Prompts du jour : Tempête/Larmes

À toi pour toujours

Chapitre 5

oOo

Jaime ferma les yeux et laissa le vent lui fouetter le visage, savourant au passage l'odeur de la mer qui lui évoquait un océan de souvenirs plus doux les uns que les autres dans lesquels il se serait volontiers noyé.

Les falaises de Castral Roc n'avaient guère changé depuis son enfance. Il en vint à espérer qu'une bourrasque venue du passé vienne faire chanter les éclats de rire de Cersei à ses oreilles.

« Tu aurais pu revendiquer Castral Roc après ton mariage, » lui glissa Tyrion, qui se tenait quelques pas derrière lui. « Daenerys ne te l'aurait pas refusé. »

« Parce que je lui avais prouvé ma loyauté en épousant Brienne ? » railla t-il en guise de réponse.

Une amertume qu'il croyait depuis longtemps enterrée ressurgissait progressivement en lui. Aurait-il demandé Brienne en mariage si elle ne l'avait pas vivement enjoint à le faire ?

Il se retourna et se radoucit devant l'expression blessée de Tyrion.

« Je ne pouvais pas revenir ici. Pas avec tous les souvenirs emprisonnés dans la pierre. »

Arpenter les couloirs en se revoyant y courir enfant avec Cersei lui aurait été insupportable. Sans doute serait-il devenu fou au bout de quelques semaines.

« Toi aussi, tu aurais pu le revendiquer. N'était-ce pas ce que tu voulais, à une époque ? Etre l'héritier du Roc ? »

Tyrion baissa la tête.

« J'aurais pu. Je serais devenu un seigneur... mais un seigneur solitaire. Rester aux côtés de Daenerys était... plus simple. »

Oh, comme Jaime le comprenait. Les lions n'avaient jamais été faits pour être seuls.

Comment Cersei avait-elle fait pour survivre à ces dix ans passés en lionne abandonnée de tous ?

« Tu es prêt ? » reprit Tyrion, la cinquième lettre entre les mains.

Jaime remua les doigts, comme s'il essayait vainement d'attraper la main fantôme du souvenir de Cersei, mais finit par acquiescer. Sa sœur n'était pas là, et ces lettres étaient désormais le seul lien qu'il avait avec elle.

Jaime,

Quand je repense à notre enfance, c'est le son de ton rire qui me revient immédiatement à l'esprit. Nos innombrables parties de cache-cache sont toujours gravées dans ma mémoire, ainsi que les soirées que nous passions à échanger mille confidences, serrés l'un contre l'autre.

Nous étions heureux, Jaime, vraiment heureux. Innocents, même. Comment les choses ont-elles pu mal tourner à ce point ? Comment avons-nous pu en arriver là ?

Peut-être que les dieux, écœurés par notre amour, ont décidé de nous punir et nous ont condamnés à être séparés. Je sais que cette hypothèse ne te convaincra pas – après tout, tu n'as jamais cru au destin, et je doute que cela ait changé en dépit des années.

Je dois retenir mes larmes pour ne pas qu'elles viennent diluer l'encre fraîche sur le parchemin. Te souviens-tu d'un jour de tempête à Castral Roc où tu as insisté pour sauter des falaises ? Je t'ai hurlé de ne pas le faire, mais tu ne m'as pas écoutée. Je crois que tu cherchais à m'impressionner. Ce jour-là aussi, j'ai fondu en larmes en te voyant disparaître entre les vagues déchaînées. Tu m'es revenu, bien sûr, comme toujours.

Je donnerais tout pour t'observer sauter des falaises encore une fois.

Cersei

Un sourire nostalgique se dessina sur les lèvres de Jaime. Elle avait raison : c'était bien pour l'impressionner qu'il avait plongé des falaises au beau milieu d'une tempête, comme il le confirma à Tyrion.

« Et ça a fonctionné ? »

« Eh bien... elle m'a trouvé très courageux, mais aussi incroyablement stupide. »

Tyrion laissa échapper un petit rire.

« Ça lui ressemble. »

« Père m'a passé un tel savon que je n'ai plus osé faire un pas de travers pendant des semaines... »

Naturellement, cela en avait valu la peine. Tout ce qui concernait Cersei en avait toujours valu la peine.

« Je l'ai convaincue de sauter avec moi, une fois. »

Et il se lança dans le récit de se souvenir avec un enthousiasme non feint.

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« Allez, Cersei... n'aie pas peur. »

« Je n'ai pas peur, » rétorqua sa jumelle, quelque peu vexée. « Je trouve que c'est une idée stupide, c'est tout. Nous ne sommes plus des enfants. »

« Et alors ? Il n'y a pas d'âge pour sauter des falaises. »

Tous deux se tenaient à l'endroit exact depuis lequel Jaime sautait, quelques années plus tôt.

« La mer est très profonde, à cet endroit. Et il n'y a pas de rochers en bas. Aucun risque que l'on se blesse. »

Pour la convaincre, il lui prit la main et entrelaça ses doigts aux siens.

« Je ne te lâcherai pas. »

Cersei roula des yeux, mais il la sentit vaciller.

« Bon... c'est d'accord. »

Le regard de Jaime s'éclaira. Tous deux s'approchèrent du bord de la falaise. Il pouvait sentir Cersei trembler, aussi serra t-il sa main un peu plus fort.

« Prête ? »

Elle prit une grande inspiration et acquiesça.

« Prête. »

Leur chute ne dura que quelques secondes. Comme il l'avait promis, Jaime ne lâcha pas la main de Cersei, même lorsqu'ils furent ballotés par les vague. Lorsqu'ils crevèrent la surface de l'eau, Cersei éclata de rire, et Jaime songea qu'il ne l'avait jamais trouvée aussi belle.

Elle lui donna un baiser au goût de sel et d'euphorie.

« Quand est-ce qu'on recommence ? » demanda t-elle, les yeux brillants.

Il l'embrassa sur le bout du nez.

« Quand tu veux, » souffla t-il, un grand sourire sur les lèvres.

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« Vous avez eu l'occasion de recommencer ? » demanda Tyrion.

Le regard de Jaime s'assombrit.

« Non. C'était... c'était quelques semaines seulement avant notre départ de Port-Réal. »

La joie qu'il avait eue à se remémorer ces instants s'était évanouie. Ne restait plus qu'une infinité d'amertume et de regrets.

« Continuons, » conclut-il en se détournant, incapable de rester là une seconde de plus.

Ce fut le cœur lourd qu'ils se dirigèrent vers les cryptes du Roc, leur prochaine destination.