Bonjour à toutes, bonjour à tous !

Quoi de mieux pour suivre un chapitre de premier baiser que plus de neuf mille mots de pur plaisir, hmm ? Eh oui, ce chapitre est dans les plus longs, et je m'y attendais même pas je dois dire. Le compteur de mots m'a surpris.

J'ai été sur un petit nuage toute la semaine grâce à vos adorables messages. Merci à vous qui en avez laissé, merci aussi à ceux qui l'ont fait pour la première fois, et même à ceux qui ont créé un compte pour le faire ! J'ai trop de chance d'avoir un lectorat tel que vous, je connais des auteurs qui écrivent pendant dix ans sans avoir ma chance. Grâce à vous on a passé le cap de 10 reviews par chapitre de moyenne, 191 reviews pour 19 chapitres ! On approche de la 200e ! C'est juste fou. Un merci aussi pour Hikarunotenshi ! Vous savez que je réponds à toutes les reviews (checkez vos PM), et pour la première fois je pouvais pas car tu as désactivé les messages ! Du coup merci pour ta review , j'espère que la suite sera à la hauteur pour toi !

En parlant de suite, n'attendons pas plus ! Shoutout à Pouik et Shik-Aya-chan pour la relecture, et amusez-vous bien !


Chapitre 20

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Scorpius Malefoy


Il devait être trois heures du matin. Peut-être même quatre. Il n'en avait aucune foutue idée, tout ce qu'il savait c'est qu'il était dans son lit, les yeux grands ouverts fixés sur le plafond de leur petite chambre et qu'il n'arrivait pas à dormir. Sa tête était le théâtre d'un immense maelström d'émotions, de souvenirs et d'inquiétudes qu'il n'arrivait pas à ordonner. Tout tournait, changeait, se décomposait… Sitôt qu'il pensait enfin mettre le doigt sur quelque chose, son idée se dissolvait dans le flot de contrepoints et il repartait de zéro. Une chose, une seule chose était apaisante, dans son esprit, et c'était la douceur et la quiétude de l'esprit d'Albus endormi, faible petite lanterne dans sa tête mais qui lui était d'un tel secours…

Scorpius savait qu'il devrait être en train de dormir, mais comment le pouvait-il ? Sa vie avait tellement changé en l'espace d'une semaine ! Il y avait à peine huit jours, il était encore un garçon ordinaire, avec une petite amie, des cours, une vie normale… Et depuis une semaine, tout ne cessait de craquer, bouger, se métamorphoser… D'abord il avait été agressé par une troupe de fanatiques à laquelle il n'avait échappé que grâce à son meilleur ami, avec lequel il s'était réconcilié dans la foulée ; avant de se faire enfermer avec lui dans une pièce secrète du château parce que ces mêmes fous voulaient l'enlever. Et pour couronner le tout, Albus lui avait annoncé quelque chose dont il essayait encore à ce jour de comprendre toutes les implications : il était amoureux de lui. Albus ! Son meilleur ami, son frère de cœur, amoureux ! De lui ! Encore aujourd'hui, Scorpius restait incrédule…

Il se sentait fier d'avoir aussi bien su masquer sa réaction sur le moment. « Je crois que je suis tombé amoureux de toi, Scorpius », avait dit Albus. En entendant ces mots, son cœur s'était déchiré en deux. D'un côté, il y avait eu cette envie funeste de s'éloigner de lui autant que possible, et de l'autre celle puérile de lui faire un de ces câlins idiots dont Albus était devenu le spécialiste... Et puis comment aurait-il pu s'attendre à une telle chose ? Ah ça ! Le moins que l'on pouvait dire, c'était qu'il avait été surpris.

Évidemment, se disait Scorpius, il aurait pu s'en douter, il y avait eu des signes. Même quelquefois, comme ce coup dans la clairière, où lui-même s'était senti à deux doigts de basculer… Toutefois, cela faisait à présent quatre mois qu'il était avec Oriana, sans compter les deux mois de voyeurisme éhonté auxquels il s'était adonné juste avant, et il pensait résolument derrière lui cette obsession envers Albus qu'il qualifiait alors de malsaine, mais par chance passagère. Il semblait bien que pour ce dernier, ce n'était pas le cas.

Une fois la stupeur initiale passée, il parvint à peu près à garder un visage impassible, bien que les pensées de Scorpius eussent trahi son malaise lorsqu'il demanda à Albus de but en blanc s'il était gay… Avec le recul, quelle question stupide ! Il en grimaçait de gêne encore aujourd'hui. Dans la nuit qui avait suivi, il avait commencé à s'imaginer avoir ce genre de relation avec Albus, et curieusement, cela ne l'avait pas dégoûté comme il s'y était attendu. Au contraire ! Des deux parts de son cœur, la plus douce semblait prendre le pas sur la plus funeste.

Des images d'eux ensemble, s'embrassant, se câlinant, se découvrant… Des images d'eux toute leur vie dans une petite maison, allant au restaurant ou se baladant dans un parc, la main dans la main… Des images stupides, mais des images qui lui vinrent, et avec elles un sens profond de sérénité, de quiétude et de complétion. Comme si, ensemble ainsi, sa vie serait entière et à jamais paisible. Bon sang, qu'est-ce qu'il pouvait avoir envie de ça, une vie simple et paisible…

Mais tout cela était si inconcevable… Un garçon, son meilleur ami, le fils Potter avec lui, un Malefoy ! Si son père l'épargnait après un coup pareil, son grand-père le tuerait sans doute ! Ah, son père… S'il avait réussi à découvrir qu'Albus l'aimait sans s'en offusquer, cela n'avait été que parce qu'il avait au même moment réalisé que son propre fils était en couple avec une fille, et donc que les sentiments d'Albus n'étaient pas réciproques. Or, depuis ce baiser qu'ils avaient échangé quelques heures auparavant, Scorpius était plus que jamais en train de se demander si c'était bien le cas… Tant de choses changeraient, si... Si… Ah ! Quel enfer ! Il ne savait même pas s'il était vraiment gay ! Quelle excellente question à se poser au beau milieu de la nuit ! Scorpius Malefoy est-il gay ? Vous avez quatre heures.

Scorpius gémit d'une voix étouffée, plaintive. Une vie entière lui semblait insuffisante pour répondre à une question pareille !

Il essaya de se concentrer et de réfléchir à des faits rationnels. « Petit bout par petit bout, Scorp », se disait-il. Premier fait : jamais, auparavant, il n'avait posé ses yeux sur le moindre garçon en le trouvant attirant. Excepté Albus, à la rigueur, et encore ! Il le détaillait parfois lorsqu'il sortait de la douche ou quand il le pouvait, comme cette fois-ci dans la piscine du manoir… Il le regardait se changer le soir, aussi… Mieux : il prenait un plaisir franc à sentir les yeux d'Albus parcourir son corps dès qu'il était torse-nu ! Il était fier du résultat qu'avait son dur labeur sur lui-même, or le regard brûlant qu'Albus lui réservait par mégarde était le plus beau des compliments. Et puis il y avait le massage… Ah, ce qu'il avait aimé sentir ses mains sur lui cette matinée-là ! Elles seules avaient un tel pouvoir apaisant… Il frissonna. Les indices étaient tout de même nombreux, la possibilité d'une simple phase qui aurait pris fin lorsqu'il commença à sortir avec Oriana s'éloignait.

