Bonne lecture.


Nouvelle perspective

Lundi 2 septembre 1996 : Manoir

Aujourd'hui, c'était la « rentrée » scolaire.

En me réveillant ce matin, j'ai eu une pensée pour tous les élèves qui allaient se rendre en cours aujourd'hui. Sang-Purs et Sang-Mêlés, aucun Nés-Moldus. Le Poudlard Express n'aurait pas la même tête que d'ordinaire. Et les pauvres nés-moldus que nous n'avons pu sauver, réduits en esclavage. Des Mangemorts comme professeurs, tout pouvoir aux Serpentards...

Après l'attaque de Poudlard, la plupart des parents de Nés-Moldus que nous avions contactés avaient refusé de nous confier leurs enfants. Ceux-ci en étaient rarement sortis indemnes, que ce soit physiquement ou mentalement. Parfois, ce sont eux plutôt que leurs parents qui ne souhaitaient pas poursuivre les cours de sorcellerie. Encore une génération gâchée par Voldemort. Je l'ai maudit entre mes dents.

Notre petite école aura finalement plus de succès auprès des familles sorcières : la mienne, les Weasley, Luna…

Xénophilus n'avait pas l'air très bien quand je suis venue chercher ma filleule ce matin. Malgré la mort d'Elena il y a des années il n'a jamais perdu son côté doux et rêveur. Il a été triste bien sûr, mais Luna est toute sa vie. Je ne l'avais jamais vu dans cet état, des cernes sous les yeux, un tic nerveux agitant ses mains, les cheveux en désordre.

- Luna ? ai-je appelé. Et si tu allais m'attendre dehors deux minutes s'il te plaît ?

Sans surprise, elle s'est exécutée sans poser de questions et je savais qu'elle n'écouterait pas aux portes. Tout le contraire de Cameron ou Mary.

- Bon, maintenant parle. Qu'est ce qui ne va pas ?

Chose qui me change aussi, il n'a pas cherché à me cacher quoi que ce soit où à nier. Il a sorti de sous une liasse de journaux des parchemins froissés, très courts, mais dont le contenu était glaçant.

- Depuis quant reçois tu ces lettres de menaces ?

Il n'y avait pas de signature, bien sûr. On menaçait sa vie, sa maison, son journal de manière plus ou moins imagé.

- Tu as lu le Chicaneur dernièrement ? m'a-t-il demandé.

- Je n'ai pas lu beaucoup de journaux ces derniers temps.

C'était un mensonge, mais je ne voulais pas lui dire que je n'avais jamais lu son journal même si un exemplaire m'est envoyé gratuitement à chaque publication. Je ne voulais pas le vexer.

- J'ai continué à y publier la vérité, mais mes détracteurs ne sont plus les mêmes que d'ordinaire.

- Ne me dis pas que tu publies des articles contre l'autre con et ses partisans ?

Il m'a lancé un regard de chien battu.

- Je n'ai pas besoin de te dire que le Chicaneur n'a jamais eu beaucoup de lecteurs, mais depuis l'attaque de Poudlard ils se sont multipliés, une aubaine ! Même s'ils ne s'intéressent pas encore aux complots plus profonds du Ministère ou aux Créatures Magiques méconnues de notre monde, ils semblent sensibles au conflit actuel et ils veulent la vérité. C'est un premier pas !

Ses paroles étaient aberrantes. Et je n'arrivais pas à croire qu'il se soit mis à parler de la guerre dans son journal qui d'ordinaire est tellement loin de la réalité. Quel imbécile ! Il m'a tendu une lettre soigneusement pliée. Elle semblait mieux conservée que les premières notes. « Rentrez dans le rang ou votre délicieuse petite fille finira entre les crocs des loups ».

- Quand as-tu reçu ça ? me suis-je alarmée.

- Il y a une semaine.

Dans un élan venu du cœur, j'ai fais un pas en avant et je lui ai asséné une grande claque à l'arrière du crâne.

- ESPECE D'IDIOT !

