Titre : A toi ma Sumida

Chapitre 6

Rating : pg-13

Remarques : Je le mets là au cas où cela n'aurait pas été clair dans l'histoire. Dans les chapitres 4 et 5, les deux parties décrites en sont une seule, vue la première fois par Isumi et la deuxième par Ogata. Isumi n'a battu Toya qu'une seule fois. Merci à Piyoko, yuki-chan, lily.jay et la souris pour les reviews. A la souris, je vais modifier le chap 4 dès que j'aurais le temps, promis.

0 0 0 0 0 0 0

« Ca c'est une victoire ! » hurla Morishita, « Isumi ! Quitte les neuf étoiles et rejoint notre groupe ! »

« Quoi ? Mais je... je ne peux pas. Narusawa-sensei »

« Au diable Narusawa ! » coupa le 9ème dan, « Quelqu'un qui peut battre Akira Toya n'a sa place que chez moi ! »

Cela faisait un quart d'heure que ça durait : un Morishita survolté gueulait à faire s'écrouler la Nihon-Ki-In, exprimant ainsi son extase quant à la défaite du fils prodige de Koyo Toya. Waya soutenait fermement son maître et Hikaru avait renoncé à les faire taire, malgré sa désapprobation de la plupart des commentaires.

Isumi, quant à lui, se demandait sérieusement s'il n'aurait pas mieux fait de rester couché.

Sa journée avait commencé à cinq heures du matin, lorsque la sonnerie du téléphone l'avait tiré de son sommeil au beau milieu de sa partie pédagogique. Affront suprême ! Surtout qu'il s'agissait d'un faux numéro. Il avait ensuite essayé de se rendormir et y était difficilement parvenu aux alentours de sept heures. Sa partie heureusement terminée, le réveil qu'il avait malencontreusement oublié d'éteindre la veille avait sonné à sept heures trente. Autant dire qu'il avait récupéré tout le sommeil qu'il lui manquait... Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, il avait passé une demi-heure sous une douche bien chaude, s'était habillé et parti pour le département de go.

Il avait l'intention d'attraper en vitesse les derniers kifus d'Ogata et d'aller tranquillement les étudier dans un petit parc tranquille, profiter du soleil, si rare ces derniers temps. Destinée lui en voulait particulièrement ce jour-là : qu'est-ce que Kuwabara venait foutre à la Nihon-Ki-In à neuf heures moins le quart ?

« Hé bien, Isumi-kun ! C'était une partie absolument superbe que tu nous as joué hier ! » Le vieux avait enfin l'air d'avoir digéré sa défaite contre Ogata. Pourquoi pile ce jour-là ? Allez savoir

« Tu as bien le temps de me faire une petite partie pédagogique ? Je dois commencer à rouiller et une partie contre l'étoile montante qu'est Isumi Shinishiro pourrait huiler un peu tout ça. »

A moitié endormi et complètement crevé, il n'eut pas la force de refuser et se vit traîner jusqu'à un club de go, style plutôt louche. Le genre d'endroit qu'il ne fréquentait jamais sans bonne compagnie, ce qui n'était assurément pas le cas dans cette situation précise.

« Veux-tu boire quelque chose ? » proposa Kuwabara avec un grand sourire... enfin sourire... Isumi hésitait entre les adjectifs sardonique et sadique.

'Non, je veux retourner chercher les kifus et aller dormir.' Qu'est-ce qu'il avait mal à la tête, c'était effroyable. Heureusement que le club était vide à cette heure-là de la matinée ou il n'aurait pas survécu. « Un jus de fruit si c'est possible, merci, » décida-t-il enfin.

« Alors cette partie... Combien dois-je placer de pierres ? » demanda le vieux en ricanant.

Isumi se sentit rougir, 'Combien de pierres ? Qu'est-ce que j'en sais ? Il n'y a que moi pour me retrouver dans des situations pareilles' « Ca... Ca devrait aller sans » Il avait déjà son mal au crâne, pas la peine de se rajouter des handicaps.

Il regarda Kuwabara qui ne le quittait pas des yeux, 'Pourquoi me regarde-t-il comme ça ? J'ai quelque chose sur le visage ? Pourquoi a-t-il choisi justement aujourd'hui pour demander cette partie ?'