Et puis il y avait eu ce livre ! Deuxième fait. Scorpius le gardait caché sous ses boxers dans le placard de leur chambre, mais il avait eu le temps de le lire, et plusieurs fois. C'était un excellent bouquin, qui regorgeait de tout ce qu'un garçon tel que lui avait besoin de savoir pour le rassurer quant à cette… possibilité. Parfois, c'était à se demander si l'ouvrage n'avait pas été conçu pour l'encourager à être gay… Tout y était expliqué, des signes aux difficultés qu'une telle chose causait, en passant sur des conseils pour gérer le regard des autres. Le livre était une vraie bible qui expliquait tout, jusqu'aux manières de…

Il rougit en y repensant. Il avait honte de se l'avouer, mais certaines images de ces chapitres étaient si érotiques qu'il avait parfois profité du sommeil d'Albus pour s'attarder dessus en solitaire, à la lueur de sa baguette, l'imagination tournant alors à plein régime.

Troisième fait. Il s'imaginait sur les photos, Albus avec lui, derrière lui, qui lui faisait tout ce qu'on faisait à ce mannequin au visage extatique… Tout ce que ces textes décrivaient avec un langage parfois médical… Le livre promettait mille plaisirs à celui qui oserait s'aventurer jusqu'ici avec un véritable amant, alors comment lui, un adolescent de seize ans bourré d'hormones, aurait-il bien pu y rester insensible ?

L'excitation s'empara de son corps. Bon sang ! Il était si peu d'humeur à ça ! Avoir son âge pouvait être glorieux, mais cela pouvait aussi être une véritable plaie… Bien sûr, après la soirée qu'ils avaient passée ensemble, ce fut l'image d'Albus qui accompagna cette envie soudaine.

Même en y réfléchissant avec objectivité, Scorpius le trouvait vraiment bel homme. Son visage doux lui donnait un air amical et chaleureux, sans compter ses yeux vert bouteille qui étincelaient chaque fois qu'il s'apprêtait à dire une bêtise ou à l'insulter de patate. Albus dégageait une telle aura de confiance et de charisme… Lors de leur première année, c'était cela qui lui avait donné envie d'en savoir plus sur ce garçon. Pour lui qui était auparavant si réservé et mélancolique, si terne, voir qu'un garçon aussi lumineux s'intéressait à lui était le comble du gratifiant ! Et puis ce soir, il avait découvert un nouveau regard chez son ami : deux yeux brillants et enflammés de désir pour lui, qui lui avaient fait manquer un battement de cœur juste avant qu'il ne l'embrasse. Ce regard, il voulait le revoir encore et encore, c'était si adorable, si excitant, que ça le rendait dingue. Ajouté à son grand sourire caractéristique, cela faisait de lui l'être le plus attirant qu'il n'ait jamais rencontré.

Oh merde. Sérieusement ?

Bordel. Quatrième fait : il était attiré par son meilleur ami. C'était plié.

Voilà où le menait son étude rationnelle. À la pire conclusion possible. Seulement c'était ainsi, il avait un esprit cartésien et scientifique, malgré son amour pour la poésie… Par conséquent il était forcé de reconnaître la vérité. Non, son obsession d'Albus n'était pas qu'une phase. Oui, il serait sans doute très heureux en couple avec lui. Et oui, cela faisait naître un millier de problèmes auxquels il n'avait pas du tout envie de penser. En cet instant, il n'avait qu'Albus en tête. Albus et son sens de l'humour, sa joie de vivre si constante et impertinente, la manière si adorable avec laquelle il s'inquiétait pour lui… Bordel, ce garçon-là, il en avait besoin pour vivre. Il lui était aussi vital que l'air qu'il respirait.

Ce n'était pas pour rien, d'ailleurs, qu'il avait si mal vécu les trois mois où ce garçon disparut, remplacé par un Albus apathique et consumé de l'intérieur par un feu que, à l'époque, aucun d'entre eux n'avait pu expliquer. Enfin, Scorpius ne l'avait pas compris en tout cas. Au départ, il avait mis son humeur massacrante sur le compte d'une haine gratuite envers Oriana, puis il ne s'y était plus trop intéressé après le coup de l'infirmerie…

C'était peut-être la chose qu'il avait le plus de mal à pardonner à Albus, l'incident au terrain de Quidditch. Après ce coup-ci, il s'était résolu à ne plus lui parler, à le sortir de sa vie. Évidemment, maintenant qu'il savait ce qu'il savait, l'idée de ne pas avoir Albus dans sa vie lui paraissait ridicule, mais à l'époque… Son action avait été si stupide, si égoïste, si méchante…

Scorpius se souvenait que c'était la déception qui avait empli ses larmes cette nuit-là et l'avait empêché de se rendormir. Il ne pouvait pas croire que son meilleur ami l'avait ainsi trahi, en mettant sa passion pour le vol et même sa vie en danger ! Encore aujourd'hui, il se disait que c'était un autre Albus Potter qui avait agi ainsi, pas son Albus, pas son ami protecteur et bienveillant…

Pourtant, Scorpius se sentait tout de même coupable. Maintenant qu'il savait qu'Albus était alors amoureux de lui, il se trouvait horrible d'avoir dit certaines choses, même si les circonstances d'alors l'excusaient… Ils avaient beau s'être engueulés, rien ne pourrait pardonner ce qu'il avait dit à Nigel et Kyle près de la cheminée cette fois-là, ou la manière dont il avait précipité les choses avec Oriana à cause de rumeurs stupides… Merlin, Albus avait dû se sentir dévasté, en la voyant l'embrasser dans le Poudlard Express… Mais il avait aussi ses excuses : l'enterrement de sa mère l'avait salement affecté, et si Albus fut capable de mitiger sa tristesse, l'idée de devoir gérer des rumeurs atroces qui se servaient de ce qu'il avait de plus cher au monde – son amitié avec Albus – en plus du décès de sa propre mère, cela avait été trop. Puis il vit ce même Albus s'éloigner de lui, ce qui l'encouragea à se tourner un peu plus vers Oriana, qui avait été pendant tous ces longs mois celle qui l'écouta. Tous les jours il parlait, et elle écoutait. Quand sa mère lui manquait de trop, quand le silence d'Albus lui pesait, quand les cours de vol devenaient insoutenables, c'était à Oriana qu'il parlait. Albus, tel un spectre, était resté près de lui mais dans une version si sombre, si macabre, que c'était comme s'il n'avait pas été là. Jusqu'à leur engueulade, où ils cessèrent d'être des amis pendant deux mois.

« Plus jamais ça », pensa-t-il.

