Sweet home Alabama-Lynyrd Skynyrd
Thor était tranquillement installé au salon, un verre d'eau à la main. Il faisait beaucoup plus attention à sa consommation d'alcool, depuis qu'il était remis sur pieds. Il observait distraitement la maitresse de maison s'adonner à la préparation de pizzas artisanales en compagnie de sa meilleure amie, sa belle-sœur et des enfants. Le soldat était en grande conversation avec le géant des glaces près de la baie vitrée qui donnait sur le vaste jardin. Thor demeurait toujours aussi surpris de constater combien son frère semblait bien s'entendre avec le peuple terrien. Ça le ravissait de savoir que les midgardiens n'entretenaient plus aucune animosité à son égard.
Il tressaillit légèrement lorsque Jake vint s'installer dans le fauteuil situé sur sa droite en soupirant. L'asgardien devina sans mal que le politicien devait avoir eu une journée particulièrement chargée, on avait dû l'appeler de tous les côtés pour savoir ce qu'il s'était produit à Washington, pourquoi Madison Stark, disparue depuis plusieurs mois, s'était retrouvée au beau milieu de ce chaos et pourquoi elle s'était sauvée après que ses adversaires se soient volatilisés sans laisser de traces. Les gens paniquaient, à juste titre, et désiraient obtenir des réponses au plus vite. Seulement, Madison elle-même avait encore du mal à saisir toutes les facettes des deux divinités néfastes qui la traquaient depuis peu.
–Je ne savais pas que tu étais revenu sur Terre, déclara soudainement Jake, attirant ainsi l'attention de l'autre homme. Comment s'est passé ton voyage ?
–Bien, répondit Thor un peu distraitement en regardant dans le vide. C'était…. C'était bien, dit-il simplement, ne sachant trop quoi ajouter.
–Qu'est-ce qui t'a poussé à revenir ?
–… Je souhaitais juste prendre des nouvelles, lui apprit-il. Et puis, Loki était là, lui aussi, alors autant en profiter pour dire bonjour, n'est-ce pas ?
–C'est sûr, approuva le terrien en souriant gentiment. Quelle journée… soupira-t-il ensuite en fermant les yeux un instant. Je risque d'en entendre parler pendant des siècles, poursuivit-il en posant ensuite les yeux sur la télé désormais éteinte, mais où les nouvelles étaient passées plus tôt dans la soirée. J'ai cru comprendre qu'on avait affaire à des êtres divins… Ça n'est pas la première fois, évidemment, mais… Comment le prend-t-elle ? demanda-t-il en tournant la tête en direction de Madison.
–Pas très bien, avoua l'asgardien. Elle s'en veut beaucoup pour tout le grabuge causé à Washington, elle n'avait pas prévu que les choses dégénèrent à ce point.
–C'est tout elle, ça… Du Stark tout craché, toujours à porter toute la culpabilité du monde sur les épaules… Je m'engage à faire tout mon possible afin qu'elle n'ait aucun problème avec la presse prochainement, promit-il. Elle doit déjà s'occuper de suffisamment de choses, entre sa propre santé, ses travaux, l'éducation d'Arthur…
Arthur. Quoi qu'il arrive, on en revenait toujours à ce jeune dont la simple évocation du prénom brisait à chaque fois le cœur du guerrier. Pourtant, il ne pouvait s'empêcher de trouver l'enfant remarquable. Il sentait que ce dernier avait un énorme potentiel, des pouvoirs en développement, des dons grandissant vraiment hors du commun. Thor savait qu'en grandissant, Arthur ne serait que de plus en plus prodigieux. Cet enfant, c'était celui qu'il aurait désiré, de tout son cœur, avoir avec Madison. Celui qui n'aurait fait que renforcer leur couple qu'il avait cru solide, à l'épreuve de tout.
–Oui. Arthur, dit-il en essayant de masquer sa douleur.
–Ce gosse est formidable, affirma Jake avec conviction, tandis qu'ils tournèrent tous les deux la tête vers l'enfant, qui était toujours dans la cuisine avec sa mère, sa tante, sa cousine et sa marraine. A chaque fois que je le vois, il trouve le moyen de me surprendre, reprit-il en portant à ses lèvres la bière qu'il avait précédemment prise dans le frigo. Laisse-moi te dire que son père est un sacré chanceux.