Isumi sentait remonter ses sentiments de la veille, durant sa partie avec Toya, 'Et puis il m'énerve lui avec ses commentaires déplacés ! Tu veux une partie pédagogique ? Hé bien tu vas l'avoir ! Je t'ai déjà battu une fois, je peux recommencer !'

Son regard se durcit et il fixa les yeux de l'homme, « Vous commencez, pas de komi. »

Kuwabara ne parut pas déstabilisé, au contraire, il sourit à nouveau.

« C'est amusant, » dit-il en plaçant la première pierre, « C'est la première fois que je t'affronte depuis que tu es devenu pro. Tu as beaucoup progressé depuis. »

« C'est ce que tout le monde dit, en effet, » répondit-il en plaçant une étoile blanche. Blanc†Durant toutes leurs récentes parties, c'était toujours sa Lune qui avait eu les blancs. Il avait d'ailleurs put remarquer que la Sumida était plus efficace lorsque l'adversaire commençait.

« Pourquoi ? Tu n'y crois pas ? Pourtant ta victoire d'hier le prouve. »

« Ce n'était qu'une victoire, cela ne veut rien dire. »

Kuwabara rit sourdement, « Toujours aussi modeste, à ce que je vois. »

Le dialogue s'était arrêté là. En fin de compte, la partie s'était déroulée sans incident, il avait gagné de trois mokus mais comme Kuwabara n'avait pas joué très sérieusement, cela ne comptait pas vraiment. Son mal de tête s'était lui aussi un peu amélioré. Tout allait pour le mieux. Enfin... Jusqu'à ce qu'il demande bêtement :

« Pourquoi avoir demandé cette partie ? »

Kuwabara le regarda, termina de ranger ses pierres et se décida à répondre, « Pour te parler. »

« Ha... Ah bon ? Mais pourquoi la partie alors ? » Qu'est-ce que le vieux trafiquait encore ?

« C'est toujours mieux de discuter après une petite partie de go. Surtout que la conversation va tourner autour. »

Isumi attendait la suite, appréhensif. Kuwabara avait quitté ses sourires et un air très sérieux tordait les rides de son visage. Cela ne lui allait pas du tout. Après réflexion, Shinishiro préférait nettement le côté blagueur du vieux, même s'il était un peu pervers.

« Que sais-tu d'Ogata ? »

Isumi blanchit. Quoi ? Qu'est-ce que c'était que cette question ? Il avait remarqué quelque chose ? Cela se voyait tant que ça ? « Je... Je ne sais pas. Pas grand chose. Qu'est-ce que vous voulez dire ? » Bafouilla-t-il.

Le vieux grogna « Hum. C'est bien ce que je pensais. »

Le jeune était à présent plus pâle qu'un fantôme. Bien ce qu'il pensait ? Qu'est-ce qu'il pensait ? Plutôt, que savait-il ? Il n'avait pas l'intention d'aller le répéter, n'est-ce pas ? La clochette de la porte retentit et sa respiration s'arrêta d'un coup. Dans un cauchemar, il vit un homme s'approcher de leur table et parler avec Kuwabara. Ses oreilles captèrent soudain le nom d'Ogata dans la conversation et il revint à la réalité. L'homme le regardait fixement et dit simplement « Oui, il serait bien son genre » avant d'aller s'asseoir au fond de la salle.

Qu'est-ce que cela voulait dire encore ? Il aurait bien aimé que l'on réponde à toutes ses questions, si seulement il avait osé les poser à voix haute. Il observa l'homme qui était à présent penché sur un goban. Il paraissait à peine vingt-cinq ans mais pouvait en avoir plus, étant donné le style chic de ses vêtements. Sûrement un cadre ou quelque chose dans ce genre. Etrange que quelqu'un comme lui vienne jouer à une heure pareille dans ce club plus que tendancieux... Oh... D'accord... Pourtant il n'avait pas l'air gay du tout, plutôt le genre d'homme qui faisait se retourner les femmes dans la rue. Quoique Ogata était un peu pareil. Au fait, quelle heure était-il ? Il jeta un coup d'œil discret à la pendule au dessus de la porte. Onze heures trente. Rabaissant son regard, il se rendit compte qu'il n'avait pas été discret du tout, pour la simple et bonne raison que Kuwabara ne l'avait pas quitté des yeux. Isumi avait envie de s'en aller mais hésitait ; s'il partait, il ne saurait jamais pourquoi

« Tu veux savoir ce que je disais sur Ogata, n'est-ce pas ? »

Là, ça sentait clairement le coup bien monté. A plein nez, même ; mais il voulait savoir. Maudite curiosité, toujours là quand il ne fallait pas. Il rougit et hocha la tête.