De l'autre côté de la chambre, Albus eut un mouvement qui fit grincer les ressorts de son sommier. Scorpius soupira. Repenser à tout cela le rendait mélancolique, il n'était pas contre un peu de chaleur humaine…

Il eut alors une idée. Après tout, ils s'étaient embrassés à présent, et plus le temps passait plus il se sentait à l'aise avec l'idée d'être en couple avec Albus. Il se leva donc de son lit et fit en silence les quelques pas qui le séparaient de celui d'Albus. La Lune, toujours brillante dans le ciel, éclairait la chambre d'une lueur faible et tamisée, mais suffisante pour qu'il puisse passer par-dessus le corps endormi d'Albus sans le toucher et s'allonger à son côté, entre le mur et lui.

L'arrivée de ce poids nouveau fit réagir Albus qui, toujours endormi, se retourna de sorte à lui présenter son dos. Scorpius, craignant de l'avoir réveillé, ne bougea pas pendant quelques minutes jusqu'à ce que la respiration de l'autre garçon reprenne le cours calme et paisible de celle d'un être endormi. Puis, avec délicatesse, il essaya de se glisser sous les couvertures. Quelques contorsions plus tard, sa mission était accomplie.

Il faisait chaud, sous la couette, et son pyjama de soie n'arrangeait rien. Mais c'était exactement ce dont il avait besoin en cet instant ! La chaleur, l'odeur même d'Albus l'entouraient, il se sentait revenu aux jours où ils dormaient ensemble dans sa chambre au manoir. C'était curieux, ce souvenir qu'il en avait. Malgré le décès de sa mère et son chagrin, ces jours lui paraissaient heureux. Et malheureux à la fois. De ses souvenirs confus se détachait surtout une sorte de brume qui oscillait entre tristesse et joie, mais dont il se rappelait malgré tout avec le sourire. Tout cela lui avait manqué…

Il essaya au début de ne pas trop se coller à Albus, toujours par peur de le réveiller, mais c'était assez inconfortable. Le lit n'était pas prévu pour deux occupants, il n'était pas bien large. « Ah, et puis zut », grommela-t-il dans sa tête après un moment. Il passa alors son bras au-dessus du flanc d'Albus et avec une audace qu'il ne se connaissait pas, vint se blottir contre lui.

Immédiatement, Albus prononça des mots incompréhensibles dans son sommeil, avant de se retourner sur le dos à nouveau, en prenant beaucoup de place. Scorpius, le sourire aux lèvres, chercha une position confortable où il pourrait à la fois s'endormir et serrer Albus contre lui si bien que, lorsqu'il la trouva, il sombra dans un sommeil réparateur, sans même avoir le temps d'apprécier ce contact si nouveau pour lui.


Albus reprit petit à petit conscience dans son lit. C'était un état étrange, ce flottement entre deux mondes lorsqu'on sortait des limbes du sommeil tandis que son corps retrouvait ses fonctions une à une. Ce matin-là, il sentit d'abord qu'il avait chaud, très chaud, il transpirait même ! Puis il essaya de se retourner, mais un étrange poids sur sa droite l'en empêcha.

En une fraction de seconde, la connexion entre une présence à côté de lui et un danger se fit et ses yeux s'ouvrirent brusquement. Il tomba alors sur une belle tête blonde endormie, le visage relaxé, qui était collée à lui et respirait en paix contre son épaule. Aussi fugace qu'elle vint, la sensation de danger disparut et laissa la place à une tendresse qu'il n'avait jamais ressentie auparavant. Albus étendit le cou et embrassa Scorpius sur le front.

Les yeux fixés au plafond, il apprécia la chaleur rassurante dans laquelle il baignait. C'était si confortable, d'être là, sous cette couette, collé à lui… Son cœur battait lentement, presque en rythme avec la respiration de Scorpius.

Il essaya de se souvenir d'un moment où Scorpius l'aurait rejoint pendant la nuit, mais il n'en trouvait pas. Il devait dormir d'un sommeil de plomb. Il regretta presque un peu ne pas avoir été éveillé pour apprécier la chose, une première nuit ensemble, blottis l'un contre l'autre, c'était tout de même un événement peu commun ! Il se demandait s'il pouvait exister un endroit plus confortable sur Terre. Il bougea un peu, essayant de se tourner vers Scorpius et de se lover un peu plus contre lui, mais il ne restait que peu de marge à combler. Bah, il était bien comme ça. Il aurait pu rester ainsi des heures.

Là où Scorpius s'était installé dans son esprit, il pouvait sentir qu'il était endormi et en paix. Albus eut un petit rire, surpris par sa capacité à pouvoir dire qu'il y avait un endroit dans sa tête où Scorpius était. Pourtant c'était le terme exact, il savait où scruter s'il voulait le retrouver. Il savait même le décrire ! « En haut, sur le fond, à droite », se disait-il avec le sourire. Cela dit, le fait qu'il dusse rechercher le contact dans son esprit pour le ressentir rendait la présence aussi légère qu'une plume dans sa tête.

Albus repensa à leur baiser de la veille. Bon sang, cela avait été si… intense ! Ce torrent d'émotions exaltantes qu'il avait ressenti, cette manière dont la magie de Scorpius avait envahi son corps… Il la ressentait toujours, d'ailleurs ! Elle était là, mêlée à la sienne, vibrante dans ses veines comme si elle avait sa propre volonté… C'était une sensation très intime, cette impression d'être relié, possédé en permanence par Scorpius. Mais il ne s'en déferait pour rien au monde.

Le train de pensées d'Albus fut interrompu par l'arrivée impromptue de Madame Shelby qui venait les réveiller. Elle ne put retenir un petit cri aigu en les voyant l'un contre l'autre dans le même lit, et elle se mit à les enguirlander copieusement, ce qui ne manqua pas de réveiller le dernier endormi.

— … et je vous rappelle que c'est une infirmerie, ici, pas un motel d'autoroute ! grondait-elle sans s'arrêter. Je vous préviens que je n'hésiterais pas à vous renvoyer dans votre dortoir, Monsieur Potter, si cela devient nécessaire ! Monsieur Malefoy est le seul dont on m'a fait promettre la garde, et il ne sera pas dit que…

Albus avait le visage cramoisi, mais il ne pouvait s'empêcher de rire dans sa tête en voyant le visage de Scorpius qui n'appréciait pas le réveil précipité au son de la voix outrée et criarde de Shelby. Tous les deux s'étaient extirpés de la couverture et étaient assis sur le bord du lit à présent, et si Albus était bien réveillé, Scorpius ressemblait à une marmotte tirée de son hibernation. À peine quelques minutes après son entrée et tandis qu'elle continuait de rouspéter, elle fut rejointe par Neville qui posa sur eux un regard mi-sévère, mi-compatissant.

Son arrivée ne rassura pas Albus, dont la honte de s'être fait attraper dans une position aussi intime avec Scorpius redoubla.

— Merci, Amélia, finit par dire Neville pour l'interrompre.

Elle l'observa un moment, puis comprit qu'on venait de la congédier. Le regard au ciel, elle sortit de l'annexe et les laissa seuls. Neville les fixa avec un petit sourire complice.

— Eh bien si vous oubliez un jour que vous êtes dans une infirmerie, notre chère Amélia saura vous le rappeler, messieurs.

