Titre : La Pièce Vide
Fandom : Fullmetal Alchemist
Disclaimers :
- l'univers et les personnages ne m'appartiennent pas.
- L'idée initiale (Edward est un homonculus, Hawkeye meurt) m'a été soufflée par Shirenai.
- Le titre vient du livre de Fred Vargas
Mon petit blabla avant de commencer : Me revoilà pour un nouveau chapitre. L'histoire avance lentement et ça sera encore le cas pour ce chapitre car j'ai besoin d'écrire certains passages. Mais rassurez-vous, l'action reviendra très vite. En attendant voici un nouvel épisode de souffrance pour Mustang et Alphonse. J'espère que ça vous plaira :)
Précédemment dans La Pièce Vide : Remington devine rapidement l'identité de leurs ravisseurs. Il tente de convaincre Amanda de le conduire à Mustang mais celle-ci ne lui laisse qu'un seul choix : coopérer ou mourir. De son côté, Mustang révèle à Alphonse la teneur de ses échanges avec le Fullmetal et refuse de laisser un délai supplémentaire au cadet pour mener des recherches. La pierre du Fullmetal doit être détruite à l'issue du combat avec Selim, quelles qu'en soient les conséquences
Un lieu incertain
"Autant pour votre "vous ne craignez rien, ici"."
La porte se referma dans le dos d'Evans avec un grincement.
"Je ne pensais pas que nous aurions à faire à Amanda directement", expliqua Remington, dans une vaine tentative d'excuse.
Avec des sous-fifres, il aurait pu négocier la liberté de la jeune femme et pointer le fait que seul lui disposait d'informations intéressantes. Mais la cheffe de la pègre était connue pour être impitoyable et elle leur prouvait que sa réputation n'était pas usurpée.
La jeune femme fit une grimace ironique et se laissa tomber sur le seul tabouret de la pièce.
"Qu'allez-vous faire ?
- Je n'ai pas vraiment le choix, rétorqua Remington d'un ton sombre.
- Il y a coopérer et coopérer, fit remarquer la journaliste en lui lançant un regard lourd de sous-entendus."
Remington sourit. Effectivement, il n'était pas obligé de révéler toute la vérité. Il pouvait donner des informations partielles ou erronées et espérer que la pègre ne s'en aperçoive pas mais...
"Ce serait jouer à un jeu dangereux."
Il s'agissait là d'un bon moyen de perdre un doigt. Ou pire.
"Vous n'avez pas envie de coopérer avec eux.
- De manière assez évidente."
Remington avait passé toutes ses années à Centrale à lutter contre l'insécurité, les crimes crapuleux de la pègre. Ce n'était pas pour les aider maintenant. Cela étant dit, Mustang avait conclu une alliance avec eux. Cela l'étonnait grandement, venant du président idéaliste que Remington avait connu, mais preuve en était que dans des situations extrêmes, tous pouvaient être poussés à prendre des décisions questionnables. Ça ou alors l'alchimiste avait su cacher bien plus de choses qu'un tunnel.
"Qu'a pu leur promettre Mustang, pour conclure une alliance avec Amanda ? demanda la journaliste". De manière assez évidente, elle se posait les mêmes questions que lui." Si elle est prête à nous tuer sous prétexte que nous ne lui servons à rien, je la vois mal donner l'aumône à un président en fuite.
- Il se sera montré convainquant.
- Avec quoi ? s'il est venu à elle, c'est parce qu'à priori, il avait besoin de ressources : armes, vivres... et parce que la moitié de la ville, y compris le crime organisé, le recherchait. Amanda devait avoir bien plus à gagner en le livrant au gouvernement qu'autre chose."
Les mêmes questions taraudaient Remington, même s'il n'avait guère envie de l'avouer, et jusqu'à présent, il ne trouvait aucune réponse satisfaisante. Mustang n'avait pas pu lui garantir de la tranquillité pour ses activités ou même une voix au chapitre. Sa place de généralissime, sa carrière même au sein de l'armée était bien trop compromise, sans alliés au sein du gouvernement. Alors qu'avait-il bien pu faire valoir ?
"Vous pensiez au début que les intérêts de la pègre et ceux de Mustang pouvaient être alignés, rappela Evans d'une voix distraite.
- Non, je pensais que les leurs et les nôtres coïncidaient. Mais visiblement, ce n'est pas le cas.
- Est-ce qu'ils pourraient avoir les mêmes intérêts que Mustang ?"
La question ne lui était pas adressée. La journaliste raisonnait pour elle-même à haute voix, mais cette interrogation laissa Remington perplexe.
"Comment pourraient-ils ? Mustang cherche à lutter contre cet... homonculus et la pègre soutient le mouvement de rébellion.
- Un mouvement de rébellion contre l'armée qui est pour partie manipulée par Selim."
Remington haussa un sourcil : "Vous pensez que Selim se trouve derrière Walden, Braun et compagnie ?
- Pourquoi pas ?
- Ce serait assez gros. Cela supposerait que tous les problèmes de Mustang ne sont dus qu'à l'homonculus.
- Mais nous ne savons pas depuis combien de temps Selim Bradley manipule les haut-rangs."
Non, ils ne le savaient pas. Et cette perspective était terrifiante. Depuis combien de temps cet homonculus contrôlait-il l'armée ? Néanmoins, Remington n'était pas convaincu : Amanda n'était certainement du genre à agir par bonté d'âme ou uniquement par intérêt général. Il devait y avoir autre chose dans ce marché. Quelque chose à côté duquel ils étaient passés.
Remington se pinça l'arête du nez. Tant de questions et tant de réponses qu'ils n'avaient pas et ne risquaient pas d'obtenir, enfermés dans ce placard. Le soleil brillait à présent bien haut dans le ciel et leurs ventres commençaient à protester contre l'absence de repas réguliers. Et encore une fois, ils n'avaient aucune certitude concernant ce qui allait leur arriver.
"Reposons-nous, déclara-t-il." La fatigue semblait s'être brusquement abattue sur lui et Remington n'avait plus l'énergie de débattre ou réfléchir. "Nous ne savons pas combien de temps Amanda va nous garder prisonniers ici, ni même ce qu'elle a en tête pour la suite. Le mieux qu'on puisse faire est de garder des forces."
