Chapitre 3 : La décision de Will
Après s'être repassé en boucle le film de ce désastreux conseil, Nico cessa de faire les cent pas dans son grand bungalow vide et prit le chemin de celui d'Apollon. Ce dernier, brillamment éclairé, avait sa porte grande ouverte. Ses occupants s'étaient tous rassemblés autour de Will qui leur racontait non sans fierté comment il avait réussi à se faire désigner pour la mission.
- Je vous promets, conclut-il en levant triomphalement le poing vers le plafond, que je couvrirai notre bungalow de gloire.
Tous ses frères et sœurs explosèrent de joie et l'acclamèrent le plus bruyamment possible parce que c'est bien connu, les Apollons ne savent rien faire dans le calme. Austin, le jeune musicien, alla même jusqu'à sauter sur une chaise et mettre ses mains en portevoix.
- Pour Will, hip hip hip…?
- Hourrah!
- Hip hip hip?
- Hourrah!
Nico, qui se tenait dans l'encadrement de la porte, les bras croisés, observa cette scène avec attendrissement. Le clan Apollon paraissait tellement uni dans la joie, tellement fier de leur champion. Nico en ressentit une pointe de jalousie : il n'y avait pas de clan Hadès à la Colonie. Rien que lui. Il n'avait pas de frères ou de sœurs pour le soutenir ou l'encourager. Il était seul. Certes, il y avait bien Hazel mais elle ne venait jamais… et c'était une Romaine.
Alors qu'il était ainsi perdu dans ses pensées, il ne s'aperçut pas tout de suite que les Apollons avaient remarqué sa présence et s'étaient tous tournés vers lui. L'adolescent se sentit alors gêné d'interrompre la réunion de famille mais personne ne lui tenait rigueur de son apparition. Il croisa les beaux yeux délavés de Will et lui fit signe de venir.
Les deux garçons quittèrent le bungalow sans un mot et firent quelques pas à la lisière de la forêt. D'abord, ils marchèrent en silence. Nico attendit que Will parle le premier mais ce dernier regardait devant lui, l'air absent, et ne paraissait pas pressé d'ouvrir la discussion. Nico dut se résoudre à commencer.
- J'ai entendu que tu avais annoncé la nouvelle aux Apollons, dit-il d'une voix neutre, ils avaient l'air contents.
- Oui, admit Will le teint rayonnant, ce n'est pas tous les jours que notre maison est mise à l'honneur.
- Dans ce cas, je suppose que je suis censé te féliciter.
La mine éclatante de Will s'assombrit légèrement.
- Vu ton attitude au conseil, tu n'avais pas l'air d'avoir très envie de me féliciter, grommela-t-il.
- Et comment ! lança Nico qui se décida subitement à entrer dans le vif du sujet. Quelle raison as-tu de mettre ainsi ta vie en danger ? Je peux savoir ?
Will grimaça. C'était exactement ce qu'il avait redouté.
- Je ne te suis pas, éluda le fils d'Apollon en évitant son regard.
- La guerre contre Gaïa vient de se finir. Pour une fois, nous sommes tranquilles. Et on est plutôt bien tous les deux.
Il chercha le regard de Will mais celui-ci l'esquivait toujours.
- Sans rire, tu as vraiment besoin de partir à l'aventure et de risquer ta vie ?
- Tu parles comme si j'allais forcément me faire tuer, constata Will vexé. Ce n'est pas une quête contre Cronos ou Gaïa. En plus, je ne pars pas seul. Tu ne penses pas que je puisse revenir victorieux ?
- Je t'annonce le risque parce qu'il est bien réel, rétorqua Nico d'un ton cassant, une quête, même minime, ce n'est pas un jeu. Ce n'est pas comme un entraînement à la Colonie.
- Comment je le saurais ? Je n'ai jamais eu l'occasion d'en faire une… jusqu'à aujourd'hui. Nico, essaie de me comprendre. C'est ma chance.
- Ta chance de quoi ? De te faire dézinguer pour un arc débile ? Tu parles d'une chance !
Cette fois, Will parut sincèrement offensé. Il baissa la tête, l'air blessé, les sourcils joints en un V prononcé.
- Tu ne comprends pas, soupira-t-il, de toute façon comment pourrais-tu comprendre ? Tu as déjà eu ton lot d'aventures, toi ! Tu es un héros. Tu as réussi à convaincre ton père de lever une armée des Enfers pour aider l'Olympe à vaincre les Titans. Tu es entré et ressorti du Tartare sans devenir cinglé. Tu as trimballé l'Athéna Parthénos à travers la moitié du globe. Aujourd'hui, tu es un héros reconnu comme Percy Jackson ou Jason Grace. Même ton père t'a dit qu'il était fier de toi. Tu n'as plus rien à prouver.