— Je suis désolé, s'excusa Albus, toujours honteux. On a juste dormi comme ça, mais il ne s'est rien passé ou quoi… La soirée a été, euh… assez intense, je crois.

Il ne savait pas pourquoi il disait cela, ça ne faisait qu'empirer la gêne qu'il ressentait. Il ne vit pas Scorpius, mais il sentit qu'il était tout aussi mal à l'aise que lui et qu'il le dévorait du regard pour le faire s'arrêter de parler. Il finit par tourner les yeux pour lui envoyer un petit sourire d'excuse.

— Allons, il n'y a aucun mal Albus. Toutefois, j'ai tout de même quelque chose à vous dire sur votre soirée.

Neville s'approcha de la fenêtre et l'entrebâilla en ayant le tact de ne pas préciser que l'odeur de l'endroit au petit matin était assez désagréable. Il revint ensuite vers eux, qui l'observaient toujours en attendant de savoir à quelle sauce ils allaient être mangés. Neville s'assit sur le fauteuil et les observa un moment d'un œil amusé, avant de commencer.

— Vous vous demandez sans doute tous les deux pourquoi je suis ici, à vous cueillir au saut du lit ? Il s'avère que vous avez pas mal de cours prévus, ce mercredi, et que je dois moi-même me rendre au ministère, par conséquent je n'avais pas d'autre créneau à disposition, vous m'en excuserez. Je vous invite à vous installer confortablement, car j'ai quelques petites choses à vous expliquer.

— Ça tombe bien, grommela Scorpius en prononçant ses premiers mots de la journée. Nous on a des choses à vous demander.

— Euh… Tu penses que ça va être long, Neville ? Enfin je veux dire, vous pensez que ça va être long, Professeur ?

— On est entre nous, Al, tout va bien.

— Oh, bien… Je demande ça car je prendrais bien une douche pour me réveiller. J'ai, euh… J'ai passé une nuit à transpirer… Tu tiens chaud Scorp !

Il put sentir la gêne de Scorpius revenir au triple galop. Les joues écarlates, celui-ci fixa ses pieds, comme s'ils étaient forts intéressants tout à coup.

— Fais donc, mais ne traîne pas, répondit le directeur, ignorant les sous-entendus de son filleul. Je vais préparer le thé en t'attendant.

Albus s'enferma dans la douche. Il essaya d'être le plus rapide possible, mais malgré cela, il ne put s'empêcher de repenser à la douceur de ce réveil, Scorpius endormi contre lui, dans ses bras… C'était adorable, apaisé, mais Albus était également touché par la marque de confiance que cela représentait. Il se sentait extatique à l'idée que Scorpius arrivait à dormir aussi benoîtement contre lui, sans compter qu'il l'avait rejoint de lui-même pendant la nuit !

Bon sang, c'était donc ça être amoureux ?

Il sortit de la douche et se sécha en quatrième vitesse, avant d'enfiler ses habits de la veille. Il trouva Scorpius, une tasse de thé à la main, l'air un peu plus réveillé, assis sur le lit mais appuyé contre le mur et la couverture rabattue sur ses jambes. Scorpius lui lança un petit regard qui l'invitait à s'asseoir près de lui, mais Albus n'était pas sûr d'avoir envie de montrer autant d'affection entre eux à son parrain. Il avait confiance en Neville, bien sûr ! Il adorait son parrain. Mais cette chose entre eux n'appartenait qu'à eux, il se sentait encore un peu timide à l'idée de la montrer au monde.

Neville de son côté achevait de servir une troisième tasse, qu'il lui tendit comme s'il était évident qu'il allait s'asseoir sur le lit. Albus prit cela comme une invitation. Il récupéra la tasse et sa soucoupe et vint s'installer dans la même position que Scorpius, juste assez proche pour que sa jambe gauche soit contre lui.

— Les garçons, j'ai beaucoup de choses à vous dire. Mais avant de commencer, j'ai l'impression que quelque chose a changé entre vous depuis hier. Ai-je raison ?

Scorpius et Albus s'observèrent en silence. Il n'allait tout de même pas leur faire raconter… ça ? Comment pouvait-il même être au courant ? Albus tenta de jouer la carte de l'innocence et répondit :

— Eh bien, j'ai un peu plus faim que hier, je dois avouer.

— Vraiment ? s'exclama Scorpius avec un espoir véritable à l'idée qu'Albus puisse retrouver son appétit.

Albus ne s'était pas attendu à ce qu'il comprenne sa phrase au premier degré, alors qu'il essayait juste de gagner du temps.

— Euh, je… oui, un peu, essaya-t-il de rattraper en bafouillant.

— Il est vrai que nous n'avons rien à manger, et il est l'heure du petit-déjeuner ! s'exclama Neville.

D'un tour de baguette magique, il fit apparaître une petite panière qui contenait de nombreuses viennoiseries. Albus regretta son mensonge car à présent, il avait un croissant dans la main qu'il devait avaler pour ne pas décevoir Scorpius. Il observa la pâtisserie avec dépit.

— Bien. Maintenant, assez de détours ! annonça Neville. Si vous vous posez encore la question, mes garçons, sachez que oui j'ai un œil partout dans ce château. Poudlard est une bâtisse qu'on pourrait presque qualifier de vivante. C'est une description assez simpliste cependant, mettons-nous donc d'accord sur le fait que Poudlard possède un genre de conscience. Être son directeur a des avantages. Notamment le fait que je peux être informé de tout ce qu'il se passe ici. Par exemple, je peux être informé du passage de deux étudiants dans les couloirs à des heures où ils ne devraient pas y être.

Albus et Scorpius regardèrent tous les deux ailleurs. Albus fixait ses pieds, tandis que Scorpius détaillait avec attention le coin d'un mur de leur petite chambre. Neville reprit, le regard appuyé.

— Permettez-moi de m'attarder sur la stupidité absolue d'une action pareille, lança le directeur.

Albus releva aussitôt les yeux. Son parrain n'avait plus aucun sourire. Plus terrible encore : ses yeux ne traduisaient pas la moindre colère ! Il était juste… déçu.

— Sincèrement, une virée nocturne et clandestine ? Alors que nous n'avons pas encore pu évaluer avec précision le danger qui vous guette, Monsieur Malefoy ? J'imagine que le risque d'une nouvelle embuscade n'est venu à aucun d'entre vous, n'est-ce pas ?

Albus ne s'était pas attendu à se faire houspiller encore une fois… Surtout que Neville paraissait si calme que ses reproches n'en étaient que plus terribles. Avaient-ils été à ce point en danger ?

— Vous allez donc me promettre de ne plus jamais quitter cette pièce sans demander, suis-je clair ? Si votre besoin d'air se fait trop pressant, je veux que vous me préveniez moi ou un professeur et nous nous organiserons. Mais si je venais à apprendre que vos velléités de clandestinité ont refait surface, je n'hésiterais pas à renvoyer Albus dans son dortoir à Serpentard et à interdire toute visite, est-ce bien entendu messieurs ?

Les deux garçons approuvèrent d'une voix morne.

