Dans ce chapitre, j'ai inventé des brouilleurs visuels, activantes autour des lits de l'infirmerie. J'ai toujours été gênée par le fait que les patients puissent se voir les uns les autres au lieu d'avoir chacun une chambre. Au début du film de 2009, on distingue des rideaux autour des lits, mais j'ai préféré inventer quelque chose d'un peu plus élaboré. Bonne lecture!
Spock éprouvait une étrange sensation: un endormissement progressif, qui lui ôtait lentement ses forces et l'emportait agréablement vers l'inconscience. C'était sans doute ainsi que les Humains s'endormaient, contrairement aux Vulcains, capables de sombrer dans le sommeil en quelques secondes… Et pourtant, quelque chose lui disait de lutter, que ce glissement recélait un danger. Mais pourquoi? Il se sentait bien, seulement très fatigué… Où était-il, déjà? Ah oui, l'infirmerie. Il était peut-être préférable de signaler son état au docteur McCoy.
Dans un pénible effort, il réussit à ouvrir la bouche, mais perdit conscience avant de savoir s'il avait réussi à émettre un son.
III
« -Arrêt de la distorsion dans cinq secondes, annonça Sulu. Quatre… trois… deux… un… arrêt.
-Coupurrre générrrrale des cirrrrcuits électrrrriques effectuée, capitaine », ajouta Chekov.
Dans le vaisseau plongé dans le noir régnait un silence oppressant. Les myriades d'étoiles se distinguaient plus nettement à travers la vitre de la passerelle, ainsi que, légèrement à droite, une planète gazeuse aux contours indistincts. Kirk ne put s'empêcher d'admirer sa belle couleur bronze, de se demander si une forme de vie avait réussi à y émerger malgré les forts rayonnements magnétiques… Puis ses pensées revinrent à l'Entreprise. Il pensa au seul endroit éclairé du vaisseau, quelques mètres carré où deux Vulcains et deux Humains se battaient chacun à sa façon; puis à tous les membres d'équipage qui attendaient, immobiles dans l'obscurité, le dénouement de la situation.
« Le vaisseau nous rrrejoint, capitaine », dit Chekov.
Il n'aurait pas eu besoin de le dire: le petit vaisseau s'apercevait à travers la vitre. Il était plus élancé que Kirk ne l'avait imaginé, avec une coque anguleuse d'un métal très brillant. Il s'avançait lentement vers l'Entreprise.
« -Il nous scanne, capitaine », murmura Uhura comme si elle avait peur d'être entendue par leur ennemi.
-Sulu, paré à faire feu », répondit Kirk sur le même ton, qui réalisa également qu'il respirait le plus doucement possible.
Le vaisseau se rapprocha encore, encore…
« Feu! » cria Kirk malgré ses côtes douloureuses, libérant la tension accumulé y eut un vrombissement quelque part dans l'Entreprise (l'allumage des missiles, habituellement assourdi dans les multiples bruits des autres machines), puis une ligne lumineuse se dirigea vers le petit vaisseau, bientôt suivie par une deuxième.
« Visez les moteurs, ordonna Kirk. Il faut essayer de capturer l'équipage et d'analyser ce vaisseau. »
Mais celui-ci éclata soudain dans une gerbe d'étincelles, ne laissant plus que quelques débris sombres flotter dans l'espace. Kirk fronça les sourcils.
« Il s'est autodétrrrruit, capitaine », dit Chekov.
Kirk soupira, autant de frustration que de soulagement, puis porta la main à son côté en grimaçant.
« Sulu, à vous les commandes. Je vais voir comment ça se passe du côté de l'infirmerie.»
III
Du revers du bras, McCoy essuya la sueur qui coulait sur son front.
« Le plus dur est fait, annonça-t-il, aussi bien pour lui que pour ceux qui l'entouraient. Le coeur est à nouveau en place et vascularisé. Je n'ai plus qu'à tout refermer et à mettre en marche l'accélérateur de cicatrisation. Spock, ça va? Spock? »
Devant l'absence de réponse, il s'autorisa à jeter un coup d'oeil vers l'autre lit. Après tout ce temps à scruter de petits éléments anatomiques, sa vision mit quelques secondes à faire le point. Spock était immobile, les yeux fermés. Non, pas tout à fait immobile: sa main tremblait légèrement. McCoy remarqua soudain la pâleur inhabituelle de son visage, et la fine couche de sueur qui le couvrait.
Il ouvrit la bouche, mais ne prit pas le temps de trouver un juron adapté. Chapel, en train de nettoyer des instruments chirurgicaux, se précipita à côté de Spock et regarda rapidement le cadran des relevés physiologiques. « Choc hypovolémique », annonça-t-elle en commençant à manipuler les perfusions.
On lui a pompé trop de sang.
Miséricorde.
