Ce qu'il y avait d'indéniablement positif à un père ingénieur qui ne voulait pas que les sautes d'humeur de son rejeton magicien fassent exploser les éléments électroniques de la maison, c'était qu'il trouverait moyen d'intégrer un bouclier anti-impulsion électromagnétique dans le portable et la tablette de son cercle proche. Si bien qu'en dépit de se trouver en plein cœur d'un territoire saturé de magie, Jon n'avait aucun problème pour ce qui était de sortir son StarkPad et regarder un des innombrables nanars enregistrés dessus.

En l'occurrence, il avait choisi Sgt. Kabukiman N.Y.P.D. parce qu'en matière de crétinisme à se rouler par terre, c'était presque impossible de trouver pire (ou mieux, ça dépendait des critères selon lesquels on jugeait l'œuvre) qu'un lamentable flic new-yorkais obligé de porter un costume kabuki pour combattre le Mal à coups de sushi et de baguettes pour manger. Quoique Troll 2 se défendait bien, et ne parlons même pas de tout ce qui avait été tourné par Ed Wood, lequel méritait incontestablement la couronne de plus mauvais réalisateur de tous les temps.

L'adolescent de fraîche date – douze ans, maintenant, même si les gens qui le rencontraient pour la première fois croyaient sans faille qu'il n'en avait que sept ou huit, vivement la poussée de croissance parce qu'il n'en pouvait plus d'être mignon, c'était juste un synonyme politiquement correct pour nabot – était conscient que personne au sein de sa famille ne comprenait son engouement pour les films nuls. En fait, il parierait toute sa collection One Piece que c'était le seul sujet sur lequel son père et son grand-père avaient été d'accord depuis le début.

Comment leur faire comprendre la pure expérience surréaliste que constituait le visionnage d'un film tout bêtement irrécupérable ? La sidération abjecte qui envahissait immanquablement le spectateur devant tant de mauvais goût, de maladresse et de médiocrité ? Ça sombrait si loin dans l'affligeant que ça ressortait de l'autre côté pour en devenir de la pure comédie.

Pour cette même raison, Jon éprouvait un faible pour l'art soi-disant moderne et contemporain. Sauf que l'art moderne venait en plus avec des critiques qui s'efforçaient piteusement de trouver une signification quelconque à l'œuvre, rendant la chose encore plus ridicule.

Quand il aurait sa maison à lui, il la remplirait avec les tableaux et les sculptures les plus immondes qu'il pourrait trouver, et il se plierait en deux chaque fois qu'il organiserait une réception et que ses invités se creuseraient désespérément la cervelle pour trouver un mot poli à lui jeter en pâture malgré leur consternation devant ses goûts affligeants.

Lorsqu'il avait fait part de cette ambition à Nonna, elle avait ri et déclaré qu'il tenait décidément d'elle, pour chercher à embabouiner le commun des mortels de la sorte. Et elle lui avait raconté que lorsqu'elle et son mari sortaient le soir, elle adorait insinuer que les femmes avec qui Howard se faisait une joie de flirter – parce que le mariage ne l'avait pas rendu aveugle, seulement fidèle envers Maria – finiraient dans son lit à elle plutôt qu'à lui, parce que la bonne société des années 60 et 70 ne pouvait pas imaginer la possibilité de relations homosexuelles sans que les esprits les plus étriqués n'en fassent une rupture d'anévrisme, et Howard avait été tellement riche que personne ne pouvait se permettre de le snober à cause de sa conduite ou celle de sa femme, ce qui laissait tous ces bien-pensants se tortiller de gêne et d'horreur en face de leur excentricité.

Quand Tony parlait de son père, c'était toujours bref et cinglant, son ton froid indiquant clairement qu'il ne tenait pas le bougre en haute estime. Quand Nonna parlait de son mari, c'était détaillé et tendre, les larmes menaçant de couler sur ses joues indiquant clairement que l'homme lui manquait vraiment beaucoup.

Apparemment, Howard Stark avait trouvé plus facile d'endosser le rôle du mari que le rôle du père. Ou peut-être que draguer tant de femmes l'avait mieux préparé à un poste qu'à l'autre.

