Serena :
Je regarde June donner le sein à Nichole en se balançant doucement sur le Rocking Chair à sa disposition dans la chambre d'enfant improvisée par le commandant Lawrence. Une vision idyllique de ce que pourrait être notre vie si celle-ci n'était pas en danger. Elle sourit et chante même une petite berceuse pour que la petite fille soit calme. C'est tellement naturel chez elle, tout lui semble tellement naturel. Bien-sûr, elle a l'expérience d'Hannah, ce n'est pas nouveau.
June ne cesse de me répéter que je dois m'investir, que je dois moi aussi être présente lors de l'allaitement, que je crée un lien, une connexion avec ma fille, mais je m'y refuse. J'aime cet enfant plus que tout au monde, mais je me refuse à être proche d'elle, à la bercer le soir pour qu'elle s'endorme, à la serrer dans mes bras. Je m'y refuse… Je ne peux pas me permettre de l'aimer davantage et d'en souffrir plus tard.
J'ai un plan. Je dois faire sortir June et notre fille de Gilead. Elle doit rejoindre le Canada et retrouver son mari. Je n'ai pas le choix. Je dois les mettre toutes les deux en sécurité après ce que j'ai fait.
Le commandant Lawrence ne pose pas de questions concernant Fred. Il est loin d'être idiot, il a parfaitement conscience que moins il en sait, mieux c'est pour lui. Il ne pourra pas être accusé d'avoir été mon complice et d'avoir trahi Gilead. Jusqu'à preuve du contraire et jusqu'à présent, tout ce qu'il a fait à été de recevoir dans sa maison, la femme d'un ami et sa servante qui se remet difficilement d'un accouchement compliqué. C'est l'histoire qu'il s'apprête à dire si qui que ce soit venait à lui poser des questions. Et c'est ainsi que je veux que les choses restent.
Notre présence ici n'est cependant que provisoire. Nous ne pouvons décemment pas rester indéfiniment. Je dois agir vite, et envoyer les deux personnes à qui je tiens le plus au monde loin de cette folie. Il le faut !
Je m'approche lentement de June qui tente d'endormir Nichole et pose ma tête contre son épaule.
- Elle est magnifique… je murmure à son oreille
Elle presse sa joue contre la mienne et nous restons silencieuses l'une contre l'autre, nos regards rivés vers la précieuse petite fille. June la soulève doucement et l'approche un peu plus près de mon visage…
- Regarde ma puce… Je te présente ta maman… Serena.
L'émotion m'envahit immédiatement et je retiens une larme de rouler sur ma joue. Comment une si petite chose peut-elle provoquer un élan d'amour aussi fort et aussi puissant quasiment instantanément.
- Je t'aime… je continue de murmurer alors que June plante son regard dans le mien
Je ne suis pas très sûre de savoir à qui ces mots s'adressaient. June… Nichole… Ce que je sais en revanche, c'est que je ne me suis jamais sentie aussi entière de toute ma vie, aussi complète. Mon cœur est tellement rempli d'amour qu'il pourrait se déverser sur Gilead tout entier si je le laissais faire.
Plusieurs jours passent ainsi, toujours le même rituel. June s'occupe de Nichole, et je m'occupe de les faire passer au Canada. Bien-sûr, elle n'est pas au courant de mes plans, je préfère ne rien lui dire pour qu'elle ne vienne pas tout gâcher. Elle serait capable de me dissuader de les faire sortir de Gilead la connaissant. C'est pourquoi je préfère lui cacher mes activités et me concentrer sur ma tâche.
Je m'apprête à quitter la demeure lorsque j'entends la voix de Tante Lydia dans le salon. Que fait-elle ici cette garce ! Elle a probablement dû être informée de notre présence ici à June et moi et vient s'assurer que tout va bien. Ou peut-être est-elle au courant… Je sens la panique me gagner et me tirailler les entrailles. Je ne peux pas la laisser tout gâcher ! C'est hors de question.
June doit sentir la tension qui s'est emparée de mon corps. Elle pose délicatement Nichole dans mes bras et dépose un baiser sur la joue de la petite fille avant de déclarer.
- Je m'en occupe… Ne t'inquiète pas…
Comment ne pas m'inquiéter ! Si Tante Lydia sait ce qu'il s'est passer, c'est le mur assuré pour June et moi ! Qu'adviendra-t-il de Nichole ? Que lui arrivera-t-il ? Je ne peux pas prendre le risque de tout perdre si près du but.
