CHAPITRE CINQ

LETTRES DE DÉPART

Maman,

Je pars. Pas la peine de prendre 56 détours pour te le dire. Je pars. Je veux le connaître. Peut-être que ça te déçoit. Peut-être veux-tu m'en empêcher. Peut-être crois-tu que je suis complètement cinglée de vouloir connaître un homme comme lui. Mais vois-tu maman, si tu avais répondu à mes questions, si tu m'avais parlé de lui un peu, si tu n'avais pas fait semblant qu'il n'existait pas, peut-être que cela n'arriverait pas. Seulement je veux savoir d'où je viens. Et comme tu ne veux pas me le dire, je dois aller voir ailleurs. C'est important pour moi. Plus que tout. Je ne peux plus faire comme si ça ne me dérangeait pas, parce que maintenant, j'ai la chance de pouvoir savoir. Je veux savoir maman. Est-ce que tu comprends?

Je ne sais pas quand je reviendrai. Dans trois semaines, dans trois mois, dans trois ans, jamais… Mais je dois y aller.

Ta fille qui t'aime,

Émalia

Un peu plus et je signais Émalia Kwoan Sparrow. Mais je crois que ça aurait été trop fort pour elle. C'est étrange ce que je ressens en ce moment. Un mélange de colère, de tendresse, de peine et de vengeance. Je lui en veux tellement de m'avoir tout caché, d'avoir tout ignoré pendant 16 ans. Je lui en veux d'avoir été la risée de la ville, de m'avoir donné de faux espoirs. Mais en même temps, je me sens coupable de la laisser comme ça, toute seule. Le choc a du être aussi terrible pour elle que pour moi. Peut-être que je devrais rester ici pour la soutenir…

NON Émalia, tu as décidé de savoir. Et c'est tout à fait normal de vouloir connaître son père. Tant pis pour elle, elle n'avait qu'à pas tout me cacher. C'est important pour moi. Elle doit comprendre. Il faut qu'elle comprenne.

Je plie le petit bout de papier. J'espère qu'elle saura le lire. Elle a de la difficulté, il y a longtemps qu'elle a appris, et elle en perd l'habitude avec le temps. Je sors de la taverne de Phao (et oui, j'y étais encore! Ma vie se déroule entre le temple pour la danse et l'auberge!) et prends le chemin pour aller chez moi. À l'heure qu'il est, ma mère doit être chez les Van Der Beken pour faire leur ménage. J'ai la voie libre pour préparer mes choses. Je pars pour longtemps. Et tout à coup, je suis toute excitée! Je pars à l'aventure! Comme dans mes jeux d'enfance! Jamais je n'aurais cru que ça arriverait un jour! Ça se passe dans les livres, pas dans la vraie vie! Mais apparemment que si puisque c'est le cas.

Je gambade jusqu'à notre petite demeure à l'est de la ville. Je frappe, au cas où, en espérant de tout mon cœur que personne ne me réponde. La porte ouvre. Mon cœur s'emballe et je me mets à trembler.

"Ah, petite mademoiselle Kwoan, c'est vous. C'est terminé, vous pouvez entrer."

Soulagement total. Il ne s'agit que du couvreur. La pluie diluvienne a dû percer le toit hier soir. Il me salue jusqu'à terre et sort. J'entre à mon tour et je m'effondre sur le banc. J'ai eu si peur de me retrouver face à face avec ma mère… Je n'aurais pas su quoi lui dire. J'aurais été figée, comme je le fais tout le temps dans des situations inattendues, probablement…

J'entre dans ma chambre et j'attrape tout ce qui me tombe sous la main. J'ai besoin de tout, finalement, puisque je pars vivre ailleurs. Voilà, je suis prête. Oh non! Pas tout à fait. Mia me regarde. Qui est Mia? Mia, c'est ma poupée. Je l'ai toujours eu. C'était mon seul vrai jouet. Elle avait appartenue à ma grand-mère. Mia a toujours été la seule à savoir comme ça me faisait mal de ne pas avoir de père. J'avais beau croire à mes histoires le jour, mais presque tous les soirs, je les racontais à Mia et je me rendais compte qu'elles n'étaient pas vraies. Et je pleurais en silence. Avec elle. Elle seule savait.

J'avais développé des talents pour faire passer une émotion différente, pour avoir l'air de ne pas me préoccuper de ma situation. Comme si j'étais quelqu'un d'autre. En Occident, je crois que ces gens-là s'appellent des comédiens. Je jouais à la comédienne avec tout le monde, mais pas avec Mia. Il y a longtemps que je ne lui ai pas parlé. J'ai arrêté de raconter des histoires et j'ai cessé de me tourmenter l'esprit avec ça. Je n'avais plus de chagrin à lui faire part, puisque j'avais presque tout oublié… Mais là, tout a refait surface soudainement.

