Chapitre 12: incompréhensions

Novembre s'installa, froid, humide, glacial même. Harry ne se souvenait pas d'avoir connu un temps aussi polaire. Pourtant lui avait l'impression de se réchauffer.

Se confier à Ron et Ginny n'avait pas été facile mais cela avait levé un voile. Cela avait fait tomber des tabous. Ils parlaient à présent avec plus de facilité du passé. Ron lui confia ses peurs et ses peines, ils parlèrent avec franchise et pudeur. Il discuta aussi longuement avec Ginny. Chacun exposant ses blessures. Il se sentit moins seul, il se sentit moins bête, moins coupable mais toujours aussi impuissant.

Bien sûr il était encore incroyablement triste et se sentait coupable mais ses plaies semblaient enfin prêtes à cicatriser. D'ailleurs Ginny lui fit remarquer que la cicatrice sur sa joue avait l'air de s'estomper un peu.

Les blessures magiques avaient cela d'incroyable qu'il fallait que certains mécanismes se mettent en route pour qu'elles disparaissent enfin.

Ses cauchemars qui étaient « passifs » depuis la coupe du monde s'étaient mués en un malaise qui berçait ses nuits. Ils étaient moins violents, moins réalistes, moins vivants. Bien sûr de temps à autres ils étaient aussi puissants et vibrants qu'avant mais cela devenait de plus en plus rare.

Il se sentait prêt à vivre avec sa peine mais ne parvenait pas à faire taire ce qui le dévorait. Ce Voldemort en lui, cette haine, ce noir, cette envie de souffrance.

Harry parla peu avec Hermione. Elle semblait très préoccupée et particulièrement triste. De toute façon elle était rarement là quand il venait. Il s'en inquiéta mais Ron lui assura que tout allait bien. Pourtant il affichait lui aussi un air inquiet.

Harry marchait d'un pas rapide dans les couloirs gelés. Les bras croisés, son souffle laissait échapper un petit nuage de fumée. Malgré tous les sorts lancés pour réchauffer le ministère, il faisait toujours très froid dans les couloirs et seuls les bureaux étaient à une température convenable.

Il se rendait dans le bureau de Malfoy.

Il s'en serait bien passé mais il avait certaines obligations professionnelles et il voulait les remplir au mieux.

Leur enquête en cours dépendait d'une autorisation de perquisition. Il était sûr que Malfoy en bon magistrat qu'il était, la lui accorderait. Enfin en tous cas il essayait de s'en convaincre. Il tenta de se focaliser sur des souvenirs heureux et apaisants. Il ne devait pas frapper Drago Malfoy, il ne devait pas l'insulter, il ne devait pas écraser lourdement son poing dans sa petite gueule d'aristocrate snob, il ne devait pas... Non! Non! Non! Des oiseaux qui chantent, des fleurs, son neveu Arthur, sa future filleule (car Harry était sûr que se serait une fille), voilà ce à quoi il devait penser!

A l'approche du bureau de Drago, Harry remarqua que la porte était entrouverte. Il s'approcha doucement. Ses pas ne résonnaient pas dans les couloirs immenses de ministère. Harry ne se demanda pas pourquoi, il ne se rendit pas compte qu'il avançait à pas de loup. Il jeta un œil dans le bureau et vit Drago assis derrière son bureau. Il avait la tête dans les mains. Il semblait abattu, perplexe et triste. Il s'immobilisa, le souffle coupé, statufié, les yeux exorbités.

Puis d'un coup il sentit le besoin de reprendre son souffle. Il inspira lentement, profondément. Quand il expira, ses mains tremblaient, son corps était comme secoué par de légers spasmes. Sa mâchoire contractée soulignait un rictus qui déformait son visage. Ses yeux flamboyaient ressemblant à la plus pure des émeraudes. Ils étaient à cet instant d'un vert profond, dur et limpide.

Il serra les poings. Il lui semblait que l'air qu'il respirait était brûlant, acide, nauséabond.

Il sentait dans son thorax une douleur, un poids insupportable.

Il ne savait pas pourquoi et ne pouvait pas y faire face. Contre toute attente, la rage déferla en lui comme une vague puissante et inébranlable. Alors il ne put se retenir.

Il entra en trombe dans la pièce. Peu importait la raison qui l'avait mené ici ou même que l'on soit au ministère.

Il empoigna la porte au passage la claquant dans un mouvement si violent que le service à liqueur de cristal trembla.

Le bruit fort et sourd, fit lever la tête à Drago. Il semblait ne pas réaliser ce qu'il se passait, il semblait ne plus rien maîtriser et ne pas voir Harry s'avancer vers lui vivement.

Il fronça les sourcils et se leva lentement.

« Tu es mort Malfoy. » Dit la voix étouffée du lion. Il semblait qu'elle venait d'outre-tombe. Le ton était hargneux, mauvais, empoisonné. Les lèvres qui la laissèrent échapper étaient contractées comme si elles avaient voulu en savourer chaque syllabe. Les mots résonnaient à l'oreille de Drago. Ils étaient à lui et ils se retournaient maintenant contre leur maître.