Le pourpre de ses joues contrastait avec la blancheur de son visage. Décidément, Ogata avait bon goût, trop bon goût, cela devenait agaçant.

« Je disais que tu étais le prochain sur sa liste. »

« Quoi ? ! Quelle liste ? »

Kuwabara le regarda les yeux grands ouverts et éclata de rire, ce qui fit se retourner l'homme du fond. Isumi se sentit ridicule et s'enfonça sur sa chaise.

« Ah Isumi-kun » hoqueta le vieux en se calmant, « Tu es si... candide. »

Là, le vieux allait trop loin ! Il y avait une différence entre accepter des commentaires déplacés et se laisser rabaisser. Il enfonça ses ongles dans la table : cela ne servirait à rien d'insulter Kuwabara, au contraire.

« Si vous étiez plus clair » Commença-t-il, passablement énervé.

« Ce qu'il essaie de te dire, » coupa l'homme qui les regardait à présent, « C'est qu'Ogata est plutôt du genre à te mettre dans son lit et ne plus jamais t'adresser la parole par la suite. »

Hein ? Mais qu'est-ce qu'il venait raconter, lui ? Et de quoi il se mêlait ?

« Qu'est-ce que vous pourriez en savoir ? »

L'homme sourit doucement, « Je l'ai rencontré le mois dernier dans un bar gay. Nous avons passé une nuit ensemble. »

Choc.

« Isumi-kun, je voulais »

'Je ne veux pas l'entendre ! Quoiqu'il dise, je ne veux pas l'entendre !' « Je n'ai pas à discuter ma vie privée avec vous ! » Justement le truc à ne pas dire : maintenant, leurs assertions se prouvaient véritables... Il attrapa brusquement son blouson et son sac, manquant de renverser la chaise et sortit en courant.

0 0 0 0 0 0 0 0

Les eaux, touchables et cependant impalpables. Tout ça pour finalement se retrouver là. Il longeait le fleuve, parcourant le même chemin que six mois auparavant. Si Waya le voyait, il lui en voudrait sûrement d'y être retourné.

'Il avait vraiment l'air de penser que j'avais voulu me suicider'

Tout de même, malgré qu'il lui arrivât d'être impulsif, il n'était pas assez stupide pour sauter délibérément ; quoique la fois précédente, ce n'était pas délibéré non plus, mais c'était arrivé. Cette fois-ci, le Soleil et non la Lune causait les reflets des ondes. Verrait-il le goban ? Y aurait-il quelqu'un d'autre à la place de sa Lune ? Cette nuit, pour la première fois en une demi année d'entraînement, il avait poussé la Sumida jusqu'à la fin d'une partie. Et il avait compris le secret, pourquoi les coups semblaient si neutres. En y repensant, cela n'avait rien d'incroyable, une simple technique pédagogique mais qui avait été transposée sur des parties réelles. Un dispositif ingénieux.

S'il l'avait utilisé contre Kuwabara, cela l'aurait-il fait taire ? Hum. Sûrement pas. Quand même, quel abruti il avait été : Ogata n'était pas asexué ; bien sûr qu'il fichait quelqu'un dans son lit. Non, en fait, il n'avait simplement jamais envisagé la possibilité qu'Ogata puisse vraiment être gay. Il pensait qu'il avait une copine, plusieurs peut-être, peu importe, cela restait des femmes. Dans ses rêves, il était le seul homme dans la vie du blond, les autres restaient de simples connaissances. Cependant, s'il était un habitué des bars gays, il avait dû en rencontrer du monde. Non ! Kuwabara mentait ! Ogata n'avait jamais croisé cet homme, tout cela était un coup monté pour se venger de sa défaite ! D'abord, que serait-il venu faire seul dans le club, sinon préparer un mauvais coup avec l'ex-Honinbo ? Oui, c'était ça et point à la ligne !

