Le lendemain matin, Peter et Matt s'étaient levés de bonne heure pour faire un tour des environs à pied. Le plus jeune avait eu un véritable coup de cœur pour la vue qu'il avait sur la Rivière Charles depuis le Parc Killian, juste devant le bâtiment où il aurait principalement cours prochainement. Ils avaient fait un détour par la bibliothèque universitaire, ainsi que le campus dédié à l'informatique et l'Intelligence Artificielle. Peter avait réussi à intercaler dans son horaire quelques heures de plus dans ce bâtiment précisément. Il était toujours en possession d'EDITH, même s'il n'en avait plus fait usage depuis des mois.

A vrai dire, il n'avait plus essayé de s'y connecter depuis que le monde l'avait oublié. Il ne savait même pas s'il en avait toujours le contrôle, puisque Tony Stark l'avait spécifiquement programmée pour que seul « Peter Parker y ait accès. Mais il s'agissait du Peter Parker que Tony connaissait, le jeune adulte était incertain concernant cet accès. Seulement, à chaque fois qu'il se disait qu'il pourrait éventuellement s'y reconnecter, cela lui rappelait que si l'inventeur avait été là, il aurait peut-être été déçu de voir comment Peter se débrouillait avec la technologie qui lui avait été transmise, en dehors des erreurs qu'il avait pu commettre ; faire confiance à Mysterio, lui confier les « pleins pouvoirs » sur l'héritage de Tony, jouer avec le multivers pour qu'on l'oublie…

Heureusement, la présence de Matt lui avait permis de ne pas trop broyer du noir. Son colocataire l'avait emmené déguster un grand café au lait avant d'aller prendre l'air sur le campus. Matt était quelqu'un d'énergique qui ne cessait de sourire et, contrairement à Peter, marchait très, très vite. Le plus jeune avait dû donc faire de son mieux pour garder la cadence tout en profitant de tout ce qu'il y avait désormais à sa portée. Ici, il ne serait plus la « petite araignée sympa du quartier ». Il sentait que dans cette ville, il aurait beaucoup plus d'efforts à fournir. Ce qui l'inquiétait le plus était de savoir qu'il allait devoir faire extrêmement attention en s'éclipsant la nuit afin de ne pas éveiller les soupçons de son voisin de chambre. Il préférait conserver sa seconde identité secrète. Ça lui avait attiré trop d'ennuis, la dernière fois…

Ils revinrent en direction de leur bâtiment de cours peu de temps avant qui huit heures sonnent. Peter sentait le stress monter. Debout devant les portes déjà ouvertes des lieux, il sentait son cœur battre à tout rompre.

–T'es vachement pâle, Parker, fit remarquer Matt, un sourcil arqué et un brin d'inquiétude dans la voix. T'en fais pas, ça va le faire. C'est impressionnant les premiers jours, mais tu vas vite t'y habituer.

–Tu en es sûr ?

–Mais oui, approuva-t-il en passant un bras autour de ses épaules pour le rassurer. J'entre en première aussi, j'te rappelle, mais j'ai eu le temps de m'y faire avec mon stage de cet été. Tu vas voir, les gens sont hyper cools. Rien à voir avec le lycée.

–J'espère bien… soupira Peter.

–Oula, j'en connais un qui n'a pas bien vécu cette période, devina l'autre. C'était si terrible que ça ?

–C'était pas fun tous les jours… Et pour toi, ça s'est passé comment ?

–Moi ? Je n'ai pas été au lycée.

Cela surprit Peter, qui plissa légèrement les yeux.

–Et si tu veux tout savoir, j'ai trafiqué mon parcours scolaire pour pouvoir être admis ici parce que je suis un ancien criminel en liberté provisoire, déclara ensuite Matt d'un air sérieux, puis un discret sourire apparut au coin de ses lèvres et ils partirent tous les deux dans un grand éclat de rire. Je pense qu'on va s'amuser, cette année, affirma-t-il, sûr de lui. Reste à savoir si les profs ne feront pas de dépression nerveuse à force de me supporter tous les jours, plaisanta-t-il. Allez, viens ! lui lança-t-il en l'entrainant vers l'intérieur.

