Chapitre 4
Something in me, dark and sticky
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Something in me, dark and sticky
All the time it's getting strong
No way of dealing with this feeling
I can't go on like this too long
"Digging in the Dirt", Peter Gabriel
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Il aurait dû parler, il était conscient. Mais il ne pouvait pas c'était tout simplement impossible. Le directeur de Poudlard avait raison. Il se sentait horriblement mal. La paix si reposante de la veille avait disparu avec la nuit. Chaque soir, il espérait trouver le repos, et chaque matin il se réveillait la tête pleine d'atrocités. Durant les derniers mois, il avait travaillé nuit et jour sans relâche afin de ne songer à rien d'autre qu'à ses cours de Potions, mais les vacances étaient à présent entamées depuis quatre jours et il avait déjà fait tout ce qu'il avait à faire pour la rentrée. Maintenant qu'il était inoccupé, il était de nouveau assailli par d'insupportables pensées, en plus de ses insomnies ou de ses cauchemars. Son esprit commençait à saturer. Il devrait peut-être réfléchir à une nouvelle potion anti-rêves. Celles déjà existantes n'avaient plus d'effet sur lui depuis bien longtemps. Et ça le distrairait de ces horreurs... Sans qu'il puisse résister, l'image des pauvres innocents que Lord Voldemort avait torturés devant lui avec un plaisir sadique lui revint en mémoire. Il n'avait rien pu faire. Ou si peu. Ils avaient été cinq à se faire prendre, un Auror, une sorcière et trois moldus, dont un enfant. Severus avait déjà enduré plus de souffrances que dans les trente-cinq années précédentes de sa vie lorsqu'ils avaient été amenés aux pieds de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom. Celui-ci s'était alors désintéressé un moment du traître à sa cause pour s'occuper des nouveaux arrivants. Malgré l'état pitoyable dans lequel il se trouvait, sa vue qui se brouillait, Severus avait suivi très clairement ce qui avait suivi. L'Auror était déjà très affaibli. Les Mangemorts l'avaient probablement interrogé avant d'être amené à celui qui incarnerait son trépas. Il le revoyait tomber, le premier. Puis la sorcière et les deux Moldus adultes avaient été torturés avec soin devant les yeux épouvantés de la petite fille. Il revoyait le visage de celle-ci, déformé par la terreur, traumatisée par l'horreur de la scène. Elle avait vu, à cinq ou six ans, ses parents suppliciés puis sacrifiés sans raison, et allait probablement subir le même sort. La rage avait envahi Severus, qui gisait toujours à terre. Il avait vainement tenté de se relever. Le pied d'un Mangemort l'avait atteint dans ses côtes déjà blessées. Il réentendait le cri de la fillette lorsque le corps de sa mère était heurté le sol avec un bruit étouffé. Il savait que son ancien maître avait sciemment torturé ses parents devant la fillette. La peur qu'il inspirait était pour le terrible sorcier une véritable jouissance. Il réentendait ses hurlements lorsque Lord Voldemort s'en était pris à elle. Il lui avait fait subir les pires atrocités. Il réentendait ses mots, à la fois glacials et amusés, couverts par les sons stridents, inhumains de la voix de la blondinette : « A toi de choisir, Severus. Préfères-tu la voir se tordre de douleur jusqu'à en mourir ou abréger toi-même ses souffrances ? » Les hurlements continus avaient sorti l'ex-Mangemort de la torpeur dans laquelle il s'était trouvé plongé.
Le choix. La voir mourir d'une atroce et lente agonie, ou l'exécuter lui-même.
Le mage noir avait levé un instant sa baguette pour la pointer sur Severus, aussitôt pris de convulsions. « Et bien ? N'as-tu pas entendu ma question ? » Lorsque le sortilège interdit s'était interrompu, Severus, respirant avec peine, chaque souffle lui déchirant la poitrine, avait pu distinctement voir le regard bleu azur de la fillette au travers de ses larmes. Un regard implorant, désespéré. Qui demandait que cela cesse au plus vite. Qui lui demandait à lui. Il comprit qu'elle aussi avait entendu la proposition du terrifiant sorcier. Lord Voldemort avait repris le martyr de la petite blonde. Ce regard intense, Severus s'en souviendrait toute sa vie. Il n'avait duré qu'une fraction de seconde, mais cela lui avait suffi pour prendre sa décision.
« Arrêtez... avait-il soufflé, à bout de forces. Arrêtez... »
Il s'était péniblement mis à genoux sur le sol de pierre. Un sourire diabolique avait fendu le visage d'ophidien de Lord Voldemort. Il avait tendu à Severus sa baguette qu'il avait dans sa poche, et un peu de chaleur avait parcouru les veines de celui-ci au contact de l'instrument de bois familier. Le spectre d'un sourire de reconnaissance était passé sur les lèvres exsangues de la petite fille, et elle avait serré contre elle sa poupée alors que la voix de Severus, dans un murmure imperceptible, laissait échapper les deux mots fatals. Une lumière verte l'avait aveuglé, et il avait sombré dans l'inconscience.
Comment aurait-il pu raconter cela à quelqu'un ? Même à Albus Dumbledore, il ne pouvait pas rapporter ce qui s'était réellement passé. Il secoua la tête pour chasser les yeux bleus qui le hantaient. Il devait cacher aux autres son malaise. Il ne l'avait pas pensé aussi flagrant. A présent, il devrait montrer meilleure figure, même si intérieurement, il n'y avait aucun changement. Il passa dans la salle de bains et en ressortit enfin présentable, avant de prendre la direction de la salle des professeurs, la chatte sur ses talons.
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