ce que je peux pour t'aider, mais je t'assure que concernant Hacchan, tu n'as pas à t'inquiéter.
- Bien, alors le sujet est clôt, lui indiqua C17 en signe d'apaisement.
- Est-ce que tu as besoin de quelque chose d'autres ?
- Oui. J'ai besoin d'en savoir plus à propos de ce que tu as vu et vécu lors de la destruction de l'Armée du Ruban Rouge.
- Pas grand…
- Peu importe. Le moindre détail peut avoir son importance. Et je vais aussi avoir besoin de toi. Je veux m'infiltrer dans la Tour.
- Quoi ? Mais c'est impossible !
- Pas pour moi.
- Haha ! Oak m'avait prévenue que tu avais la réputation d'être très fort, j'espère pour toi que c'est le cas. La tour grouille d'hommes armés !
- Aucun problème.
- Alors pas de soucis. Je viendrais avec toi, je sais où sont positionnées les caméras qui surveillent la Tour. Et je vais essayer de faire quelques recherches. Nous avons récupéré pas mal de documents après le départ des soldats du Red Ribbon, j'essaierais de voir ce que je peux trouver.
- Parfait. Nous irons ensemble, mais je rentrerai seul dans la tour.
- Bien sûr.
- Maintenant que c'est clair, reprenons donc notre conversation concernant les souvenirs que tu as de l'affrontement entre l'Armée et Son Goku.
- J'espère que tu n'es pas fatigué parce que ça risque d'être long si tu veux que je sois précise.
- Ne te fais pas de souci pour ça.
- Bon, eh bien je vais nous préparer plutôt du café, on va en avoir besoin !
Et ainsi donc, plusieurs heures s'écoulèrent durant lesquelles Suno raconta à C17 absolument tout ce qu'elle put faire sortir de sa mémoire. Elle lui décrivit les bâtiments, les armes, et tout ce que Son Goku ou Hacchan avaient pu eux-mêmes lui dire. Leur échange s'éternisa encore jusqu'à très tard dans la nuit, au point que Suno ne remarqua pas qu'Hacchan n'était toujours pas rentré quand C17 prit congés, ce que le cyborg, lui, n'avait pas manqué de relever. Suno était en réalité épuisée d'avoir dû rester éveillée si longtemps, et ce furent ses bâillements et la lourdeur de ses paupières qui convainquirent C17 qu'il était temps de cesser de la questionner. Il s'assura qu'elle était bien allée se coucher, avant de sortir de chez elle et de retourner immédiatement dans la clairière où le robot et lui s'étaient rencontrés.
Comme il s'y attendait, le numéro 8 n'était plus là.
S'élevant légèrement dans les airs sans pour autant dépasser de la cime des arbres, C17 aperçut distinctement les traces de pas qui trahissaient l'endroit où il était allé, confirmant à son grand regret son intuition première.
« Droit vers la Muscle Tower, n'est-ce pas, C8 ? Suno à l'air de te faire une totale confiance et de t'apprécier énormément. J'espère vraiment pour toi que c'est elle qui a raison… »
La mention par Suno des absences récentes d'Hacchan n'avait fait que renforcer la conviction de C17 qu'il devait se rendre dans l'ancien quartier général du Red Ribbon pour pouvoir comprendre ce qui s'y tramait. Il était donc déterminé à s'y rendre, le lendemain même. Mais pour l'heure, il était contraint attendre.
Reprenant donc le même chemin qu'à l'aller, il retourna aussi vite qu'il le put jusqu'à la maison d'Oak et Hazel. Quand il y parvint, il remarqua que de la lumière s'échappait de la fenêtre de la chambre qu'il partageait avec Ruri. Il jeta un rapide coup d'œil à sa montre qui indiquait qu'il était plus de trois heures du matin. Sa compagne avait dû l'attendre, et il regretta instantanément de ne pas avoir prévenu de son départ ni de l'heure tardive à laquelle il pensait rentrer. S'interdisant toujours de voler, C17 passa par la porte d'entrée qui n'était pas verrouillée et il rejoignit la chambre en marchant le plus doucement possible pour ne pas réveiller la maisonnée endormie.
Il y trouva Ruri, en position semi-assise sur le lit, un livre entrouvert posé sur ses jambes. De toute évidence elle s'était assoupie en lisant pendant qu'elle l'attendait. Amusé autant qu'attendri, C17 s'approcha d'elle et ramassa le livre qu'il posa sur la table de chevet. Volt, qui dormait lui aussi sur le lit réagit à sa présence et vint aussitôt à sa rencontre, remuant la queue de joie de le revoir.
- Chuuuut, pas de bruit petit, chuchota C17 en prenant immédiatement dans ses bras le petit chiot qui se mit à lui lécher abondamment le visage.
Mais malgré les tentatives de C17 pour rester discret, c'était trop tard.
Ruri s'agita légèrement, avant d'ouvrir un œil, péniblement. Puis le deuxième, avant de se redresser sur ses bras en grommelant :
- Mmmmm ? C17 ? C'est toi ?
- Oui. Pardon de t'avoir réveillée.