June :
Je sors de la chambre lentement, prenant le temps de bien respirer pour essayer de me redonner une contenance. Je n'ai absolument pas la moindre idée de la raison de la présence de Tante Lydia chez le Commandant Lawrence, mais j'imagine que ce n'est pas une visite de courtoisie. Ce n'est jamais le cas avec elle. Elle est bien trop occupée à « rééduquer » les servantes pour se permettre de prendre du temps pour aller boire le thé et manger les petits gâteaux. Peut-être est-elle venue pour savoir où est Fred et pourquoi nous sommes ici. Je ne vois pas d'autres raisons…
- Béni soit le jour
- Béni soit-il… je réponds en baissant les yeux
- Vous avez l'air en forme Defred… Comment se porte Mme Waterford et sa délicieuse enfant ?
Elle se fout de ma gueule ! Il n'y a pas d'autres mots ! Je hais lorsqu'elle m'appelle Defred. Ce petit nom qui me rappelle ma condition, qui me rappelle que je suis SA chose et que je n'ai plus d'existence en tant que telle. Je suis le rien du tout de FRED ! Que les choses soient claires ! Comment va Serena… Eh bien… Comment dire… Je dirais qu'elle est perturbée d'avoir assassiné son mari, mais tout cela n'est que conjoncture parce que bien évidemment je ne sais toujours pas ce qu'il s'est passé avec ce foutu FRED ! Fred… Fred… tout nous ramène à lui décidément… Même absent, il est partout.
Le commandant Lawrence nous a fait savoir que le commandant Waterford lui avait confié sa femme et sa servante pendant qu'il est en déplacement… reprends la vielle bique d'un air satisfait.
Voilà une énigme de résolue, je hoche la tête ne sachant pas vraiment quoi lui répondre et tente de m'éloigner pour ne pas lui laisser l'opportunité de me poser d'autres questions. Quelle naïveté de ma part. Elle m'attrape le bras et me force à lui faire face.
- Savez-vous où le commandant Waterford est parti ?
- Non tante Lydia, je l'ignore… Je ne suis qu'une servante vous savez, je ne gère pas l'agenda des Waterford.
- C'est étrange… Personne n'a été prévenu de son départ et personne ne sait où il est.
- C'est étrange oui… je réponds en baissant les yeux…
J'entends Nichole pleurer et je tourne instinctivement la tête vers la chambre où se trouve Serena en priant pour que tante Lydia débarrasse le plancher le plus vite possible. Il n'en est rien. Elle se dirige vers la chambre et entre sans même prendre la peine de frapper pour s'annoncer. Serena est assise dans le rocking chair où j'étais quelques minutes plus tôt, tentant d'endormir sa fille. Elle relève la tête vers nous et nous offre un sourire éclatant. Le rai de lumière de la fenêtre derrière elle la pare d'un halo presque éblouissant. On dirait un ange…
- Tante Lydia… Bonjour… Que nous vaut l'honneur de votre visite ? demande Serena le plus naturellement du monde
- Chaque naissance est une bénédiction et un miracle à Gilead, je n'allais pas laisser passer l'opportunité de venir rencontrer ce petit ange… répond la vieille bique en affichant un presque sourire.
- Loué soit-il… Venez, approchez-vous… je vous présente Nichole…
Tante Lydia se penche vers l'enfant et mon instinct de mère reprend le dessus immédiatement. Je serre les poing prête à défendre la chair de ma chair si la sorcière s'avise de s'approcher trop près. Serena pose un regard doux sur moi pour me faire comprendre que tout va bien. Elle a raison, il faut que je me calme et que je sois la plus naturelle possible.
- J'imagine que M. Waterford ne tardera pas à rentrer avec une enfant aussi adorable. Il ne doit pas vouloir passer trop de temps loin de sa fille…
Sa fille… Mon corps entier réagit en entendant ces deux petits mots. Autant je considère Serena comme sa mère, autant JAMAIS je ne pourrai considérer Fred comme le père de mon enfant. Plutôt mourir que de laisser cet homme s'approcher de cette petite fille. Serena se contente de sourire en regardant l'enfant dans ses bras sans prendre la peine de répondre aux propos de tante Lydia. Elle est assez intelligente pour ne pas tomber dans le panneau.
- J'ai bien peur d'avoir une mauvaise nouvelle à vous annoncer… reprend tante Lydia en se redonnant une contenance.
Serena et moi partageons un regard inquiet en attendant la suite. On peut dire que tante Lydia ne cache pas l'air satisfait que lui procure cette position.
- C'est au sujet de votre chauffeur Mme Waterford… Nick Blaine…
Mon sang ne fait qu'un tour lorsque j'entends le prénom de Nick. Que s'est-il passé ? Est-il mort ? Est-ce que tante Lydia est au courant que Nick est réellement le père de Nichole et non pas ce connard de Fred ? Je bouillonne intérieurement lorsque que je sens la main rassurante de Serena se poser dans mon dos.