Le parc Amarikyu. Il était arrivé. Isumi observa un instant l'affairement sur l'autre rive, hésitant. Prenant son courage à deux mains, il s'avança et plongea les yeux dans le fleuve, pour se reculer aussitôt, les mains sur le crâne, se retenant de hurler de douleur. Son visage se contortionnait sous la souffrance ; il pressait des doigts, enfonçait ses ongles dans sa peau, espérant distraire son esprit de l'afflux nerveux trop intense. Il sentit une main sur son épaule et tout s'arrêta.

Le néant l'enveloppait de sa douce torpeur, allégeant sa douleur. Où se trouvait-il ? Il fit un pas en avant, découvrant de l'eau sous ses pieds nus. 'Où sont passées mes chaussures ? On dirait la première salle de go de mes rêves... sauf que je n'y vois rien et qu'il n'y a pas trace de goban.'

Le courant frappait ses chevilles avec force, lui intimant d'avancer. Dans ce genre de cas, il était plutôt enclin à préférer l'immobilité mais cela ne lui apporterait rien de rester ici. 'Bon ben, va pour l'aval.' Non ! Tout cela était trop facile ! S'il descendait le fleuve, il rencontrerait l'océan, et après ? Au loin, en amont, il entendait de l'eau couler, une sorte de cascade probablement. Suivant son instinct, il tourna résolument les talons et se mit en route, remontant le courant, d'abord par petits pas puis, se forçant un peu –de toutes manières, il n'y avait rien- à grandes enjambées.

Depuis combien de temps marchait-il ? Tout cela ne lui plaisait pas, cela ressemblait trop à sa toute première aventure au pays de l'esprit. Qui savait ? Son corps était peut-être en train d'être transporté à l'hôpital, après avoir été repêché une nouvelle fois dans le fleuve ; si Waya apprenait qu'il était retourné au Sumida, il ne lui pardonnerait jamais. Cela ne devait pas arriver ! Il allait se réveiller avant que quoi que ce soit de grave puisse se produire ! Et il doubla de vitesse. Le grondement était maintenant tout prêt et des gouttelettes lui frappèrent le visage, signe qu'il avait en effet atteint une chute d'eau.

Il tourna soudain la tête. N'étaient-ce pas des voix qu'il venait d'entendre ? Non, il devait confondre... Il tendit l'oreille. Si, il percevait bien des bribes de conversation au travers du brouhaha des eaux. Il avança quelques pas de plus, perçut des rires et une voix de femme.

« Tout de même, sensei... Effectuer un tel voyage, vous ne ménagez pas votre santé »

Voix d'homme âgé, « Ose me dire que ce petit bijou de technique n'en valait pas la peine ! »

Silence puis nouveaux rires.

« Dans quelques jours commence ce tournoi dont je t'avais parlé, » reprit l'homme, « Et dans moins d'un mois, j'aurai affronté ce japonais qui fait couler tellement d'encre : Toya Koyo. Il paraît en plus qu'il a un élève, un jeune prodige du nom d'Ogata. Ah ! J'ai hâte de voir ce qu'il vaut réellement, peut-être même testerai-je mon bijou sur lui. Qu'en penses-tu ? »

Les voix s'éloignèrent et Isumi ne perçut pas la réponse. 'Qu'est-ce que cela voulait dire ? -J'aurai affronté ce japonais-... Cet homme ne l'était-il pas lui-même ? Quoiqu'en y repensant, il y avait peut-être un léger accent dans sa voix, coréen ou du même genre. La technique dont il parlait serait-elle la Sumida ? Cela expliquerait pourquoi une telle conversation a lieu ici, au milieu de nulle part. Et Ogata ? Il y a longtemps qu'il n'est plus considéré comme -jeune prodige-, remplacé par Akira. Je serais dans le passé ? Hum. Le plus simple serait de suivre les voix et trouver d'autres informations.'

Il avança résolument avec la ferme intention de traverser la cascade, et posa le pied dans le vide. Entraîné par son propre élan, son corps entier suivit.

0 0 0 0 0 0

« Vous vous sentez bien ? »

Isumi leva les yeux vers une femme d'âge moyen dont la main était posée sur son épaule. « Je... Je crois oui. Merci. »

La femme lui sembla sceptique mais sourit et s'en alla.

