Chapitre 3
Won't you please talk to me ?
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Ah please talk to me
Won't you please talk to me
We can unlock this misery
Come on, come talk to me
I did not come to steal
This all is so unreal
Can't you show me how you feel now
Come on, come talk to me
"Come Talk to Me", Peter Gabriel
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Albus Dumbledore était toujours debout, bien après que les cris de joie et les exclamations de surprise aient fini de résonner dans la Grande Salle. Assis à son bureau, caressant lentement sa barbe, il réfléchissait en regardant la tempête de neige gronder dehors.
Severus lui causait beaucoup de souci ces derniers temps. Jusqu'ici il ne s'était que moyennement inquiété, mais son départ précipité du réveillon l'avait fortement surpris. Cela avait été le détail qui lui avait vraiment mis la puce à l'oreille. Severus n'allait pas bien du tout. Bien qu'il n'ait jamais raffolé de ce genre de réjouissances, il faisait toujours l'effort de rester jusqu'à la fin du repas. Ce soir là, il s'était éclipsé après le plat principal, prétextant qu'il n'avait plus faim. Il était resté muet tout le temps qu'il était demeuré à table. En fait, il n'avait plus parlé à personne depuis la rentrée de septembre. Jusqu'au mois de juin dernier, il dialoguait de façon normale – quoiqu'un peu revêche. Mais depuis le 1er septembre, pas un mot n'était sorti spontanément de sa bouche. Il répondait seulement quand on lui parlait, et encore, à contrecœur. A dire vrai, le seul être avec il semblait encore communiquer était la jolie petite chatte au long pelage noir et or qui ne le quittait plus.
Il était devenu tellement distant. Il avait éternellement l'air de réfléchir à quelque chose d'inaccessible au commun des mortels. N'eut été sa mine sombre, on aurait pu le qualifier de rêveur.
Dumbledore savait que son changement de comportement était dû à ce qui s'était passé durant les vacances. Il ne pouvait en être autrement.
Le silence de Severus avait commencé en août. Mais à cette époque, le vieux directeur ne s'était pas alarmé. Lui et Severus avaient pris la résolution avant les vacances de rompre tout contact en cas de danger. Et l'aiguille portant le nom de Snape sur la grande pendule magique regroupant tous ses agents n'avait pas dévié une seule fois sur « Mort ». Bien sûr, il l'avait vue un temps sur « En danger », comme n'importe quelle autre aiguille l'avait fait à un moment ou à un autre. Mais elle était ensuite revenue sur « En sécurit ». Il connaissait l'aptitude de Severus à se sortir de situations périlleuses et il avait tellement d'agents sur qui veiller... Il n'avait pas voulu s'angoisser inutilement pour celui qui se trouvait être un de ses meilleurs éléments. Severus n'ayant pas réécrit une seule fois depuis, Albus en avait conclu qu'il avait été découvert et qu'il se cachait.
Lorsqu'il était revenu, juste avant la rentrée, il avait fait remarquer au professeur que ce n'était pas raisonnable de se faire ainsi voir s'il avait été découvert. Ce à quoi Severus avait répondu qu'il devait absolument reprendre ses occupations. Il ne voulait plus ruminer seul son échec. Il lui avait raconté ce qui s'était passé, du moins en partie. Il semblait encore souffrant, et Albus, n'osant imaginer ce que lui avait fait subir le Seigneur des Ténèbres, n'avait pas insisté, ne voulant pas raviver ses tourments. Il comptait sur son professeur pour se confier en temps voulu. Seulement voilà, depuis quatre mois, le sorcier solitaire ne s'était confié à personne.
Albus soupira. Il devait faire quelque chose, et ne pas laisser son professeur en proie à son mal-être. Il le convoquerait dès le lendemain matin.