— Bien. Avançons, donc, avec des sujets plus joyeux ! Ce que vous avez fait hier soir a au moins eu le mérite de déclencher un événement dont j'espérais l'arrivée. Nous allons pouvoir passer à l'étape suivante.

Aucun des deux ne s'étonna de la mention d'étape, encore trop assommés par le reproche de leur directeur. Albus n'avait pas l'habitude de se faire enguirlander par son parrain. Il n'aimait pas du tout cette sensation.

— Avez-vous une idée de ce qu'il s'est passé hier soir ? demanda Neville.

Albus et Scorpius s'observèrent de nouveau. Ils n'avaient plus du tout envie d'évoquer la soirée d'hier désormais, mais ils étaient acculés et n'avaient pas le choix.

— Euh… risqua Albus. Eh bien, euh, on… On s'est embrassés, hier soir... Pour la première fois, et euh…

Il se savait rouge pivoine en cet instant. Il n'aurait pas pu en être autrement, tant il était gêné par la discussion.

— Oh, Merlin, je ne demandais rien d'aussi personnel, Albus. Mais, eh bien… Je suppose que Herbert Pewden trouvera cette information intéressante.

Aucun des deux n'osa demander qui était ce Herbert. Neville continua.

— Tu me racontes l'événement déclencheur, Albus, mais c'est ce qu'il s'est passé après qui m'intéresse. Je voudrais savoir si vous avez remarqué un changement entre vous depuis ?

— Oh, alors ça oui ! s'exclama Scorpius, redevenant soudain aussi énergique que d'habitude. Ça a mis un sacré bazar ! Déjà, il y a le fait que je peux savoir comment Albus va en permanence.

— Ouais, c'est un genre de lien mental… précisa Albus en se laissant embarquer par l'enthousiasme de son ami. Tout à l'heure, pendant qu'il dormait, je savais qu'il dormait. Je le sentais. C'est effrayant, mais marrant à la fois.

— Et puis il y a eu cette vague de magie, j'ai l'impression qu'on a déclenché un truc…

— Ah, c'est vrai ça, on n'en a même pas parlé entre nous !

Les deux garçons s'emballaient en évoquant les souvenirs de la veille pour la première fois. Neville dut les interrompre, sinon il n'aurait jamais assez de temps pour leur dire tout ce qu'il voulait leur dire.

— Les garçons ! interrompit-il en levant les mains. C'est superbe. C'est exactement ce que je voulais vous entendre dire. Je ne vais pas rentrer dans les détails ce matin, mais vous allez peu à peu avoir des réponses, je vous le promets. Et avec elles, beaucoup de choses vont s'éclairer d'un sens complètement nouveau.

Albus et Scorpius écoutaient à présent tous les deux d'une oreille attentive, captivés.

— Laissez-moi vous parler du peu de choses que l'on sait sur les mécanismes de l'amour. Globalement, ils sont les mêmes que l'on soit sorcier ou moldu, à une petite exception près. Lorsque deux sorciers à l'aura compatible s'aiment, leurs magies vont se lier, peu à peu, avec le temps. De ce lien, des choses incroyables et méconnues peuvent naître. C'est par exemple du lien qui unissait tes grands-parents, Albus, qu'est née la force qui a su protéger ton père du sortilège de la mort. Cette force était quasiment inconnue à l'époque, et pourtant elle a permis à une mère de protéger son fils du plus grand mage noir de tous les temps, elle a pu ériger un bouclier assez puissant pour détourner un sortilège réputé imparable. En se sacrifiant, Lily a sauvé son fils, ton père. D'un seul coup, le monde entier a pris conscience de la puissance de cette magie, et on se mit à l'étudier.

Albus avait entendu cette histoire de nombreuses fois, mais elle semblait captiver Scorpius. Et c'était compréhensible, car elle lui était méconnue. Cela le rendait un peu triste d'y penser, mais Scorpius n'avait jamais passé de temps avec sa famille, jusqu'à présent, et c'était un sujet qu'ils évoquaient rarement entre eux, car autrefois parler de sa famille finissait systématiquement par l'agacer. Albus espérait que cela ne serait plus le cas, désormais, et que Scorpius passerait bientôt des jours entiers avec James et Lily, ses parents et même ses cousins.

Scorpius se tourna vers lui. Dans son regard, Albus comprit qu'il avait senti son accès de blues soudain. Innocemment, il posa sa main sur la sienne et il se mit à la caresser du bout des doigts, tandis qu'il reportait son attention sur le directeur. Albus sentit un élan d'affection intense pour lui, et si Neville n'avait pas été là, il l'aurait embrassé. Scorpius pouffa.

Neville, inconscient de leur petit manège, continua.

— Deux sorciers qui s'aiment vont créer un lien magique entre eux, mais le processus prend des années et ses effets ne sont pas visibles avant des décennies.

Albus se reconcentra. Il avait l'impression que c'était là que le discours allait devenir intéressant.

— Or, il arrive parfois que ce lien se crée de manière innée, dès la première rencontre de sorciers encore très jeunes et qu'il devienne alors plus fort et plus puissant que ne le serait un lien traditionnel. Une chose pareille naît d'un accident lors de la rencontre des auras magiques des deux sorciers concernés, et il est des centaines de fois plus intense que sa version classique. Ce phénomène est rarissime, messieurs, et ce qu'il permet est tout simplement inconnu à ce jour. Mais les premiers résultats des études en cours sont, me dit-on, au-delà de toute espérance.

Les deux garçons commençaient à comprendre en quoi tout cela pourrait bien les concerner.

— Depuis des années, une équipe de langues-de-plomb est assignée à la recherche sur ce mécanisme, et ils ont découvert beaucoup de choses. Grâce à eux, notamment, ce château est équipé d'un charme détecteur, capable de signaler ces occurrences. Il y a deux ans, il s'est déclenché pour la première fois, et en septembre dernier, on m'a révélé qui étaient les deux étudiants concernés.

— Nous ? demanda Scorpius en un souffle.

— Vous.

— Je… Mais ce n'est pas possible, dit lentement Albus. On s'est rencontrés à onze ans ! On ne pouvait pas être amoureux à onze ans !

— Le lien s'est créé à ce moment, c'est certain.

— Je croyais qu'il se développait rapidement après ça ! Et on commence à peine à oser parler de… Enfin, d'être amoureux quoi, balbutia Albus, peu sûr de ce qu'il devait croire.

— Oh, il se développe rapidement, mais rapidement pour ce genre de lien ! Au lieu de trente ans pour un lien aux effets presque invisibles, il atteindra en dix ans une puissance rare. Il en a déjà pris quatre pour vous rapprocher l'un de l'autre. Voilà pourquoi vous n'êtes pas tombés amoureux l'un de l'autre dès vos onze ans.

Albus hocha la tête. Scorpius se trémoussa, un peu mal à l'aise. Quelque chose le gênait. Il lança :

— Attendez, je ne comprends pas… Vous… Vous voulez dire que les… Les choses qu'on ressent, tous les deux… C'est juste un artefact de ce lien ?

