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Chapitre 11

Les corbillards de mes rêves

Vos vastes nuages en deuil

Sont les corbillards de mes rêves,

Et vos lueurs sont le reflet

De l'Enfer où mon cœur se plaît.

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Les Fleurs du Mal,

Charles Baudelaire

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Si la semaine suivante passa à peu près correctement – mis à part ses querelles régulières avec le professeur Dana O'Shee, la troisième semaine de janvier fut épouvantable. Tout d'abord, sa Marque l'avait brûlé dès le lundi matin, mais il n'en avait soufflé mot à personne. Ensuite il s'était rendu compte que sa collaboration avec le professeur Dana O'Shee, qui ne prendrait fin qu'avec la maladie d'Aegra, serait encore plus pénible que prévu. Il leur était impossible de travailler chacun de leur côté. Ils avaient bien tenté au début, de se mettre d'accord sur le thème puis de faire leur cours sans se concerter, mais de toute évidence Mademoiselle Je-sais-tout-j'ai-tout-vu avait fait une même leçon d'une toute autre manière que lui, à tel point que leurs deux cours se contredisaient. Ce qui avait donné lieu à quelques accrochages en salle des professeurs, et, malheureusement ses collègues prenaient partie pour elle. En particulier McGonagall, qui avait dit à plusieurs reprises à Severus que c'était à lui de s'arranger pour que tout concorde, étant donné que c'était seulement la première année de Myrane. Celui-ci, déjà fort contrarié, avait alors lancé quelques remarques bien senties sur le peu d'expérience de Myrane Dana O'Shee, sur le fait que l'éducation n'était certainement pas sa vocation et autres sous-entendus venimeux, tant et si bien que l'intéressée, abandonnant son assurance et toute retenue, avait fini par sortir en pleurs de la salle. Il dut essuyer les regards accusateurs des autres professeurs et le flot de reproches de la sous-directrice, et finit par quitter également la pièce. De plus les Gryffondor avaient pris la tête du Championnat de Quidditch en écrasant les Poufsouffle 30 à 210, ce qui l'agaçait profondément.

Mais le jeudi matin tomba le pire de tout : il n'avait plus de quoi oublier son sinistre quotidien. Son narguilé salvateur ne lui était plus d'aucune utilité, sa « réserve personnelle » s'était vidée bien plus vite qu'il ne pensait. Et cela, ajouté à tout le début de semaine, le mettait de fort méchante humeur. Tout d'abord parce que le fait de ne pas pouvoir se détendre le soir rendait ses journées encore plus pénibles. Et il était en colère après lui-même de ne pas avoir prévu, de ne pas avoir su se raisonner, aussi. Et puis cela lui manquait terriblement. Mais l'idée de devoir s'endormir sans avoir l'esprit clair et libre de tout souci l'angoissait par-dessus tout. Plus il y pensait, plus il s'angoissait, et plus il s'angoissait, plus il y pensait. Le soir, à la fois furieux et stressé, il avala trois tasses de café - bien que détestant cela – souhaitant reculer le plus possible le moment où il s'endormirait. Mais cela eut pour seul effet de l'énerver encore davantage. Il décida finalement d'essayer de se calmer, et sortit sur le balcon respirer un peu. La nuit était d'un noir d'encre et pas une seule étoile ne parvenait à percer la couverture de nuage qui tapissait le ciel. Il avait cessé de neiger depuis quelques jours, mais il faisait toujours aussi froid et le tapis immaculé recouvrait toujours le parc. Le bonhomme de neige que les jumeaux Weasley avaient fait à l'image de Rusard – plutôt ressemblant d'ailleurs, il fallait l'avouer – regardait d'un air hargneux en direction du château, ce qui faisait beaucoup rire les élèves, mais un peu moins le concierge, cependant. Severus soupira longuement, exaspéré. Il n'arrivait pas à reprendre le contrôle de ses nerfs et n'en était que plus irrité. La chatte était partie quelques heures plus tôt, froissée, après qu'il l'ait envoyée sur les roses alors qu'elle venait réclamer des caresses. Il soupira à nouveau. Absolument tout l'énervait. Depuis les bûches qui craquaient dans le feu jusqu'à la seule pensée de sa collaboratrice. Et il était encore bien plus énervé après lui-même. Rien que ces stupides ailes qui étaient là dans son dos et ne lui servaient absolument à rien sinon à le faire souffrir dès qu'il s'avisait de les dissimuler. Symbole d'un échec. La pluie se mit à tomber mais il n'y prêta pas attention. Accoudé à la balustrade, son pull à col roulé – noir - absorbant l'eau comme une éponge, il eut un sourire ironique. Avec un peu de chance, il réussirait à attraper une pneumonie et pourrait se prélasser dans son lit à loisir comme Aegra. Et Dana O'Shee pourrait faire son remplacement toute seule comme une grande. Oui... Mais ça n'était pas allongé sous ses couvertures qu'il allait se procurer de quoi s'évader – son esprit du moins. Il éternua et décida de rentrer, claquant la porte-fenêtre avec violence derrière lui et s'écroula sur son lit, envoyant valser ses chaussures à l'autre bout de la pièce. Après une fraction de seconde, il se releva d'un bond et alla s'asseoir à son bureau. Il ne fallait pas qu'il s'endorme. Il entendait déjà les rires sardoniques des Mangemorts qui viendraient troubler son sommeil, il voyait la face grimaçante du Seigneur des Ténèbres.