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Les yeux d'or de la chatte s'ouvrirent dans l'obscurité. Cette nuit encore, son humain s'agitait. Son corps mince, recroquevillé sur lui-même comme pour se protéger d'un invisible ennemi, tremblait sans pouvoir s'arrêter. La tête enfouie dans un oreiller que sa main agrippait frénétiquement, serré contre lui, on ne voyait plus que la masse sombre de ses cheveux, mais la chatte n'avait pas besoin de voir son visage. Elle savait que sur ses traits se reflétait l'image d'une intense douleur. Elle savait car elle avait appris à déchiffrer les expressions de son compagnon humain. Elle savait car cela se répétait presque chaque nuit. Sortant de la rassurante chaleur des couvertures, elle s'approcha du sorcier et appuya son nez froid dans sa nuque, poussant de la tête pour le réveiller.
- Mrrrrraoow...
Peine perdue. Elle pressa de nouveau son museau dans le creux chaud de son cou, en vain. Qu'à cela ne tienne, elle allait utiliser l'autre méthode. Infaillible. S'aventurant de nouveau sous les plis doux des draps, elle rampa à la recherche de sa main libre et, une fois devant l'objet de sa convoitise, lui mordit un doigt à pleines dents. L'effet fut immédiat. Severus se redressa brutalement sur son séant, haletant et encore frissonnant, tout juste sorti de ses cauchemars. La chatte, assise sur le velours de la couverture, le regardait d'un air qu'on aurait pu qualifier d'inquiet s'il s'était agi d'une personne.
- Merci... murmura Severus en lui caressant la tête.
Il sourit et regarda son auriculaire meurtri.
- Tu ne pourrais pas changer un peu de doigt ? Celui-ci va finir par tomber en morceaux...
L'animal miaula affectueusement et vint quémander des câlins à son maître, se frottant avec tendresse sur sa poitrine. Severus s'allongea, le félin ronronnant dans ses bras, et fixa le haut du lit à baldaquin. Il avait encore rêvé – bien que le mot ne soit guère approprié - de cette journée funeste où il s'était fait prendre par Lord Voldemort. Cela lui arrivait bien plus souvent qu'auparavant de voir la face grimaçante du Seigneur des Ténèbres dans ses songes. Mais maintenant, c'était différent. Si dans ses cauchemars il l'effrayait bien plus qu'avant, le jour, Severus ne craignait absolument plus de le rencontrer. Sans doute la conséquence du fait qu'il était déjà passé en tant que victime entre ses mains. Et aussi parce qu'il avait affronté la mort qu'il lui avait infligée.
Jetant un œil à sa fenêtre, il vit que le soleil était encore loin de se lever. Sachant qu'il ne pourrait pas, malgré sa fatigue croissant avec les mois, retrouver le sommeil – et il ne le voulait pas – il prit le livre qui traînait sur sa table de chevet et l'ouvrit.
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La lumière des rayons du soleil perça soudain les nuages et envahit la chambre, réveillant Severus. Il ouvrit les yeux et les referma aussitôt, ébloui. Il s'était finalement rendormi. Regardant par la fenêtre, il s'aperçut que la neige avait cessé et qu'il faisait grand jour. Quelle heure pouvait-il bien être ? Le sablier de cuivre sur son bureau indiquait onze heures. Etouffant un grognement, il écarta le chat qui dormait paisiblement sur sa poitrine et se leva, pestant contre lui-même. Il déploya ses ailes dès qu'il fut debout, engourdies par une nuit d'immobilité. Dans un doux bruissement de plumes, elles s'étendirent, formant un gigantesque halo sombre autour de lui. A juger comme ça, dans le miroir d'argent ornant son armoire, elles devaient atteindre les quatre mètres d'envergure. Au moins. Il les fit battre un peu afin de faire disparaître les dernières démangeaisons et les replia derrière son dos, à la manière d'un grand oiseau. Même ainsi, elles étaient encore immenses, remarqua-t-il en observant son reflet. Il passa une main dans ses longs cheveux noirs et grimaça. Sa nuit agitée avait transformé sa chevelure lisse en une véritable crinière. Il allait encore passer un quart d'heure à démêler une tignasse pareille. On aurait dit Granger... Il savait que la magie aurait pu régler ça en un clin d'œil, mais rien ne valait à ses yeux la méthode moldue et un bon peigne. Contrairement à ce que disait la rumeur répandue parmi des élèves incapables de faire la différence entre des cheveux gras et des mèches collées entre elles par la vapeur d'eau des chaudrons, Severus prenait grand soin de l'abondante masse noire qui encadrait son long visage. C'était la seule chose qu'il appréciait dans son physique, avec son regard. Il étudia un instant ses yeux. Ce qui lui plaisait le plus était qu'il les savait insondables – les gens ne savaient jamais ce qu'il pensait, à part peut-être le professeur Dumbledore. Ils étaient de forme allongée, d'un noir si profond qu'il était impossible d'en distinguer la pupille, et bordés de longs cils tout aussi noirs. On lui avait souvent dit étant adolescent qu'il avait des yeux de fille, notamment cet imbécile de Black qui pensait le vexer, mais à seize ans, il avait eu le temps de s'habituer à son physique androgyne. L'âge passant, cela s'était atténué et ses traits s'étaient tout de même quelque peu masculinisés. Severus poursuivit l'inspection de son image. Il n'aimait pas son apparence. Il était mince, trop peut-être, et sa haute taille n'arrangeait pas les choses de plus, il avait des lèvres trop fines, un nez trop long et un teint cadavérique, mais il s'en moquait éperdument. Son aspect ne l'intéressait absolument pas, et l'opinion publique sur ce sujet encore moins, et par conséquent ne voyait pas l'intérêt de « changer un peu » comme lui avait fait remarquer le professeur Sinistra.