Jon ne pouvait pas s'empêcher de comparer Howard et Tony : deux cavaleurs éhontés, pétris de bonnes intentions au départ mais qui se plantaient en beauté dès qu'il leur fallait élever leur fils. La différence, c'était que Howard était mort sans jamais parvenir à faire amende honorable envers Tony.

Jon – il voulait pardonner à Tony, mais l'ingénieur ne lui facilitait pas la tâche. Pas alors qu'il ne se contentait plus de foncer tête baissée dans les ennuis, non, il avait décidé de provoquer délibérément le danger, sans se soucier des risques pour tante Pepper, pour Rhodey et Happy, pour Jon et Nonna et Tilly. D'accord, les deux dernières savaient parfaitement se débrouiller toutes seules, mais ce n'était pas une raison pour les offrir comme cibles à un détraqué !

Et maintenant, Tony était porté disparu, potentiellement mort, tout comme il avait été porté disparu, présumé mort au cours de son congé afghan. À l'époque, ça avait été pour le neuvième anniversaire de Jon, à présent c'était pour Noël, mais le temps n'avait pas changé l'appréciation du jeune adolescent pour le cadeau – qui était irrémédiablement pourri.

Jon ne voulait pas d'un cadavre en guise de père. Pourquoi Tony refusait-il de comprendre cela ? Fallait-il que le jeune garçon l'attache à un fauteuil et le lui gueule dans les oreilles à l'aide d'un mégaphone ? Parce qu'il commençait sérieusement à trouver l'idée tentante, et il avait la conviction que tante Pepper lui fournirait les chaînes s'il demandait poliment.

Et après, son père se demandait pourquoi Jon avait une telle passion pour les nanars. Au moins quand il était occupé à hurler de rire devant la bêtise des scénarios ou s'étouffer d'incrédulité devant les erreurs techniques, il oubliait de broyer du noir parce que sa relation avec l'homme ayant fourni la moitié de son matériel génétique prenait l'eau de toutes parts.

Olivia semblait comprendre ça, peut-être parce qu'elle évoluait dans le milieu hollywoodien – là-bas, un acteur ou scénariste qui s'abstenait de boire ou de se droguer ou de coucher avec n'importe qui ou faire quoi que ce soit pour échapper à la déprime écrasante que lui procurait l'existence n'apparaissait qu'une fois tous les trente-six du mois. Sauf qu'elle semblait plus orientée comédies romantiques, et Jon ne savait pas si elle penchait de ce côté-là parce qu'elle était une fille ou parce qu'elle était plus tourmentée par ses hormones que lui.

Une question qu'il ne lui poserait jamais, parce que ça serait impossible de demander ça sans passer pour un goujat misogyne, tant pis s'il était le meilleur ami gay de service parce qu'elle lui défoncerait les rotules à coups de batte de baseball – et elle l'obligerait à acheter la batte, parce qu'elle ne jouait pas au baseball. Et il le ferait joyeusement, parce que tante Pepper l'écorcherait dans le cas contraire.

Jon se demandait à quoi ressemblait le réveillon fêté par Olivia. Probablement pétant de couleurs et passé en maillot de bain au bord de la piscine. C'était sûr qu'elle avait ses parents, au lieu d'angoisser à la perspective qu'ils se soient fait assassiner par un terroriste et d'avoir à coucher à l'hôtel parce que la maison avait été démolie par une bombe.

À la place, le garçon n'avait que la consolation de savoir que Tilly ressusciterait personnellement Tony pour lui botter le derrière vigoureusement s'il avait l'audace de se faire zigouiller alors que les Stark étaient sensés passer leur premier réveillon ensemble. Elle prétendait que jamais elle n'essaierait, apparemment la vraie nécromancie était défendue, mais Tilly était la fille d'un dieu qui n'écoutait jamais les règles des autres, alors permettez à Jon d'exprimer des doutes.

Mais dans l'intervalle, il ne pouvait rien faire d'autre qu'attendre en regardant des films nuls pour oublier le frisson de crainte niché dans son estomac.