Evans lui répondit par un regard peu convaincu mais la fatigue et le stress étaient sans doute venus à bout de sa répartie. La jeune femme hocha la tête et s'appuya du mieux qu'elle put contre le mur du fond.
Cette fois, l'homonculus fit l'effort de l'avertir de sa présence. Un simple craquement du parquet le tira immédiatement de son demi-sommeil, les doigts prêts à embraser immédiatement la source de ce bruit.
"Fullmetal, soupira Mustang lorsqu'il aperçut la silhouette dans l'encadrement de la porte."
Il se redressa du lit de camp qu'il avait réussi à trouver et se pinça l'arête du nez. Fuery qui somnolait sur chaise, ouvrit les yeux tout aussi vite, mais Mustang lui fit signe de se rendormir.
"Que veux-tu ?
- Vous parler.
- Vas-y.
- Pas ici, répondit l'homonculus avec ce qui semblait être une pointe d'agacement."
La présence de Fuery le gênait visiblement et le Fullmetal ne faisait rien pour le cacher. Il fixait le soldat comme pour le mettre mal à l'aise et l'incitait à partir mais Fuery se contenta de lui retourner un regard étonné avant de se tourner vers Mustang. Celui-ci secoua la tête.
"Tu peux parler ici."
Fini les confidences. Ils étaient une équipe et Fuery pouvait tout aussi bien entendre ce que le Fullmetal avait à dire. Surtout si Mustang comptait rapporter la teneur de ces échanges aux autres. Il pouvait tout aussi bien gagner du temps et en discuter devant témoin.
Le jeune homme lui lança un regard noir et le généralissime sourit. C'était peut-être ridicule, vain, mais c'était la première expression que Mustang parvenait à arracher au jeune homme. Et il voulait y voir dans une trace d'humanité, peut-être également les vestiges d'Edward Elric.
"Qu'il y a-t-il ?
- Je pense avoir trouvé un moyen de vous convaincre.
- Comment ?"
Mustang ne fit aucun effort pour cacher son scepticisme. Jusqu'à présent, l'homonculus ne lui avait donné que peu d'arguments concrets, utilisant des ressentis plutôt que des faits, et Alphonse comme lui ne pouvaient pas agir sur la base de sentiments. Peu après le passage de l'homonculus, le cadet des frères Elric l'avait rejoint dans le grenier et avait commencé à éplucher les comptes rendus d'expérimentations avec lui, dans un silence plein de colère et de révolte. Mais l'un comme l'autre étaient décidés à lire l'ensemble des documents concernant Bradley avant d'être forcés à prendre une décision. Et rien de ce que le Fullmetal ne pouvait dire n'aurait pu changer la situation, en ce qui concerne Roy.
Toutefois, l'homonculus semblait sûr de lui.
"Vous pouvez venir constater la situation par vous-même.
- Constater par moi-même ? De quoi est-ce que tu parles ?"
Sa voix s'était faite plus sèche qu'il ne l'aurait voulu mais la proposition avait de quoi surprendre. De son côté, Fuery s'était redressé sur son siège, écoutant avec attention les explications qui allaient suivre.
"Edward Elric est parvenu à pénétrer dans l'esprit de Selim, la première fois. J'imagine que l'exploit peut être réitéré.
- Sauf que le Fullmetal n'est jamais parvenu à expliquer comment il a procédé, objecta Mustang, et que je n'ai moi-même jamais tenté. Encore moins réussi à faire cela. Je ne vois pas comment je pourrais faire cela.
- J'ai accès aux souvenirs d'Edward. Je peux vous guider.
- Me guider ?"
Oui, en théorie, si Edward était parvenu à le faire une fois, l'action pouvait être répétée. Et oui, si l'homonculus se souvenait de ce que son corps avait fait, alors ils avaient leurs chances. Mais encore une fois, Mustang ne pouvait s'empêcher de se montrer sceptique. Il n'avait pas le génie d'Edward Elric devant lui. Uniquement une pâle imitation qu'il n'appréciait guère.
"Essayez, au moins, insista le Fullmetal."
Il avait demandé des preuves et l'homonculus proposait de lui montrer. Il ne pouvait pas refuser en toute bonne foi.
"Va chercher Alphonse, déclara-t-il."
L'homonculus secoua la tête.
"Ce n'est pas une bonne idée.
- C'est ton frère, objecta Mustang. Il a le droit de savoir.
- Cela ne veut pas pour autant dire qu'il s'agit d'une bonne idée.
- Toujours en train de le protéger, n'est-ce pas ?"
L'homonculus secoua la tête là où autrefois, Edward l'aurait fusillé du regard, et Mustang s'efforça d'ignorer le pincement qu'il ressentait à la poitrine.
"Très bien. Il est dans la cuisine."
Il ne lui fallut que deux pas de côté et un appel pour que le jeune homme fasse son apparition dans la chambre.
"Que se passe-t-il ? demanda l'adolescent."
Mustang lui relata rapidement les faits et Alphonse acquiesça l'air déterminé, avant de reculer contre le mur.
Le jeune homme ne doutait pas, n'hésitait pas - son frère était forcément vivant quelque part dans ce corps - et Mustang lui envia cette certitude.
"Comment veux-tu que nous procédions ? demanda-t-il à l'homonculus.
- Approchez-vous de moi et donnez-moi votre main."
La proposition semblait déplacée, mais Mustang s'exécuta. Il tendit une main que le Fullmetal posa sur sa poitrine. Contrairement à lui, l'homonculus ne semblait pas gêné outre mesure.
"Prêt ? demanda-t-il."
Mustang hocha la tête et l'instant d'après, il fut happé dans un tourbillon de souffrance.
C'était comme plonger la tête la première dans de l'eau glaciale ou se jeter dans un brasier. Mais au lieu de trouver la morsure du froid ou la brûlure des flammes, Roy ne ressentait plus qu'une immense souffrance, un chœur de cris de douleurs qui ricochaient sur sa peau et résonnaient jusque dans ses os.
"Restez avec moi"
Le flux était puissant et ininterrompu, comme le cours d'une rivière en crue dans laquelle Mustang serait tombé. Un flot dans lequel il menaçait de se déliter à chaque instant et aurait pu se dissoudre, si la voix du Fullmetal n'avait pas retenu son attention.