'Que m'est-il encore arrivé ? J'étais en train de tomber juste à l'instant. Ah oui, c'était un rêve. Pas de coma cette fois ? Je n'ai pas l'air d'avoir sauté à l'eau non plus,' pensa-t-il en inspectant ses vêtements secs. Ses chaussures aussi étaient bien là. 'Je m'améliore. En plus mon mal de crâne est parti,' s'ajouta-t-il à lui-même en se touchant la tête. 'J'ai de la chance finalement. Quelle heure est-il ?' Il regarda son poignet, 'Quatre heures... Quatre heures ?!! J'ai marché tout ce temps ? Pas croyable ! C'est vrai que j'ai faim... Bon, Nihon-Ki-In et kifus puis parc et déjeuner ; et si je re-croise Kuwabara, il peut aller au diable.'

Il se dirigea vers le métro (il y a des métros à Tokyo ?), en ressortit une demi-heure plus tard et pénétra dans le département de go.

« Shin-chan ! »

'Ah ! Cette voix, ça ne peut être que Waya.' Il se retourna avec n sourire et découvrit son ami accompagné d'Hikaru.

« Bonjour. Que faites-vous ici ? Vous n'avez pourtant pas de parties. »

« Voyons Shin ! On est jeudi, c'est groupe d'étude aujourd'hui, » rappela Waya, « A ce propos... Hum... Enfin... Tu voudrais pas venir ? »

Shinishiro dévisagea le garçon aux yeux suppliants et démesurés, « Pourquoi ? Il y a quelque chose de spécial ? »

Hikaru vint en renfort du 2ème dan, « Il a foiré sa dernière partie. Si tu viens, ça lui sauve la mise avec Morishita, » expliqua-t-il, un énorme sourire aux lèvres.

« Pas la peine de te marrer ! » siffla Waya, « T'as aussi mal joué que moi ! »

« Oui, mais moi j'ai gagné ! »

« Et gnagnagna... Allez Shin-chan, s'te plaît ! »

Oh, après tout, cela le distrairait aussi bien que le parc. De plus, il devait bien ça à Waya, au moins pour le secret que celui-ci lui gardait depuis des mois.

« J'ai le temps d'aller déjeuner ? »

Les yeux du garçon s'illuminèrent et il se jeta à son cou, « T'acceptes ? T'es trop sympa ! Merci merci merci ! Bien sûr que tu peux déjeuner, c'est dans une heure... T'as pas encore déjeuné ? Mais qu'est-ce que t'as foutu c'matin ? Je croyais que tu venais d'chez toi. »

Isumi commença de s'éloigner, suivi des deux jeunes, en direction du plus proche Mc Do. « Non. Je suis venu ce matin et j'ai croisé Kuwabara qui voulait jouer. On a fait une partie et »

« Quand même, » interrompit Hikaru, « Il aurait pu te laisser déjeuner au milieu. »

« La partie s'est terminée avant midi, » clarifia tout de suite Isumi, ne voulant pas que le malentendu se propage, « Je suis allé me promener après et je n'ai pas vu le temps passer. »

Shindo sembla accepter l'explication mais Waya fronça les sourcils. Shinishiro le regarda fixement, indiquant que la version complète devrait attendre.

Il déjeuna et ils goûtèrent, tout en discutant des sorties de mangas du mois. Lorsqu'ils eurent finis, ils retournèrent à la Nihon-Ki-In et Isumi passa enfin chercher ces kifus qui lui avaient causés tant de mésaventures.

« Tu étudies les parties d'Ogata ? » s'étonna Hikaru.

Shinishiro resta un instant sans répondre. « Oui, » déclara-t-il enfin, « J'étudie le style du groupe d'étude du meijin, enfin... de Toya je veux dire, j'oublie toujours qu'il n'est plus meijin »

« Ah ! C'est comme ca que tu as pu battre Ak... Toya ?! » Se reprit le blond.

Le regard furieux de Waya lui fit face : « Qu'est-ce que tu allais dire ?!! »

« Rien, rien... C'est juste pour éviter de les mélanger... Maintenant que son père n'est plus meijin et tout et tout... hé hé » Balbutia Hikaru, de grosses gouttes de sueur coulant le long de sa nuque.

