CHAPITRE TROIS

LITTÉRATURE ET POURQUOI

Je ne vois presque plus rien. Seulement que quelques rayons de lune éclairent la baie. Il y a un bon moment que je suis là. Ma mère est repartie vers le village, sans me donner plus d'explications. Trop aimable. Merci maman de me laisser dans un état de choc, les pensées plus emmêlées que les cheveux de la vieille Choo, et la tête qui va sans doute fendre bientôt. Pourtant, une phrase me revient toujours en tête. Mon père est ici. Dans ce village. Est-ce une coïncidence qu'il soit revenu? Après 16 ans? 16 ans à me laisser me questionner sur mes origines, à me demander si j'étais normale, à me faire insulter, à défendre mes droits, mon honneur, ma famille, ou du moins, ce qui en restait. Elle aurait pu me le dire… je suis assez vieille maintenant. J'aurais compris. Juste me dire son nom. Juste me dire ce qu'il était.

Une goutte tombe sur ma joue. Une autre sur mon bras. Puis une autre, et encore une autre. Et c'est l'averse. J'ai un faible sourire. (J'en suis encore capable? Je l'ignorais, sincèrement.) Avez-vous remarqué qu'il pleut toujours dans les moments dramatiques? Ça m'a frappé, dans presque tous les livres anglais que j'ai lus, il pleut lorsqu'un personnage est extrêmement triste, ou nostalgique, ou dépressif, peu importe.

Comment peut-il être venu ici, précisément. Est-ce que c'est Lanh qui l'aurait amené? Il a beau être un excellent pirate, je doute qu'il ait autant d'influence. Ça ne peut pas être une simple coïncidence. C'est trop… Et il fallait que ma mère entre lorsqu'il était là. Est-ce qu'il sait que je suis sa fille? La fille de Thí Lienh je veux dire. Pas la sienne, puisque je doute fort qu'il se soit un jour imaginé qu'il ait pu avoir eu un enfant à l'autre bout du monde… Ou peut-être qu'il savait. Peut-être qu'il n'a pas abandonné ma mère tout de suite. Peut-être qu'il m'avait déjà vu, bébé. Peut-être.

AAAAAAAAh! Ça me donne mal à la tête!!! Il y a trop d'idées dedans!!! Je ne pourrais pas faire le vide? Ou recommencer et ignorer le tout? J'ai envie d'hurler (et je le fais).

"POURQUOI??? POURQUOI POURQUOI POURQUOI???"

Et je me mets à pleurer. Génial. Rien de mieux que de pleurer en cette merveilleuse soirée où je me tourmente à savoir qui je suis. On croit toujours que ces situations n'arrivent que dans les livres. Pas à nous. Jamais à nous. J'aurais tout de même dû prévoir qu'avec un père absent depuis ma naissance (ou peut-être pas, ça reste à voir) et une mère si secrète à son égard que l'histoire classique pouvait se produire dans ma vie.

Non, il ne devait pas savoir. Sinon il serait revenu avant. Du moins je l'espère. Ou peut-être pas. C'est un pirate après tout. Mon père, un pirate… Beaucoup mieux que le plus riche commodore de la marine hollandaise! J'ai soudainement envie de rire! Si mes petites amies d'enfance savaient cela! 'Et toi, Manille, il est quoi ton père? Moi le mien est poissonnier.' Moi le mien il est PIRATE! Je rigole toute seule sous la pluie (tiens, c'est vrai, il pleut), imaginant la scène. Si elles avaient su! Plus jamais elles auraient ri de moi, puisque mon grand méchant papa pirate les aurait volées et pillées!! Ha Ha!

J'ai tellement envie de le connaître davantage! Qu'il me raconte ses voyages, ses aventures… Mais en même temps, je ne suis pas sûre de vouloir savoir pourquoi il a laissé ma mère. Et voilà que je retombe dans la déprime. Évolution psychologique d'un personnage, typique d'un roman anglais… C'est tout moi ca. Être profondément désespérée, mais faire de la littérature en même temps. 'Tu es impossible Manille.' comme me disait ma mère.

