Chapitre 2 : Gauntlet

Oviliane rangea son sac sur l'étagère de l'entrée, s'assurant que rien ne traînait par terre, puis, à pas de loup, traversa le salon et tira violemment les rideaux. Personne. Elle pinça les lèvres. Évidemment, ç'aurait été trop facile sinon. Un coup d'oeil derrière le canapé, un autre dans la cuisine, un dernier dans la chambre de sa grand-mère, déjà plongée dans le noir. Ou presque. Granma avait laissé sa veilleuse allumée. Oviliane l'éteignit au passage, puis monta à l'étage. Elle était forcément monté, mais la jeune femme s'inquiétait de savoir dans quel état elle allait la retrouver. Lily passa brièvement la tête dans la salle de bain et ricana en voyant le rideau de douche lui cacher la baignoire.

« Ça alors, Granma serait-elle cachée dans la salle de bain ? »S'exclama-t-elle d'une voix bien forte.

Elle rabattit le rideau dans un bruit métallique.

« Et non ! Personne. »

Tendant l'oreille, Oviliane guetta un rire étouffé. La chambre de ses parents étant fermée à clé, sa grand-mère s'était forcément cachée dans sa chambre... Elle aussi, elle aurait aimé pouvoir barricader son nid. Oviliane alluma le plafonnier et s'avança à petit pas, en retenant son souffle. Pas de cachette derrière des rideaux ici, les siens étaient en dentelle. Peu efficace pour s'y dissimuler donc. Sans trop y croire, l'adolescente se baissa et chercha sous le lit, déjà bien encombré, mais pas par sa grand-mère. Bien, il ne restait donc qu'une seule cachette. Résolument, Oviliane se dirigea vers sa penderie et en ouvrit les deux portes en grand, avant d'enfoncer ses mains les vêtements,prête à chatouiller les côtes de Granma. Mais rien. Elle n'y trouva que ce qui y était déjà, des vestes, des robes, des manteaux et des pantalons. Pas de Granma. Lily insista pourtant,chercha même en bas, mais il n'y avait là que ses paires de chaussures, aucune jambe de vieille femme. Elle dû donc se rendre à l'évidence. Sa grand-mère était cachée ailleurs. Mais où ?L'étonnement céda le pas à l'inquiétude, et sans refermer aucune porte ni éteindre la lumière, Oviliane retourna dans le couloir à grandes enjambées et appela sa grand-mère.

« Granma ? Est-ce que tu es là ? Ce n'est plus drôle. Où tu es ? »

La vieille femme ne pouvait pas avoir quitté la maison... Si ? Non... Oviliane connaissait sa grand-mère, elle ne perdait pas la tête, elle ne serait pas sortie comme ça, sans raison. Mais l'âge... Les jours qui passaient pouvaient tous avoir un impact sur sa Granma... Lily redescendit et scruta plus minutieusement le salon et la cuisine, et la chambre de sa grand-mère, sans la trouver. Elle alluma dans le garage, chercha derrière les cartons, tout en sachant qu'elle ne s'y trouverait pas. L'adolescente ne savait plus où chercher. En deux grandes enjambées, elle retourna à l'étage,ouvrit tous les placards de la salle de bain, même les plus petits,les laissa ouvert en partant. Son cœur battait de plus en plus forts. Ses mains glissèrent sur la poignée de la porte de sa chambre. Elles étaient moites. Et pour la seconde fois, elle n'y trouva que le bazar et l'absence. Et subitement, le bruit de la pluie sur les carreau de sa vitre vinrent s'ajouter à son anxiété.

« Allez Granma, on arrête de jouer, ce n'est plus drôle ! Dis moi où tu es ! »

Cette fois, elle cria carrément, la voix tremblante. Des larmes s'accumulèrent sous ses paupières. Sa peau la brûlait. Elle avait terriblement chaud, et une envie de vomir l'assaillit. Sans réponse,elle décida de descendre au salon pour appeler la police. Mais, mû par un doute, Oviliane tenta d'abord d'ouvrir la porte de la chambre parentale. Elle était toujours fermée quand ses parents s'absentaient, et ils étaient les seuls à avoir la clé. Pourtant,la chambre s'ouvrit. Oviliane, sur le seuil, n'osa pas entrer. Il faisait bien plus froid subitement. Toute chaleur l'avait déserté,et elle se sentit blêmir. Il y avait un corps sur le lit. La main tremblante, Lily alluma la lumière et recula, éblouit. Elle cligna des yeux plusieurs fois. C'était bien Granma qui était allongée là. Oviliane n'osait pas avancer. Quand un bruit la saisit brusquement. Un ronflement. Un puissant ronflement. Alors, un éclat de rire monta de son ventre, s'engouffra dans sa gorge et s'échappa de sa bouche. Une main sur la poitrine, pleurant à chaudes larmes, Oviliane ne pouvait s'empêcher de rire. Elle se laissa tomber devant l'embrasure et s'essuya les yeux, sans réussir à se calmer.