Nico se figea, le visage fermé, comme s'il avait reçu une gifle. C'était effarant cette façon qu'avait Will de lui balancer ses hauts faits à la figure d'un ton accusateur. Nico en était presque mal à l'aise. Et d'où lui venait cette agressivité soudaine ? Will s'était toujours montré plutôt admiratif devant ses exploits auparavant. Pourquoi se mettait-il tout à coup à les lui reprocher ? Ce fut au tour de Nico de se sentir blessé.
- Toi non plus tu n'as rien à prouver, bredouilla-t-il, tu as joué ton rôle dans les guerres contre Cronos et Gaïa. Tu es un formidable guérisseur et…
- Oui voilà, c'est tout ce que je suis ! coupa Will soudain furieux. Un guérisseur ! Tu sais quelle est la phrase que j'entends le plus souvent ? « Will tu peux me faire un pansement ? » Et moi je réponds : « Bien sûr ! ». Quel grand héros je fais !
Ses yeux brillèrent dangereusement sous le coup de l'émotion, ce qui retourna le cœur de Nico. Il n'allait pas faire pleurer son petit ami quand même ! Le fils d'Hadès changea de tactique et mit sa main sur la joue de Will pour le forcer à croiser son regard.
- Arrête ! dit-il avec fermeté. Sans toi, je me serais peut-être perdu dans les ombres à jamais. Tu m'as sauvé la vie. Je me fiche de ce que tu penses : tu es mon héros.
Il avait du mal à exprimer avec des mots clairs ses sentiments. Une grande part de lui était encore intimidée et effrayée par cet amour sincère et immense qu'il éprouvait pour le joli blond et qui ne cessait de grandir de jour en jour. Comment allait-il faire quand Will serait parti en mission avec Thalia et Annabeth ?
Will superposa sa main sur celle de son petit ami mais n'eut pas de sourire. Son regard semblait toujours profondément triste.
- Désolé mais ça ne me suffit pas, confessa-t-il en baissant les yeux d'un air penaud. J'aimerais juste qu'une fois, une seule petite fois dans ma vie, on ne parle pas de moi comme « du mec qui gère l'infirmerie » ou du « fils d'Apollon qui ne sait pas tirer à l'arc ». Après cette quête, j'aurai au moins une chose dont je pourrai être fier. On parlera de Percy Jackson, le héros invincible qui a défait Cronos, de Clarisse Larue et la quête de la Toison d'Or, d'Annabeth Chase qui a triomphé du Labyrinthe. Désormais, on parlera de Will Solace, le fils d'Apollon qui a retrouvé l'arc d'Artémis. J'ai le droit de connaître ça au moins une fois moi aussi, non ?
À cet instant, cela lui fit mal de l'admettre mais Nico comprenait Will. Lui-même s'était déjà senti plus d'une fois mis sur la touche pendant qu'on mettait les autres à l'honneur et qu'on oubliait tout ce que lui avait fait. On se rappelait que Percy Jackson s'était rendu invincible en nageant dans le Styx mais on oubliait que c'était son idée à la base. On se rappelait que Percy et Annabeth avaient accédé aux Portes de la Mort par le Tartare mais qui était parti en éclaireur et les avait trouvées en premier ? Nico n'avait pas fait partie de la Prophétie des Sept et, à ce titre, il en gardait une légère frustration car il avait le sentiment d'avoir fait autant pour la quête que ses sept camarades. Il ne voulait pas voir partir Will mais il comprenait sa volonté de s'illustrer.
- Bien sûr, répondit-il alors avec douceur, tu as raison.
Will retrouva son sourire. Nico hésita puis ajouta l'air de rien :
- Laisse-moi un peu de temps pour préparer mes affaires.
- Comment ? s'étonna Will.
- Je me fiche de ce que dit Chiron. Je vais venir avec toi.
- Non.
La claque. Nico eut un léger mouvement de recul.
- Pardon ? fit-il éberlué.
Will rougit jusqu'aux oreilles.
- Je suis désolé, Nico. Ne le prends pas mal mais je te demande de me laisser y aller seul. Si tu m'accompagnes, je vais encore me reposer sur toi. Ce sera comme d'habitude : tu vas tout faire et moi, j'arriverai derrière pour être ton médecin.