Thor fronça les sourcils et entrouvrit la bouche lorsqu'il comprit qu'il s'était trompé sur toute la ligne et brusquement, il se sentit infiniment plus léger, son visage se détendit. Jake n'était donc pas le père, et l'asgardien vit surgir dans son esprit un milliard de nouvelles questions. Il se réajusta plus confortablement dans son siège et toussota brièvement.
–Tu… Enfin… Je croyais que–Eh bien… Qu'il s'agissait de ton fils…
–Arthur, mon fils ? répéta Jake, visiblement surpris. Non, non. Pas du tout. Je ne sais pas qui est le père, mais je crois qu'il est parti depuis un moment. Je ne suis même pas certain qu'Arthur le connaisse, à vrai dire.
–Oh… Je vois, souffla Thor, évitant de montrer combien il était soulagé d'apprendre cela.
Il regarda Madison et son fils d'un autre œil. Il avait désormais le sentiment qu'il avait davantage de chances de, potentiellement, renouer des liens avec la midgardienne. Il esquissa un petit sourire en observant la brune s'affairer dans la cuisine, les mains recouvertes de farine, le visage radieux. Il y avait très longtemps qu'il ne l'avait pas vue ainsi. Cependant, quelque chose le travaillait encore.
–Mais… Toi et elle, vous… débuta-t-il, quelque peu incertain. Il y a quelque chose, entre vous ?
–Disons que si c'était le cas, répondit Jake en prenant un instant pour réfléchir, cela serait quelque peu problématique, puisque je suis supposé me marier d'ici trois mois…
Nouveau choc à encaisser pour le guerrier. Il allait de surprise en surprise, ce soir. Il n'était plus du tout sûr de pouvoir émettre le moindre jugement correct, toutes ses convictions étaient chamboulées.
–Mais… poursuivit le terrien en baissant les yeux. Je ne vais pas te cacher qu'à une époque, cela ne m'aurait pas déplu qu'il y ait davantage que de l'amitié entre nous. Je crois que si ça ne s'est pas fait, c'est parce qu'aucun de nous d'eux n'était vraiment prêt à s'engager dans quelque chose de sérieux. J'étais en pleine campagne électorale et Madison avait toute une école à gérer, elle faisait tout ce qui était possible pour joindre les deux bouts après que la moitié de l'univers soit partie en fumée. On s'est vite rendu compte que ça ne fonctionnerait jamais, mais ça ne nous a pas empêchés de rester très proches. Je tiens beaucoup à elle, c'est pour ça que je suis venu jusqu'ici ce soir ; pour m'assurer qu'elle et son fils allaient bien.
–C'est très noble de ta part.
–Je trouve cela normal. Et puis, je lui dois ma rencontre avec ma future femme, ajouta-t-il. C'est… Quelqu'un d'exceptionnel.
–Je sais.
–Essaye de ne pas tout foirer, cette fois…
–Quoi ?
–Allons, j'ai bien vu comment tu la regardes, commenta Jake avec un sourire. Il est plus qu'évident que tu n'as pas l'intention de tourner la page. Je suppose que tu n'as pas encore trouvé le bon moment afin de lui en parler en tête à tête… devina le terrien. Je comprends. Ce n'est pas facile d'exprimer ce que l'on ressent, encore plus à la femme qu'on aime. Je suis passé par là, je sais à quel point c'est compliqué de trouver les mots justes. On craint que ces sentiments ne soient pas partagés, on craint une mauvaise réaction venant de l'autre personne, tout en visualisant déjà ce que pourrait être notre avenir. Tu es la preuve vivante que même après avoir vécu durant des centaines d'années et traversé la galaxie, on peut tout à fait se sentir démuni une fois que l'on se retrouve face à quelqu'un qui nous est particulièrement cher. L'expérience et les échecs amoureux m'ont appris que dans ce domaine, il ne faut pas hésiter trop longtemps parce qu'à force de trop se poser de questions, on finit très souvent par se perdre.
Ces paroles donnèrent matière à réfléchir à l'asgardien. Au fur et à mesure que les secondes passaient, il regrettait de moins en moins la présence de Jake, qui lui était en fait plutôt bénéfique. Ses mots faisaient écho dans sa tête qui bourdonnait. Il était passé par toutes sortes d'émotions, aujourd'hui ; de la colère à la peur en passant par le désarroi. Il n'était pas friand de ces changements d'humeur brusques qui ne faisaient pas grand-chose en dehors de le déstabiliser.
–Madison est capable de faire preuve d'une grande patience, mais ne crois pas qu'elle attendra éternellement que tu te décides à agir.
–Et si elle n'avait pas envie d'entendre ce que j'ai à dire ?