« Ouais, y'a intérêt. » 'Manquerait plus que Shin appelle Ogata Seiji et Morishita s'adresse au meijin par son prénom. Tous une bande de cinglés, tiens. J'suis prêt à parier qu'en fait Hikaru fricote avec Toya derrière notre dos. A cette vitesse là, j'vais finir avec Ashiwara. Non, il serait plutôt de l'âge de Saeki. Ah ! Visions atroces ! Sortez de ma tête !'

Isumi et Shindo regardaient sans comprendre leur ami gesticuler puis s'écraser la tête contre un mur.

« Waya ! »

Ah ! Cette voix aussi était aisément reconnaissable.

« Sensei ? »

« Si c'est des coups que tu veux, je peux t'en donner ! C'est quoi cette horreur que tu oses appeler une partie ?! »

« Saa... Oui, je sais, j'ai mal joué mais regardez qui est là ! » Il désigna Isumi du doigt.

Morishita tourna vaguement la tête et revint immédiatement à Waya, « C'est pas une excuse ! Tu » Puis son esprit parut enregistrer la scène, « Isumi-kun ! Quelle bonne surprise ! Entrez, entrez, nous allons revoir cette superbe partie que tu nous as jouée hier. »

Waya fit un clin d'œil complice à Shinishiro et Hikaru alors qu'ils suivaient leur maître dans la salle d'entraînement des inseis, rapidement rejoints par les autres élèves du groupe d'étude. Et voilà où il en était.

Lorsque Morishita eut enfin terminé son discours anti-Toya, ils reprirent la partie de la veille et jusqu'à la fin, le regard d'Isumi enrubanna le goban de surprise,

'C'est moi qui ait joué ça ? Ah oui, c'est vrai, je me souviens. Bon sang, quelle horreur ! Comment peut-il complimenter un jeu pareil ? Si on m'avait dit que je pouvais être aussi bourrin... Et les défenses ? Ce n'est plus une partie, c'est un massacre ! Si Yang Hai voyait ça, il ferait une crise cardiaque : lui qui me reprochait toujours de jouer trop prudemment... Enfin, je suppose qu'il serait moins laxiste sur le jeu si mon adversaire n'avait pas été Akira Toya.'

Heureusement, avant que Morishita ait pu lui demander la raison de son air sceptique, qu'il laisse échapper une parole de trop et se fasse passer par la fenêtre, Shirakawa, prenant pitié du petit Isumi prostré au sol, changea de sujet : « Et si vous vous prépariez pour vos parties de la semaine prochaine ? »

Le coup d'air frais fut accepté par tous et le cours se termina sans autre éclat.

En sortant, Waya laissa Isumi et Shindo en tête-à-tête pendant qu'il satisfaisait un besoin pressant. La nuit était tombée et le froid revenu. A part eux, le hall d'entrée était désert. Ils piétinaient sur place pour se réchauffer et Hikaru trifouilla dans sa poche, en sortant un malabar qui visita directement sa bouche.

« Shin-chan ? »

L'interpellé sourit, mais ses lèvres restèrent crispées à l'air sérieux du blond.

« Cette partie... c'est vraiment toi qui l'as jouée ? Je ne dis pas que tu es mauvais ! Au contraire ! » se défendit-il, « Je me demandais juste »

Isumi entendit le silence s'installer une fois de plus. Décidément, les surprises n'arrêtaient pas aujourd'hui. Depuis qu'il avait cet esprit dans la tête, Waya et lui-même se posaient des questions sur Hikaru et sa relation avec Saï. Si Shindo avait eu recours, ou plutôt subi le même procédé d'apprentissage, cela pouvait expliquer sa très rapide ascension, mais pas ces quelques parties magnifiques qu'il avait joué. De plus, Saï avait été vu sur Internet et il n'était définitivement pas Hikaru. Cependant, comme l'avait dit Waya, l'influence du dieu du go se sentait dans son jeu. Peut-être... peut-être Shindo avait-il laissé son maître posséder son esprit le temps de quelques parties ? Non, c'était ridicule... et pourtant

« Hier, je ne me sentais pas très bien et j'ai un peu... déraillé, disons ; mais c'était définitivement moi. »

Le garçon approuva de la tête et Isumi se demanda s'il avait plus l'air soulagé ou déçu.