Comme beaucoup de médecins en cas d'erreur, McCoy eut le réflexe de se mettre en colère contre quelque chose. Il lutta contre l'envie de crier sur Chapel: elle l'avait magnifiquement secondé, lui passant silencieusement son matériel avant même qu'il ne le lui demande, aussi concentrée que lui. Et actuellement, sans même le concerter ni lui faire le moindre reproche, elle réglait une perfusion pour injecter rapidement un liquide qui remplirait les vaisseaux sanguins jusqu'à ce qu'il y ait à nouveau assez de sang pour le remplacer.
« -Pourquoi ce fichu lit ne nous a-t-il pas prévenus? gronda-t-il.
-Il était réglé sur les normes physiologiques humaines, docteur », répondit doucement Chapel.
McCoy ferma les yeux de toutes ses forces. Quel crétin. Une erreur de débutant.
« Les constantes reviennent à la normale », annonça l'infirmière.
Encore heureux.
Il se secoua et reprit son travail. Il se traiterait de tous les noms après avoir fini son travail.
III
Une heure plus tard, cependant, il était plutôt fier de lui: Sarek était encore inconscient mais guéri, et les signes vitaux de Spock montrait qu'il reprendrait sans doute connaissance d'un instant à l'autre. Juste après avoir fini la chirurgie, Jim était arrivé à l'infirmerie et ne s'était même pas fait prier pour s'écrouler sur le premier lit venu. Après un hypospray de morphine « bien mérité » selon lui (McCoy avait levé les yeux au ciel), ils s'étaient chamaillés tandis que McCoy finissait de ranger le matériel chirurgical, Kirk exigeant de connaître l'état de santé de son second, McCoy refusant d'en donner le moindre indice et invoquant le secret médical. Ils conclurent brusquement une trêve quand ledit second commença à remuer un peu dans son lit. Kirk s'absorba dans la contemplation du plafond, et McCoy, après un bref coup d'oeil aux indicateurs vitaux, trouva subitement une occupation urgente au fond de l'infirmerie.
Discrètement, ils assistèrent au réveil de Spock, qui n'avait rien de vulcain: il lutta de longues minutes pour entrouvrir une paupière, puis l'autre, avant de tourner lentement la tête et regarder d'un oeil vitreux ses environs et la perfusion encore fixée à son avant-bras. Ce ne fut que quand il essaya de se redresser dans son lit que McCoy se rapprocha. Le médecin activa les brouilleurs visuels, formant un écran gris autour du lit du Vulcain, qu'il traversa sans écouter les protestations de Kirk.
Contrairement aux habituelles railleries, il alla droit au but:
« -Je vous demande pardon, Spock, déclara-t-il sans ambages. Vous avez eu un collapsus cardio-vasculaire. Si j'avais bien fait mon boulot, vous n'en seriez pas là. Heureusement que Chapel a rattrapé mon erreur. -On dit que l'erreur est humaine, docteur, répondit lentement le Vulcain d'une voix à peine audible. Vous n'avez donc aucun regret à avoir, ni aucune inquiétude: je me sens parfaitement bien. »
Instantanément, McCoy se détendit et, cachant difficilement son soulagement, retrouva son attitude habituelle.
« Arrêtez de dire ça, on dirait un enregistrement automatique, bougonna-t-il en préparant un verre d'eau. Si un manque de sang et une déshydratation avancée sont pour vous le synonyme de la pleine santé, vous êtes sacrément masochiste! »
Avec une douceur en totale contradiction avec ses paroles, il approcha le verre des lèvres de Spock. Le Vulcain avala péniblement quelques gorgées, puis les forces lui manquèrent.
« Je vais laisser votre perfusion pour l'instant, dit McCoy en reposant le verre. Je sais que ce n'est pas très agréable, mais ça vous maintiendra hydraté en attendant que vous soyez plus en forme. » Spock hocha lentement la tête. Si son effort pour boire l'avait visiblement épuisé, il semblait recouvrer de plus en plus ses esprits, et étendre lentement ses pensées au-delà de sa propre personne. Après un instant de silence, son regard s'éclaira soudain:
« Comment l'attaque du vaisseau suiveur s'est-elle achevée? »
McCoy soupira et secoua la tête d'un air exaspéré.
« Votre père va bien. Merci d'avoir pensé à lui. Quant aux merveilleuses aventures de l'Entreprise dont vous trouvez logique de vous préoccuper en priorité… »
Il appuya sur un bouton de la table de chevet et le brouillard gris se dissipa autour d'eux, révélant Sarek qui reposait dans le lit voisin, et Kirk un peu plus loin qui se redressait dans son lit malgré l'épais bandage qui recouvrait son thorax.
« … je vous propose de voir cela avec votre capitaine. Jim, je te laisse deux minutes, pas une de plus! »