La pleine lune c'était la semaine dernière, deux jours après la date de réception de la lettre. Il a risqué une attaque de lycanthrope sur sa maison et il n'a rien dit. Il est complètement inconscient ! Il a lâché une exclamation de douleur en se frottant le crâne.

- Quand est-ce que tu vas publier ton prochain journal ? ai-je demandé, dents serrées.

- Comme toujours milieu du mois.

- Je vais faire venir Bill Weasley pour établir une barrière de protection autours de chez toi. Je te conseille de ne pas continuer tes publications sur la guerre, tiens t-en aux complots habituels et aux créatures magiques.

- Les gens méritent de savoir. Je ne veux pas me cacher.

Il a toujours été à contre courant, mais aussi un froussard. Les conflits ne sont pas du tout sa tasse de thé. Les moqueries, le fait d'être dénigré, cela ne l'a jamais arrêté, mais il ne supporte pas la violence. C'est une des raisons pour lesquelles je n'ai jamais beaucoup été présente dans sa vie et celle de Luna après la mort d'Elena. Il voit en moi la violence incarnée et il n'a pas franchement tord. Il n'est pas adapté à la situation et il allait les faire tuer lui et Luna s'il continuait comme ça.

- Il faut installer un Fidelitas avant ta prochaine publication.

- Je ne veux pas me cacher, a-t-il répété. Mes lecteurs doivent pouvoir me trouver.

Je lui ai attrapé le col à deux mains pour le tirer à ma hauteur et je l'ai fixé droit dans les yeux avec tout le sérieux dont j'étais capable.

- Écoute-moi bien espèce de crétin. Si tu veux te faire tuer, ça te regarde, mais si tu mets la vie de Luna en danger, la personne dont tu devras le plus t'inquiéter c'est moi parce que je vais te faire la peau. Les lycanthropes ne trouveront plus rien à mâchouiller quand ils viendront, vu ?

- Papa ? Tata ?

Nous avons tourné la tête vers la porte où Luna venait de réapparaître, sans doute parce qu'on prenait trop de temps à la rejoindre à l'extérieur. Je me suis demandée ce qu'elle devait penser et j'ai crains ce qu'elle dirait quand elle a ouvert la bouche :

- On va être en retard pour l'école, a-t-elle dit.

Bénie soit cette gamine. Je n'avais pas envie de lui expliquer ce qu'il se passait. J'ai lâché le col de Xénophilus et je me suis détournée pour aller poser un bras sur les épaules de Luna.

- Tu as raison. On va laisser ton père réfléchir à ce que je lui ai dit.

En réalité, je ne lui laissais pas le choix. Nous avons transplané ensemble à Square Grimmaurd où elle a été ravie de retrouver tout le monde. J'ai vu Jonathan mais quand il m'a regardée, il a détourné le regard quasiment immédiatement et j'en ai donc déduis qu'il n'était pas encore prêt à me reparler. J'ai dû prendre sur moi pour me détourner et repartir. Heureusement, j'avais déjà d'autres choses en tête. Au Manoir, j'ai convoqué Bill Weasley :

- Il faudrait protéger la maison de Xenophilus. Est-ce que tu peux t'en charger ? Prends deux personnes des troupes d'Alastor si besoin.

- Je ne vais pas avoir le temps tout de suite : tu sais bien que les personnes en attente que je pose des sorts de protection chez elles sont nombreuses.

Je n'ai pas les détails, mais le bouche à oreille a fait des merveilles et Bill s'occupe de poser des barrières chez toutes les personnes qui le lui demandent. Après avoir soigneuseusement étudié le cas, cela dit : il ne faudrait pas qu'il tombe dans une embuscade, car mis à part moi et potentiellement Andreas il est le seul à avoir les connaissances suffisantes pour. Je suis contente de voir que je n'ai pas besoin d'être partout pour que des initiatives se développent et fonctionnent. Ca me soulage franchement.

- Ils risquent une attaque de lycanthrope à la prochaine pleine lune, fais une place dans ton planning, ai-je ordonné.