"Concentrez-vous sur ma voix. Ne vous perdez pas."
Roy avait l'impression d'être fait d'argile molle. Son corps ne faisait que fondre et se désagréger. Il devait sans cesse se contenir, se rattraper et se remodeler lui-même pour conserver son intégrité. Sans cesse se battre pour ne pas oublier qu'il était Roy Mustang.
"Concentrez-vous, lui ordonna le Fullmetal de sa voix froide.
- Plus facile à dire qu'à faire, rétorqua l'alchimiste de flamme, agacé."
Il y avait tellement de voix, tellement de cris qu'il s'entendait à peine réfléchir. Cette souffrance menacer de happer son esprit, tiraillé et écartelé dans toutes les directions à la fois. Mais tant bien que mal, Roy tenait le coup. Il était l'alchimiste de feu, le héros d'Ishbal et il avait encore une dernière chose à accomplir.
L'homonculus lui adressa une ébauche de sourire.
"Vous y êtes, l'encouragea-t-il.
- Et où sommes-nous ?
- Dans ma tête. Là où réside mon âme et celles qui ont été sacrifiées pour créer cette pierre."
La voix de l'homonculus, en plus d'être froide et distante, semblait irréelle. Presque éthérée mais étrangement claire malgré le chœur de cris.
"D'où les hurlements ? demanda Mustang.
- D'où les hurlements."
Et le problème, c'est qu'il n'y avait rien d'autre que ces hurlements.
"Edward... souffla Mustang." Il venait brusquement de se rappeler ce pour quoi il était là. Il devait retrouver le Fullmetal. "Edward ! Fullmetal !"
L'aîné des frères Elric était forcément là, quelque part. Peut-être caché, peut-être replié sur lui-même, pour se protéger au milieu de cet océan de douleur. Si petit qu'il en devenait indiscernable. Mais le Fullmetal était forcément là car il ne pouvait pas disparaître aussi facilement. Edward était trop déterminé, trop obstiné pour se laisser écraser par la pierre et Roy se mit à chercher frénétiquement ce flot de douleur.
"Edward !"
C'était comme tenter de retenir du sable à mains nues. Patauger dans un marais et s'enfoncer, toujours de plus en plus profondément. Il n'y avait rien. Rien sinon la souffrance et les cris qui menaçaient de le submerger.
Mustang devait continuer. Jamais le Fullmetal ne l'aurait abandonné, si leurs places avaient été inversées.
"Edward !
- Attention, Mustang."
Roy ne prêta aucune attention à l'avertissement de l'homonculus. Il savait qu'il était dans une situation précaire. Un faux pas et ces hurlements l'engloutiraient, l'entraîneraient jusqu'à lui faire oublier qui il était. Mais il n'avait pas le choix. Mustang devait retrouver la voix du Fullmetal au milieu de tous ces cris. Et partout autour. La douleur. La souffrance. La colère de ces âmes.
"Mustang, ne partez pas aussi loin !"
A un certain point, Roy avait cessé d'être prudent et il ne savait plus quand. Il cherchait frénétiquement sans même savoir comment faire. Il devait trouver. Pour Alphonse. Pour Edward. Et même pour lui. Parce que jamais il ne pourrait se regarder dans une glace s'il abandonnait le jeune homme.
"Edward !"
Quelque part, au loin, l'homonculus le rappelait à l'ordre mais Mustang l'ignora sans même y penser. Edward était forcément quelque part. Il devait le trouver.
"Mustang !"
Et aussi brusquement qu'il avait été happé par l'homonculus, Roy fut projeté hors de son esprit.
La gravité se rappela brusquement à lui et le poids de son propre corps sembla l'écraser. Mustang inspira brusquement, au bord de l'asphyxie.
"Généralissime ? demanda Fuery d'une voix inquiète."
Ils étaient de retour dans la chambre et rien ne semblait avoir changé. Roy se tenait toujours face à l'homonculus, la main posée sur sa poitrine, et ce dernier le regardait avec un air toujours aussi impassible. Toutefois, l'alchimiste était hors d'haleine et Fuery semblait avoir bondi de sa chaise, prêt à les séparer. Alphonse, lui, les fixait avec une intensité à faire peur.
L'alchimiste retira brusquement sa main et signala à son ancien subordonné que tout allait bien.
"Que s'est-il passé ? demanda Alphonse."
Mais Mustang était incapable de répondre. Il comprenait à peine ce qu'il venait de vivre et pouvait encore moins le formuler à haute voix.
Il avait été aspiré dans un flot de douleur. Un océan de cris dans lequel il avait manqué de se perdre lui-même, avant d'avoir été recraché tout aussi brusquement. Tout ce qu'il pouvait dire n'avait aucun sens lorsqu'il tentait d'assembler les mots dans sa tête.
Mais il n'eut pas besoin de parler. L'homonculus le fit pour lui.
"Vous avez vu qu'Edward Elric n'était pas là"
Mustang ouvrit la bouche pour protester. Non, il n'avait pas vu ou entendu le Fullmetal mais ce n'était pas parce que...
"Arrêtez, souffla l'homonculus en secouant la tête. Vous vouliez des preuves, je vous ai montré et vous ne l'avez pas trouvé. Ne continuez pas à prétendre que vous ne vous en êtes pas rendu compte."
Le Fullmetal semblait lire dans ses pensées. Ou peut-être que cette expérience l'avait suffisamment perturbé pour le rendre transparent, lisible pour le premier venu. Fuery lui-même le fixait d'un regard inquiet que Roy n'avait jamais vu.
"Qu'avez-vous vu exactement ? demanda Alphonse d'une voix sombre.
- Il a pu entendre chacune des voix des soldats qui ont été sacrifiés pour créer cette pierre, la mienne, mais pas celle d'Edward Elric, répéta le Fullmetal.
- Est-ce que c'est vrai ?"
Les yeux du cadet des frères étaient fixés sur lui, comme s'il était incapable de regarder l'homonculus en face. Il y avait encore de l'espoir dans son regard, une attente effrayante qui compliquait d'autant plus les choses. Mustang regrettait maintenant d'avoir fait venir l'adolescent.
