Chapitre 5 : Un soir

Levi ne s'était pas précipité pour rentrer chez lui, ce soir. Sa journée s'était bien déroulée. Les élèves avaient été appliqués, calmes, et le soleil brillait. Même le RER et ses odeurs nauséabondes ne l'avait pas irrité. En rentrant, il fit un petit détour dans les rues de Paris, sa ville de cœur depuis toujours. Il arpentait les ruelles, s'arrêtant au détour d'une librairie ancienne pour acheter quelques ouvrages.

C'est dans ces moments là que Levi était heureux. Cela ne se lisait pas sur son visage éternellement impassible, mais son cœur souriait. Dans un grand élan de bonté, il avait même donné une pièce au sans abri de la boulangerie, avant de reprendre le chemin de la maison.

En passant le pas de sa porte, il se dit que rien ne pourrait entacher cette soirée qui avait si bien débuté.

L'adulte débuta alors son impérissable routine ;

Ménage, écriture, sport, douche, dîner.

Il mangea tranquillement devant Secret d'Histoire, une émission qu'il affectionnait.

Les puristes diront que c'est de la simple vulgarisation historique, que ça n'est pas noble, mais le professeur n'était pas de cet avis. En plus, Stéphane Bern, le présentateur, lui inspirait de la sympathie - ce qui était assez rare pour le noter -.

Le sujet portait sur Diane de Poitiers, une femme inspirante selon lui, bien qu'avide de pouvoir.

Quelques heures plus tard, Levi sentit qu'il commençait à fatiguer et se dirigea machinalement vers son lit.

Il s'allongea paisiblement, remonta la couette sur son torse et traîna un temps sur Twitter.

Il aimait bien ce réseau : politiquement incorrect par excellence, bien qu'il ne cautionnait pas tout.

Ce n'est qu'au bout d'une trentaine de minutes passées à scroller sur son téléphone qu'il se rappela de la discussion passée avec Eren.

Il n'y avait pas pensé de la journée, en partie parce que le garçon n'avait effectivement pas assisté à son cours. Devait-il lui envoyer un message ?

Il n'était pas tard, l'heure était raisonnable. Et puis, s'il devait le voir demain, il préférait savoir dès maintenant comment s'organiser. Levi était quelqu'un de prévenant.

D'un autre côté, il ne savait pas comment aborder le sujet. Devait-il simplement lui demander à quelle heure ils se retrouveraient ?

Non, ça donnait l'impression que Levi attendait ce moment avec impatience.

Il pourrait simplement lui imposer un horaire et un lieu ?

« Demain, 23h, au square saint Lembert. »

Non plus. Il avait beau être de nature autoritaire, ça sonnait bizarrement.

Comprenant qu'il se prenait un peu trop la tête, le trentenaire fit simple.

Simple, mais absolument pas efficace.

De : Levi

: t'as pas perdu tes couilles ?

Ce n'est qu'après avoir envoyé le message qu'il se rendit compte qu'il n'avait aucun sens. Dénué de tout contexte. Lui même, s'il avait reçu ça à sa place, il n'aurait rien comprit.

Quoiqu'il en soit, il eu une réponse presque instantanée.

De : Eren

: mes couilles sont bien en place, merci.

Il fallait s'y attendre. Le gamin était intelligent, mais peut être pas médium ; il ne lisait pas dans les pensées de Levi.

De : Levi

: Demain, je sors avec des amis. Le soir.

De : Eren

: ? Ok ? Je fais quoi de cette information.

Mais quel connard, grogna Levi, au fond de son lit.

Eren ne lui facilitait pas les choses. Le professeur n'était pas connu pour sa grande patience. Encore un message foireux, et il abandonnerait l'idée de le voir, pour sûr.

De : Levi

: Tu te la fous au cul. Voilà.

Oui, il faut dire que Levi n'arrangeait rien.

De : Eren

: J'ai bien compris que vous cherchiez un moyen d'aborder le sujet de notre petit rendez vous mdr. Sérieux, vous avez quel âge

Je vais le tuer.

De : Eren

: Soyez pas timide

Je vais le tuer, et il souffrira.

Levi bouillonnait. Principalement parce que le garçon avait en partie raison, et que son ego d'homme était blessé.

De : Levi

: Continue de me faire chier et tu vas voir si je suis timide.

De : Eren

: toujours la même rengaine. Je finis par croire que c'est une marque d'affection.

De : Levi

: tu ferais mieux de croire en Dieu. Tu risques de le rejoindre.

De : Eren

: presque effrayé. Bref, je sors aussi demain soir, donc dites moi quand vous rentrez et je m'adapte. Buvez pas trop, à votre âge c'est dangereux de mélanger alcool et cannabis ;)

De : Levi

: Va te faire foutre. Je vais m'enquiller juste pour te faire plaisir. Je rentrerai pas tard, je voudrais pas Grisha s'inquiète pour son bébé.