- Tu es au courant que mis à part un Fidelitas les barrières qui résistent à un assaut massif de loup-garous sont rares, longues et difficiles à poser ? Je suis briseur de sort à l'origine, je connais ces barrières mais je ne les ai jamais posées. Et sans Dumbledore nous n'avons plus personne d'assez puissant pour un Fidelitas.

Xéno a dit qu'il ne voulait pas d'un Fidelitas, mais je n'en avais rien à faire de son avis. Et j'avais ma petite idée de qui pourrait aider avec ce sort.

- Va à Square Grimmaurd et demande à mon petit frère s'il veut t'aider à poser un Fidelitas.

- Tu as un petit frère ? s'est intéressé Bill.

- D'adoption, oui. C'est Jonathan Levis, il est blond aux yeux bleus, tu ne pourras pas le confondre avec quelqu'un d'autre. Explique-lui la situation et demande-lui s'il veut t'aider. Il a l'air jeune, mais je t'assure qu'il est suffisamment puissant pour ça et je ne pense pas qu'il refusera même s'il ne me parle plus…

Le Weasley a hoché la tête et je lui ai rappelé le délai qu'il devait respecter pour que ma filleule et son idiot de paternel ne finissent pas en steak pour lycanthrope.

Ce n'était pas tout cela dit… Il y avait une probabilité non négligeable que les loups-garous de Greyback se pointent là-bas à la prochaine pleine lune si Xéno continuait ses publications. Savoir où ils seraient était une chance qu'on ne pouvait pas louper.

Je me suis levée pour marcher jusqu'à la fenêtre et regarder dehors, bras croisés. Est-ce le moment d'accepter l'aide de ma Meute ? De combattre le feu par le feu ? Si Greyback venait en personne, je ne pouvais pas louper une occasion de le tuer. Mais je ne pourrais pas y aller seule. Baissant le regard, j'ai joué un moment avec la magie rouge qui pulsait autours de ma main. Avec ça, je ne risquais pas grand-chose, mais si je pouvais résister à quelques lycanthropes, je ne pouvais pas me battre contre une meute. J'avais failli mourir en affrontant 3 loups-garous au Phare il n'y a pas si longtemps et je n'étais pas prête à retenter ma chance…

Il faut encore que j'y réfléchisse. Malgré ce que me dit Cooper, je pense qu'il ne se rend pas bien compte de ce que m'aider veut dire… Pouvais-je leur demander de se lancer là dedans ? Ils ne me doivent rien même s'ils pensent sans doute le contraire.

Jeudi 5 septembre 1996 : Manoir

Cet enfoiré de Rogue a pris son temps pour me répondre ! Et comme prévu le ton de sa lettre m'a fait disjoncter. Je suis sûre qu'il a intentionnellement été beaucoup plus ironique et insultant dans sa lettre qu'il ne l'aurait été avec une parfaite inconnue. Peut-être parce qu'il a compris les initiales que j'avais utilisées. Après… je pense qu'il n'aurait même pas pris le temps de répondre à quelqu'un qu'il ne connaissait pas. Mais quand même. Dire que mes questions démontraient « une ignorance crasse en matière de potion » et me conseiller « de changer de métier car visiblement vous n'avez pas les capacités de comprendre même les bases les plus essentielles à l'art délicat qu'est le brassage », c'est aller un peu loin. Je suis Maître des potions et mes questions étaient parfaitement intéressantes même si j'en connaissais déjà les réponses. Il a terminé sa lettre en répondant tout de même aux questions avant de dire qu'il avait des élèves à aller corriger et qu'il n'avait pas de temps à perdre avec quelqu'un comme moi.

Je vais garder la lettre et la lui faire bouffer la prochaine fois que je le croise. Il ne va pas comprendre ce qui lui arrive.

J'ai commencé par lui rédiger une réponse incendiaire, mais quand j'ai relu la lettre à tête reposée je me suis dit que ça vendrait un peu trop ma réelle identité. Peu de gens l'ont appelé « Servilus » dans sa vie et ça faisait un peu trop familier pour quelqu'un avec qui j'étais censée n'avoir échangé qu'une lettre. Mais il ne perd rien pour attendre ! Ca ne veut pas pour autant dire que j'ai écris une lettre en acceptant ses remontrances sans rien dire. Mon alias n'allait pas se laisser faire !