Albus sentit son estomac se contracter dans son torse. Il n'avait pas pensé à cela, il était persuadé d'être sincèrement amoureux de Scorpius ! Tout cela pouvait-il être faux, une simple poudre aux yeux jetée par un genre de maladie ? Si c'était le cas, jamais Scorpius ne l'aimerait d'un amour véritable, et cette idée lui donnait envie d'éclater en sanglots. Dans sa tête, il ressentit la même angoisse chez son ami.

— Ah ! Voilà une excellente question, Monsieur Malefoy, et je pense que vous ne vous la posez pas dans le bon sens. Ce lien n'a en soi qu'une seule conséquence, et elle est simple à comprendre : vos sources de magie sont désormais liées entre elles. Elles ne font plus qu'une, si vous préférez. Malgré cela, rien ne vous empêche de vivre chacun de votre côté du globe si vous le souhaitez. Cependant, je vous invite à vous demander, messieurs, est-ce que vous le voulez ?

— Non, évidemment que non ! Albus ne supporte déjà pas que je ne sois plus dans la même pièce que lui, et le voir en détresse me broie le cœur, Professeur.

Albus fixa ses pieds en rougissant. Scorpius devait-il exposer ainsi ses faiblesses à son parrain ? Ce qu'il disait témoignait d'un véritable instinct protecteur envers lui, et il lui en savait gré, mais il aurait apprécié que cela fût dit autrement. Neville parut fort intéressé par l'information, mais il eut le tact de ne pas interrompre Scorpius, qui continua.

— Je ne peux pas croire que tout ce que je ressens n'est pas... pas véritable ! Professeur, j'ai besoin de savoir si tout ça vient de moi, ou si ça vient de ce lien !

— Mais puisque ce lien fait partie de vous, désormais, même si ça venait du lien, cela ne le ferait-il pas venir de vous également ?

Scorpius fronça les sourcils. Touché !

— Euh, je suppose, oui, dit-il, peu satisfait de la réponse.

— Monsieur Malefoy, ce que vous ressentez est véritable. Votre amitié est née de la fascination que vous avez eu l'un pour l'autre dès vos premiers jours à Poudlard, et de rien d'autre ! En parallèle, ce lien s'est développé, mais l'amitié était là, le plus dur était fait. En vous rapprochant, en vous liant toujours plus fortement au fil des ans, cela a entraîné un certain changement dans votre relation qui est devenue plus ambigüe au fil du temps, pour culminer en ce que vous connaissez à ce jour. Il n'y a aucune fatalité liée à ce fait, aucun acte forcé. Vous avez rejeté suffisamment longtemps les sentiments qui l'accompagnaient pour vous en rendre compte vous-même !

— Donc si l'on avait voulu rejeter en bloc le fait d'être amoureux, on aurait pu ?

— Absolument. Cela dit, il y aurait eu deux issues à cela. Soit vous restiez amis, et vos vies auraient alors tourné autour de cette amitié si forte et fusionnelle qu'elle aurait rendu une vie de famille assez compliquée ; soit vous rejetiez l'autre en bloc, et dans ce cas le lien vous aurait poussé vers des abysses de désespoir d'une profondeur dont je ne peux imaginer la noirceur.

Les yeux d'Albus croisèrent ceux de son parrain l'espace d'un instant. Tous deux savaient que Neville mentait en prétendant ignorer la noirceur de ce désespoir. Ils l'avaient vu, tous les deux, dans le journal à hypothèses.

— En admettant que vous y surviviez, ce qui est rare, le lien aurait fini par se briser. Il aurait alors fallu compter sur une longue reconstruction afin de pouvoir retrouver une vie normale. Croyez-moi. Vous avez accepté le lien car vous vous aimez naturellement. Après cela, son existence ne fait que vous rapprocher encore plus l'un de l'autre.

Scorpius resta silencieux. Cette fois, Albus sut que son parrain avait dit les mots justes. Tout concordait ! Les câlins nouveaux, les massages, leurs regards en coin pour l'autre… Tout cela était venu d'un seul coup non seulement parce que le lien grandissant commençait à rendre leur relation de plus en plus fusionnelle, jusqu'à ce qu'ils apprécient l'idée de s'embrasser et dormir ensemble, mais aussi parce qu'ils murissaient, eux, et qu'ils étaient prêts à aimer désormais... C'était si simple, d'un seul coup !

Au bout d'un moment, Scorpius finit par secouer la tête et reprendre.

— Il y a tout de même quelque chose qui me parait étrange. Vous avez dit que ce lien aurait dû venir peu à peu, mais hier il y a quelque chose qui s'est déclenché d'un seul coup ! Hier, personne n'occupait ma tête et je ne sentais pas la magie d'Albus mêlée à la mienne. Depuis, je peux savoir quand il se sent mal, quand il est gêné ou heureux, je peux sentir sa magie en moi… Ça n'aurait pas dû se passer comme ça, n'est-ce pas ?

— Très bien vu, Monsieur Malefoy. Là-dessus, je dois avouer que je vais quitter le domaine des faits pour vous partager mes propres spéculations, mais elles me semblent pertinentes. Je suppose que cela a à voir avec le fait que le lien se soit développé entre deux garçons, ce qui n'arrive que très rarement. Cela a causé chez vous deux une confusion entre ces sentiments et l'amitié forte que vous ressentiez pour l'autre. De cette forme de rejet est né un barrage au développement du lien. Je suppose que ce barrage a explosé la nuit dernière, mis à terre par la force des émotions qui vous ont traversés.

Neville laissa une petite pause, but un peu de thé, puis reprit d'une voix grave.

— Albus, Scorpius, écoutez bien ceci. Vous partagez désormais la même source de magie. C'est cela qui fait la base et toute la force du lien. C'est grâce à cela que vous pouvez ressentir l'émotion de l'autre et avec le temps cela permettra encore des tas de belles choses ! Vous pourrez sentir où est l'autre sur le globe, savoir s'il est en danger ou, au contraire, heureux là où il est, et, dans le cas de liens puissants, cela permet même parfois une forme de communication télépathique.

Albus ouvrit de grands yeux. Il avait du mal à croire ce qu'il entendait, et, dans sa tête, il pouvait ressentir toute la confusion de Scorpius également. Neville ne s'arrêta pas.

— Cette source de magie est, curieusement, toujours plus puissante que la somme des sources qui la compose. Comme si le fait de les fusionner augmentait leur potentiel. Ainsi, si vous utilisez votre magie séparément et sans vous coordonner, cela n'aura que peu d'effet, mais si vous l'utilisez en même temps, vous pourrez probablement faire de grandes choses.

Albus était curieux à présent. De grandes choses ? Comme quoi ? C'était excitant ! Scorpius paraissait en revanche sonné par la masse d'informations.

— Bien, j'en termine peu à peu. Il ne me reste qu'à vous dire ceci : maintenant que vous avez découvert cet aspect de votre lien, l'un des langues-de-plomb du Ministère, Monsieur Pewden, passera régulièrement et dès aujourd'hui pour évaluer son évolution. Il est à la tête de l'équipe de scientifiques qui l'étudie. Vous le verrez au moins deux fois par mois au début, puis une seule fois par la suite et moins avec le temps. Concernant vos cours, cette nouvelle puissance nécessite qu'on la dompte. Vous avez donc besoin d'un nouveau planning de cours, adapté à vos capacités. Vous ne suivrez pas vos cours habituels aujourd'hui. Au lieu de cela, attendez-vous à avoir de nombreuses visites de professeurs qui vont juger de vos nouvelles capacités. Avez-vous des questions ?