"Alphonse...
- Est-ce que c'est vrai ? répéta le jeune homme, presque en criant."
La mort de Winry l'avait profondément touché. Savoir que la jeune fille avait probablement été consciente de ses derniers instants lui avait brisé le cœur. Mais tout cela n'était rien en comparaison du désespoir qui se peignait maintenant sur son visage.
"Vous êtes rentré dans son esprit ? et vous n'y avez pas trouvé mon frère ?"
Il aurait fallu que Mustang réponde par l'affirmative aux deux questions mais il pouvait à peine se l'admettre à lui-même. Le dire à voix haute était d'autant plus inconcevable, insurmontable, parce qu'Edward Elric ne pouvait pas simplement avoir disparu. Seulement, Roy n'avait pas besoin de parler. Son silence était suffisamment évocateur et la douleur dans les yeux d'Alphonse le lui confirma. Sans un mot, le jeune homme tourna les talons et disparut dans le couloir.
"Je vous avais prévenu que c'était une mauvaise idée"
Encore une fois, les hommes d'Amanda leur bandèrent les yeux avant de les pousser sans ménagement dans un véhicule. Cette fois, lorsqu'ils rouvrirent à nouveau les yeux, ils se trouvaient dans un bar poussiéreux et mal éclairé. Une dizaine de personnes y étaient réunies, toutes l'air plus hostile et méfiant les unes que les autres. Le repère stratégique de la rébellion, à ne pas en douter une seule seconde.
"Qui sont-ils ? demanda un homme d'une voix abrupte."
La quarantaine, facilement, le visage couvert de poussière et les vêtements froissés. Son assurance ainsi que les divers regards que le reste de l'assemblée lui jetaient le désignaient clairement comme leader d'une partie au moins du groupe.
"Des invités qui ont beaucoup de chose à nous raconter, répondit tranquillement Amanda, en poussant Remington en avant."
Des murmures parcoururent la salle lorsque la faible lueur de la lampe éclaira son visage et le soldat se raidit.
"Vous n'auriez pas dû l'amener ici.
- Pourquoi est-il toujours en vie ?
- Parce qu'il a beaucoup de choses à nous raconter, répéta Amanda d'une voix ferme."
D'un regard, la jeune femme fit taire un à un chaque protestataire. Néanmoins, le mécontentement restait visible sur chacun des visages.
"Vous auriez dû le tuer sur le champ, déclara d'une voix forte une femme d'une quarantaine d'années."
La fatigue des combats et des pertes se lisait sur son visage, tout comme sur celui des autres. Il était évident que d'autres rebelles partageaient son opinion.
"Remington possède des informations qui pourraient faire basculer le conflit en notre faveur, expliqua calmement Amanda. Nous serions stupides de passer à côté d'une opportunité pareille."
Visiblement, la cheffe de la pègre était ici en terrain connu et s'incluait dans le mouvement. Néanmoins, les hommes et les femmes en face d'elle ne semblaient nullement impressionnés, ce qui semblait indiquer que si la pègre participait à la révolte, elle ne la dirigeait en tout cas pas.
Le regard de Remington scrutait attentivement les expressions et réactions de chacun des intervenants. Qui sait ce qui pourrait lui être utile plus tard ?
"Quelle assurance avons-nous qu'il nous dira la vérité ? qu'il coopèrera ? opposa un des hommes de l'assemblée.
- Parce que nous avons un moyen de pression, indiqua Bobby en désignant Evans d'un signe de tête."
Bien que tendue, celle-ci s'efforça de maintenir un visage impassible lorsque son nom fut à son tour chuchoté dans les rangs. La journaliste avait été le visage et la voix du gouvernement. Bien sûr que ces hommes l'avaient reconnue.
"Et vous pensez réellement que sa vie a une quelconque valeur à ses yeux ? insista le leader.
- Fort heureusement, celui-ci fait partie de la catégorie des chevaleresques, répondit Bobby d'un ton sarcastique. Ne crois pas un seul instant que nous l'avons emmené ici sans réfléchir, Rémi. Remington connait les termes de notre marché et il a tout intérêt à parler s'il souhaite qu'Evans conserve la totalité de ses membres."
Le visage de la journaliste, déjà pâle, se vida de ses dernières couleurs et elle jeta un regard affolé à Remington.
Celui-ci s'efforça de se montrer rassurant, autant qu'on pouvait l'être sans parler. Il n'avait aucune envie de coopérer avec ces protestataires et encore moins avec la pègre mais il ferait tout pour lui éviter de souffrir.
Quelques personnes dans la pièce se montrèrent dubitatives mais la plupart sembla de se contenter de cette menace.
"Et quelles informations pourrait-il avoir à nous donner ? demanda Rémi.
- Je ne doute pas que le généralissime a beaucoup de choses à nous raconter. Après tout, il connait très bien le fonctionnement logistique de l'armée. Ravitaillement, télécommunication...
- Je ne vois pas...
- Tu veux t'en prendre à ces points ? coupa la quarantenaire d'une voix dure. Attaquer le cœur du réseau de l'armée ?"
Visiblement, au ton résigné et sans surprise de cette femme, ce n'était pas la première fois que l'idée était évoquée.
Remington n'était pas surpris d'entendre cette suggestion. Dans n'importe quelle guerre, cette tactique aurait été pleine de bon sens : empêcher le camp ennemi de fonctionner en attaquant son système logistique. Mais ici, elle était complètement stupide et suicidaire. Les rapports de force étaient beaucoup trop déséquilibrés pour ne pas subir de lourdes conséquences. Et si ces rebelles ne savaient pas à quoi ils s'exposaient s'ils passaient à l'acte, Remington était prêt à parier que ce n'était pas le cas d'Amanda. Restait à savoir pourquoi la jeune femme était décidée à en arriver à de telles extrémités.
"Ce serait enfin une façon de leur infliger des pertes significatives. Qu'avons-nous fait jusqu'à présent ? Nous avons pris pour cible les gares, quelques hangars mineurs, énuméra-t-elle, mais rien qui n'entrave réellement l'armée.
- Nous avons fait ce que nous pouvions...
- Il faut viser le système logistique qui permet à l'armée de fonctionner. Et le généralissime ici présent pourrait considérablement nous aider à le faire."