Je suis sûre que penser à ma réaction a dû illuminer la soirée de cet enfoiré.

Dimanche 8 septembre 1996 : manoir

En général, le dimanche tout tourne au ralenti ici comme si la guerre prenait aussi un jour de repos. Les aînés Weasley retournent au Terrier, quoique je n'ai pas vraiment vu Charlie dans le coin ces derniers temps. Andreas fait je ne sais quoi avec Lavrenti mais en général ils sont hors du Manoir. Alastor va inspecter ses troupes au Centre et les enfants font la grasse matinée.

Le dimanche, je prends toujours mon petit déjeuner dans la serre, ensoleillée à cette heure ci de la journée. Je m'assois et je contemple l'extérieur, jouissant du silence et du répit. J'essaie de ne pas penser à ce qu'il se passe dehors, et je fais un peu d'occlumancie mais sans trop me perdre dans mon esprit pour ne pas risquer de me faire surprendre. Je ne me sens comme dit pas vraiment en sécurité ici.

Le rosier continue à fleurir. Des fleurs couleur sang et j'essaie de ne pas penser que cette coloration vient de mon sang, dont je le nourris toujours quotidiennement. Auparavant jamais les fleurs n'avaient cette teinte. Jaune, blanc, rose… Jamais rouge. Sans doute parce que mon père ne le nourrissait pas. Quand je suis passée devant une poignée de branche épineuse, les fleurs ont semblé se plier pour effleurer ma peau. Parfois, il fait ça. Les elfes me disent que c'est parce qu'il me reconnait et aussi parce qu'il ne dirait pas non à plus de sang. Cette chose est vivante et elle me fait peur et me rassure à la fois. Je peux jauger de la puissance de la barrière qui protège le manoir d'un seul coup d'œil. Et elle est toujours puissante.

- Bien étranges fleurs que vous avez là Lady Entwhistle.

Mes poils se sont hérissés tandis que je me tournais vers la personne qui venait troubler le seul moment de paix que j'essaye de m'accorder dans la semaine.

Tom Jedusort était assis dans un des fauteuils autours de la table avec une tasse de thé fumante devant lui. Je l'ai fusillé du regard.

- Tu es bien matinal, ai-je dit en essayant d'insinuer de toutes mes forces qu'il devrait être ailleurs.

- Je n'ai guère de choses à faire de mes journées. J'ai découvert cette semaine que la serre est le meilleur endroit où se trouver au petit matin.

- Tu apprendras que le dimanche matin, tu n'as pas à t'y trouver.

- Je le garderais en tête pour les prochaines semaines.

Mais il n'a pas fait mine de bouger. J'ai joué avec l'idée de m'en aller, mais hors de question de le laisser me chasser par sa simple présence, puis je me suis demandée si j'allais lui ordonner de partir, avant de me rendre compte que ce serait aussi un aveu de faiblesse. Chaque fois que je le vois, je me dis qu'il serait mieux 6 pieds sous terre. Avec un pas mesuré, je suis allée m'asseoir de l'autre côté de la table et une théière est immédiatement apparue devant moi avec une tasse et des scones tous frais. Un de mes nouveaux elfes a une passion pour les scones et j'en ai des différents tous les jours. J'imagine que tant que je ne m'en lasse pas, ce n'est pas un souci. J'ai tâché d'ignorer le jeune Voldemort à ma table, mais ce n'était pas facile avec son regard qui pesait sur moi.

- Ce n'est guère poli de dévisager les gens, lui ai-je fait remarquer.

- Certes, mais la curiosité a toujours été un de mes défauts.

- Pas le pire malheureusement.

- Vous êtes toujours aussi directe ?

- Ca fait gagner du temps.

Nous nous sommes fixés en buvant une gorgée de thé et j'ai espéré qu'il n'ouvre plus la bouche... Mais moi qui ai toujours vu Voldemort comme quelqu'un de taciturne, j'ai été détrompée. En fait il semble adorer parler.