- M. Blaine est en deuil. Sa femme a été reconnue coupable d'adultère et de biens d'autres péchés.
Je sens mes jambes se dérober sous mes pieds, je pourrais défaillir à tout moment si Serena ne me tenait pas par les épaules. Je ne sais pas ce qui me fait le plus d'effet. Le soulagement de savoir que Nick est sain et sauf, ou bien la rage qui m'habite de savoir qu'une pauvre jeune fille à été assassinée. Je devrais être habituée aux horreurs de Gilead, c'est devenu monnaie courante d'assassiner des gens pour un oui ou pour un non, mais rien n'y fait. Je ne pourrai jamais m'habituer à ce monde qui est devenu complètement fou.
- Comment va Nick ? demande Serena avec un tremolo dans la voix.
- Il va bien ! M. Blaine sait que son épouse était une traitresse et qu'elle méritait le sort qui lui a été réservé ! Tout le monde sait ce qu'il arrive lorsque nous trahissons Gilead… il n'y a aucune échappatoire possible… Toute personne coupable de trahison se retrouve sur le mur, c'est dans l'ordre des choses. C'est ainsi que règne l'ordre selon la volonté du seigneur divin.
- Loué soit-il… réponds Serena en me caressant délicatement le dos.
- Je vais vous laisser vous reposer Mme Waterford, l'arrivée d'un enfant n'est pas de tout repos, j'imagine que vous devez être exténuée… D'autant plus sans la présence de votre époux pour vous seconder dans cette tâche.
- Je vous raccompagne tante Lydia… je réponds en accompagnant mes paroles d'un geste de la main indiquant la porte.
Nous marchons silencieusement dans le couloir pendant que je raccompagne ce dragon de Lydia qui jubile. Elle aime avoir ce pouvoir, terroriser les femmes afin qu'elles restent obéissantes et fassent leurs devoirs. Elle abuse de ce pouvoir d'ailleurs. Elle serait un homme, je pourrais même affirmer que cela la fait bander ! Il n'y a aucune once d'humanité chez elle. Toute forme de bienveillance n'est en fait que manipulation pour nous plier à ses volontés et faire de nous ses petites marionnettes qu'elle agite comme bon lui semble. Je la hais… je la hais presque autant que je hais Fred ! Plus même… en tant que femme, comment peut-elle accepter le sort qui nous est réservé. Comment peut-elle ne serait-ce qu'imaginer que c'est ce que Dieu veut pour nous.
En arrivant devant l'escalier, tante Lydia se retourne vers moi en arborant un visage dur et froid.
- Je découvrirai la vérité Defred ! Ne pensez-pas une seule seconde que je n'ai pas remarqué que Mme Waterford et toi me cachez quelque chose. Je découvrirai de quoi il s'agit et vous devrez répondre de vos actes !
Une rage foudroyante m'envahi. De quel droit se permet-elle de me menacer da la sorte ! Si elle pense que je vais me laisser intimider, elle se met le doigt dans l'œil. Je pensais qu'elle me connaissait assez pour savoir que je réagis très mal à la menace. Je la vois sourire de satisfaction alors que ma haine pour elle s'amplifie de manière exponentielle. Je deviens complètement aveuglée par ma colère et ne réalise pas ce que je suis en train de faire. Le cri de Serena à mes côtés me ramène à la réalité et je découvre tante Lydia étendue sur le sol en bas des escaliers baignant dans une mare de sang.
Serena :
J'entends June élever la voix et je réalise que quelque chose est en train de se passer. Mon cœur rate un battement et je me précipite dans le couloir pour rejoindre les deux femmes. J'arrive au moment où je vois June planter une paire de ciseaux dans la poitrine de Tante Lydia et la faire basculer par-dessus la rambarde de l'escalier. Je n'ai jamais vu June aussi furieuse, son visage est tellement déformé par la colère qu'elle en est méconnaissable. Je lâche un cri d'effroi qui la fait réagir et constater l'horreur qu'elle vient de commettre.
- June… Qu'est-ce que tu as fait…
- Elle voulait s'en prendre à toi… Je ne pouvais pas la laisser faire.
Nous devons partir… Le plus vite possible. Nous ne pouvons plus attendre que mon plan pour mettre June et Nichole en sécurité se réalise.