Dès qu'ils furent entrés dans le bâtiment, ce fut comme s'ils avaient traversé un portail magique pour changer de dimension. Il était encore relativement tôt et pourtant, bon nombre d'élèves allaient et venaient déjà dans les couloirs. Peter, de nature hésitante et timide, dû se laisser guider par Matt, qui paraissait déjà familier avec les lieux. Tandis que lui ressemblait clairement à un lycéen de dernière année avec son sac à dos et son look très classique, « ado », les personnes qu'il croisaient avaient l'air de déjà appartenir au monde impitoyable du travail ; certains avaient des blasers gris, d'autres des mallettes, des chaussures de cuir… Heureusement –une fois de plus– que Matt était là, avec son sweatshirt bleu céruléen où figurait au beau milieu le logo d'Overwatch, ses baskets de sport et son sac en toile en bandoulière, pour lui rappeler qu'un style pratique et confortable valait autant que quelque chose qui ne leur correspondait pas.

–Hey Matt ! s'exclama un jeune homme aux cheveux blond foncé venant à leur rencontre et portant un veston bleu marine, mardi pro, match amical à Donnelly, on peut compter sur toi ?

–Seulement si je suis dans ton équipe ! répondit joyeusement Matt au moment où lui et Peter passèrent à côté de l'étudiant. Rugby, dit-il à son colocataire une fois qu'ils furent éloignés. Ça te dit de venir ? lui proposa-t-il. T'y as déjà joué ?

–Jamais. Toi, apparemment, tu en fais ?

–Ouais, de temps en temps, mais ce n'est pas mon sport préféré. Je suis plus doué au hockey sur glace, mais c'est pas trop le genre d'activité du coin. Sinon, je fais pas mal de course de fond. D'ailleurs, ne t'étonnes pas s'il t'arrive de te réveiller en pleine nuit et découvrir que je ne suis plus là. Ça m'arrive souvent de sortir courir quand je fais des insomnies, l'informa-t-il. Et au moins, à ces heures ci, je suis sûr de ne pas être dérangé pendant mes exercices.

Peter acquiesça. Si Matt s'absentait régulièrement pendant la nuit, il serait donc plus simple pour Peter de sortir en douce sans être vu, ce qui le rassurait un peu.

–Ça fait longtemps que tu es insomniaque ? voulut-il savoir.

–Ouais, pas mal de temps.

–Magnusson ! lança un second élève, aussi grand que Matt et qui arborait un look résultant d'un parfait mélange entre « rat de bibliothèque » et charmeur ténébreux. J'ai checké les plannings, tu vas te retrouver au moins huit heures par semaine dans la classe de Savannah ! Tu penses pouvoir tenir le coup ? dit-il avec enthousiasme.

–C'est plutôt à lui que tu devrais poser la question, rétorqua le concerné sur le ton de la plaisanterie.

L'élève à qui il parlait leva un pouce avant de se replonger dans la lecture d'un épais manuel traitant des régulateurs antivibratoires de type ATV tout en réajustant sa paire de lunettes à monture rectangulaire sur son nez aquilin.

–Dis-moi, tu as l'air d'avoir la cote, constata Peter.

–Je crois avoir fait une bonne première impression cet été, confirma l'autre, très fier.

–Et c'est qui, ce Savannah ?

–Un des profs principaux. Je n'ai pas encore su déterminer si je l'horrifiais ou si, au contraire, il me trouvait absolument génial. Parce je suis génial, jugea-t-il bon d'ajouter sans une once de modestie et, pendant un court instant, son assurance sans faille rappela un peu Tony à Peter. Bon, le meeting consacré aux premières va commencer, 'faudrait pas qu'on soit en retard, et même si les stars se font toujours attendre, mieux vaut éviter de mettre en tête des professeurs qu'on prend l'école dans laquelle ils enseignent pour de la rigolade.

Peter acquiesça et lui emboita le pas, moins inquiet qu'au tout début de la matinée. Faire partie des petits nouveaux n'était jamais chose aisée mais il avait l'impression qu'en présence de Matt, il ne risquait rien. Son colocataire serait là pour l'aiguiller, lui filer deux-trois conseils et l'aider en cas de problème –en dehors des problèmes de type « ordre public » ne pouvant être réglés que par Spider-Man en personne–. Il allait lui falloir plusieurs jours, plusieurs sorties nocturnes et pas mal d'heures d'étude approfondie des plans de la ville pour apprendre à se déplacer plus facilement et rapidement dans les rues, de building en building.