« Par contre, j'ai moi aussi une question, » continua-t-il. Hikaru le regarda étonné et légèrement inquiet.

« Saï... Il est dans ton esprit ? »

Les yeux et la bouche de Shindo s'ouvrirent en grand, « Non ! Pourquoi ? Qu'est-ce que... Ca va pas ! » Bégaya-t-il.

A l'air effaré de son jeune amis, Shinishiro se confondit en excuses et voulut détourner la conversation, « Et sinon, comment va Akira ? » Comme il reçut pour la deuxième fois en trente secondes un regard abassourdi, il sut immédiatement que cette question-là n'était pas une bonne idée non plus.

« Pourquoi est-ce que je saurais ? » attaqua violemment Hikaru.

'Comment ça... Si quelqu'un doit savoir, c'est bien lui : ils n'arrêtent pas de jouer ensemble ; même hier, après la partie, ils ont partis ensemble je crois... non... c'est mon esprit qui tourne à la perversité, j'imagine n'importe quoi' Il ne répondait pas et continuait de fixer Shindo, 'C'est moi ou il est rouge ? Impossible... C'est pour ça qu'on les voit toujours ensemble ? Et quand Hikaru dit qu'ils vont jouer au club'

Isumi rougit de plus belle à sa découverte, entendit Waya revenir, s'écrasa : « Pour rien ! C'était stupide, désolé ! Je dois être fatigué ! Bon, on y va ? » et, tournant la tête pour faire signe à ses amis, il s'élança à travers la porte... pour s'écraser contre une forme humaine.

Le choc brutal le déstabilisa et il battit l'air des bras, tentant désespérément de rétablir son équilibre, quand une main lui passa dans le dos et le ramena en position stationnaire.

Il faisait chaud, il faisait bon. Dans l'incertitude de sa chute certaine et son salut inespéré, ses doigts s'étaient agrippés autour de deux épaules fermes. La main salvatrice dans son dos était devenue un bras possessif autour de sa taille ; la consistance inexistante de l'air, une structure puissante de mâle ; le vague flou de l'esprit affolé, un éclair blond et deux verres de lunettes ; et l'enfant ne put que penser 'Mon dieu, s'il m'embrasse maintenant, je suis prêt à tout.'

A la vue d'Isumi, de son cœur tout crispé et son visage tout écarlate, le sourire de l'homme dévoila une belle rangée de dents droites. L'oisillon s'agrippait à lui, sage et docile entre ses bras ; la petite masse transie se blottissait contre son corps, en savourant la chaleur et la force ; les yeux purs et apeurés semblaient lui demander : « Pourquoi ne pas m'embrasser ? »

Sa main voulut presser plus fort, son visage s'abaisser lentement et sa bouche briser l'interdit. Il ordonna à ses muscles de se contracter, à son cou de se plier et à ses lèvres...

« Hum ! »

Le moment d'extase brisé, la présence importune révélée, Socrate dut livrer son Alcibiade au froid de la réalité. Le regard des spectateurs, certain innocent, certain accusateur, suivait ses moindres gestes, s'assurant que le démon tentateur laissait s'échapper la jeune et vierge proie qui rejoignait à présent son protecteur, Argus aux cheveux de sang. Le diable masqué abandonna son illusion et l'ange blond quitta son paradis, ne laissant qu'un pâle humain, « Pile la personne que je voulais voir ! »

0 0

Waya assista sans pouvoir intervenir à la rencontre de son compagnon avec son idole, sa presque découverte du carrelage et son sauvetage à la manga shojo.

'Ogata ! Qu'est-ce qu'il fiche là, lui ? Attend un peu, cette position... Shin-chan, fais pas d'connerie, lâchez-vous. Casse-toi ! Y'a Shindo ! Shin-chan !!!!!'

Il se racla bruyamment la gorge.

L'instant magique cessa et son ami revint vers lui, avec dans les yeux le regard fautif d'un amant découvert dans le lit. Il voulait s'excuser de ce bonheur refusé.

« Pile la personne que le voulais voir ! »

Tous regardèrent Ogata.