Un nouveau brouhaha s'éleva dans la salle. Si l'idée n'était pas nouvelle, elle ne faisait en tout cas pas consensus. Remi, la quarantenaire et un autre homme dans le fond de la salle s'efforcèrent de faire revenir le silence.
"Avec quels moyens ? demanda Remi. L'ensemble des districts a déjà subi de lourdes pertes. Nous sommes pourchassés sans relâche et tout le monde est fatigué. L'armée massacre sans distinction combattants, femmes, enfants et même vieillards. Nous ne pouvons pas nous permettre...
- Plus nous attendons, moins nous pourrons attaquer, fit remarquer Bobby. Quelle est notre autre alternative ? Continuer à tenir ces barricades en espérant que le gouvernement ne se lasse et nous laisse vivre en paix au cœur de Centrale ? Tu sais que cela n'arrivera jamais.
- Non, mais attaquer reviendra à signer l'arrêt de mort de l'ensemble des habitants de ce quartier, rétorqua la quarantenaire."
De vives réactions accueillirent sa déclaration, aussi bien pour la soutenir que pour la décrier.
"L'armée est déjà en train de nous décimer, Azelma, intervint Amanda d'une voix claire. Vous l'avez déjà dit.
- Nous ne pouvons pas attendre sagement qu'ils décident de tous nous tuer ! s'exclama une voix dans le fond.
- Ce ne sera pas à la même échelle."
Remington avait soufflé cette phrase, presque malgré lui, sans réellement vouloir participer à la conversation mais une partie des rebelles l'avait entendu et lui lançait à présent des regards venimeux.
"Si vous avez quelque chose à dire, dites-le à haute voix et assumez vos propos, intervint ladite Azelma."
Et la façon dont Bobby le poussa en avant ne donna pas d'autres choix à Remington que de répéter.
"Si vous vous en prenez à des éléments critiques pour l'armée, leur réponse sera sans commune mesure. Jusqu'à présent, le gouvernement n'a pas déployé tout son arsenal.
- Ils ont déjà bombardé...
- Ils pourraient ordonner la mobilisation des alchimistes d'état, coupa Remington d'une voix sombre. Et eux ne feront aucune distinction. S'ils sont déployés, Centrale deviendra un nouvel Ishbal.
- Comment osez-vous...
- Vous ne savez rien des pertes..."
Mais l'ensemble des protestations se noya dans une confusion indignée, jusqu'à ce que l'homme dans le fond fasse revenir le silence à l'aide de coups sonores portés sur le bar.
"L'armée est déjà décidée à tous nous tuer, intervint une femme à l'arrière. Je ne vois pas ce que cela change.
- Cela change que nous enlèverions toute chance de s'échapper à quelques habitants, rétorqua Azelma. Et si deux ou trois personnes souhaitent quitter Centrale, nous devons leur laisser une chance.
- Et nous sacrifier à leur place ?
- C'est déjà le cas, fit remarquer Amanda. Que nous attaquions ou non, l'armée ne nous laissera pas nous sortir de ce conflit vivants. Ils feront de nous des exemples et nous exécuteront pendant les combats ou en place publique. Si ton souci est de permettre à ceux qui le souhaitent encore de s'enfuir, nous pourrions leur accorder un délai. Les prévenir de s'enfuir maintenant ou rester mourir ici."
Cette fois-ci, un silence grave accueillit ses propos.
"Tu veux prévenir les habitants et leur laisser le choix de fuir avant que nous n'attaquions ? résuma Azelma.
- C'est ça. Laisse le choix aux gens : rester, se battre et mourir ou partir et sauver sa vie.
- ça me semble correct."
Mais Remi secoua la tête.
"Cela reviendrait à mettre l'armée au courant de nos plans. Nous savons très bien qu'il y a des taupes au sein de nos rangs.
- J'ai proposé de les prévenir. Pas de leur divulguer l'ensemble de nos plans, corrigea Amanda. Les habitants n'ont pas à savoir quels sites nous prenons pour cibles ni même quand nous attaquerons.
- Si l'armée est au courant qu'une attaque est imminente sans en savoir davantage, elle n'aura pas d'autre choix que de renforcer la surveillance de tous ces sites. Cela pourrait même jouer en notre faveur, fit remarquer Bobby."
Un nouveau silence se fit dans l'assemblée qui s'imprégnait de la proposition d'Amanda. Mais à sa grande horreur, Remington voyait bien que celle-ci commençait à prendre. Ces hommes et ces femmes étaient trop désespérés, trop acculés pour désescalader la situation. Quoi qu'il arrive, l'armée les exécuterait et en ferait des exemples. Partant de ce principe, ils n'avaient effectivement que pour choix de tenir aussi longtemps qu'ils le pouvaient les barricades ou tenter un dernier coup d'éclat. Et si Rémi semblait mesuré dans ses propos, ce n'était pas le cas des autres. Remington lisait trop de colère et d'indignation dans les yeux pour croire que ce plan totalement fou n'irait pas jusqu'au bout.
Bobby attrapa le bras de Remington et lui fit signe de le suivre. Le soldat avait rempli son rôle : il avait été paradé devant les rebelles, avancé comme un point d'argumentation d'Amanda. Maintenant que les décideurs du mouvement avaient besoin de réfléchir, Remington n'avait plus aucune raison d'être présent.
Le malfrat les conduisit dans l'arrière-salle. Celle-ci avait été vidée de la plupart de ses meubles, mais quelques chaises subsistaient dans un coin. Ils les poussa sans un mot vers elles avant de s'installer lui-même à quelques mètres d'eux, son arme bien en évidence sur la table.
"Maintenant quoi ? demanda Evans d'une voix fatiguée.
- Maintenant on attend leur décision."
Remington secoua la tête.
"Ce que vous essayez de faire est de la pure folie.
- Pour quelle raison croyez-vous être toujours en vie ?
- Si vous vous en prenez à des emplacements vitaux, vous obligerez l'armée à déployer toute sa force contre vous. Et toute la population sera anéantie d'un seul coup. Les alchimistes d'état ne font pas dans la dentelle. Vous devriez le savoir, avec la publication des états de service de Mustang.
- Taisez-vous, soupira Bobby."