Je m'assoie tranquillement sur ma paillasse et prends délicatement la poupée dans mes bras. Je lui souris un moment et je la serre fort contre mon cœur. Et je lui raconte par pensée les événements des derniers jours. Elle sourit aussi, je le sens. Comme si elle savait déjà. D'ailleurs, lorsque j'étais petite, elle savait déjà tout ce que j'avais à lui dire, mais je lui racontais quand même.

"Et maintenant que je suis grande, je pars le rencontrer. C'est merveilleux, n'est-ce pas? Connaître son monde, le monde dans lequel je faisais semblant d'être avec Lahn et Li Ahn. On va faire un long voyage!"

J'ai un mouvement pour la mettre dans mon paquet, mais je me retiens. Je dépose le tas de vêtements et de couvertures ficelé par terre et prends Mia dans mes deux mains, plongeant mon regard dans le sien.

"Non, tu dois rester ici. Pour supporter maman. Pour ne pas qu'elle m'oublie. Pour ne pas qu'elle se sente seule. Trop seule. Tu comprends?"

Oui, elle comprend. Elle comprend toujours tout. Je dépose un baiser sur le front de chiffon de Mia et la dépose à côté de la lettre, sur la table. Je jette un regard circulaire dans la pièce. J'ai le cœur gros, tout à coup. Une larme perle sur ma joue. Mais Mia me sourit, m'encourageant à partir à l'aventure. Je lui adresse un clin d'œil et je sors en courant.

J'éclate de rire! Ça va être merveilleux! Et je cours jusqu'à la plage, même s'il est beaucoup trop tôt pour le rendez-vous fixé avec Lanh! J'enlève mes sandales et je cours vers la mer. Ouh là là! Elle est froide! Sûrement à cause de la pluie d'hier.

Hier. Tout ça, c'est depuis hier seulement. À la même heure hier, je me préparais pour aller travailler à la taverne. Tiens! D'ailleurs, je devrais aller avertir Phao que je ne serai pas là pour un bout. Et Li Ahn aussi! Oh! Qu'est-ce qu'elle va me manquer celle-là! Je vais lui écrire souvent, bien que j'ignore si j'aurai un moyen de lui faire parvenir les lettres.

Je retourne sur le sable encore un peu humide et regarde le soleil les yeux presque fermés. Il réchauffe mes joues, ça me fait du bien. Je m'assoie sur une pierre et ressort un petit bout de papier. Il est vraiment petit, Li Ahn n'aura qu'une petite lettre. Mais à elle, je n'ai pas besoin de lui écrire dans le moindre détail.

Bonjour Li! Petite note courte. Je pars ce soir avec l'équipage de la Perle. (je vois déjà ses yeux ronds en lisant ces mots) J'ai décidé que je voulais faire connaissance avec mon père. Tant pis pour la danse au temple, mais j'aimerais que tu avertisses le professeur pour qu'elle sache que je suis partie avec MON PÈRE!!! Te rends-tu compte??? MON PÈRE! J'EN AI UN!!! On se revoit bientôt, je l'espère! Le plus tôt sera le mieux! Prends soin de ma mère. Je t'aime. Tu me manques déjà. Manille

Ça suffira. Je sais qu'elle va comprendre. J'aimerais tant qu'elle m'accompagne. La situation serait moins difficile à affronter. Heureusement qu'il y a Lanh. J'ai des papillons dans le ventre. Je pars à l'aventure! Je ne le réaliste toujours pas je crois. C'est pour ça que je me le répète sans arrêt. Je retourne à la taverne en entrant par la cuisine.

"Bonjour Phao! As-tu vu Li par hasard?

- Ah non, elle était ici il y a quelques heures, mais elle est allée au marché. Que veux-tu?

- Bah, j'ai une lettre à lui remettre. Tu pourras la lui donner?

- Bien sûr! Tu sembles de bien bonne humeur aujourd'hui, petite sœur."

J'ai un léger sursaut à ce nom. Même si je n'étais pas aussi proche de lui que Li et Lanh, Phao m'a toujours considéré de la famille. Mon cœur se serre une fois de plus à l'idée de quitter ce village rempli de gens que j'aime. Mais je lui réponds par un sourire radieux.

"Effectivement. Mais c'est une mauvaise chose en même temps. Tu devras me trouver une remplaçante pour quelques mois…"

Il semble triste, mais il sourit quand même.

"Lanh m'avait averti. C'est pour le mieux, je suis très content pour toi." Il s'approche et me serre très fort dans ses bras. Il dépose un baiser sur ma tête et me prend par les deux épaules. "Allez, vas-y ma petite sœur! Après toutes ses années, tu le mérites!"