- Ca ne se passera pas forcément comme ça, dit Nico dans un souffle. Je resterai dans l'ombre et je n'interviendrai qu'en cas d'urgence.
- Tu ne pourras pas t'en empêcher, riposta Will en retrouvant son ton de reproche. Tu n'en fais toujours qu'à ta tête. Dès qu'il y aura le moindre danger, tu vas prendre peur et t'en mêler. C'est moi qui serai dans ton ombre… pour ne pas changer.
Plus qu'une claque, Nico eut carrément l'impression de recevoir un coup dans l'estomac. Il se chamaillait souvent avec Will mais jamais le beau blond ne lui avait parlé comme ça. Depuis quand gardait-il tout cela sur le cœur, tapi au fond de lui ?
- Mais qu'est-ce que tu racontes ? balbutia-t-il, les yeux écarquillés de stupeur.
Will se mordit la lèvre.
- Excuse-moi, ce n'est pas contre toi. Je veux dire… ce n'est pas ta faute. Je sais bien que toi et moi, on n'est pas du tout au même niveau : tu es le fils d'un des trois Grands. Tu as des pouvoirs de dingue… même si tu en abuses fortement. Et c'est très bien, ça fait partie de toi et tout, et je t'aime comme tu es… mais des fois… c'est un peu pesant.
Pesant ? Alors comme ça ce qu'il était – un fils d'Hadès, un enfant des Enfers – cela pesait à Will ? Comment pouvait-il lui balancer une pareille horreur et ajouter juste derrière qu'il l'aimait ? Il se fichait de lui ou quoi ?
Profondément touché, Nico se sentit frappé par un mélange de tristesse et de colère face à de si injustes reproches. Obéissant à ses émotions, l'herbe sous ses pieds commença à se flétrir à vue d'œil comme si du venin suintait des semelles de ses bottes. Will s'en aperçut et soupira.
- Je t'en prie, ne le prends pas mal. Je ne voulais pas te blesser. Je dis seulement que ce n'est pas parce que tu es plus puissant que moi que tu dois toujours me protéger. Je veux que tu comprennes que je peux me débrouiller seul.
Nico avait la gorge tellement nouée qu'il eut du mal à répondre. Lorsqu'il réussit à reprendre la parole, sa voix était gutturale comme s'il avait bu la tasse dans le Styx.
- D'accord. Comme tu veux.
Mais il détourna la tête, le visage fermé. Will sentit qu'il était allé trop loin et prit délicatement la main blafarde de Nico dans la sienne, jouant du pouce avec sa bague en tête de mort. Nico eut un frémissement comme s'il hésitait à retirer sa main mais Will sentit son intention et la serra plus fort.
- Tu me promets de ne pas nous suivre en douce ? Tu me laisseras mener ma mission jusqu'au bout ? Promets-le-moi.
Nico regarda à ses pieds où le sol n'était plus que terre désolée et où des sillons commençaient à se creuser comme si des ossements cherchaient à remonter à la surface. Il n'aurait jamais pensé être un poids pour Will. Quand même, le fils d'Apollon était gonflé de lui avoir dit ça ! Pourtant Nico ne lui en voulait pas. Il savait que son petit ami n'avait pas voulu se montrer blessant. Il était maladroit mais pas cruel.
Alors ce fut avec douceur qu'il répondit :
- Je te le promets.
Will retrouva son sourire. Nico essaya de le lui rendre mais ne parvint qu'à grimacer un rictus crispé. Ouh là ! Pas terrible pour donner le change. Peut-être valait-il mieux s'éclipser.
- Bon je vais te laisser, déclara-t-il en amorçant un geste pour partir. Tu dois avoir tes affaires à préparer. Il faut que je passe à l'armurerie de toute façon. On se retrouve tout à l'heure pour Capture l'Etendard ?
- Ca marche, lança Will.
Sur ce, il fit un pas vers lui pour lui déposer un baiser sur les lèvres mais Nico se déroba et partit comme une flèche, le cœur serré. Nul doute que Will allait être un peu vexé de s'être pris un vent mais tant pis pour lui. Nico avait mieux aimé l'éviter. De toute façon, ce baiser n'aurait pas été satisfaisant : le cœur n'y était pas vraiment.
Bon pour être tout à fait honnête, le chapitre devait être plus long à la base mais j'ai coupé le passage suivant pour en faire un chapitre à part.
Dites-moi ce que vous en pensez : préférez-vous les petits chapitres ou les chapitres plus longs comme le premier ?
Prochain chapitre : entretien entre Nico et Percy ^^.
Ca vous a plu ? N'hésitez pas à me laisser votre avis.