Je me demande comment elle va en ce moment même. Ça a du être tout un choc pour elle aussi. Peut-être pire. Non, quand même pas. Différent. Son ancien… on ne peut dire mari… partenaire? Partenaire serait sans doute le bon mot. Encore de la littérature. Je devrais écrire des livres en indonésien, ne pouvant plus être danseuse. Oh! Mais si mon père est revenu, est-ce que cela pourrait faire l'affaire? Non, sans doute. Ils m'ont tout de même eu hors des lois. Pourquoi l'a-t-il abandonnée? Pourquoi M'A-T-Il abandonnée (s'il savait que j'existais, bien sûr)?

"MANILLE??? MAAAAAAANIIIIIIILLE?"

Ne manquait plus qu'elle. Ah! pourquoi ai-je toujours deux sentiments contradictoires en moi? (j'aimerais aussi savoir le nombre de pourquoi je me suis demandé ce soir…) D'un côté, j'ai envie de tout connaître sur mon père, de l'autre je lui en veux terriblement de nous avoir laissées. Je compatie avec ma mère, mais je lui en veux de m'avoir tout caché. Et là, j'ai envie de tout raconter à Li Ahn, mais je ne me sens pas encore prête à affronter la réalité, dans le monde extérieur, hors de mes pensées je veux dire.

"Gu'est-ze que dzu fais? Il y a un mommment que dzu es partie, non?"

Apparemment, elle a ambitionné sur le saké. Elle zigzague énormément. Peut-être évite-t-elle les trous d'eau. Ah! Non, puisqu'elle vient de mettre le pied dans un énorme, et n'a pas l'air de s'en être rendu compte. Et avec son accent de soûlon, difficile de se tromper.

"Dzu zavais gu'il pleuvvvait Mmmanille? Zepuis un petzit boutte? Et gue dzu rizques d'attrrraper la crève si dzu rentres pas?"

La voilà qui sermonne maintenant. Je suis sur le point de lui faire la remarque que dans l'état où elle est, elle devrait s'abstenir de me faire ce genre de discours, mais comme elle parle sans arrêt (ce qui n'est pas du au fait de l'alcool, mais bien de sa personnalité ordinaire), je me tais. De toutes façons, je n'ai guère envie de parler.

"Bviens avec moi, Mmmei a fait de la soupe de poizzon pour les voyadgeurs de nuite, quoi que je douttte que boucoup d'entre zeux aient le courage de pousser 'a porte. Les mmmembres de la Perle sssont un TOUT PETSIT PEU BRUYANTS!" dit-elle en éclatant de rire. Effectivement, si tous les autres sont comme elle, les passants seront effrayés!

"Tzu savais tzu que Gibbs était un ancien marin pour l'Angueleterre? Je me zouviens p'us trop en quelle aaannée, mais il a chaaangé de camp. J'avoue que j'aurais fait… pareil."

Personnellement, je m'en fous. Elle ne doit pas s'en rendre compte parce qu'elle continue. À vrai dire, je viens de réaliser que de rentrer à la taverne pour manger de la soupe signifiait revoir l'équipage de la Perle Noire. Et dans cet équipage…

"Et Anamarrriiia est la ssseule femme à être admise à bord de la Perle, mis à part euh… comment qu'a sss'appelle déjà? Elizzz…abeth! Ouais, ccc'est za, lizabeth, qui avait t'été faite prisonnière par Baaarbossa."

Je TENTE de m'arrêter (impossible car elle me traîne). Faire face immédiatement à la réalité ne me sourit pas du tout. Je ne veux vraiment pas y aller. Pas maintenant. Plus tard, après une nuit de sommeil peut-être (vais-je être capable de dormir, là est la question) mais pas maintenant.

"Barbossa, c't'un aut'e pirate qui a été cap'taine de la Perle avant Dzack. Mais là c'est Dzack qui la lui a reprise. Il l'a tuuué, pour une histoire dz'île et de trésor artizèck, ou queck chose comme ççça, j'ai pas toute compris."

Évidemment, quand on est saoule à ce point là… Je me demande comment elle a tout de même réussi à retenir tout ça.

"Parlant de Dzack, c'est un tsype vraiment gggééénial. Yé beau, et intellllllligent en plusss. Mais vieeeuuux C'est zuste plate un peu, pask'il pourrait t'être mon père…

- Justement, c'est le mien."

Effet choc. Li Ahn s'arrête, ou plutôt fige. Une main en l'air, un pied dans un trou d'eau, la bouche grande ouverte, les cheveux collés sur la figure par la pluie, elle a une de ses allures! Dans un autre contexte, j'éclaterais de rire.