–Au moins, tu auras essayé, lui répondit Jake. Mais laisse-moi te dire une chose : la connaissant, elle voudra forcément savoir ce que tu as sur le cœur. Elle est comme ça, souffla-t-il en regardant leur hôtesse du coin de l'œil ; toujours en quête de vérité. Sois le plus honnête possible, ça lui plaira sûrement. Madison a beau être un peu… Compliquée en son genre, elle apprécie toujours que l'on soit franc avec elle.
Thor se permit de dévorer la brune des yeux. Il n'y avait que lorsqu'il était revenu sur Terre qu'il avait réalisé combien elle lui avait manqué.
–Wow, reprit Jake, attirant l'attention du guerrier. Tu es vraiment amoureux, c'est dingue, commenta-t-il, ce qui les fit doucement rire tous les deux.
Leurs rires s'interrompirent lorsqu'Arthur débarqua en courant dans le salon, les cheveux ébouriffés et quelques traces de farine sur son t-shirt à l'effigie de Star Trek. Il attrapa Thor par le bras de ses deux petites mains, ce qui surprit ce dernier.
–Viens faire à manger avec nous ! Allez, viens ! lança gaiment l'enfant en tirant sur son bras, ce qui incita l'adulte à se lever et à se résoudre à le suivre jusqu'à la cuisine.
Natasha et Bucky s'adonnaient à la préparation d'une sauce tomate aromatisée tandis que Pepper coupait des légumes tout en gardant un œil sur Morgan qui, installée sur un tabouret du bar, dessinait tranquillement. Lorsque l'asgardien les rejoignit, Natasha jeta un petit coup d'œil dans sa direction avant de se reconcentrer sur sa tâche. L'homme devina qu'elle devait probablement être encore un petit peu fâchée contre lui. Elle lui avait très clairement fait comprendre que partir aussi brusquement et durant plusieurs mois n'avait pas été sa meilleure décision. Lui décida de ne pas en tenir rigueur pour le moment, préférant profiter de la soirée en donnant un coup de main aux fourneaux. Il ne put s'empêcher de se sentir soulagé lorsque Madison lui esquissa un sourire en le voyant arriver.
–On dirait qu'il a réussi à t'appâter, commenta-t-elle, amusée, en désignant Arthur.
Thor se contenta de sourire en hochant la tête. Il était vrai qu'il lui aurait été difficile de refuser quoi que ce soit à Arthur, qui tentait maladroitement de se hisser sur le plan de travail –où se trouvaient de bonnes choses à manger– à la force de ses bras, mais ses efforts se soldèrent par un échec qui ne le découragea nullement. Il parvint tout de même à attraper une poignée de farine qu'il s'empressa de lancer dans les airs dans airs en s'écriant : « Il neige ! », ce qui amusa Morgan. Madison, elle, fit d'abord mine d'être exaspérée avant d'épousseter tranquillement les manches de sa chemise en flanelle. L'asgardien sourit de plus belle et la terrienne plissa les yeux.
–Il y aurait-il quelque chose d'amusant ?
Il lui signifia que non mais ses expressions faciales disaient tout le contraire. La maitresse de maison haussa les épaules et l'homme eut le malheur d'abaisser sa garde. Il eut à peine le temps de regarder brièvement ailleurs que Madison attrapa à son tour une poignée de farine qu'elle lui jeta dessus. Faussement offensé, il constata les « dégâts » et dut réagir très vite, sentant que la brune comptait réitérer son geste d'ici quelques secondes. Tout ce qu'il trouva à faire fut de se saisir du paquet entamé posé à côté d'un saladier.
S'en suivit alors une course poursuite effrénée à travers le salon, qui se transforma rapidement en bataille de farine sans merci. Chacun interrompit momentanément son action afin d'observer ce duo de grands enfants en plein combat acharné. Natasha et Bucky, attelés à la préparation d'une sauce tomate, échangèrent un simple coup d'œil avant que la rouquine sorte son téléphone de la poche arrière de son jean pour se mettre à filmer cette scène quelque peu atypique mais remplie de positivité et bonne humeur qui se reflétait sur tout le monde.
–Ils voudront certainement conserver une trace de ce moment, déclara très sérieusement l'espionne russe. Et il faut absolument que j'envoie ça à Clint, enchaina-t-elle, puis elle constat que quelqu'un essayait de la joindre. Ah, c'est Yelena. Je me demande quelle bêtise elle a fait, cette fois…
–Dis-lui bonjour de ma part ! s'exclama Madison depuis la salle de séjour au moment où Thor lui renversa une partie du paquet sur la tête.