Ils arrivèrent rapidement dans une grande salle où quelques élèves finissaient de s'installer. Ils s'assirent dans le fond, là où se trouvaient les seules places disponibles et ou même moment trois adultes entrèrent par une autre porte et marchèrent directement vers l'estrade située devant un immense tableau noir où étaient déjà inscrites diverses formules d'une complexité rare. En quelques secondes seulement, le silence se fit. Peter comprit tout de suite qu'il devait s'agir de profs auxquels il aurait affaire cette année.

Le premier était un homme d'âge mûr. Lunettes rondes, un visage ridé et figé dans une expression sérieuse, une blouse de laboratoire, des cheveux argentés impeccablement coiffés, l'allure académique typique. Il donnait l'impression d'être le type d'homme avec qui on devait éviter à tout prix de vouloir jouer au plus malin.

Le second professeur était une professeure. Un petit mètre soixante, une chevelure blonde, lisse et brillante, des yeux bleus à tomber par terre, une jupe crayon violette, des bottes et une chemise noire, une blouse blanche pour compléter le tout. Peter remarqua immédiatement que certains garçons la regardaient avec admiration. Plusieurs filles, en revanche, lui accordèrent un coup d'œil jaloux et envieux.

Quant au troisième, il était celui qui intriguait le plus Peter. Il le trouvait énigmatique, avec un regard indéchiffrable. Il portait un pantalon noir cintré, une chemise blanche aux manches retroussées et un veston par-dessus, ainsi qu'une cravate bordeaux. Ses cheveux étaient brun foncé, ses tempes grisonnantes. Pour celui-ci, les rôles des élèves étaient inversés : c'était au tour des filles de le regarder en soupirant, et aux garçons de tenter de masquer leur agacement face à cette réaction.

–Savannah, c'est le vieux, lui chuchota Matt. T'as jamais vu un gars plus ronchon que lui, lui indiqua-t-il. Par contre, l'autre gars, c'est probablement le meilleur prof de tous les temps.

–Je le connais, souffla Peter à voix basse pour ne pas se faire remarquer. Je l'ai vu plein de fois dans des revues scientifiques. C'est Reed Richards, pas vrai ?

–Exact. En plus d'être un pur génie et d'avoir presque autant de charisme que moi, c'est quelqu'un qui est constamment à l'écoute de ses élèves. Je crois que Richards est le prof le plus apprécié de tout le M.I.T… Et il le mérite largement.

–Et elle ? l'interrogea Peter en désignant discrètement la blonde. C'est qui ?

–La femme de mes rêves, soupira presque rêveusement Matt. C'est une élève de dernière année qui va assister les profs en labo. Tu crois que ça poserait problème que je la demande en mariage dès le premier jour de cours ? lui demanda-t-il, ce qui les amusa tous les deux. Nan, j'pense qu'elle est déjà prise, précisa-t-il en redevant plus calme, alors même si j'usais de mes charmes, je me prendrais un râteau et comme j'ai une réputation à maintenir, je préfère ne pas me faire recaler devant tout le monde. Ça ferait mal à mon égo.

–Tu n'es vraiment pas possible, chuchota Peter en croisant les bras, un grand sourire aux lèvres. Ça t'arrive de prendre quoi que ce soit au sérieux ? le questionna-t-il, et lorsque Matt se tourna vers lui, les yeux écarquillés, comme si on venait de lui parler en russe, Peter eut sa réponse. Ok, je vois.

Peter savait que Matt cachait ses peines derrière cette utilisation constante de touches d'humour. Oui, il ressemblait en de nombreux points au regretté Tony Stark. Sa douleur se lisait dans ses yeux, lorsqu'on y prêtait attention. Tout en sortant un calepin et un Bic de son sac à dos, Peter ne pouvait s'empêcher de se demander ce que Matt avait traversé par le passé. Ce n'étaient pas ses affaires, mais il n'en demeurait pas moins curieux. Il ne fouinerait pas, il ne se le permettrait pas. Il ferait preuve de patience, il se contenterait simplement d'attendre que son voisin de chambre prenne lui-même la décision de se confier à lui, si l'envie lui en prenait un beau jour.

–J'ai le plaisir de souhaiter la bienvenue à tous les nouveaux étudiants en ce jour de rentrée académique, débuta Savannah. Vous entrez dès à présent dans un univers différent de celui auquel vous avez jusqu'à présent été habitués, je vous encourage donc à vous plonger dès aujourd'hui dans le travail et de ne jamais prendre quoi que ce soit pour acquis. Aussi élevé puisse être votre niveau de connaissance à la fin de vos études, vous aurez toujours d'autres choses à apprendre.