Malgré ce que Remington venait de dire, le malfrat ne semblait pas désarçonné outre mesure. Au contraire, il se laissa aller contre le dossier de sa chaise, la tête penchée en arrière et alla même jusqu'à fermer les yeux. L'image même de la décontraction. Rien de ce que Remington avait dit ne l'avait ébranlé, parce qu'ils y avaient déjà songé, réalisa-t-il.
"Vous vous êtes résignés à mourir ici, déclara calmement Remington. Vous savez que vous ne réchapperez pas vivants des combats et rien de ce que je dirai ne pourra changer la donne.
- Tout à fait. Alors autant vous taire.
- Vous avez fait votre choix, j'ai fait le mien. Mais Evans ici n'a jamais eu le choix. Laissez-la partir."
Bobby rouvrit les yeux et haussa un sourcil amusé dans sa direction.
"Vous voulez jouer à nouveau les héros ?
- Je ne sais pas pourquoi vous tenez tant à mourir ici mais Evans n'est pas obligée de rester, rétorqua Remington. Elle n'est pas nécessaire à votre plan et si vous comptez laisser le choix aux habitants de partir, pourquoi ne pas le lui laisser également ? Vous ne croyez quand même pas qu'elle est fautive au même degré que l'armée ?
- Alors vous reconnaissez les torts de l'armée ?
- Je ne suis pas stupide au point de faire l'impasse dessus."
Entre les états de service de Mustang, le complot de Bradley et maintenant les offensives contre la population civile, il devenait de plus en plus difficile de défendre l'image des soldats engagés pour servir et défendre le pays. Remington n'était pas à ce point de mauvaise foi. Néanmoins son plaidoyer n'eut aucun impact sur Bobby qui se contenta de secouer la tête, un léger sourire sur le visage.
"Ce n'est pas moi qui prends les décisions, mais la cheffe. Et nous savons très bien, colonel, qu'une fois Mlle Evans libérée, vous ne serez plus aussi docile avec nous.
- Et vous seriez prêts à la sacrifier pour garantir ma coopération ?
- S'il le faut.
- Autant pour votre image d'humanitaires, siffla Remington."
Mais après tout, à quoi s'attendait-il ? La pègre s'était enrichie sur le malheur et le trafic des corps, des armes et des substances. Ils ne prenaient pas part à cette rébellion pour autre chose que le gain financier qu'ils pouvaient en retirer.
"Il existe des causes pour lesquelles nous sommes prêts à mourir, répondit simplement le jeune homme.
- Et prêts à sacrifier d'autres vies."
Mais visiblement, l'accusation ne dérangeait pas le malfrat qui referma les yeux.
"Il serait temps de se taire, maintenant. Ou je vous ferai taire moi-même."
Remington s'apprêtait à insister, mais Evans attira son attention en posant sa main sur la sienne : ce n'était pas la peine d'insister. Dans son sourire triste, il voyait bien que la jeune femme était résignée. Il pouvait essayer de négocier sa remise en liberté, mais Amanda était déterminée à l'utiliser comme otage contre lui. Et rien de ce que le soldat ne dirait à Bobby ne changerait quoi que ce soit à sa décision.
Son fils, à supposer qu'il ait un jour été son fils, l'avait trahie.
Il l'avait trompée, manipulée, il était revenu sur toutes les promesses qu'il avait pu lui faire. Et malgré toutes les preuves qu'elle avait sous les yeux, Mary avait encore du mal à y croire.
Les souvenirs lui étaient revenus par à-coups. Pêle-mêle dans un tourbillon de sentiments contradictoires. Certains détails et évènements restaient flous mais dans les grandes lignes, Mary se rappelait désormais qui elle était, où elle se trouvait et pour quelles raisons. Elle attendait dans une planque officieuse de l'armée, parce que son fils l'avait enfermée dans une illusion dont elle avait à peine pu s'échapper. Et elle avait choisi de suivre Mustang parce qu'elle cherchait des réponses. Même si désormais, elle n'était plus certaine d'en vouloir.
Elle n'oublierait certainement jamais la cruauté dont son fils avait pu faire preuve. Son visage, qu'elle reconnaissait à peine dans ses souvenirs. L'image de toutes ces personnes - à peine plus que des cadavres - prises dans le goudron. Les soldats avaient déclaré ne rien pouvoir faire pour elles. En d'autres termes, ils les avaient laissées, livrés à eux-mêmes, jusqu'à ce qu'elles finissent par mourir de faim. Et tout cela avait été l'œuvre de son fils, qu'elle l'accepte ou non.
De temps à autres, ses pensées s'égaraient encore, conséquences de l'illusion précédente. Mais ces moments ne duraient jamais, grâce à Maria Ross. La jeune femme était la seule à lui tenir compagnie, lui parler un peu et éprouver un semblant de compassion envers elle. Le reste des soldats était trop occupé à l'éviter. Mais Mary ne pouvait que comprendre. Elle avait laissé King la tromper durant des années et à nouveau, elle avait laissé Selim lui faire la même chose. Ses erreurs semblaient se répéter à l'infini, sans qu'elle n'apprenne jamais.
Aussi, Mary se faisait discrète dans la maison. Elle attendait les heures les plus calmes pour sortir de la chambre, guettait les allées et venues de chacun et s'enfuyait comme une petite souris au moindre bruit. Mais la planque n'était pas suffisamment spacieuse pour éviter les uns et les autres indéfiniment.
Son premier réflexe fut de reculer. Mais Alphonse l'arrêta d'une phrase.
"Vous n'êtes pas obligée de vous en aller."
Il lui en coûtait de lui adresser la parole, et visiblement, le jeune homme ne comptait pas rester dans la même pièce. Il rassemblait la vaisselle utilisée, prêt à quitter la pièce, lorsque les mots s'échappèrent de sa bouche.
"Alphonse, je suis désolée."
Elle n'avait aucun droit, elle le savait. Pas le droit de lui en parler, de s'excuser ou demander son pardon. Son fils avait commis trop d'horreur, qu'elle le veuille ou non. Mais c'était plus fort qu'elle. Mary devait dire quelque chose avant qu'il ne soit trop tard.
"Je suis vraiment désolée."
L'adolescent s'était figé un instant mais il se leva de table.