Albus était sonné. Excité. Terrifié. Il avait un milliard de questions ! Il en avait tellement que rien ne vint à cet instant et il se sentit opiner du chef bêtement. Dans sa tête, il sentait que Scorpius était au moins aussi confus que lui.

— Bien ! Sur ce, je vais vous laisser Messieurs.

— Neville ! interrompit Albus. Tu penses que Rose pourrait passer nous voir ce soir ? Elle pourrait dîner avec nous. Et j'aimerais bien voir Lily aussi.

Le directeur l'observa quelques instants, comme s'il jugeait sa capacité à ne plus le décevoir. Il finit par dire :

— C'est d'accord. Mais n'en profitez pas pour abuser encore des règles, où je mets mes menaces à exécution !

Neville se leva. Il parut hésiter à ajouter quelque chose. Finalement, il risqua d'une voix douce :

— Vous êtes au début de quelque chose de merveilleux, les garçons. Sincèrement. Cela sera peut-être difficile, mais pas insurmontable et le résultat vaut tous les efforts du monde. Gardez confiance l'un dans l'autre et bientôt vous soulèverez des montagnes !

Il partit en les laissant enfermés dans un silence religieux. Ils essayaient d'assimiler ce que le directeur venait de leur annoncer. Scorpius, en particulier, paraissait avoir du mal à accepter ce fameux lien et ses conséquences.

— Tu y crois, toi, à cette histoire de lien ? demanda-t-il après quelques secondes.

— Oui, évidemment. Déjà parce que je ne crois pas que mon parrain nous mentirait, mais aussi parce que je... je le sens, Scorp. C'est pas des conneries. Tu n'y crois pas toi ? questionna-t-il en retour, peu sûr d'avoir envie d'entendre la réponse.

— Je ne sais pas. Je déteste avoir l'impression de pas être aux commandes de ma propre vie...

Albus se triturait les mains nerveusement. Si Scorpius avait été aux commandes, aurait-il fait un choix différent ?

— Moi je suis content de... de ce qui nous arrive. Je ne voudrais pas changer.

— Vraiment ? Pourtant hier tu étais à deux doigts de la crise de panique juste parce que je parlais de sortir sans toi ! rétorqua Scorpius sèchement.

Touché. Cette angoisse soudaine de la veille n'était pas une bonne chose, certainement pas. Il espérait, à vrai dire, que le fameux langue-de-plomb saurait expliquer d'où cela était venu. Avec un peu de chance, ce n'était que passager... Pourtant, ce que venait de dire Scorpius fit naître une anxiété sourde en lui. Il s'en voulait d'être aussi pathétique, mais il avait tellement peur de ce que ce futur à deux, constamment liés, réservait pour lui.

Scorpius se tourna soudain vers lui, le visage désolé. Albus savait qu'au fond de lui il pouvait ressentir ce qu'il avait causé dans son cœur et qu'il s'en voulait.

— Pardonne-moi, Al, s'excusa-t-il d'une voix douce et avec sincérité. Je... Je ne voulais pas dire ce que j'ai dit. Je ne le pensais pas...

Ça, en revanche, c'était un mensonge.

— Je crois que si, Scorpius. Je ne t'en veux pas, tu as raison... Ça ne peut pas être sain de ne pas supporter d'être séparés. Je veux dire, on va avoir des métiers, plus tard, des choses à faire ailleurs. Même peut-être des mois entiers à passer loin l'un de l'autre. Il va bien falloir que je supporte ça...

Scorpius approuva en silence. Tout ceci n'était que du bon sens et Albus le savait, mais cela lui faisait tout de même mal au cœur.

— Tu crois qu'on a vraiment dépassé les bornes en sortant, hier ?

— J'sais pas, Scorp. Quand il a parlé de ça, j'ai eu si peur pour toi d'un seul coup... Je n'y avais pas pensé mais mon parrain a raison. Tu sais, j'imagine parfois ce qu'il se serait passé si les Fils du Phénix t'avaient choppé. Dans quel état je serais, s'ils t'avaient fait du mal. Je... Scorp, je peux pas vivre sans toi, je ne sais pas ce que je foutrais si tu n'étais pas là... Rien qu'y penser c'est horrible ! Alors d'imaginer cinq secondes que ces connards sont encore en vie et te veulent toujours du mal, ça me suffit pour préférer rester ici avec toi pour toute ma foutue vie.

À nouveau, son cœur s'emballait, et son estomac se tordait rien qu'en y pensant. Cette fois, Scorpius eut une bien meilleure manière pour l'apaiser. Il passa son bras par-dessus ses épaules et le tira contre lui avec douceur. C'était chaud et agréable. Il ne voulait bouger pour rien au monde.

Ils ne dirent rien pendant plusieurs minutes, confortablement installés dans la chaleur de l'autre. Leurs esprits tournaient à cent à l'heure pour essayer de remettre un peu de sens dans ce monde qui leur échappait. Une fois de plus, Scorpius arriva dans une impasse en réfléchissant à tout cela. Albus le sentait. Toute cette discussion ne l'avait pas calmé, il était angoissé par ce nouveau lien et paraissait perdu, aussi Albus voulut lui changer un peu les idées. Il dit d'une voix un brin moqueuse :

— Et sinon... On n'en a pas parlé, mais je suis ravi de voir qu'on ne peut plus se passer de moi, hmm ? On vient me coller pendant la nuit ? À peine un petit bisou, et vous êtes obsédé mon cher Scorpius Malefoy !

Le visage de Scorpius prit une belle couleur rose. Il eut un petit rire et lui mit un faux coup de poing sur l'épaule.

— Tais-toi, patate, grommela-t-il avec le sourire.

— Oh que non, pas alors que tu décides de me voler ce moment incroyable que devait être notre première nuit ensemble en me rejoignant à une heure scandaleuse ! D'ailleurs, pourquoi ne pas être venu directement ?

— Je... Je ne sais pas. Je n'ai pas bien dormi, Al, j'avais besoin de réfléchir. Au bout d'un moment, ça m'a un peu déprimé et, euh... Tu étais là, et... Je crois que j'avais envie, de, euh...

Scorpius resta silencieux, incapable de finir sa phrase. Albus, avec un sourire taquin, se mit en face de lui sur le lit, à genoux, et dit avec un air narquois :

— Tu n'oses pas dire que tu avais envie de venir dans mes bras ?

Scorpius resta silencieux, bien qu'il rougît encore. Mais ce n'était pas de l'inconfort. Albus pouvait sentir dans sa tête que, au contraire, il se portait mieux que tout à l'heure. Évoquer tout cela semblait lui faire oublier son inquiétude.

— En tout cas, reprit-il d'une petite voix, moi j'aimerai bien dormir encore comme ça cette nuit.