- Comment avez-vous eu cette cicatrice ?

D'un geste absent, j'ai fait courir mes doigts sur la marque qui me sillonne le visage. Avec le temps elle s'est atténuée, mais impossible de la manquer. Je l'ai depuis tellement de temps que je n'arrive même plus à m'imaginer sans. Ca a été la première d'une longue série.

- Quand j'étais encore élève lors de la première guerre un raid a été lancé sur Prés-au-Lard pour capturer les enfants de tes ennemis. Je m'en suis sortie, mais ça laisse des traces.

La mort de Greg. De tellement d'autres aussi. Des blessés, des traumatisés. La vengeance, la haine, le désespoir. Malgré les années, je n'avais pas oublié. D'autres jours de batailles contre les Mangemorts se sont peu à peu effacés, mais pas celui-ci.

- Je t'ai vu là-bas ce jour là. Tu as ordonné qu'on me tue. Les choses ne se sont pas passées comme prévues comme tu peux t'en douter.

- J'apprécie assez peu la manière que vous avez de m'attribuer des choses que je n'ai pas personnellement faites.

- Peu importe quelle moitié d'âme l'a fait. Si vos places avaient été échangées, le résultat aurait été le même.

- Je n'en suis pas si certain.

Ca m'a intriguée. Ce n'était pas la première fois qu'il insinuait que lui et l'autre moitié de son âme n'étaient pas pareilles. J'ai versé du thé dans ma tasse, mangé un morceau de scone. Que pouvait-il signifier par là ? Une demi-âme est une demi-âme. Quand on coupe une pomme en deux, les deux moitiés ont sensiblement le même goût, la même couleur, la même texture. Pourquoi serait-ce différent là ? J'avais lu les livres sur les Horcruxes que Dumby avait ramenés avec lui, apparemment retirés de la bibliothèque de Poudlard. Rien n'y était indiqué sur une potentielle disparité de deux morceaux d'une même âme.

- Explique-toi, ai-je ordonné, cédant finalement à la curiosité.

Peut-être que j'apprendrais quelque chose d'utile. Et que ça me plaise ou pas, c'est lui qui détient le plus d'information sur la magie noire et les Horcruxes. Il a semblé hésiter et j'ai haussé un sourcil.

- Tu n'arrêtes pas de dire que vous êtes différents. Je te donne l'occasion de me dire pourquoi et je ne suis pas sûre que tu en auras d'autre. Pourquoi hésiter ? Si ça peut te rassurer tu ne pourras pas empirer la situation : je pense de toute manière que tu serais mieux mort.

Il a terminé son thé, a joint ses mains, prit une inspiration avant de finalement reporter son attention sur moi. Il semblait nerveux et ça aussi c'était nouveau. Voldemort n'était pas nerveux. Il était tellement sûr de lui qu'il déclenchait des guerres pour son bon plaisir.

- Avez-vous des bases en magie noire ?

- Oui.

Il n'avait pas besoin de savoir que c'était Zilphya qui s'était assurée que ce soit le cas et je m'étais sentie incroyablement souillée après ces quelques heures de leçons. Je n'avais pas vraiment été volontaire pour apprendre, mais j'étais à peu près confiante sur le fait que j'en saurais assez pour comprendre. D'un geste de la main j'ai fermé la double porte vitrée de la serre pour nous isoler du reste du Manoir. Je ne voulais pas que notre conversation soit surprise par hasard même si je ne sentais personne aux alentours.

- Vous savez donc que la magie noire fonctionne basée sur le principe de sacrifice. Les Horcruxes nécessitent le sacrifice d'une vie pour créer une fissure dans l'âme, ce qui permet de la séparer en deux parts strictement égales.

- C'est contradictoire avec le fait que tu ne sois pas comme l'autre moitié de ton âme, non ?

- Pas vraiment. Il faut que les deux morceaux d'âmes soient égaux en quantité. Cela ne signifie pas nécessaire que ce qui est présent dans chaque moitié doit être la même chose.

