31 octobre
Gâterie (A sweet treat)
Des lampions en papier de toutes les couleurs, orange, bleu marine, jaune, se balançaient dans les airs au gré du vent. Les adultes n'y faisaient pas plus attention que ça, mais les jeunes enfants essayaient tous de les saisir en sautant le plus haut possible ou bien en montant sur les épaules de leurs parents.
Mais il y en avait un, en marge de la foule, dans les bras de son frère, qui restait très calme et ne s'adonnait pas à ce genre de jeu. Peu de temps auparavant, il avait été très malade et, malgré son énergie débordante de petit garçon de deux ans, il avait encore du mal à s'en remettre. Pour le moment, il restait blotti contre la poitrine de Robin, une de ses petites mains repliée sur son manteau en laine et l'autre, glissée dans sa bouche pour pouvoir sucer son pouce. Son frère l'observait en silence, assis sur un muret en pierre abandonné au lierre et à la mousse.
« Tu es sûr que j'ai bien fait de l'emmener ? demanda-t-il en redressant la tête vers son meilleur ami. Il pourrait reprendre froid…
-Allons, Robin, regarde un peu son visage ! Il est tout pâle et tout chiffonné, lui fit remarquer Pierre. Non pas parce qu'il a froid, mais parce qu'il est resté enfermé pendant deux semaines. Ce n'est bon pour personne de ne plus respirer aucun bon air frais pendant autant de temps. Je suis sûr que ça va lui faire du bien. »
Robin baissa de nouveau les yeux vers son petit frère. C'était vrai qu'il était bien emmitouflé dans ses vêtements de bébé. De grosses chaussettes, des petites bottes fourrées, un surcot et un manteau en laine, un bonnet sur ses petits cheveux blonds. Oui, il ne risquait probablement rien. Le jeune noble sourit à son petit frère, qui l'observait sans rien dire.
« Tu sais que tu as été très courageux pendant cette vilaine maladie ? lui dit-il. Ça mérite bien une petite gâterie, hein ? Quelque chose de doux, de bon et de léger qui te redonnera du baume au cœur.
-Oui, gazouilla Gilles de sa toute petite voix. Rob'… 'veux un gâteau...
-Un gâteau ? Un petit, alors, sinon tu auras mal au ventre. »
Les gens commençaient à se presser de plus en plus densément sous la lumière qui commençait à décliner. Le ciel devenait indigo; nous n'étions pourtant que six heures du soir, mais la nuit tombait si vite en cette saison. Les jeunes gens qui venaient à la foire pour s'amuser ne monteraient pas le bout de leur nez avant deux ou trois heures. Les amis de Robin et Pierre en faisaient partie, qui ne s'encombraient pas de leurs petits frères et sœurs, mais les deux garçons ne voulaient pas rater une occasion de se divertir avec Gilles et Marianne.
La petite fille, enveloppée dans les fourrures jusqu'aux yeux, s'efforçait d'être sage par compassion pour le bébé, mais elle tirait un peu sur la main de son frère quand son regard se posait sur l'étal de rubans non loin de là.
« Je crois que quelqu'un ici a envie qu'on lui achète une nouvelle parure, sourit Pierre, qui avait bien saisi son manège. »
La petite fille rougit, se tortilla dans sa dentelle et demanda :
« Comment va le bébé ?
-Il va bien, répondit Robin, amusé. Je crois même qu'il pourra marcher un petit peu. On va te le chercher, ce gâteau ?
-Il nous faudrait peut-être dîner, d'abord, objecta Pierre. Allez viens, Marianne. On va jeter un coup d'œil à ces rubans et ensuite, j'irai te chercher une bonne part de tarte à la citrouille.
-Quant à nous, on préfère la viande, pas vrai ? demanda Robin en chatouillant doucement le ventre de son petit frère. »
Gilles poussa un petit cri de joie et rit en agitant ses jolies menottes. Son aîné le posa par terre et attrapa sa petite main pour le mener entre les stands en direction de ceux qui proposaient de la nourriture. Une odeur délicieuse s'élevait des grillades et des morceaux de dinde qui rôtissaient sur la broche juste derrière.
