Titre : La couleur de tes yeux
Auteur : Gaëlle
Genre : POV, angst
Source : Saint Seya
La couleur de tes yeux
III
Mon ange...
C'est comme ça que je l'ai toujours considéré…
Depuis la première fois où mes yeux se sont posés sur lui…
Il avait sept ans et moi huit…
Je ressemblais déjà à un monstre et lui à un enfant fée, guère à sa place dans ce monde d'humains…
Même paralysé, il reste presque éthéré et gracieux…
Je m'agenouille devant lui pour remettre une jambe en place, sur le petit marchepied de sa chaise roulante.
Il semble surpris et en même temps blessé… blessé de ne pas avoir remarqué, d'être totalement dépendant de moi-même.
Il me regarde frotter sa cheville un instant – elle s'est retournée contre le sol et semble foulée – en silence avant de secouer la tête.
" Tu sais, Aldébaran… Je ne sens rien de toute façon… Tu n'es pas obligé d'en prendre soin… "
Sa voix tremble un peu et je relève les yeux alarmé.
Ses lèvres sont réduites en une fine ligne et ses yeux brillent plus que d'habitude.
" J'aurai du faire attention… vérifier que tu sois bien installer… "
Ma voix est bourrue et un peu rauque.
Ne pleure pas mon ange, je t'en prie ne pleure pas…
Je ne veux pas voir ton visage souillé par ces larmes qui coulent trop souvent sans que je ne puisse les en empêcher…
Je serai tes jambes… Je marcherai pour toi…
Je courrai aussi…
Je ferai tout pour que tu souries à nouveau comme tu le faisais…
Que tu redeviennes serein et calme…
Que tu ne souffres plus…
Mais je t'en prie, ne pleure pas.
Ma main effleure ses joues, revenant mouillée.
" Je me sens tellement inutile… Je ne peux même plus me laver seul, tu es obligé de le faire pour moi… Je ne sais plus rien faire… "
D'autres larmes rejoignent les premières et je me sens à nouveau impuissant… comme à chaque fois que Mu craque nerveusement…
Je ne peux que le soulever et le serrer contre moi, le berçant doucement tandis qu'il tremble de colère, de peur et de tant d'autres sentiments mêlés que je ne peux les déchiffrer sur ses traits bouleversés.
" Ne pleure plus, Mu… Je t'en prie, ne pleure plus… Tout va bien… Tout va bien aller… Ne pleure plus… "
Ne pleure plus mon ange, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour toi, ton bien-être... Mais ne pleure plus, je ne supporte pas de te voir dans une telle détresse…
Il se calme peu à peu et repose contre mon torse, les yeux grands ouverts sur le vide, toujours mouillés par ces pleurs que je hais.
" Non, ça ne va pas bien… Je ne sers à rien… Je ne suis qu'une charge… "
" Ne dis pas ça. "
" Pourquoi ? "
Sa voix n'est plus qu'un souffle fatigué.
" Pourquoi ne devrais-je pas parler de la réalité… Je ne te comprend pas… "
Ma main qui retire ses mèches de son visage s'interrompt en même temps que les mots rassurant que je m'apprêtais à prononcer stoppent dans ma gorge.
" Tu ne comprends pas quoi ?
" Pourquoi fais-tu tout ça ? Pourquoi t'occupes-tu de moi ainsi ? "
Je ne répond pas.
Que pourrai-je dire?
" Est-ce… par pitié ? "
Je voudrais tant lui dire la vérité… enfin lui dire que je l'aime plus que ma propre vie…
Mais j'ai peur…
J'ai peur de voir son doux regard se charger de dégoût puis, de mépris, de le voir se détourner, ne plus vouloir de moi à ses côtés…
Qui s'occuperait de lui, alors ?
Qui le laverait avec autant de respect que moi ?
Autant de maîtrise ?
Qui devinerait ses envies avant même qu'il ne les prononce?
Qui veillerait à ce qu'il soit bien malgré son handicap ?
…
Et moi que ferais-je sans lui ?
Sans pouvoir le voir ?
Sans pouvoir peigner ses cheveux soyeux ?
Sans pouvoir écouter son rire cristallin, lorsque je me montre assez drôle ?
" Je… Tu es mon ami, Mu… Tu as toujours été là pour moi. "
Oui, c'est vrai et puis, l'amitié est un terrain sûr, pas de risques de déraper...
" Que je prenne soin de toi est naturel, tout simplement… Tu l'as fait tant de fois pour moi… "
" Tu te lasseras… "
Je le saisis par les épaules et le recule pour pouvoir le regarder dans les yeux.