"Moi aussi, murmura-t-il, toujours en évitant son regard.
- Si j'avais su...
- Arrêtez.
- Si j'avais eu la moindre idée de ce qui allait se passer, jamais je n'aurais...
- Vous saviez, insista Alphonse, en secouant la tête."
Il semblait parler à contrecœur et il était évident qu'il ne voulait pas discuter de cela avec elle, mais Mary ne pouvait pas le laisser partir et croire qu'elle avait imaginé ne serait-ce qu'une seule seconde ce dont Selim était capable.
"Quoi ? non, jamais je...
- Tout au fond de vous, vous saviez que quelque chose n'était pas normal, poursuivit-il, d'une voix dure. Je ne me rappelle pas grand-chose, grâce à Selim, mais Edward se souvenait. Il avait remarqué à quel point vous sembliez nerveuse, presque effrayée lorsque nous sommes venus vous voir. Vous saviez que quelque chose allait se produire."
Mary secoua la tête. Elle se souvenait de ces jours. Pas en détail, mais elle se rappelait de cette brume de tension et de frayeur qui avait recouvert ces semaines. Mais Alphonse ne pouvait pas croire qu'elle savait car jamais elle n'aurait...
"Et vous saviez pour Selim. Nous vous avions tout dit à son sujet. Qui il était, ce qu'il avait fait.
- Mais les gens changent.
- Pas lui, visiblement."
Le jeune homme parlait à voix basse, suffisamment pour qu'elle l'entende mais à peine plus qu'un murmure. Et pourtant, il aurait tout aussi bien pu lui hurler ces mots à la figure, la frapper avec.
"Est-ce que c'est tout ce que vous vouliez me dire, Mme Bradley ?
- Je voulais juste m'excuser, pour tout, répéta-t-elle à nouveau, d'une voix tremblante. Et te dire que... je comprends ce que tu ressens.
- Ne me parlez pas de cela.
- Je comprends ce que tu ressens car je ressens la même chose, persista-t-elle malgré tout. Je sais ce que cela fait de regarder le visage de la seule famille qui te reste et de ne pas la reconnaître. De voir cet étranger qui lui ressemble, qui parle comme lui, bouge comme lui mais n'est pas lui. Je le sais parce que je le ressens aussi.
- Ne me parlez pas de lui. Vous n'avez pas le droit, gronda l'adolescent.
- Et pourtant je suis la seule ici à comprendre parce que je suis la seule qui le vive également."
Alphonse se contenta de secouer la tête.
"Vous ne comprenez rien. Vous ne pouvez pas comprendre.
- Il m'est arrivé la même chose...
- Mais vous êtes responsable de votre situation ! s'exclama Alphonse avec virulence. Peut-être que oui, peut-être que vous savez ce que c'est de ne plus les reconnaître. Peut-être que Selim vous a brisé le cœur, mais vous êtes responsable de votre propre situation. Pas moi. Pas nous. Si Edward est dans cet état, c'est de votre faute. Alors ne me parlez pas de lui."
Cette fois, Mary ne put retenir ses larmes. Oui, Selim lui avait brisé le cœur. Il l'avait trahie puis abandonnée. Mais elle n'avait jamais rien voulu de tout cela.
"Vous auriez dû savoir, reprit Alphonse à voix basse, qu'il ne servait à rien de venir m'en parler. Je vous l'ai dit : Panaya, le colonel Hawkeye, Winry et mon frère. J'ai perdu trop de choses pour avoir la force de vous pardonner.
- Alphonse, je...
- Vous auriez dû savoir que vous excuser ne changerait rien."
Les délibérations durèrent longtemps.
A travers la fine cloison, Remington pouvait entendre que le plan d'Amanda était sujet à débat. Le soldat ne pouvait pas le leur reprocher. A s'en prendre à l'armée, ils risquaient bien plus qu'à ériger des barricades. Néanmoins, rester sans rien faire, et entendre les conversations houleuses restait une vraie torture pour ses nerfs. Que les protestataires approuvent le plan d'Amanda et Remington se verrait contraint de divulguer des informations confidentielles. Si au contraire, ils décidaient de ne pas passer à l'offensive, alors Amanda risquerait alors de remettre en question son utilité.
A côté de lui, Evans s'était renfermée sur elle, au sens propre comme au sens figuré. Bras et jambe croisés, la jeune femme semblait repliée sur elle-même et n'avait pour une fois, pas tenté d'initier la conversation avec lui, signe de son inquiétude. Et toute tentative de discussion par Remington s'était soldée par une salve de menaces de leur garde-chiourme. Le soldat s'agita une nouvelle fois sur sa chaise. Il détestait ce genre de situation.
Pour tromper son ennui, il décida de reporter son attention sur le malfrat : la trentaine, probablement, le teint pâle et les cheveux bruns. Aucun signe physique ne le distinguait du commun des mortels et si on prenait en compte sa tenue sobre et sombre, il devenait évident que l'homme cherchait à ne pas attirer l'attention. Néanmoins, en plissant les yeux, Remington distinguait de faux plis dans sa chemise noire. Ignorant le regard agacé de l'homme, il s'absorba encore davantage dans son étude.
Le malfrat s'était avachi contre le dossier de la chaise et Remington avait initialement interprété ce comportement comme de la décontraction : avec son arme posée en évidence devant lui et sans doute une certaine expérience des combats, l'homme se sentait plus que de taille à affronter Remington si celui-ci venait à essayer de s'échapper. Toutefois, maintenant qu'il l'observait, Remington devinait que ce qu'il avait pris pour de l'assurance était en réalité une gêne : Bobby semblait indisposé en raison d'une blessure dont les bandages se faisaient deviner sous sa chemise.
"Un problème ? demanda sèchement le criminel.
- Aucun. Je me disais simplement que les combats avaient dû vous amocher, au vu de vos bandages."
Bobby sembla hésiter sur la suite à donner à cette conversation avant de finalement abandonner.
"Comment Mustang a-t-il pu vous convaincre de l'existence des homonculus ? poursuivit Remington."
Il se posait la question depuis quelques temps car lui-même n'y aurait jamais cru s'il n'en avait pas été une victime. Un être humain artificiel capable de manipuler les ombres et les esprits ? croire en l'existence des licornes aurait été plus simple. Et le soldat imaginait mal Amanda prendre Mustang au mot près.