« Lily ?Tu es rentrée ma chérie. »

Granma se redressa en baillant et en s'étirant.

« Mais qu'est-ce que tu fais par terre ?

- C'est... C'est... »

L'adolescente n'arrivait pas à parler. Alors Granma se releva, et alla lui chercher un verre d'eau. Une main caressant son dos, elle attendit que sa petite fille parvienne enfin à reprendre son souffle.

« J'ai crû... J'ai crû que tu t'étais cachée en me voyant arriver. Alors je t'ai cherché partout. Mais comme je te trouvais pas... J'ai eu peur. Et, je sais pas, mais j'ai ouvert ici, alors que je savais que ça devait... Que ça devait être fermé. Mais ça l'était pas, et tu étais là, couché sur le lit... Et j'ai eu tellement peur ! Et puis... Et puis tu as ronflé...

- Foutaises ma chérie ! Je ne ronfle pas.

- Ha si Granma, désolé, tu ronfles ! Mais qu'est-ce que tu fais ici, pourquoi la porte est ouverte ?

- C'est moi qui ait ouvert. Ton papa m'a appelé, ils rentrent en fin de semaine, alors je suis venu faire un peu de ménage. Trois mois que personne a mis les pieds ici, il était temps d'aérer et de faire les poussières si tu veux mon avis. Sauf que je me suis endormi. Plus de mon âge tout ça.

- Je ne savais pas que tu avais les clés...

- Oh... C'est que... »

La vieille femme se mordit les lèvres et se tordit les doigts. Oviliane comprit et posa une main compatissante sur le bras de sa Granma.

« Laisse, ils ne voulaient pas que je le sache. Mais de quoi ils ont peur ?

- Que tu sois comme eux, j'imagine, et que tu ailles fouiller et voler dans leurs chambres. Pourtant ils savent bien que tu touches pas à ça. Mais ils s'imaginent sûrement que tu profites de leur absence pour faire des fêtes endiablées, et ils veulent pas que tes copains trouvent leurs cachettes, je suppose.

- Pff. La seule susceptible ici de faire des fêtes endiablées, c'est toi ! Accusa l'adolescente.

- Ha, ça c'est vrai ! D'ailleurs, belote demain soir.

- Quoi ? Oviliane porta une main à son cœur et une autre sur le front, grande tragédienne. Granma, tes amis et toi allez encore jouer aux cartes jusqu'à minuit en buvant du chardonay. Vous êtes vraiment intenables !

-Laisse donc la jeunesse se faire, rabat-joie" rétorqua la vieille en lui faisant un doigt.

Les deux femmes éclatèrent de rire, et tout redevint normal dans la maison. Plus tard, attablée dans la cuisine devant ses livres et ses cahiers, occupée à ses tout premiers devoirs de l'année, Oviliane prit conscience de ce que sa grand-mère lui avait dit. Elle se tourna vers celle-ci, occupée à peler des légumes.

« Tuas dis qu'ils revenaient à la fin de la semaine ?

- Hm hm, acquiesça-t-elle.

- Bon, je vais m'arranger pour faire plus d'heures au travail alors. Et en prenant mon temps pour fermer, je devrai rentrer assez tard pour ne pas les voir trop longtemps.

- Comme tu veux ma chérie. Termine vite tes devoirs et viens m'aider. Je veux que l'on mange tôt. Il faut qu'on finisse le livre avant le retour de tes parents. »

L'arrivée du weekend arriva bien trop vite. Initialement, Oviliane l'attendait avec impatience, mais le retour imminent de ses parents avait tout gâché, et elle n'avait plus qu'à espérer que ce ne soit qu'un mauvais moment à passer, et qu'il passerait vite.

A tous les coups, ils repartiraient rapidement pour une énième tournée.