Ils déchiraient ses tympans, descendaient dans sa gorge, la brûlant affreusement, rongeaient son plexus, pour venir se loger au plus profond de lui et peser comme la hache du bourreau.

Quand les mots atterrirent enfin au bout de leur interminable course, il se réveilla comme frappé dans son sommeil.

Il fit le tour du bureau pour défier cet idiot de lion, ce gryffondor sans cervelle, ce héros de pacotille, ce déchet que la guerre avait rejeté sans jamais le laisser trouver la

paix.

Il voyait la haine dans les yeux de Harry et senti sa propre colère monter. Tous les sentiments qu'il avait refoulé venaient de remonter pour exprimer tout son malheur, son mal-être, son déchirement. Il était incroyablement malheureux et triste et il savourait avidement cette haine qui venait muer son désespoir en violence.

Il pouvait enfin tout oublier. Oublier sa culpabilité, les larmes d'Olivier, son mal-être. Il pouvait foncer et se laisser diriger par ce qui se terrait au fond de lui.

Il est temps de laisser place à autre chose qu'à la haine.

Pourquoi ces mots revenaient-ils maintenant? Oui, autre chose que la haine... Il est temps pour la violence et la délivrance.

Harry avait envie de le frapper. Il avait envie de sentir son poing s'écraser contre le visage de cet homme là. Il avait envie de sentir sa douleur, son sang, sa sueur. Il voulait lui faire mal et l'entendre supplier ou expirer.

Malfoy se leva et se dirigea vers Harry dont les yeux étaient pleins d'une fureur que l'on ne voit que dans les yeux de ceux qui sont prêts à tuer.

Harry sentait la pièce emplie d'une chaleur moite, d'un feu dévorant. Il sentait son cœur battre, sa gorge se serrer. Il ne voyait plus rien il ne comprenait plus, il ne se rappelait plus rien. Son esprit était vide d'autre chose que du désir d'anéantir Drago Malfoy.

Ce fou se planta là. Devant lui. Menaçant, en colère, déterminé à ne pas laisser repartir le héros sans une égratignure.

Quand il fut à un mètre de lui, Harry le poussa violemment et Drago vint d'écraser durement contre le bois noir du bureau.

Plié en deux, ce dernier releva la tête avec rage et planta ses iris couleur d'orage dans ceux de son agresseur.

Oubliée la magie, oubliées les baguettes, oubliés les autres, oubliés le bien et le mal. Drago fonça sur lui avec une force inouïe. Harry réalisait qu'il savait se battre mais il l'avait vu si rarement s'adonner à la violence physique qu'il prit cela pour un honneur.

Il réalisa qu'aujourd'hui serait la fin de quelque chose ou le début... Mais il n'eut pas le temps de se poser plus de questions.

Drago se jetait déjà sur lui, les poings en avant. Il le frappa de toute sa haine. La lèvre du lion coupée sous le coup du serpent laissa échapper un mince filet brillant, écarlate.

Harry avait oublié le goût du sang et de la douleur physique et pourtant dans ce moment où les souvenirs auraient dû l'engloutir il sourit. Pas un sourire de joie ni un empreint de sarcasme. Un sourire de méchanceté. Un sourire plein des promesses d'une souffrance atroce.

Il attrapa Drago par le col de sa robe et le projeta violemment à l'autre bout de la pièce. Le jeune homme baladé comme une poupée de chiffon s'écrasa contre un guéridon de bois qui se brisa sous la violence du choc.

Drago à terre au milieu des débris gisait, comme démantibulé. Harry se dirigea aussitôt vers lui. Le souleva de terre et lui asséna un coup de poing dur et brutal, puis un autre et un autre. A bout de souffle, il laissa retomber le corps presque inconscient de l'autre sur le sol. Il respirait difficilement. Contre toute attente, Drago se releva, titubant. Ses doigts, crispés en un poing solide, s'abattirent sur le menton de Harry qui chancela et manqua de tomber en arrière. Les coups pleuvaient, ils faisaient mal. Mal au corps, mal à l'âme, mal au cœur.

Puis Drago tomba et Harry allait le frapper encore, toujours. Mais il vit le sang qui s'échappait de ses lèvres, ses yeux clos, son teint trop pâle. Il perçut son corps sans vie. Et là il paniqua. Il se pencha sur l'autre. Il était inconscient... sûrement une hémorragie interne.

Une crise d'angoisse lui coupa la respiration. Un poids oppressa sa poitrine, lui fit mal. Il devait agir vite. Il donna les premiers soins à Drago. Il était auror, il savait faire cela. Pourtant là il était si maladroit. Comment avait-il pu faire cela?

Il paniquait. Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi?

Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi?

Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi?

Pourquoi alors qu'il voulait tant le frapper, l'image de ce Drago agonisant lui faisait si mal?