« Donnez-moi deux cuisses de dinde, s'il vous plaît, commanda Robin en sortant des pièces de sa bourse. »
Petit Gilles, qui n'arrivait même pas à la hauteur du comptoir de la cabane, regardait passer les gens dans leurs vêtements multicolores avec de grands yeux mi-curieux, mi-inquiets.
« Rob' ! réclama-t-il en tirant sur le manteau de son frère.
-Oui, j'arrive, répliqua le jeune noble en le rapprochant de lui avec sa jambe, puisqu'il était occupé à saisir les morceaux de viande. »
Un peu à l'écart du couloir de circulation principale, il repéra Pierre et Marianne avec des parts de tarte à la citrouille et du lait chaud au miel. D'une main, il récupéra son petit frère, qu'il cala sous son bras, et fendit la foule pour les rejoindre. Une fois assis sur l'herbe, à côté d'un feu de joie qui avait été allumé exprès pour les participants de la foire, il installa Gilles sur son genou et lui tint une des cuisses de dinde devant le visage afin qu'il puisse mordre dedans avec ses petites dents. Juste à côté d'eux, Pierre et Marianne buvaient leur verre de lait, la petite fille sous l'œil vigilent de son grand frère. Elle portait dans ses boucles châtain-rousses un nouveau ruban ravissant, tout blanc avec des petites paillettes argentées sur les bords. Son aspect neuf et brillant attira l'œil de Gilles.
« C'est beau, gazouilla-t-il en interrompant son grignotage pour fixer son regard dans celui de la petite Marianne.
-Quoi ? demanda Robin en penchant la tête pour mieux le regarder. Qu'est-ce qui est beau ?
-Ça, répondit le tout petit garçon en désignant le nœud de satin. Ça. C'est beau !
-Merci, dit la petite Marianne en rougissant. »
Le repas continua, durant lequel Gilles mangea toute sa cuisse de viande et même une partie d'une part de tarte. Robin lui essuya la bouche avec une serviette et dégusta son dîné à son tour, parlant et plaisantant avec Pierre tandis que Marianne s'approchait de bébé Gilles pour jouer avec lui.
« J'aime beaucoup ces moments avec vous deux, confia Pierre à son ami dans la lumière des flammes. C'est toujours si doux, si reposant… si serein.
-Je sais. Pour moi aussi, sourit Robin en posant sa main sur la sienne. »
Il profita de ce que petit Gilles trébuchait maladroitement en arrière pour le rattraper dans ses bras et le soulever dans les airs.
« Et maintenant, on va chercher ton cadeau pour avoir été courageux durant ta grippe ? demanda-t-il en lui faisant des bisous dans le cou.
-Oui ! s'exclama son petit frère en posant ses mains minuscules sur son visage. Et un cadeau pou' toi, aussi. Et pou' toi, ajouta-t-il en désignant Pierre. Et pou' toi, conclut-il avec Marianne.
-Tu es vraiment trop généreux, Gilles, rit son aîné en lui posant un gros baiser sur le front. »
Ils se dirigèrent donc vers un étal de gâteaux qui sentait bon le sucre, le beurre et les œufs frais, ainsi qu'une odeur de fruits selon la pâtisserie de laquelle on s'approchait. Robin tint son petit frère à bout de bras tandis qu'il choisissait et prit pour lui un beignet à la confiture de fraises. Marianne demanda le même et Pierre sélectionna une part de gâteau à la crème. Gilles, lui, avait porté son choix sur une tartelette aux mûres et le jus sucré coulait partout sur son menton tandis qu'il croquait dedans. Robin, en grand frère prévoyait, lui tenait une serviette sous le visage.
« Tu vas dormir comme un loir, avec tout ça dans ton petit estomac, observa-t-il. »
Il se pencha à l'oreille de son petit frère et ajouta :
« Et devenir grand et fort comme Papa.
-Oui ! s'exclama le petit garçon avec enthousiasme. Et grand et fort et courageux comme toi, Rob' ! »
Robin sourit et le serra contre son cœur. Tout ce que disait son petit frère, ses mots gentils, ses gazouillis, ses petits rires, tout ça, c'était plus doux que le miel sur son cœur, c'était plus beau et plus éclatant que tous les arbres de Sherwood parés des couleurs de l'automne.