J'ai croisé les bras, m'adossant au dossier de ma chaise tout en essayant d'intégrer ce qu'il venait de me dire. Il n'a cependant pas attendu que j'arrive seule aux conclusions. Il a levé ses mains devant lui pour les appliquer l'une contre l'autre.

- Quand on veut faire la moitié il est souvent plus aisé de simplement les séparer au milieu, a-t-il repris en écartant ses mains en deux poings de part et d'autre de son visage pour illustrer ses propos. Maintenant, admettons que j'échange mon index droit contre le gauche, les deux parties seront toujours égales sans plus être les mêmes qu'auparavant. Vrai ?

J'ai hoché la tête, comprenant ce qu'il voulait dire.

- Il faut maintenant s'intéresser au fait qu'une âme est infiniment plus complexe. C'est un enchevêtrement de centaines de milliers de… liens, de fils disons. A l'origine, nos âmes sont toutes identiques, mais à mesure que nous vivons, elles sont façonnées en ces milliers de fils qui font ce que nous sommes.

Il était bon professeur, ai-je réalisé tandis qu'il parlait. Concentré, clair et concis. Ce n'était pas la première fois que je disais ça, mais si je n'avais pas su qui il était jamais je ne l'aurais deviné.

- Quand un Horcruxe est fait, avec les méthodes connues, il n'est pas possible de diviser l'âme autrement qu'en deux moitiés égales en quantité. Cependant il est possible de décider ce qu'on met dans la moitié dont on se sépare… Quel fil on décide de couper. Le plus simple est de tout trancher en deux pour être… équilibré. Mais on peut aussi décider de transférer des fils entiers si on laisse un fil équivalent en retour dans l'autre moitié.

- Tu es en train de me dire que quand tu as créé ton premier Horcruxe tu as choisi de ne pas faire quelque chose d'équilibré ?

L'information m'a donné envie de l'attraper par le col et de le secouer comme un prunier. Le sombre imbécile ! Il a joué avec la magie la plus noire sur la chose que nous connaissons le moins -l'âme- et il est passé par-dessus le concept d'équilibre ?

- J'ai essayé de me débarrasser de ce que je jugeais être des faiblesses. Je dois aujourd'hui reconnaitre que le contexte dans lequel j'ai fait mon Horcruxe n'a peut-être pas été le plus propice à me faire prendre les bonnes décisions.

- C'est comme ça que tu reconnais tes erreurs ? ai-je hurlé en me redressant brutalement, mains sur la table.

Il a sursauté, ne s'attendant visiblement pas à mon éclat soudain. J'ai lâché un affreux juron avant de me mettre à faire des aller-retours dans la serre en me massant le crâne. Tom Jedusort, cet abominable idiot, avait créé un Horcruxe déséquilibré. Enfin… Il avait laissé en liberté un bout de son âme également déséquilibré. Déséquilibré. Ce mot caractérisait très bien le fait que le Voldemort d'aujourd'hui était fou. J'ai essayé de me calmer mais sans succès. Je suis donc retournée près de la table pour m'appuyer à nouveau dessus, bras tendus. Je n'étais pas capable de me rasseoir là. Il avait le visage impassible quand je l'ai à nouveau regardé mais nul doute qu'il avait suivi chacun de mes gestes et tiré des conclusions.

- Bien, maintenant parle et sans détour : de quelles faiblesses au juste t'es-tu débarrassées en créant le Journal ? Qu'est ce que tu as qu'il n'a pas et vice versa.

- La capacité d'aimer et la confiance contre de l'ambition, la ruse et deux ou trois autres choses.

- Ca ne semble pas être un échange équivalent.

- Parce que je me suis débarrassé de toute ma capacité à aimer et à faire confiance mais que j'ai jugé que le reste devait se trouver un peu des deux côtés. J'ai toujours de l'ambition, de la ruse ou du reste, seulement en plus petites proportions.

Cette fois je suis restée muette et j'en ai même béé de stupeur avant de me reprendre. Pas étonnant que l'autre soit cinglé. Pas étonnant que la partie devant moi me semble si différente. Mais il me restait un point à éclaircir.