Sa chemise ouverte laissait apparaître l'étrange cicatrice de sa poitrine. Il écarta davantage le tissu noir et passa les doigts dessus d'un air absent. Un simple trait d'environ quatre centimètres de long, d'une couleur curieusement bleutée. Tant de choses inexplicables y étaient rattachées...
Un doux miaulement l'arracha à la contemplation de cette sinistre marque. Severus se pencha et prit l'animal dans ses bras, qui grimpa sur son épaule. A six mois, la chatte était encore minuscule, et il doutait qu'elle grandisse encore. Ses grandes oreilles, comme celles d'un jeune chaton, lui donnaient l'air malicieux d'un lutin. Le sorcier fourra ses doigts dans les longs poils d'un geste doux.
- Toi, tu es toute belle, susurra-t-il tandis qu'elle frottait affectueusement son nez froid sur le sien.
De légers coups se firent entendre sur le bois de la porte. Le sorcier, surpris, fit disparaître ses ailes rapidement et se dirigea vers la porte, le chat plantant ses griffes dans son épaule pour ne pas tomber.
Le professeur Dumbledore attendait dehors, et parut visiblement étonné trouver le directeur de Serpentard en pyjama. Celui-ci eut un instant de gêne en se remémorant sa tenue débraillée, et referma sa chemise et aplatit de la main ses cheveux ébouriffés.
- Monsieur le Directeur... murmura-t-il, confus, en s'effaçant pour le laisser entrer.
- Vous savez que vous avez un charme fou lorsque vous rougissez, Severus ? le taquina le directeur, les yeux pétillants de malice. Surtout dans cette tenue... ( je précise tout de même, pour celles qui n'auraient pas compris ( personne n'est visé... ) qu'il se paie simplement sa tête ! )
Le teint du professeur de Potions vira à l'écarlate et Albus Dumbledore étouffa un gloussement.
- Ne prenez pas cet air-là, voyons... Bon, trêve de plaisanteries... Je voulais vous parler, mais puisque je vous trouve au saut du lit, je crois que je repasserais plus tard.
- Non, non, restez, ce n'est pas grave, dit Severus en faisant un signe en direction du fauteuil qui trônait devant la cheminée. Puisque vous êtes là... Voulez-vous une tasse de th ? demanda-t-il alors que la petite chatte sautait de son épaule sur les genoux du directeur.
- Non merci. J'ai déjeuné il y a à peine une heure et demie.
Severus se prépara une tasse puis prit place sur le lit qu'il avait refait d'un coup de baguette.
- Qu'aviez-vous à me dire ? s'enquit-il avant de boire une gorgée de thé – bouillant – et de se brûler la langue.
Le vieux sorcier le regarda dans les yeux. Il avait pris un air grave.
- Severus, sincèrement… vous m'inquiétez ces derniers temps.
- Moi ? pourquoi ? s'étonna l'intéressé.
Albus Dumbledore laissa échapper un soupir. La conversation n'allait pas être simple.