"Je te ramènerai une bouteille de rhum!" fais-je en fermant la porte de la cuisine.

Et je me retrouve face à face avec Mme Thang. Elle a la mine grave. Mon sourire chavire. Je n'aime pas la voir comme ça. Elle doit savoir. Elle doit avoir parlé à ma mère. J'ai peur de sa réaction.

"Tu as pris ta décision?" me dit-elle.

Je ne me demande pas comment elle a appris, elle a dû deviner, comme tous les gens devinent ce que je pense. Je fais un léger signe de tête affirmatif. Elle a un petit sourire tendre.

"Ça va. C'est compréhensible, et normal. Tout le monde veut connaître son père. Tu veux sûrement aussi savoir toute l'histoire. Le pourquoi, le quand, le comment… Tu auras la version de Jack en personne…" Elle sort deux enveloppes de son sac. "Le point de vue de ta mère…"

Je prends l'enveloppe d'une main tremblante. Je ne sais pas quoi dire. J'ai l'impression de tenir un objet sacré. Le secret de ma mère.

"Et l'autre?

- L'autre, c'est ma version à moi. Objective. Sans jugement.

- Quand l'avez-vous écrite?

- La nuit dernière, après la visite de ta mère. Nous savions que tu allais partir pour savoir ton histoire. Ta mère ne sait toutefois pas que tu as ma version. Mais j'ai cru bon de pouvoir te donner le récit original."

Je marmonne un bref merci. Ma gorge est serrée par les émotions. Mme Thang pose délicatement sa main sur mon épaule.

"Tu les liras quand tu seras prête. Rien ne presse. Je n'ai qu'une chose à te mettre en garde: ne tombes pas dans le même piège que Thí Lienh."

Je lève ma tête pour la regarder dans les yeux. Elle me sourit, sincèrement cette fois.

"Prends tout ton temps pour connaître cet homme. Tu verras, il est fantastique."

Elle resserre sa main sur mon épaule et enlève la mèche de cheveux rebelle qui me retombe toujours dans les yeux et la replace bien sagement derrière mon oreille. Cette mèche l'a toujours exaspéré, d'aussi loin que je me souvienne.

"Allez, vas-y!"

~*~*~

"Manille, réveilles-toi, c'est l'heure."

Je sursaute! Je rêvais, étendue sur la plage. Je ne sais pas combien de temps j'ai dormi, mais la lune éclaire la mer. Je frissonne. Lanh rigole un peu en disant que je serai frigorifiée sur le bateau en pleine mer mais que je m'habituerai vite. Je l'espère. Nous nous dirigeons lentement vers le quai. À mon grand étonnement, tout l'équipage semble présent. Pourquoi ne sont-ils pas à bord du bateau? Je pose la question à Lanh, qui me répond que le capitaine, enfin, mon père, donne toujours ses indications avant de monter sur la Perle. Je ne vois pas pourquoi, mais entre nous, qu'est-ce que ça change? Rien. Au fur et à mesure que nous approchons du rassemblement, le discours de Jack se fait entendre.

"Je ne veux aucune grossièreté à son égard. Savvy? Vous lui devez le même traitement qu'à Elizabeth lorsqu'elle fut sur ce bateau. On est d'accord?

- Non! Pas moi! Ça porte malheur d'amener une femme à bord, même si elle a du sang de pirate dans les veines.

Et Anamaria alors? C'est pas une femme peut-être?"

Le trac me prend à la gorge. C'est de moi qu'il parle. Et apparemment, je ne suis pas la bienvenue à l'unanimité. Je ralentis le pas; Lanh le remarque et entoure mes épaules de son bras d'un geste se voulant réconfortant, mais qui ne fait que me réchauffer, sans me réconforter.

"Allons Gibbs, quand quitteras-tu ses vieilles superstitions? Crois-tu que si nous n'avions pas Anamaria à bord, les choses seraient différentes? Nous sommes des pirates, nous sommes sensés être capable de savoir comment contrer ça, pour reprendre les paroles de Jack."

Jack, quant à lui, ne semble pas se préoccuper de la situation. Il nous a vu arriver, Lanh et moi. Plus le moment de reculer. Allez, Émalia Sparrow, montre à tous que tu es une fille de pirate! Mon père me regarde avec son sourire doré.

"Viens ici trésor que je te présente à cette bande de pouilleux."

Un silence de mort tombe sur l'assemblée. Je suis morte de trouille à l'idée qu'ils vont ce retourner tous en même temps pour me regarder. Ce qui arrive à la minute près. Je souris, gênée, implorant Lanh du regard de venir à ma rescousse. Celui-ci me fait signe d'aller voir Jack. Ah! Cruel!

"Manille, l'équipage. L'équipage, Manille."