"Ce n'est pas quelque chose que j'aurais pu avaler si je n'avait pas eu à l'affronter."
Cette fois, le malfrat leva un sourcil.
"Vous avez fait face à cette chose ? demanda-t-il avec tant d'incrédulité dans la voix que la question en devenait insultante.
- C'est ce que je viens de dire.
- Il n'a pas dû vouloir votre mort si vous êtes toujours ici pour en discuter.
- J'en déduis que vous ne vous en êtes pas tirés aussi bien, rétorqua Remington. L'origine de ces blessures ?"
Mais Bobby ne lui opposa qu'un silence dédaigneux.
"A quelle occasion Selim vous a-t-il confronté ? Est-ce qu'en plus de l'armée, il cherche à prendre le contrôle de la pègre ? du mouvement rebelle ? Vous savez que vous n'avez aucune chance contre lui, n'est-ce pas ?
- Je lui ai réchappé, non ? rétorqua Bobby. C'est bien plus que ce que vous ne pouvez dire.
- C'est une chose de lui faire face, seul à seul. Une autre de devoir affronter des centaines d'hommes sous son influence.
- Et je ne me rappelle pas avoir demandé votre avis sur le sujet, soupira l'homme. Alors encore une fois, fermez-la avant que je ne vous y oblige."
La main posée sur son arme, il désigna Evans d'un signe de la tête. Référence claire à la menace d'Amanda.
"La vie humaine a si peu de valeur à vos yeux ? demanda Remington d'un ton provocateur. Blesser une jeune femme parce que vous ne souhaitez pas discuter ? Je vous rappelle que vous voulez mon aide pour mettre votre plan à exécution. Il me semble que me révéler vos motivations ne serait pas une si grande concession. Mais encore une fois, sacrifier des milliers de vie dans un assaut désespéré ne semble pas vous effrayer."
C'était l'une de ces dernières cartes à abattre pour tenter d'obtenir des informations. En appeler à l'humanité de l'homme. Mais celui-ci resta impassible.
"Il existe des causes pour lesquelles nous sommes prêts à mourir, répéta-t-il simplement.
- Mais pas ces civils à qui vous voulez donner une chance de fuir. Vous savez que tous n'y parviendront pas, n'est-ce pas ?
- Et que pourrions-nous faire d'autre ? Nous laisser massacrer sans rien faire ?
- Vous pourriez tenter de négocier."
Cette fois, Bobby éclata d'un rire moqueur.
"Mon dieu, je pensais que Mlle Evans ici présente serait la plus naïve de vous deux mais preuve est bien que non.
- Je ne suis pas naïf, siffla Remington entre ses dents. Je vous propose juste une voie qui minimiserait les pertes.
- Et vous croyez réellement que le gouvernement serait prêt à négocier avec nous ? Vous n'êtes pas naïf mais stupide.
- Je n'ai pas dit que vous parviendriez tous à en réchapper vivants, rétorqua le soldat. Mais si vous êtes prêts à mourir, pourquoi ne pas vous sacrifier pour que les autres puissent survivre ? Vous avez un otage d'importance : moi. Si les chefs de cette rébellion sont prêts à se sacrifier, le reste de la population pourrait survivre.
- Mais survivre n'est pas vivre, répondit le malfrat d'un ton calme."
La résignation était visible dans ses yeux, dans l'expression qu'il arborait et la décontraction de son corps.
"Vous tentez de me convaincre d'abandonner, de donner nos vies pour permettre aux autres de s'en sortir, mais à quelle vie les condamnerions-nous ?
- Vous ne les condamneriez...
- La situation avant ces soulèvements nous était déjà intolérable. Vous croyez réellement que même avec nos sacrifices, les conditions vont s'améliorer ? Que le gouvernement n'en profitera pas pour mettre en place la loi martiale et retirer toute liberté, toute dignité à nos quartiers ? Si nous arrêtons maintenant, les choses ne pourront qu'être pires.
- Alors la seule solution est le massacre ? s'exclama Remington.
- Le massacre. Ou la destruction mutuelle."
Cet homme était fou. C'était la seule solution.
Le soldat se tourna vers Evans en quête de soutien mais l'air sur le visage de la jeune femme était indéchiffrable. Est-ce qu'elle comprenait ce point de vue ? Pire, le partageait-elle ? Remington n'arrivait pas à l'imaginer. Toute chance de survie était bonne à prendre et il n'arrivait pas à croire que les conditions de vie des districts défavorisés soient si difficiles. Mais avant qu'il ne puisse dire quoi que ce soit, la porte s'ouvrit brusquement.
Amanda s'avança rapidement vers lui et plaqua d'un geste brusque une feuille sur la table. Remington fronça les sourcils en découvrant une liste de localisations : antennes radios, centraux téléphoniques, centrale électrique.
"Je veux tous les détails sur la façon dont sont protégés ces endroits. Tout ce dont vous vous souvenez : nombre de troupes, organisation des relèves, procédures de sécurité... Vous avez deux heures, annonça-t-elle avant de lui jeter un crayon.
- C'est de la folie.
- Ils se sont enfin décidés ? demanda Bobby en s'étirant.
- Ils se sont enfin décidés, acquiesça la jeune femme, avant d'ajouter à l'attention de Remington : l'assaut aura lieu demain à la tombée de la nuit. Et vous serez en première ligne, alors je vous suggère de nous donner le maximum d'informations qui pourrait nous garantir une victoire, si vous voulez tous les deux survivre.
- Tous les deux ? demanda Evans.
- Il est inutile d'impliquer...
- Tous les deux, répéta Amanda d'une voix implacable."
A sa gauche, la journaliste blêmit. Dans moins de vingt-quatre heures, un assaut suicidaire serait lancé contre l'armée. Remington voulut la rassurer mais rien ne lui vint à l'esprit : peu importe les informations qu'il parviendrait à donner, jamais les forces rebelles ne pourraient survivre à cela. Ils courraient tous à leur mort probable.
A suivre...
Comment je me débrouille pour faire empirer la situation à chaque chapitre ? oh, j'ai beaucoup d'imagination... Un commentaire ? :)