Amusée, Natasha prit donc l'appel et s'éclipsa dans une pièce voisine afin de bénéficier d'un peu de calme. Bucky la regarda s'éloigner puis refocalisa son attention sur Madison et Thor, qui s'en prenaient désormais à un Jake sans défense en unissant leurs forces. Depuis quelques semaines, le soldat s'était mis la pression et avait mis toute son énergie dans ses recherches, qui avaient pour but de retrouver son amie de longue date disparue des radars. Même s'il n'avait pas été bien loin, il était particulièrement reconnaissant envers Sam pour tout le soutien qu'il n'avait pas hésité à lui apporter au fil des jours.
Sentant une présence à ses côtés, il tourna la tête et aperçut le dieu de la malice, qui paraissait concentré lui aussi sur le duo chaotique dans le salon. Ce fut ensuite au tour de Pepper de les rejoindre en soupirant d'un air las.
–Vous pensez que cela va durer combien de temps ? leur demanda-t-elle, soucieuse.
–Quoi donc ? l'interrogea le jotün d'un ton similaire.
–Ce jeu du chat et de la souris auquel ils s'adonnent depuis qu'ils se sont retrouvés, précisa-t-elle.
–Les connaissant… Probablement un moment.
Ils soupirèrent à l'unisson. Bucky trouvait en effet dommage que leurs amis se contentent de se tourner autour sans jamais oser faire le premier pas l'un vers l'autre afin, d'une fois pour toutes, mettre les choses à plat.
–Lequel cèdera en premier, selon vous ? reprit-il, curieux.
–Sûrement lui, commenta Loki, bras croisés. Si j'en crois les expressions que vous avez pour habitude d'employer sur cette planète, je serais tenté d'affirmer que c'est une vraie guimauve, dit-il, ce qui arracha un sourire à ses deux compères.
–Je pense aussi qu'il flanchera le premier, souffla Bucky en regardant presque mélancoliquement Thor et Madison se chamailler gentiment.
–Je n'en serais pas aussi sûre, à votre place, rétorqua distraitement Pepper en surveillant sa fille et le cousin de cette dernière, voulant s'assurer que ceux-ci ne fassent pas de bêtises, mais elle sentit tout de même les regards interrogateurs des deux hommes se poser sur elle. C'est à croire qu'après toutes ces années, vous ne la comprenez toujours pas… C'est une femme complexe, expliqua-t-elle simplement, mais je la connais.
–Ce qui veut dire ?
–Que vous devriez apprendre à vous mêler de vos affaires, tous les deux, lança Natasha lorsqu'elle revint dans la cuisine et les concernés baissèrent simultanément les yeux, légèrement honteux. Ne faites pas cette tête, on dirait des enfants qu'on aurait privés de dessert… enchaina-t-elle en reprenant sa préparation culinaire. Oh, et pour info, je mise dix dollars sur Madison.
Bucky écarquilla les yeux. Malgré le temps qu'ils passaient ensemble, la rouquine parvenait toujours à le surprendre. Loki se servit un verre de vin et accompagna Pepper ainsi que les enfants dans la salle à manger, laissant le duo d'ex-assassins seuls derrière le comptoir. Aucun ne parvint néanmoins à rester concentré sur les plats et condiments étalés devant eux. Au lieu de cela, ils fixaient tristement la terrienne et l'asgardien lentement renouer contact.
–James… ?
–Natasha ?
–Tu crois qu'on peut les aider ?
–Je ne vois pas comment. Elle est bornée, il est… Timide ? proposa-t-il en se plaçant dans son dos avant d'enrouler ses bras autour d'elle en calant son menton sur le sommet de son crâne. Au fait, qu'est-ce que tu ne me dis pas ? ajouta-t-il calmement et durant de longues secondes, ils restèrent silencieux tous les deux jusqu'à ce qu'il ne se décide à reprendre ; c'est ta meilleure amie depuis longtemps, je crois que vous devez échanger beaucoup de chose et depuis que nous sommes là, tu es un petit peu… Disons, « différente ». Je ne te demande pas de tout me dire tout de suite, mais si jamais tu as envie d'en parler, n'hésite pas, d'accord ? dit-il doucement.
La jeune femme prit une profonde inspiration et en profita pour réfléchir très sérieusement à cette demande. Elle adorait réellement Bucky, elle n'avait pas hésité à lui confier des tas d'éléments concernant son passé semé d'embûches, ses craintes, ses envies, ses rêves, mais dès qu'il s'agissait de secrets qui lui avaient été confiés, c'était une tombe.