" Ne redis jamais çà ! M'occuper de toi est un plaisir, Mu ! Je ne m'en lasserai jamais ! "
Il me regarde bizarrement et un moment, je crains en avoir trop dit.
" Je suis désolé… Je ne voulais pas te vexer… "
Je secoue la tête et le soulève.
Il ne pèse toujours pas assez à mon goût, il reste toujours trop léger…
" Ne dis pas de bêtises… Viens, occupons-nous plutôt de cette cheville… "
***
Je regarde Seya tâtonner de sa fourchette sur son assiette avant de buter contre un morceau de viande. Un petit sourire triomphant aux lèvres, il le pique avant de le porter à ses lèvres.
C'est une idée de mon vieux m… de Dokho, de lui donner des couverts occidentaux et de séparer les aliments sur son assiette.
Ca semble marcher en tout cas et l'expression ravie de mon ami ne peut que le confirmer.
Il ressemble à un enfant, ainsi…
C'est est encore un, comme moi.
Mais nous n'avons jamais eu l'occasion d'agir comme tels, l'entraînement et puis les guerres saintes nous ont volé un temps précieux que nous ne pourrons jamais reconquérir.
Le repas terminé, Dokho me fait signe de m'occuper de Seiya pendant qu'il débarrasse la table.
" Ca me gène de rester sans rien faire, " fait doucement mon ami. " J'aimerais aider… "
" Ne t'inquiète pas pour ça… "
" Mais… "
Il s'interrompt comme la porte s'ouvre et je le vois tourner la tête dans la direction approximative des nouveaux venus.
Aldébaran tient Mu dans ses bras, comme un enfant et ce dernier semble avoir les yeux rougis…
A-t-il pleuré ?
" Aldébaran ? Mu ? "
" Je n'ai pas fait attention, sa cheville est foulée… Où est la trousse de premiers soins, Dokho ? "
Mon maître fait signe au brésilien de le suivre et Seiya se lève.
" Mu ? Tu vas bien ? "
Les bras tendus devant lui, il semble complètement perdu et j'ai juste le temps de le rattraper comme il se prend les pieds dans sa chaise.
Pressé contre mon torse, je ne peux m'empêcher de le regarder plus attentivement. Il cligne des yeux, tentant de voir à travers sa cécité… je le sais, je l'ai moi-même assez fait…
Il ressemble à un chaton et ne fait pas un geste pour se dégager.
" Ne t'inquiète pas Seiya, Dokho et Aldébaran s'occupent de lui… "
Je ne le lâche pas non plus…
Je n'en ai pas envie…
Je ne comprend pas…
Je finis par le relever et le guide vers la manne où se trouve la vaisselle avant de lui mettre un essuie en main.
Il sourit soudain et mon cœur se remplit de… de joie à cette vue.
Je me sens troublé…
Est-ce le fait de prendre soin de lui qui… me pousse à me montrer si protecteur ?
Je lui passe un bol mouillé et toujours envahi de mousse qu'il essuie consciencieusement.
J'entend les voix étouffées de nos aînés dans la chambre puis un sanglot étouffé et je serre les dents.
J'ai beaucoup de respect pour Mu et le voir aussi bouleversé m'ébranle…
Seiya n'a pas encore eu le temps de bien se rendre compte… que se passera-t-il lorsqu'il aura réfléchi et retourné sa situation dans tout les sens ?
Réagira-t-il aussi mal ?
Mon petit compagnon heurte ma main et un deuxième bol se fracasse au sol.
" Ce n'est rien, je m'en occupe… "
Je me baisse et ramasse les morceaux avant de lui jeter un coup d'œil.
Il semble désorienté et au bord des larmes et un instant j'ai peur qu'il ne se mette à pleurer mais il inspire profondément et se fend d'un sourire un peu tremblotant.
" Je suis maladroit… "
" Non… Ne t'inquiète pas… C'est nouveau pour toi… C'est normal. "
Il renifle et hausse les épaules avant de renifler.
" Ouais… Je vais faire plus attention surtout ! "
Je souris et jette les débris avant de lui tendre un troisième bol qu'il saisit en tâtonnant.
Je prendrai soin de lui…
De mon ange…
Je ne sais pas d'où me vient cette pensée et je n'ai pas le temps de l'approfondir comme j'attrape le récipient au vol avant de le rendre à Seiya qui tire la langue d'un air gêné.
Le reste de la vaisselle se passe sans autres encombres et le retour de mon maître m'empêche d'approfondir mes sentiments…
Je ne sais pas même si j'en ai envie, j'ai peur que la conclusion ne soit déstabilisante et pour la première fois de ma vie, je fuis mes responsabilités.
A suivre