- Tu ne parles pas d'amour, mais de capacité à aimer. Ce n'est pas exactement la même chose, non ?

- Oui : je serais curieux de savoir si mon autre moitié d'âme a été capable d'apprécier quoi que ce soit depuis qu'il a créé le journal. Est-ce qu'il est seulement capable d'aimer ce qu'il mange ?

Merlin tout puissant. Je ne prétends pas que Tom Jedusort ait été complètement sain d'esprit avec une âme complète : après tout il avait déjà cette envie de pouvoir, de reconnaissance et cette peur panique de la mort qui l'avait poussé à faire les Horcruxes. Mais il avait créé lui-même le psychopathe qu'il était devenu. Il avait joué avec des forces qui le dépassaient en ignorant des lois élémentaires de la magie et il n'y avait eu personne pour lui dire qu'il faisait une abominable erreur et lui expliquer pourquoi. Pas étonnant pour un enfant orphelin.

J'ai dévisagé le jeune homme qui se tenait là devant moi, moitié d'âme ou pas moitié d'âme. Et pour la première fois je n'ai pas vu Voldemort mais un adolescent à peine majeur, avec des peurs si prenantes qu'il avait commis des abominations et personne, personne, ne s'était jamais vraiment occupé de lui. Tom avec des parents aurait-il été ce que j'avais sous les yeux ? Si tout ce qu'il avait dit était vrai, il n'était pas destiné à ça. Il avait dû se construire seul, dans un orphelinat moldu, puis se défendre seul après avoir été envoyé à Serpentard où il avait possiblement été traité comme un Né-Moldu car il ne connaissait pas ses parents. Puis il avait dû aimer et faire confiance, car c'était ce qu'il avait dit non ? Il avait été faible d'aimer et il s'était débarrassé de cette faiblesse, sans doute après qu'on l'ait foulé aux pieds.

Nous avions créé Voldemort par la manière dont notre sorciété fonctionnait. Je n'étais de loin pas née quand il a vu le jour, mais je me sentais responsable de ce qui lui était arrivé. Combien d'autres personnes avaient été dans son cas ? Je n'oubliais pas qu'il y avait aussi quelque chose chez lui qui l'avait fait tourner comme ça, ça n'était pas seulement son environnement. Mais y avait-il eu un jour un moyen de corriger ça ? De l'empêcher ?

- Va dans ta chambre.

- Je vous demande pardon ?

- Va dans ta chambre et n'en sors pas tant que tu n'as pas compris combien ce que tu as fait est grave.

Il y a eu un instant de silence durant lequel il m'a regardée, interloqué.

- Vous êtes en train de me punir ? a-t-il finalement demandé, incertain.

- Et comment ! Dumbledore a toujours dit que tu étais intelligent mais tu as contourné une des règles principales de la magie : tout est toujours une question d'équilibre. Va y réfléchir et ne sors de ta chambre que quand tu auras vraiment compris qu'il ne faut jamais contourner ces règles là.

- Vous ne pouvez pas faire ça.

- Tom Jedusort, je te jure que si tu ne t'exécutes pas maintenant je vais te donner une fessée si puissante que tu ne pourras pas t'asseoir pendant les trois prochains jours ! ai-je menacé. Et après tu finiras quand même dans ta chambre de grés ou de force !

Nous nous sommes affrontés du regard et je l'ai vu se demander si j'oserais le faire ou s'il s'agissait d'une menace en l'air. Il a dû conclure que l'un ou l'autre, il n'avait pas intérêt à essayer parce qu'il n'avait pas de magie pour se défendre. Aussi dignement qu'il le pouvait après avoir été menacé de recevoir une fessée à son âge, il s'est levé, m'a saluée et a disparu de mon champ de vision. Dommage, j'aurais bien aimé le frapper.

Je ne me suis pas privée de jurer plusieurs fois encore. Ce qu'il m'avait raconté ne changeait rien au problème de fond, à savoir qu'il y avait un psychopathe là dehors décidé à tous nous exterminer. Mais Merlin, ça changeait tellement de chose à l'histoire que je croyais connaitre.


A suivre...