–Je… commença-t-elle avant de reprendre son souffle. Pas maintenant, ce n'est pas le moment. Mais je te promets que lorsqu'elle sera prête, elle te le dira elle-même. Elle t'aime beaucoup, n'en doute jamais.
Cette simple phrase le rassura au plus haut point. Cependant, ses questions demeuraient toujours sans réponses et continuaient de le travailler. Il était bien conscient du fait qu'il n'obtiendrait rien ce soir, ce qui ne l'empêchait aucunement de se faire du souci.
–Qu'est-ce qui pousse deux êtres qui tiennent tant l'un à l'autre à se faire autant de mal ? murmura-t-il en voyant leur amie commune essuyer les joues de l'asgardien avec délicatesse.
–Tant de choses… répondit Natasha en détournant le regard, après quoi elle s'écarta de Bucky et se retourna afin de lui faire face. Mais je suis persuadée que tout finira par s'arranger. Il faut simplement du temps.
–N'en ont-ils pas déjà eu assez ? Cela fait six ans qu'ils ont rompu, mais regarde-les : à chaque fois qu'ils se retrouvent dans la même pièce, la tension grimpe en flèche et ils s'échangent ce genre de regards que l'on accorde uniquement à la personne qui compte plus que tout à nos yeux.
–Le temps, James, répéta-t-elle. Fais-moi confiance.
. . . . . . . .
Thor avait une nouvelle fois suivi Madison lorsque celle-ci était sortie en douce au beau milieu de la nuit. Il était de nature curieuse et demeurait bien décidé à savoir ce qu'elle cachait si bien, ce qu'il y avait de si important pour qu'elle sacrifie délibérément ses heures de sommeil qui lui auraient pourtant été favorables. Il savait pertinemment qu'il s'aventurait sur un terrain dangereux et qu'il s'agissait là de la vie privée de Madison, mais rien n'y faisait, c'était plus fort que lui. Il se doutait que celui lui attirerait des ennuis dans l'hypothèse où il se ferait attraper mais il était prêt à prendre ce risque.
Puisqu'il avait parcouru le chemin une première fois, c'avait été plus simple pour lui de se repérer dans ce dédale de végétation, tout en s'appliquant à garder une distance raisonnable entre elle et lui. Lorsqu'il la vit entrer le code digital qui lui permit d'ouvrir la porte du cabanon, il se tint prêt et attendit qu'elle entre avant de foncer. Par chance, il put habilement retenir la porte juste avant qu'elle se referme et s'engouffra à l'intérieur sans faire de bruit. Il constata que cela n'avait plus rien à voir avec l'endroit délabré qu'il avait découvert la veille.
Il se trouvait désormais dans un tunnel creusé sur une hauteur d'environ deux mètres pour une largeur d'un mètre cinquante, relativement faiblement éclairé mais suffisamment pour que Thor sache où il mettait les pieds. Il se doutait qu'il ne se trouvait dans l'Eldorado créé par Ana, mais probablement quelque part sur la Terre telle qu'il la connaissait –ou plutôt, en-dessous–. Il entendait, plusieurs dizaines de mètres plus loin, résonner les pas de Madison. Même si le tunnel tournait à certains endroits, ça n'était pas bien difficile de se repérer, il n'y avait qu'un seul chemin. Dans le silence le plus complet, il progressa calmement et s'arrêta lorsqu'il entendit un grincement de porte qui se referma quelques secondes plus tard. Il devina que celle qu'il suivait devait être entrée dans une autre pièce sur laquelle ce couloir débouchait. Il attendit un instant avant de se remettre en route et ne mit pas longtemps à atteindre l'extrémité du tunnel.
Il se retrouva face à une porte en bois de la même hauteur que la galerie dont il tourna la poignée d'un geste habile avant de la pousser et sa bouche s'entrouvrit légèrement lorsqu'il vit dans quoi il était sur le point de mettre les pieds.
C'était ce qui semblait être un laboratoire. Pas un de ces lieux sordides et sombres dans lesquels certains s'adonnaient à des pratiques secrètes, mais un endroit plus moderne que tout ce qu'il avait pu voir sur Terre auparavant Partout des panneaux lumineux et réfléchissants, un sol d'un blanc immaculé qui reflétait chaque petit rayon artificiel, des écrans où s'affichaient des tas de données complexes qu'il avait du mal à comprendre, des capsules de taille humaine, des robots sophistiqués aux bras articulés semblables à ceux qu'il avait eu l'occasion d'apercevoir dans les recoins de la tour Stark et surtout, de petits drones qui voletaient d'un bout à l'autre de la pièce en évitant sans problème l'asgardien. Il avait l'impression de se retrouver à l'intérieur d'un vaisseau spatial.