- Vous ne parlez plus à personne, vous restez cloîtré dans votre chambre, ou dans votre bureau, vous avez l'air sans cesse dans les nuages – et de bien tristes nuages à en juger par votre expression – vous semblez constamment épuis : hier soir vous avez été le premier à partir et vous trouvez le moyen de vous lever avec une mine affreuse ! Qu'est-ce qui vous perturbe de la sorte ?
- Rien... Je vais bien.
- Severus, cessez de dire des choses auxquelles vous-mêmes ne croyez pas. Vous n'allez pas me faire croire que vous allez bien. N'importe qui dans le collège peut constater que vous présentez tous les symptômes d'une personne qui ne dort pas. Et vous êtes comme ça depuis la rentrée.
- C'est exact, je ne dors pas ces derniers temps. Ce n'est rien, juste de la fatigue. Ca passera.
- Si quelque chose vous tourmente, vous savez que vous pouvez m'en faire part, insista le directeur de Poudlard. Vous faites des cauchemars, n'est-ce pas ?
C'était plus une affirmation qu'une question.
- Ce n'est pas nouveau, répondit le professeur Snape qui fixait obstinément le paysage, fuyant le regard du vieux magicien. Ca fait trente-cinq ans que je fais des cauchemars.
- Je me trompe peut-être, mais j'ai l'idée qu'ils sont plus virulents depuis cet été...
- Non, rien de nouveau.
Il avait répondu trop vite pour paraître sincère, et Albus le savait. Il y eut un instant de silence.
- Je me demandais, Severus... si votre Marque avait changé depuis que vous vous étiez fait prendre par Lord Voldemort. Si elle s'atténuait, ou autre chose… questionna finement Dumbledore guettant la réaction de Severus.
Celui-ci blêmit. Ses yeux toujours posés sur le blanc éblouissant de la neige commençaient à lui faire mal.
- Non.
- Vous ne voulez toujours pas me dire ce qui s'est passé ce jour-l ? demanda doucement le directeur.
Severus baissa le nez vers sa tasse de thé encore pleine et resta muet. Il n'avait pas besoin de regarder son supérieur pour savoir qu'il était déçu, et il détestait ça. Mais tant pis.
- J'avoue que je ne vous comprends pas. Quoiqu'il ait pu se passer, ce n'était pas votre faute. Personne n'est infaillible. Je sais que vous avez souffert - et d'ailleurs j'ignore toujours comment vous vous en êtes sorti - et je sais aussi que cela doit être pénible à endurer aujourd'hui, mais vous murer dans le silence ne résoudra rien. Ce sont des choses difficiles à raconter, j'en conviens, mais je suis persuadé que c'est la meilleure solution pour oublier tout cela justement, au lieu de le ressasser indéfiniment.
Oui, Severus savait tout cela. Mais il ne pouvait se résoudre à parler, quelque chose en lui l'en empêchait. Il tenait à garder le secret de cette effroyable journée et de la nuit qui avait suivi pour lui.
- Je vous assure que je ne vous ai rien caché qui puisse vous être utile, finit-il par dire. Le reste n'a pas d'importance... Ca ne regarde que moi, murmura-t-il tout bas.
- Je me moque de ce qui est utile ou non, Severus, déclara fermement Dumbledore. Pour l'heure, c'est de vous dont je me préoccupe, et la santé psychologique de mes agents me regarde. Et je considère que celle de mes amis aussi, catégorie dans laquelle vous vous trouvez également. Je suis plus que navré de voir que vous persistez dans votre mutisme, cela ne peut que vous être néfaste, ajouta-t-il d'un ton désolé. Mais je ne suis pas en mesure vous aider contre votre gré.
Il se leva et posa une main sur l'épaule de Severus, qui contemplait toujours son thé.
- Si jamais vous décidez tout de même de parler... vous savez que je suis là.
Il se dirigea vers la porte, mais au moment où il abaissait la poignée de métal, se retourna.
- Descendez malgré tout en salle des professeurs...
Son regard avait retrouvé son étincelle habituelle.
- Le Père Noël est passé...
Il sortit, laissant derrière lui un Severus troublé.
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