Albus fixait Scorpius dans ses beaux yeux bleus. Ils s'observèrent, l'un dans l'autre, pendant de longues secondes. Soudain, il put sentir dans la tête de cet autre garçon son intention, avant même qu'il ne l'exécutât. Scorpius se projeta en avant, l'enlaça derrière la nuque, puis le tira à lui en l'enfermant dans un nouveau baiser, envoyant une familière vague d'affection à travers ses veines.

Albus ignorait s'il cesserait un jour d'apprécier de toutes les fibres de son corps ces baisers avec Scorpius. Chaque fois, cela produisait en lui ce tsunami chaleureux qui irradiait tout sur son passage. Son esprit devenait léger, son cœur battait et, en même temps, le monde autour de lui se dissolvait pour que ne reste plus que Scorpius, sa chaleur, son odeur, et ce contact si intime...

Il en profita pour passer la main dans ses cheveux blonds, à l'arrière de sa tête, dans un geste désespéré pour essayer d'être toujours plus en contact avec lui.

En temps normal, il aurait apprécié le goût qu'un tel acte aurait laissé sur sa langue, mais pas ce matin. Au lieu de cela, lorsqu'ils se séparèrent enfin, leurs visages roses et le souffle court, Albus ne put s'empêcher de remarquer en éclatant de rire :

— Tu... tu as vraiment besoin d'une douche, Scorp, et de te brosser les dents !

Scorpius devint écarlate et se jeta sur lui dans une parodie de lutte aussi masculine qu'enfantine. Il prit rapidement l'avantage sur lui, vu leur différence de poids, et tandis qu'il faisait pression sur lui de tout son corps, il essayait de le chatouiller, ou de le mordre. Au choix.

— Mais j'y peux rien ! se plaignit Albus entre deux éclats de rire. Tu ne t'es pas brossé les dents depuis ton réveil !

— Je vais te bouffer !

— Non ! Ça pue trop !

Albus, pour s'échapper, n'eut d'autre choix que de se laisser tomber au pied du lit, hilare. Scorpius le rejoignit bientôt en se vautrant sur lui telle une larve.

Ils se calmèrent bientôt et Albus resta là, appuyé contre le pied du lit, Scorpius allongé au sol, la tête posée sur sa cuisse. À nouveau, ils se fixaient, l'intensité du moment les étreignait avec langueur dans un silence confortable.

— C'est marrant, finit par dire Albus avec un petit rire. Même quand tu pues de la gueule, j'aime t'embrasser...

— Beurk, dégoûtant ! Bon, j'ai compris, je vais me brosser les dents, grommela Scorpius en se levant à contrecœur. Mais ne t'avises pas de bouger, Albus Potter, je n'en ai pas fini avec toi !

Quelques minutes plus tard, Scorpius était de retour et vint se réinstaller dans la même position : allongé, la tête posée sur la cuisse d'Albus.

— Donc, j'embrasse si bien que même avec une haleine pourrie je te plais ? demanda-t-il, candide.

— Semblerait. Je connais une Serdaigle qui a de la chance...

Scorpius grimaça à l'évocation d'Oriana.

— On peut éviter de parler d'elle ? Je... Je me sens vraiment mal à son sujet, elle ne mérite pas que je lui brise le cœur... Surtout quand elle saura pourquoi, Al, elle va me détester. Et toi avec.

Albus n'entendit qu'une seule partie de la phrase tant elle était douce à ses oreilles. Douce et étrange.

— Ça veut dire que... Tu veux rompre avec elle ? Pour être avec moi ?

Sa phrase se termina en un souffle. Scorpius soupira puis finit par répondre.

— Je... Je ne sais pas où j'en suis, Al... Mais il y a un truc dont je suis convaincu à présent, c'est à quel point tu es important pour moi. Je... Déjà avant, ton bonheur était capital pour le mien, et d'ailleurs pendant trois mois je n'ai été que la moitié de moi-même juste parce que tu étais si différent... Mais depuis hier soir, depuis qu'on est là, à vrai dire, je n'ai plus que toi en tête. Je n'ai plus envie d'embrasser que toi, j'ai besoin d'être avec toi, contre toi, je... Tu es dans ma tête, tu es une partie de moi, j'ai besoin d'être près de toi pour être sûr que tu vas bien... Et je ne veux pas mentir plus longtemps à Oriana, car elle ne mérite pas qu'on la traite si mal. Donc oui, je dois rompre avec elle, et je crois que cela mènera certainement à être... à être ensemble... Avec, euh, toi... Enfin, je veux dire, toi et moi, on serait...

Il était écarlate, si bien qu'Albus ne put s'empêcher de ricaner. C'était sans doute la déclaration la plus nulle, la plus maladroite, mais aussi la plus franche et la plus adorable qu'on ne pourrait jamais lui faire. Au fond de lui, jamais il ne s'était senti à ce point dépassé par ses émotions.

— Je pense pareil, répondit Albus à voix basse. Sauf que moi j'ai pas peur de dire le mot...

Albus perçut aussitôt l'angoisse sourde, soudaine et vive qui s'empara de Scorpius à l'idée de devoir dire ce qu'Albus voulait entendre. Alors, pour le rassurer, il se força à faire vivre un calme plat, chaud et apaisant dans sa propre tête, si bien que Scorpius comprendrait qu'il n'avait aucune attente. Pas de pression. Il dirait ces mots quand il serait prêt à les dire, même si cela devait être dans dix ans. Pour joindre des actes aux émotions, Albus glissa sa main sur le torse de l'autre garçon, et lui caressa distraitement les côtes au-dessus de sa chemise de pyjama, dans un geste qu'il espérait rassurant.

Visiblement cela fonctionna à merveille, puisqu'à peine une dizaine de secondes plus tard les mots s'échappèrent des lèvres de Scorpius avec une facilité déconcertante.

— Et moi je t'aime, Al.


Merci de m'avoir lu ! J'espère que ça vous a plu !

Au fond de lui, Scorpius n'avait plus vraiment besoin d'être convaincu qu'il serait avec Al... Il fallait juste qu'il se mette face aux faits ! Bon, ces chapitres fluff s'enchaînent, c'est bien beau ! Mais il est temps à présent que l'on sache ce que permet exactement l'effet Pewden, pas vrai ? Eh bien ce sera pour le vendredi 18 novembre dans le chapitre 21 qui s'intitule le Bal des stupides évaluations !

Tiens, à propos de planning de publication... Le plus long chapitre et sans aucun doute le plus smutty de cette histoire, je peux le dire, est le chapitre 26. Et vous savez quel vendredi il tombe ? Le 23 décembre ! Si ça c'est pas le plus beau cadeau de Noël que je pouvais vous laisser... Héhéhé !

Je compte sur vous pour continuer à me laisser ces petits mots même tout court dont je raffole ! J'y peux rien, je suis addict, c'est une drogue qui me fait passer une si belle semaine... Et ça permet de toujours plus augmenter le référencement de cette histoire et donc d'attirer plus de monde ! C'est pour ça que c'est important !

Je vous souhaite une super semaine, et à vendredi prochain !