Il se sentait comme un enfant, tout attirait son regard. Il était même tenté de toucher à tout, désireux de connaitre chacune des fonctionnalités des appareils qui l'entouraient mais puisqu'il n'y connaissait pas grand-chose, il s'avisa. Mieux valait qu'il s'abstienne d'encore plus jouer les curieux. Il se contenta donc d'observer avec beaucoup d'attention tout ce qui l'entourait, ne voulant pas en rater une miette. Il sourit d'émerveillement. Il adorait ce qu'il voyait. Ainsi, Madison n'avait jamais réellement abandonné ces merveilleuses passions qu'elle avait partagée avec son frère : la conception, la robotique, l'ingénierie… Cela ravissait l'asgardien de savoir cela. Il s'était toujours douté qu'elle ne pourrait jamais totalement raccrocher, elle aimait trop cela. Il avait le sentiment de retrouver cette femme qu'il avait quittée, le cœur lourd. Cela ne le motiva que davantage à réparer ce qui avait été brisé.
L'un des drones tourna plusieurs fois autour de lui avant d'aller se poser sur un bureau recouvert de papiers en tous genres. Il mit ses mains dans ses poches et s'aventura lentement dans la vaste pièce, suivant le bruit lointain d'un étrange crépitement dont il souhaitait découvrir l'origine. Il fit quelques pas supplémentaires tout en continuant d'examiner les lieux, analysant chaque détail avec précaution.
Il s'arrêta lorsqu'il arriva à l'orée d'une salle voisine et qu'il vit Madison, assise sur un haut tabouret, penchée sur son travail. Elle lui tournait le dos et avait un casque qui diffusait de la musique, suffisamment fort pour que le dieu du tonnerre l'entende vaguement. Il avait déjà entendu cet air. Il le connaissait grâce à Madison, justement, qui avait partagé avec lui ses groupes et chanteurs favoris. Il reconnut donc « Sweet Home Alabama » de Lynyrd Skynyrd, qui était l'un des groupes préférés de l'ancienne mutante. Elle tapait du pied au rythme de la mélodie et ne semblait avoir remarqué la présence de l'asgardien. Tant qu'elle ne se retournait pas, il y avait peu de chances qu'elle se rende compte qu'elle n'était plus seule.
Thor l'observa un moment en s'appuyant contre le mur et croisa les bras en lâchant un soupir discret. Et il sourit à nouveau. C'aurait été simple, là, de la contourner, venir s'asseoir en face d'elle, puis lui dire d'une traite ce qu'il avait sur le cœur. Enfin, « simple » … pour quelqu'un d'autre. Lui avait trop peur des conséquences. Il craignait une nouvelle altercation. Alors il continua de la regarder travailler durant une longue minute, se demandant ce qui aurait pu se passer si, presque six ans plus tôt, ils avaient été capables de stopper Thanos avant que ce dernier extermine la moitié de l'Univers. Il était certain que ça aurait pu tenir longtemps entre eux. C'était ce qu'ils avaient initialement prévu : bâtir quelque chose de solide et durable.
Il se décida un peu plus tard à s'en aller sans rien dire, préférant la laisser dans son monde et retourner au sien pour le reste de la nuit. Il rebroussa chemin et quitta le laboratoire, emprunta le tunnel en sens inverse et ressortit. Il huma longuement l'air frais de la nuit avant de regagner le chalet. En entrant, il marcha sur la pointe des pieds afin de ne réveiller personne et retourna dans sa chambre, l'esprit embrumé. Lorsqu'il se laissa tomber sur son lit et se mit à fixer d'un air vague le plafond, il songea à ce que lui répondrait Madison le jour où il lui avouerait la vérité, qu'il tardait à exprimer.
Il attrapa un oreiller et le plaqua contre son visage pour étouffer un grognement de mécontentement. Il se fatiguait lui-même à force de trop penser au lieu de passer à l'action. Il décida donc que le lendemain, même si cela devait se produire à onze heures de soir, il se lancerait, quelles qu'en soient les conséquences. Il était grand temps que les choses changent.
Dans le bon sens du terme, si possible.