De : Eren

: Grisha Jager n'est pas là. Y'aura ma soeur, et c'est d'ailleurs pour ça qu'on ira chez vous.

Levi bloqua un instant.

Quoi ? C'était pas convenu, ça.

De : Levi

: pardon ?

De : Eren

: vous croyez quand même pas que je vais fumer dehors comme un sdf ?

De : Levi

: mais, pauvre débile, c'est ce que tu fais tous les jours devant la fac

De : Eren

: ouais, mais il fait pas nuit, et je suis pas accompagné d'un type louche qui compte, je cite, « s'enquiller » avant de venir.

Eren marquait un point. Levi n'avait pas l'idée de l'inviter chez lui, mais il comptait encore moins rester dehors avec trois grammes dans le sang.

De : Levi

: Bordel, tu me fais chier.

De : Eren

: Comme d'hab.

De : Levi

: Tu mets la moindre traînée de terre sur mon parquet, la moindre goutte de vomi sur mon canapé ou encore la moindre trace de doigt sur mes vitres, je t'envoie rejoindre Staline et toute sa clique en enfer.

Viens pour minuit. Je t'enverrai l'adresse.

De : Eren

: ouais chef. À demain. Faites de beaux rêves.

De : Levi

: à demain. Dors mal.

Sur ces mots doux, Levi éteignit son portable et ferma les yeux.

Eren le titillait, jour après jour, message après message. L'adulte n'avait pas encore réussit à déterminer si c'était terriblement agaçant ou curieusement agréable de trouver un adversaire à sa taille.

Quoiqu'il en soit, il s'endormit naturellement en marmonnant des insultes à son sujet.

ooo

Levi se réveilla lentement, tandis que les rayons du soleil caressaient son visage. Il devait être six ou sept heure du matin.

Il n'y avait aucun son dehors, comme si la ville dormait encore.

Ça ne durerait pas longtemps, alors il profita de ce battement pour se lever paisiblement et boire un thé sur son balcon.

Il avait quelques courses à faire aujourd'hui, avant de se préparer à sortir. Il devait notamment s'acheter un nouveau meuble TV. La couleur blanche de l'actuel avait perdu de sa splendeur et il trouvait que ça donnait un aspect sale à son salon.

Levi devait aussi passer à la Fnac pour se racheter des airpods. Cela faisait près de dix ans qu'il avait vendu son âme à Apple : leurs produits étaient épurés et classes, bien que trop cher. Ça lui plaisait et il ne s'aventurerait pas ailleurs.

Réflexion faite, il prit une courte douche et alla s'habiller en vitesse. Il voulait y être aux heures d'ouverture pour esquiver le monde.

L'adulte ne tarda pas à sortir de son immeuble et se dirigea vers le parking situé à quelques minutes.

Il ne prenait jamais sa voiture, c'était parfaitement inutile dans la capitale. Il était généralement plus long de faire un trajet sur la route que dans le train. Mais dans la mesure où il allait devoir transporter un meuble, c'était obligatoire, et il maudissait d'avance la conduite des parisiens.

Arrivé à sa berline noir, une Audi intérieur beige, l'homme eu une certaine satisfaction.

La voiture d'une personne était souvent représentative de sa réussite professionnelle ; et Levi avait réussit.

Il prit naturellement la route, conduisait plutôt vite mais avec assurance : sans jamais représenter un danger. Ni pour lui, ni pour les autres.

Arrivé à Ikea, il s'engagea directement dans le magasin et tomba, comme un débutant, dans les pièges de la firme.

Il reparti avec un meuble TV, une lampe, trois plantes et un coussin de canapé. Choses dont il n'avait absolument pas besoin.

Puis, après un rapide passage à la Fnac, il rentra tranquillement chez lui.

Finalement, la circulation était bonne et il ne s'énerva que sur quatre conducteurs : un exploit.

Une fois installé et après avoir bénit son ascenseur lorsqu'il dû porter ses cartons, Levi se décida rapidement à monter son meuble. Il était doué pour le bricolage et n'y passa qu'une trentaine de minutes, avant de descendre tous les cartons au recyclage et de débarrasser son appartement.

Tout était clean.

Comblé, il se fit un déjeuné rapide et bouquina, heureux d'avoir un peu de repos avant de sortir.

Il commença à se préparer vers dix-neuf heures ; il n'y avait pas grand chose à arranger.

Il troqua son ensemble de jogging contre un jean, un large t-shirt blanc à manches courtes et une paire de Nike. Simple, mais très efficace.

Car oui, même s'il passait sa semaine en costume, ses vêtements de ville étaient en fait très ancrés dans la mode. Un fait qui l'éloignait un peu de la vieillesse qui le gagnait peu à peu -selon lui.

Il se coiffa, se brossa les dents trois fois -pour être sûr- et mît du parfum.