Alors dès le samedi matin, sept heure, Lily sauta sous la douche et dans ses vêtements puis attrapa un bus qui l'emmena au centre ville. Elle ne commencerait pas avant quatorze heure, mais ça ne l'empêcherait pas de flâner dans les rues et de jouer à quelques jeux avant d'embaucher. Il y avait encore trop peu de magasins ouverts de si bonne heure, alors Oviliane alla prendre un long petit déjeuner dans un diner, composé de deux cafés et d'une belle assiette de crêpes noyées dans du sirop d'érable. L'estomac bien rempli, et la matinée bien avancée, Lily s'arrêta dans une librairie où elle trouva les quelques livres qui lui manquait et qui était au programme cette année, et en profita aussi pour en prendre un ou deux qui eux, n'étaient pas du tout au programme. Elle s'arrêta chez le disquaire pour écouter de la bonne musique, celle que Granma appelait du bruit, non sans bouger la tête en rythme à chaque fois. Pour finir, elle acheta un sandwich et se dirigea enfin vers la salle d'arcade. Elle rangea son déjeuner dans son casier, à côté de son t-shirt noir de service, puis se précipita vers la borne de Gauntlet. Pendant une heure, elle se transforma en Vil, valkyrie de son état.

« Tu sais qu'on va bientôt avoir la suite ? »

La voix traînante de Keith la tira hors du jeu. En clignant des yeux,elle redevint Oviliane. Au revoir Vil, à la prochaine, pensa-t-elle.

« On le reçoit quand ?

- Haaa, t'aimerais bien le savoir hein ? Moi j'ai l'info, il me l'a dit le patron. Si tu veux, quand on l'aura reçu, toi et moi on pourrait rester après la fermeture, et le tester. En avant première quoi.

- Super proposition Keith. La dernière fois ne t'a pas suffit ? »

Il grimaça en se souvenant de cette soirée, l'an dernier, où il lui avait justement proposé de tester Gauntlet. Il avait gardé une cicatrice au menton pendant longtemps.

« M'en veux pas de retenter.

- Tu m'en voudras pas de recommencer alors ? Je vais me changer et j'arrive, tu pourras rentrer chez toi. »

Dans le vestiaire, Oviliane n'oublia pas de fermer à clé derrière elle le temps d'enfiler son t-shirt, puis vint prendre sa place derrière le comptoir, son sandwich à la main. Il y avait du monde sur Dragon's lair. La difficulté du jeu attirait toujours plus de jeunes prêts à se mettre en compétition les uns aux autres, dans la bonne humeur. Out Run venait juste d'arriver dans la salle d'arcade, et une queue s'y était formée dès l'ouverture pour monter se griser de la sensation d'être au volant d'une vraie voiture de course. SpaceInvaders, PacMan et Galaga étaient aussi des valeurs sûrs et attiraient toujours les joueurs. Ils posaient leurs pièces les unes après les autres sur les bornes et guettaient leurs tours. Et Oviliane comptait les heures qui la séparait de la fin. Elle attendait de pouvoir retourner jouer à Gauntlet. Son regard dériva jusqu'à la borne, où un joueur venait justement d'insérer une pièce. Assez grand, des boucles brunes jusqu'aux épaules, une veste en jean... Elle le connaissait très bien ce joueur, il venait souvent, et c'était le seul endroit où sa présence ne la dérangeait pas. Les mains dans les poches, elle rejoignit Eddie discrètement et l'observa jouer sans rien dire. Il avait choisit l'elfe, et elle en fut un peu surprise. Lily l'aurait plutôt vu avec le magicien, ou le quand une foule de fantôme s'avança vers son personnage, elle cria, retenant un rire.

« Recule ! »

Eddie sursauta et se retourna brusquement vers elle.

« Saloperie ! Tu m'as fais perdre une vie. »

Hilare, Lily, piocha une pièce qu'elle posa sur la borne.

« Désolé, pas pu m'empêcher. Tiens, cadeau.

- C'est bien la moindre des choses. Une valkyrie sournoise, mais une valkyrie honnête au moins !

- Comment tu sais que je joue la valkyrie ?

- T'es pas la seule à te cacher derrière les gens pour les regarder jouer. Merci d'avoir monopolisé la borne toute la matinée !

- T'exagère Munson, à peine une heure !

- Et ça m'a parût si long ! J'ai crû dépérir et toi tu ne t'en serai même pas aperçue, petite valkyrie sans cœur ! »

Oviliane haussa le menton et joua des sourcils.

« Et comment s'appelle ton elfe ?

- Edfindel.

- Ed... Findel ? Comme Glor... »

Oviliane n'eut pas le temps de finir sa phrase qu'un troupeau de gosse l'assaillit : une pièce c'était coincée dans Donkey Kong. Sans regarder en arrière, Lily s'avança courageusement vers la borne récalcitrante, prête à en découdre, laissant sur place un Eddie éberlué. Il ne s'était pas attendue à ce qu'elle ait la référence.