"Qu'est-ce que tu viens de dire? (elle a l'air totalement lucide, tout à coup)

- Jack Sparrow. C'est mon père.

- Ben voyons donc. Comment ça? Depuis quand?

- Depuis tout à l'heure. Depuis que ma mère me l'a annoncé.

- Ça se peut pas. Tu dois avoir trop bu pour dire des choses pareilles.

- Li Ahn, c'est toi qui a bu, pas moi. Et c'est la vérité. Et si tu veux bien m'excuser, moi je ne suis pas prête à affronter ça maintenant. Je m'en vais ailleurs, je n'ai pas envie de le voir tout de suite. Mais toi tu peux y retourner. Te gênes pas pour moi. Seulement, pas un mot sur ce que je viens de te dire, d'accord?

- Promis, je l'oublie dès que tu pars. Mais… Émalia… tu es sûre que tu ne veux pas que je t'accompagne, peu importe où tu vas?

Ah… je la reconnais. Ce n'est pas pour rien qu'elle est ma meilleure amie. Autant elle peut être égocentrique parfois, autant d'autres fois, tu as l'impression qu'il n'y a que toi qui compte sur cette terre!

" Merci Li, mais je préfère être seule. Tu comprends?

- Parfaitement, fait-elle en faisant un pas en avant. Mais fait attention à toi, d'accord? On se revoit demain."

Elle dépose un baiser sur mon front, me serre dans ses bras.

"Ça va aller Manille, je te connais."

Puis elle retourne vers la taverne. Je n'ai aucunement peur qu'elle dise quoi que ce soit. Je sais que je peux lui faire confiance.

En attendant, moi, je ne sais pas où aller. Je ne rentre pas à la taverne. Ça non, pas question. Pas tout de suite. Chez moi? Non plus. Pas envie de voir ma mère. Ni chez Mme Tang. Elle posera tout plein de questions sur mon état d'âme.

Je tourne, de droite, à gauche, retour à droite, puis encore à gauche. Je ne vais tout de même pas passer la nuit ici, d'autant plus qu'il pleut. En me tournant vers les collines, j'aperçois la vieille cabane de Choo. Encore une fois ce soir, on dirait qu'une force invisible se fait sentir. J'ai la certitude que c'est là que je dois aller. Je sais que j'y serai bien accueillie.

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Après une heure de marche à me poser toujours les mêmes questions, j'arrive à la demeure de Choo.

"Entre, je t'attendais. fait-elle, avant même que je ne lève la main pour frapper à la porte. J'ai fait du thé, ainsi qu'un feu. Tu ne dois pas rester trempée."

Autant j'éprouve un profond respect pour cette femme, autant parfois elle me fait peur. Épeurante, mais rassurante à la fois. Ses petits yeux perçants semblent lire jusqu'au fond de mon âme. Avec un sourire édenté, elle m'invite à m'asseoir près du feu. Elle me tend une tasse de thé avec ses mains tremblantes. Elle est maigre. Très maigre. Ses longs (et emmêlés) cheveux noirs tombent sur son dos courbé. Mais malgré son allure frêle, elle dégage une puissance extraordinaire.

"Mme Choo, je…

- Shhhhhh! me coupe-t-elle en posant son doigt osseux sur mes lèvres. Je sais que tu n'as pas envie d'en parler, et je sais que tu veux aussi en savoir plus. Mais chaque chose en son temps, jolie perle" me dit-elle en posant sa main sur mon genou et s'asseyant à côté de moi.

Je me tais. Elle sait ce que je pense. Je prends une gorgée de thé. Je ne sais pas ce qu'elle a mis dedans, mais il me réchauffe énormément, et démêle mon esprit. Énormément. Il me fait voir clair. Il fallait que je vienne ici pour le trouver. Je le sais maintenant. Je veux connaître mon père.

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Je sais je sais, je me fais attendre. C'est moi la pire, vous risquez de perdre le fil de l'histoire, et par le fait même l'intérêt de lire la fic. Je tiens aussi à préciser que je n'ai que mes cours de français généraux, et comme je ne veux pas devenir auteure, je n'ai pas de cours en "manière-de-faire-parler-les-gens-saoûls"… j'espère que ça a bien été quand même… Je vous promet que la prochaine update vas être plus rapide, je suis en congé jusqu'au 21 janvier! Oui oui!!! Ha ha, bonheur total! Vive le cégep!