–Comme apprendre à ne pas nous démoraliser dès le premier jour, chuchota Matt, mais il mit volontairement suffisamment de voix pour que Savannah le remarque dans l'assemblée.

Plusieurs têtes se tournèrent vers le duo que formaient Peter et Matt. Le plus jeune des deux s'enfonça un peu dans son siège, n'étant pas très friand à l'idée de se faire remarquer dès le premier jour de cours par le reste des étudiants. Il constata néanmoins que la plupart de ceux qui les regardaient désormais souriaient. Du moins, ils souriaient à Matt, qui avait apparemment déjà réussi à se faire un nom dans le milieu.

–Monsieur Magnusson, soupira le professeur. Vous êtes toujours là.

–Vous aussi, rétorqua du tac-au-tac le concerné en se levant.

–Je constate que vous prenez toujours un malin plaisir à vous faire remarquer, soupira Savannah. Faites-nous donc une démonstration de votre savoir ; l'année de découverte de la radioactivité.

–Mille huit cent quatre-vingt-seize. Becquerel, précisa Matt.

–Les trois lois de Kepler.

–Orbites, aires et périodes, énuméra-t-il ensuite.

–La relativité générale.

–Développée par Minkowski, puis Einstein, énonça-t-il sans hésitation sou les regard à la fois intrigués et admiratifs d'autres élèves.

–L'espace topologique.

–Plus communément connu sous le nom d'espace séparé, c'est la généralisation de la notion d'espace métrique, faite par Felix Hausdorff. Mille neuf cent quatorze. Vous voulez continuer ? J'ai toute la journée.

Ok. En plus d'être talentueux dans de nombreux domaines, d'être un athlète, d'avoir un physique avantageux et beaucoup d'humour, et d'être doté d'un cœur immense, Matt était un génie. Un génie arrogant qui n'avait pas froid aux yeux, mais un génie tout de même. Décidément, il se rapprochait énormément de Tony selon Peter, qui comprenait de plus en plus pourquoi le courant était passé si vite entre eux. Il avait tendance à croire au pouvoir du Destin ; pour lui, les coïncidences n'existaient pas, tout arrivait toujours pour une bonne raison. Il était reconnaissant qu'après tous les malheurs qu'il avait traversés, l'Univers ait mis Matt sur sa route.

–Je vous remercie pour votre intervention, Monsieur Magnusson, souligna Savannah. Ce n'était pas la première et probablement pas la dernière fois, mais je vous prierai d'amuser la galerie en dehors de l'établissement, précisa-t-il avant de refocaliser son attention sur toute l'assemblée, tandis que Matt se remit fièrement assis. Le programme de cette année est divisé en…

Peter commença à écouter le professeur leur expliquer le bon déroulement de l'année scolaire qui débutait, prêt à prendre autant de notes que nécessaire, mais sa concentration s'envola lorsque son regard vif s'arrêta sur le second rang. Dès lors, son sourire se fana un peu et toutes les paroles pleines de bon sens et de logique du doyen lui parurent bien lointaines, presque inexistantes, trop vagues pour qu'il les comprenne. Son cœur se comprima et loupa même un battement. Son sentiment de mal-être ne se fit pas remarquer, ce qui le soulagea. Il ne voulait pas attirer l'attention sur lui et de toutes façons, les autres étaient trop occupés à écouter l'instructeur.

Assis quelques mètres devant lui se trouvaient Ned et MJ, à qui il n'avait pas parlé depuis des mois et qui ne l'avaient apparemment pas remarqué dans l'assemblée. Après tout, à leurs yeux, il n'était qu'un élève de plus qu'ils croiseraient potentiellement de temps en temps sans jamais chercher à connaitre son nom. Ce qui le rassura au moins un petit peu fut qu'ils avaient l'air heureux, en pleines formes. Au moins, les deux tiers de leur trio se portaient bien. Cela atténua à peine sa tristesse. C'aurait été pire s'il y avait eu un quelconque contact visuel, car il n'aurait vu que de l'indifférence dans leur regard, ce dont il ne pouvait les blâmer. Ça restait douloureux.

Peut-être trouverait-il, d'ici les prochains jours, le meilleur moyen d'aller les aborder.