- Quelle… quelle heure il est ?
- 3h18. Rendors-toi, il est très tard.
- Tu rentres seulement maintenant ?
- J'étais au village, je discutais…
- Avec Suno, l'interrompit Ruri.
- Comment tu le sais ?
- Oak me l'a dit.
- Ah. C'est bien.
- Tu trouves ?
- Oui. J'ai oublié de te prévenir donc tant mieux s'il t'en a parlé. J'avais peur d'avoir mal agi et que tu te sois inquiété.
- … Oh non, je n'étais pas… inquiète… du tout… répondit Ruri qui avait l'air d'être à présent parfaitement réveillée.
- Tant mieux.
- Mais… je peux savoir pourquoi ça a pris autant de temps ? Et pourquoi ce départ soudain ? Ce que tu voulais voir avec Suno ne pouvait pas attendre demain ?
- Cela fait beaucoup de questions, humaine, taquina C17 qui ne percevait pas la réalité du sentiment qui animait sa compagne en cet instant précis.
- Des questions auxquelles tu ne réponds pas…
- Ce n'est pas important Ruri.
- … Certes, mais… je ne vois pas ce que tu avais de si important à voir avec Suno qui n'aurait pas pu attendre qu'on… y aille ensemble demain…
En l'entendant parler ainsi, C17 réalisa que Ruri allait très certainement vouloir venir avec lui s'il lui parlait de son idée d'infiltration dans la Muscle Tower, et cette pensée ne le rassura pas du tout. Le comportement étrange du cyborg numéro 8 était pour lui source d'une grande préoccupation, et il était hors de question pour lui d'exposer celle qu'il aimait au moindre risque, fût-ce-t-il minime. Le souvenir de Ruri, blessée et le visage ensanglanté quand un braconnier l'avait frappée quelques années auparavant était encore vif dans sa mémoire. Qui plus est, il ne savait pas ce qu'il risquait de trouver dans cet endroit. Quand ils avaient visité ensemble le laboratoire du Dr Gero il n'avait pas supporté l'idée de lui révéler trop d'informations sur la nature exacte de tout ce qu'il y avait vécu.
Ruri était ce qu'il avait de plus précieux à son cœur, et il ne connaissait que trop bien sa sensibilité et son caractère intrépide.
En la voyant ainsi, les cheveux en bataille, ses magnifiques yeux embués par le sommeil, elle était si belle, si simple, si douce… simplement si lumineuse, qu'il ne pouvait supporter l'idée que quoi que ce soit ne puisse, jamais, atteindre son cœur et lui causer le moindre tort.
La préserver, de tout, y compris des démons de son propre passé qu'il voulait plus que tout mettre définitivement derrière lui.
Alors il se pencha vers elle, délicatement, et embrassa avoir tendresse ses lèvres si tendres dont il réalisait qu'elles lui avaient infiniment manqué.
- Tu es si belle quand tu boudes… murmura-t-il après quelques secondes.
- Je ne boude pas…
- Si. Et j'adore ça. D'ailleurs… puisque tu es réveillée…
Et délicatement, C17 déposa une main sur la taille de Ruri, avant de la redescendre vers sa cuisse, puis tout près de son entrejambe qu'elle referma aussitôt.
- Noooon mais attends, pas ici ! Hazel, Oak, les bébés et Willy sont juste à côté !
- Ah. Oui. J'avais oublié ce détail.
C17 retira sa main, déçu mais néanmoins satisfait de voir les joues de Ruri se teinter de rouge. Elle semblait être si confuse par la situation qu'elle avait l'air avoir totalement oublié ce dont ils parlaient juste avant.
- Bon, écoute, puisque que toute autre activité est compromise, je te propose de te recoucher d'accord ?
- Et toi ? Qu'est-ce que tu vas faire ?
- Je ne sais pas trop. Lire un peu, sans doute. Oak se lève tôt, je trouverai bien quelque chose à faire.
- … OK.
- Dors bien humaine.
- Toi… enfin… passe une bonne nuit aussi.
- J'y compte bien.
Puis, après avoir déposé un baiser sur la joue de Ruri, C17 récupéra son ordinateur portable et redescendit dans le salon, suivit de près par Volt qui n'avait plus du tout envie de dormir.
Confortablement installé dans le salon, il entreprit de noter tout ce qu'il avait appris lors de cette très longue journée pour essayer de remettre un peu d'ordre dans le fil de ses pensées.
Il était assez satisfait de ce qu'il avait pu récupérer comme information malgré l'incident du zoo et de la façon dont il pensait avoir résolu le problème des inquiétudes de Ruri. Sa seule préoccupation restait à présent C8, et il comptait bien profiter de la journée du lendemain pour éclaircir le mystère entourant ce robot et ses liens avec le Red Ribbon.
Mais il pensait mal.
Car Ruri, elle, était rongée par un mal nouveau que les réponses évasives de C17 n'avaient fait qu'amplifier. Une angoisse très spéciale, irrationnelle mais irrépressible.
Et contrairement à ce que C17 imaginait, Ruri ne ferma en fait pas l'œil de tout le reste de la nuit…