C'est tout? Moi qui m'attendais à une longue présentation suivie d'une explication, ça me soulage.

"Tout le monde au bateau, fit-il aussitôt en gesticulant énormément, tellement qu'on pourrait croire qu'il allait perdre l'équilibre. Anamaria, pourrais-tu montrer à la jeune demoiselle ici présente ses appartements?

- Pourquoi moi, s'il vous plaît, capitaine? répondit la pirate en question, indignée.

- Solidarité féminine, non?

- Non mais vous voulez que je sois sa nourrice et sa femme de chambre tant qu'à y être? Et puis quoi encore? lança Anamaria en remettant son chapeau sur sa tête et en tournant les talons pour suivre le reste de l'équipage.

- Ah! Cette fille ne changera jamais. Lanh, tu t'en occuperas, savvy?

- Bien sûr capitaine!"

Puis à moi:

"Viens, ça va aller! Elle est toujours comme ça, Anamaria. Ce n'est pas qu'elle ne t'aime pas, mais dans le monde des pirates, les femmes doivent avoir du caractère pour survivre, et elle n'en manque pas.

- Reste à savoir si j'en aurai assez, moi.

- Mais oui voyons. Je serai là, sinon. Et Jack aussi. Il tient à toi, je te l'assure.

- Étrange, sa façon de le démontrer.

- Hey! Que veux-tu, c'est un pirate!

- Toi aussi je te signale…"

Il réfléchit un moment, visiblement embêté.

"C'est pas pareil!

- Ah non? Et comment cela donc?

- Parce que… Parce que, bon. C'est comme ça." répond-il joyeusement en me serrant à nouveau les épaules.

~*~*~*~*~

J'ai réussi à terminé ce chapitre! Il me semblait que j'allais jamais en venir à bout! Honnêtement, il me déçoit un peu. Les transitions, c'est jamais super intéressant. Mais bon, il est là, le prochain sera meilleur.

Je tiens aussi à m'excuser pour la loooooooongue attente que je vous ai fait subir, chers lecteurs (wow!!! Ça me fait tout drôle de penser que j'ai des lecteurs!). Sachez que ce n'est vraiment pas volontaire, et que ce n'est pas du à un manque d'inspiration., mais bien à un manque de temps. J'ai un horaire excessivement chargé: école à temps plein 5 jours/semaine, ateliers de danse du cégep 3 soirs/semaine, école de ballet 3 soirs/semaine également plus tout le samedi après-midi, et j'enseigne à cette même école le samedi et le dimanche matin aux petites poupounettes de 5 ans. Bref, j'ai samedi et mercredi soir de congé, ainsi que dimanche après-midi et soir. Et qu'est-ce que je fais dans ces temps-là? Je fais mes devoirs ou je pratique. Si un jour je veux percer dans le monde de la danse, je n'ai pas le choix. C'est le sacrifice à faire .Vous m'en voyez extrêmement désolée Je fais ce que je peux, et je n'ai pas envie de me sentir coupable de ne pas updater chaque deux semaines, comme je l'avais prévu au début de l'année. Vous devrez comprendre. Je ne peux pas faire plus.

Merci infiniment à tous les lecteurs qui prennent de leur précieux temps pour venir me lire et/ou de me reviewer. Et pour reprendre les paroles de ce cher Will (que vous allez voir, ne vous inquiétez pas les fans) "Un artisan est toujours heureux de savoir que son œuvre est appréciée." Merci infiniment.

Ne vous gênez pas non plus pour me laisser des commentaires constructifs! Et si vous n'aimez pas (ce qui m'étonnerait de vous qui lisez en ce moment, parce que quand on aime pas, on se rend généralement pas au bout de 5 chapitres), dites moi ce que vous n'aimez pas!

(et si je continue comme ça, je vais faire une note de l'auteure plus longue que le chapitre! Je vous ai déjà dit que je maîtrisais l'art de parler pour rien dire à merveille?)

Mais, avant de terminer, je dois dire en crier une énorme MMMMMMMEEEEEEERRRRRRRCCCCCCCIIIIIII À MES DEUX AMOURS DE BÊTA-READERS, DÉOMAÏ ET MARIPOSA POUR LEUR MERVEILLEUX TRAVAIL! ELLES ONT, ELLES AUSSI, UN HORAIRE SUPER CHARGÉ, MAIS ELLE PRENNENT LE TEMPS DE CORRIGER TOUT ÇA POUR VOUS (ET POUR MOI)!!! ELLES MÉRITENT UNE BONNE MAIN D'APPLAUDISSEMENT!!! MERCI, MERCI, MILLE FOIS MERCI, ENCORE ET ENCORE! JE VOUS AIME ET VOUS EMBRASSE!