Il était beau. Un sourire discret s'étira sur son visage ; il aimait se sentir frais et désirable. Même s'il n'en faisait rien.

D'autant plus qu'il verrait Eren, ce soir. Non pas qu'il veuille lui être agréable à regarder. Ou peut être que si.

En tous cas, ce qu'il ne voulait surtout pas, c'est que le jeune le voit comme un vieillard, démodé ou ringard.

De : Levi

: j'arrive dans 20 minutes. J'espère pour vous que je ne serai pas là en premier, binoclarde

De : Hanji

: on y est déjà, Levi, mais bien tenté. L'ambiance est diiiinnngue ! On t'attend.

De : Hanji

: Ah, et Petra n'a pas pu venir finalement. Elle est malade.

De : Levi

: ouais, je sais. Ça a toujours été une fragile.

De : Hanji

: t'abuses !! Allez, grouille.

Grouille ? Mais comment elle veux que je me fasse plus vite cette imbécile, je vais pas pousser le train, pensa t-il, exaspéré par son amie.

Arrivé au bar, l'ambiance était effectivement cool. La musique était bonne, et il y avait beaucoup de monde.

Ses amis lui firent de grands gestes pour qu'il les rejoigne.

La honte.

Un grand blond se leva en premier pour l'accueillir : Erwin Smith.

Erwin était un vieil ami de Levi. Il le considérait comme un frère, et était toujours heureux de le voir.

« Levi ! », fit Erwin, « bordel, ça faisait longtemps. »

« Ça fait juste un mois, mais j'imagine que le temps passe lentement quand on a rien dans le crâne. »

Levi le charriait, mais il savait Erwin très intelligent. C'était peut être même la personne la plus intelligente qu'il n'ait jamais rencontré.

« Je vais passer sur l'insulte. Viens boire un coup, je te paye ! »

Le blond souriait de toutes ses dents. Levi savait qu'il passerait une bonne soirée.

« Levii ! »

La binoclarde, allez, on se prépare mentalement.

« Bordel Hanji, tu pues déjà l'alcool. »

« Synonyme que je m'amuse, allez range ta mauvaise humeeuur ! »

Hanji prit les jours de son ami et les étira, pour lui forcer un sourire. Levi ne l'avouerait jamais, mais cette joie de vivre lui était précieuse.

« Salut, mec », lança un homme assit au bar, la paume levée.

« Erd. Ça va ? »

« Ouais, tranquille. Tiens, ton verre ! »

« Si j'arrive à me sauver des bras de l'autre folle » rétorqua Levi, poussant Hanji désespérément.

Le petit groupe s'installa et ils commencèrent à parler.

À rire.

À boire.

Définitivement un bon moment.

Hanji dansait un peu de son côté, tandis que la barmaid draguait ouvertement Levi.

Il s'en moquait totalement, bien qu'Erwin s'adonnait depuis vingt minutes à lui donner des coups de coude, pour qu'il « passe à l'action ». Sans effet.

Les heures passaient et Levi n'allait pas tarder à devoir partir. Il avait beaucoup bu. Il parlait encore distinctement, ne trébuchait pas mais ça faisait un moment qu'il ne mâchait plus ses mots et avait déjà dit quatre fois à la barmaid qu'elle était laide ; laquelle ne le draguait plus du tout.

Il était pompette, donc sans filtre.

« Bon les mecs, after ? » proposa Erwin, « Venez chez moi, j'ai un appartement vide et pleins de bouteilles ! »

« Yes ! Carrément », se réjouit Hanji. « Levi, lève toi ! »

« Nan binoclarde. Je dois rentrer.. là. »

Hanji haussa les sourcils. Erwin, lui aussi, avait l'air étonné et répliqua :

« Non, ça, c'est impossible. Levi Ackerman ne refuse jamais un after. »

« Ben là, je refuse. J'ai des trucs à faire. »

Et c'est ainsi qu'Hanji s'illumina, avant de s'écrier :

« Hannn ! Levi cheriiii, tu vas voir une fille ! Enfin ! »

Ouais. Une fille d'un mètre quatre-vingt qui s'appelle Eren. Si on veut.

« Laisse moi, je t'en prie. Je suis déjà en retard et il va m'harceler, l'enculé. »

C'est à ce moment là que Levi regretta d'avoir bu.

« Il ? Oh, ok.. » souligna Hanji, sourire en coin et regard malicieux, « Tu nous raconteras.. »

« Y'aura absolument rien à raconter, lâche l'affaire. »

« Laisse le… » reprit Erwin, « ..je le savais ! »

Sur ce clin d'œil gênant, Levi dit au revoir à ses amis et se précipita pour choper le métro.

Plus il se rapprochait de son adresse, plus il sentait quelque chose d'inhabituel se développer en lui.

Il avait la boule au ventre.

Il était stressé.

De : Levi

: j'arrive.