Pourquoi voulait-il à tout prix le sauver?

Il lui attrapa les mains et se concentra pour le faire transplaner en même temps que lui.

Ils arrivèrent à Sainte-mangouste. Dans une sorte de salle aux couleurs vert amande. Une grande pièce aseptisée, avec quelques lits blancs et beaucoup de place. Ils atterrirent sur le sol. Harry ne le vit pas mais incessamment des personnes transplanaient portant des blessés.

Des médicomages se précipitèrent sur eux. Ils l'assaillirent de questions. Harry ne pouvait pas parler. Il ne pouvait pas ouvrir la bouche. Une infirmière vint le voir et le mena à une chaise tandis que les autres se démenaient autour de Drago. Il ouvrit enfin les yeux et l'infirmière se précipita auprès de lui, laissant Harry seul.

Mais qu'avait-il fait? Qu'est-ce qu'il lui avait pris? Il regarda Drago qui faisait d'imperceptibles mouvements et il se sentit abattu. Il quitta la pièce précipitamment et sortit de l'hôpital en courant. Il faisait froid dehors et des flocons légers et doux vinrent s'écraser dans le flot des larmes qui baignaient ses joues.

Il avançait, le froid mordant sa peau humide et très vite il se retrouva devant l'immeuble qui abritait son appartement. Il alla dans sa chambre. Il s'assit devant la cheminée où le feu mourrait dans l'âtre, les braises rouges mordant pourtant encore sur l'infinité de gris que les cendres dessinaient, le regard vide. Il revoyait sans cesse les images de Drago étendu, inconscient, son sang se répandant sur le sol.

Comment avait-il pu être si violent? Que s'était-il passé depuis quelques mois? Il ne contrôlait plus rien et pourtant se sentait plus libre. Il aurait dû continuer comme avant et se maîtriser encore, quitte à rester enfermé dans sa noirceur, dans son passé et à ne pas s'en sortir.

Mais il y avait eu le naufragé. Il avait été là pour lui montrer qu'il pouvait, qu'il devait, se battre, qu'il le fallait et ne pas tout accepter comme une fatalité comme il l'avait toujours fait.

Mais alors pourquoi tout cela était arrivé? Où s'était-il trompé? Pourquoi Drago déclenchait-il sa haine comme cela? Harry s'obligea alors à penser à lui. A Drago Malfoy.

A ce jour de septembre où il avait refusé la main que ce gamin suffisant lui présentait. Aux altercations, aux "accrochages" avec sa bande, aux menaces, aux coups, aux embuscades, provocations, insultes, mauvais coups qui avaient suivi. En y réfléchissant, Harry ne l'avait pas vraiment observé, il n'avait pas eu à se soucier que de lui mais il avait remarqué son changement. Il l'avait vu violent, virulent, mordant, acide. Puis il était devenu sombre, calculateur, mauvais. Il s'était méfié de lui et il savait qu'il avait eu raison. Il avait semblé ensuite torturé, déchiré. Puis Dumbledore l'avait fait appeler. Lui avait annoncé que Drago se joignait à eux. Il avait ressenti de la colère et de la joie, de l'incompréhension et du soulagement. Il ne s'était jamais expliqué ces sentiments mêlés. Aujourd'hui encore il ne comprenait pas pourquoi il avait réagit comme ça et pourquoi aujourd'hui encore il ressentait de si fortes émotions à son égard!

Dans le fond il peinait à se l'avouer mais dans un sens il comprenait Drago. Il aurait pu être envoyer à serpentard et même s'il ne voulait le reconnaître, cela n'était pas sans raison. Il voulait faire ses preuves! Au moins autant que Drago. Du moins pour ce qu'il en savait ou en devinait.

Il y avait toujours eu chez Drago quelque chose qui l'attirait et le répulsait à la fois, mais il ne savait pas quoi. Il ne le comprenait même pas. Pourquoi aurait-il eu besoin de Drago, d'un serpentard, alors qu'il avait tant d'amis merveilleux?

Ils étaient là, présents pour lui et à l'écoute mais il ne parvenait pas à partager sa peine avec eux, il ne parvenait pas à se sentir mieux.

A présent presque toute trace de haine avait disparue mais il se sentait horriblement mal. La honte, le remord, la peur. Sa gorge lui faisait mal tellement elle était nouée et tellement les pleurs criaient qu'ils voulaient sortir. Ses yeux brûlaient de l'image de Drago inconscient. Ses mains tremblantes se posèrent sur son visage ruisselant de sueur. Il prit sa tête entre ses mains. Il voulait serrer jusqu'à ce que la douleur disparaisse! Mais ça ne marchait pas! Ça ne marcherait pas!!!

Il ne pouvait plus reculer! Il devait se forcer à se demander ce qui l'avait amené là. Il ne pouvait plus ni faire marche arrière, car il avait été trop loin, ni avancer.

Il devait mais il ne pouvait pas. Il n'y avait qu'une personne qui pourrait l'aider...