Le commandant Lawrence arrive en bas de l'escalier et découvre le corps de tante Lydia sur le sol. Il lève la tête vers nous et nous invite à rassembler nos affaires immédiatement. Nous ne devons pas perdre de temps. J'attrape June par le bras et l'emmène en direction de la chambre de notre fille. Elle est sous le choc, complètement prostrée, sans aucune réaction…
- June dépêche-toi ! Nous devons partir maintenant !
Elle s'effondre sur le sol en se prenant la tête entre les mains en réalisant ce qu'elle vient de faire.
- Ce n'est pas le moment de se lamenter June… On doit déguerpir le plus vite possible, sinon nous finirons toutes les deux sur le mur.
N'obtenant aucune réaction de sa part, je m'agenouille devant elle et la force à me regarder.
- Regarde-moi… Tout va bien… Tout ira bien…
- Comment tu peux dire une chose pareille Serena ! Non tout ne va pas bien ! Je viens de tuer Tante Lydia ! Je l'ai tuée bordel ! Tu te rends compte de ce que j'ai fait ! J'ai tué tante Lydia pour te protéger toi et Nichole !
- ET MOI J'AI TUE FRED POUR LES MEMES RAISONS !
Ma colère reprend le dessus alors que la blonde en face de moi accuse le coup de mes paroles. Elle devient se douter que je ne l'avais pas laissé partir comme ça je ne sais où. Elle n'est pas naïve à ce point quand même. Bien-sûr que je l'ai tué, si je ne l'avais pas fait, il l'aurait tuée elle. Et c'est au-dessus de mes forces d'imaginer un monde où June n'existe plus. C'est inconcevable. J'en serais morte moi aussi…
Je prends les mains de June dans les miennes et les portes à mes lèvres. Son regard complètement perdu me transperce comme une lame en plein cœur. J'aimerais tellement savoir à quoi elle pense là tout de suite. Est-ce qu'elle me méprise ? Me hait ? Je n'ai pas le temps de me poser plus de questions que déjà elle se lève et rassemble les affaires de Nichole en un rien de temps. Le sac posé sur l'épaule, Nichole dans les bras, elle me tend la main pour me faire savoir qu'elle est prête à partir.
Lorsque nous arrivons en bas de l'escalier, le corps de tante Lydia à déjà disparu et Martha est en train de nettoyer le sol. Elle nous lance un regard dédaigneux, et je pourrais parier qu'elle ne serait pas contre l'idée de nous dénoncer. Le commandant Lawrence nous guide jusqu'à sa voiture en silence et nous comprenons que nous sommes en sécurité.
Nous arrivons à l'entrée d'un tunnel où un fourgon nous attends phares éteints. Le commandant Lawrence sort de la voiture et se dirige vers le conducteur de l'autre véhicule. Après quelques secondes à discuter, il se retourne vers nous et nous fait signe de nous approcher.
L'homme devant nous ouvre une des portes arrière et je monte la première dans le fourgon alors que le commandant Lawrence monte dans son véhicule. June le regarde s'éloigner avant de se retourner vers moi. Elle me tend Nichole et plonge son regard dans le mien avant de déclarer :
- Je ne peux pas Serena…
- Comment ça… Tu ne peux pas quoi ? Monte dans ce fourgon immédiatement June ! Je ne plaisante pas !
- Je ne peux pas laisser Hannah ici… Il faut que je la retrouve.
- C'est de la folie June !
- Je sais… Mais je ne peux pas laisser ma fille grandir ici… je ne peux pas. Je sais que tu me comprends… Tu ne laisserais pas Nichole ici toute seule n'est-ce pas ?
Je réalise que June est sérieuse et qu'elle n'a aucunement l'intention de partir avec moi. Mon cœur se brise en deux et je ne peux contenir les larmes qui ruissellent sur mes joues.
- Je t'en prie June… Je n'y arriverai pas sans toi…
Elle prend mon visage entre ses mains et m'embrasse avec une douceur qui m'enflamme instantanément. Elle balaie mes larmes de ses pouces et plante son regard dans le mien.
- Tu y arriveras… Va voir Luke… Il t'aidera. C'est un homme bon. J'ai glissé une lettre pour lui ainsi qu'une photo de Hannah dans le sac de Nichole. Il t'aidera… Que dieu te bénisse Serena, qu'il pose sa lumière sur toi et te guide, qu'il t'accompagne sur ce chemin qui est maintenant le tien… Dis à Nichole que je l'aime… S'il te plaît… Et que je vais revenir avec sa grande sœur.
Je n'ai pas le temps de réagir que June referme la porte du fourgon sur moi et qu'il se met déjà en route. Je regarde la robe rouge de June disparaître au fur et à mesure que nous prenons de la vitesse en poussant un hurlement de désespoir.
- JUNE !