« Veux-tu venir au groupe de Toya ? »

Pourquoi lui proposait-il cela ? Ne lui avait-il pas déjà demandé et s'était vu refusé ? Shinishiro trouvait plaisir dans les motifs au sol, cachant sa rougeur ,« Je vous remercie, mais »

« La proposition vient de Toya, » insista l'homme. Dans ce cas... Une invitation de l'ex-meijin ne pouvait se refuser.

Isumi le regarda, cherchant de l'aide auprès de son ami. Pourquoi hésitait-il ? C'était une occasion inespérée. Waya lui balança un coup de pied discret.

« Ah... J'en serais ravi, » déclara enfin le pauvre perdu.

Le problème résolu, ils sortirent du département et se quittèrent. Waya était certain qu'Isumi ayant été seul, Ogata lui aurait proposé de le raccompagner. Pour le meilleur ou pour le pire, ce n'avait pas été le cas.

0 0

'Ai-je bien fait d'accepter ?'

Shinishiro était allongé dans son lit, regardant sans les voir les kifus qu'il avait mis la journée à obtenir.

'Bien sûr, un cours avec Toya Koyo n'est jamais une perte, mais tout de même... Comment devrai-je me comporter ? Akira y sera certainement, nous referons peut-être même une partie. Ils vont être déçus, je ne sais comment j'ai pu me mettre dans cet état hier. Si seulement je pouvais poser quelques questions à Toya sur cette partie avec ce coréen†mais comment amener le sujet ?

J'ai aussi le problème avec la scène près du Sumida. Pourquoi ai-je eu aussi mal au crâne ? Comme si mon cerveau avait été pressé entre deux étaux, qu'on y forçait des informations... Je lui demanderai cette nuit.

Et Ogata ? Kuwabara disait-il la vérité ? Je l'intéresse... oui, avec ce qui s'est passé aujourd'hui, c'est évident... s'il me proposait d'aller chez lui, qu'est-ce que je répondrais ? J'accepterais, sans aucun doute ; le problème serait le lendemain : la douleur. Je n'y suis pas, mais je le sais : jamais je ne serais capable d'accepter une nuit unique. L'avoir touché, l'avoir senti et le voir passer à côté sans pouvoir lui sourire, ce serait trop horrible. Cela revient donc à refuser... Mais savoir que j'aurais pu le connaître, ne serait-ce qu'une fois, et l'avoir laisser partir sans saisir cette chance... Je suis perdant dans les deux cas... Waya avait raison, cette situation était une erreur dès le départ, cela ne pouvait finir que comme ça. Que suis-je pour avoir espéré autre chose ?'

Ses doigts ruinant nerveusement les feuilles quadrillées, il s'assoupit.

0 0

'Hé bien, il a finalement dit oui. Tu es bien difficile à attraper, Isumi Shinishiro. Pourtant, ton petit corps tremblant entre mes bras... Maudits soient ces deux gamins, qu'avaient-ils besoin d'être là ? Quoique celui aux cheveux rouges – je devrai regarder son nom, cela devient agaçant – il avait l'air pour... C'est lui qui nous a arrêté mais il n'avait pas l'air choqué le moins du monde, au contraire, à la manière dont il regardait Shindo, il voulait sûrement éviter à son ami de se faire repérer.'

Il s'allongea tranquillement dans son lit, finit sa cigarette et reprit le kifu de la partie de la veille.

'Tu y es allé fort. Un jeu un peu lourd, peut-être ; mais prendre un tel risque, surtout venant de toi, d'habitude si prudent. Oui, tu m'as impressionné hier, cette passion que tu as manifestée... Je voudrais déjà être demain soir, te voir pour le cours de Toya, et au diable cette satanée règle, ne crois pas que tu en repartiras seul !'

Pressant dans sa main la promesse de son lendemain, il s'endormit.

Notes: Bon, qu'en avez-vous pensé? S'il y a des passages que vous

trouvez atroces, c'est sympa de le dire, que je ne recommence pas et

les change si j'ai le temps; idem pour les bons. Sinon, on arrive

bientôt à la fin, encore trois ou quatre chapitres. "C'est pas trop

tôt!" vous devez vous dire. C'est pourquoi je vous pose la

traditionnelle question:

Happy end ou drame?