« Arrête d'y penser, arrête, ça sera pire si tu y penses, pense à autre chose, pense à autre chose… »

N'y parvenant pas, il rouvrit les yeux, et d'un grand mouvement, balaya tout ce qui était posé sur la table et qui se trouvait l'exaspérer par sa simple existence – à savoir des copies qui se dispersèrent en virevoltant, son sablier qui s'écrasa sur le sol. Seul resta sur la table le poignard, ce poignard idiot que la main de Severus n'avait pas atteint. Ce poignard idiot qui faisait des choses idiotes qu'un poignard normal ne faisait pas et qu'il ne comprenait pas, malgré des heures de recherches et de réflexion. De colère, Severus le lança contre le mur d'en face, qu'il cogna brutalement. Il retomba sur le parquet, sans un seul éclat. Un poignard idiot qui ne se brisait même pas en plus... Il cherchait un autre objet sur lequel passer son énervement lorsque l'on frappa à la porte, le faisant sursauter.

« Si c'est Dana O'Shee, je vais commettre un meurtre... D'ailleurs, ça peut être n'importe qui, il va y avoir des morts. ... Hum. En fait, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée d'aller ouvrir. Non, allez mourir ailleurs, j'ouvrirais pas. » songea-t-il en posant sa tête sur ses bras croisés.

On frappa de nouveau, et il se leva, excédé.

« Finalement, je suis sûr que ça me calmerait les nerfs... Faudra juste penser à nettoyer après... » Il se dirigea vers la porte, hésitant entre étrangler ou balancer par la fenêtre la personne qui attendait derrière la porte. Il heurta de pleine face le mur invisible qui lui rappelait de rentrer ses plumes avant de sortir et il laissa échapper une bordée de jurons. Ses ailes disparues, il tendit la main vers la poignée, comptant bien faire payer cela au coupable. Mais Severus oublia ses envies de meurtres dès qu'il eut ouvert la porte – assez brusquement.

- Monsieur le Directeur ? articula-t-il en déglutissant difficilement. ... Que puis-je pour vous ?

- Vous ne me semblez pas être dans votre meilleur jour, mais puis-je tout de même vous dire quelques mots, Severus ?

Severus vira au rouge puis au vert lorsqu'il se rendit compte que les expressions fleuries qu'il venait d'employer n'avaient certainement pas échappé aux oreilles du directeur.

- Euh... oui, bien sûr, répondit-il tout en donnant des coups de baguette à droite, à gauche dans son dos dans l'espoir de remettre sa chambre en état.

- Vous êtes sorti ? demanda Dumbledore tandis qu'il entrait derrière Severus.

- Hein ? euh, oui. Il pleut, répondit bêtement celui-ci, bien qu'étant mouillé de la tête aux pieds, il n'avait pas besoin de le préciser. Vous voulez boire quelque chose ?

- Un chocolat chaud ne serait pas de refus...

Severus se prépara une quatrième tasse de café, et tandis que le directeur fixait le feu d'un air pensif, sa tasse dans la main, il se hâta de faire disparaître le narguilé sous son lit d'un coup de pied. Le directeur sortit de sa contemplation quelques secondes plus tard et regarda Severus.

- Je voulais vous parler de Myrane Dana O'Shee, Severus.

Il manqua de s'étrangler avec son café.

- Ah oui ?

- Severus, reprit très sérieusement Dumbledore. J'aimerais réellement que vous présentiez vos excuses au professeur Dana O'Shee.

Il s'étrangla vraiment.

- Moi ? et pourquoi ? demanda-t-il entre deux quintes de toux.

- Vous n'ignorez pas qu'elle a été très affectée par les remarques que vous lui avez faites hier, dit gravement le directeur de Poudlard en prenant place dans un fauteuil près du feu. Et d'après Minerva, elle est sortie plusieurs fois de votre bureau en pleurs.

- Alors pourquoi poursuit-elle cet intérim avec moi si elle me supporte aussi mal ? Je ne vois pas pourquoi je m'excuserais, je lui ai dit très clairement ce que je pensais, c'est tout.

- Elle veut faire son travail jusqu'au bout, d'abord parce que je lui ai demandé, et parce qu'elle aime ça. C'est d'ailleurs pour cela qu'elle a très mal pris votre remarque sur le fait qu'elle n'aurait jamais dû être professeur. Quant au fait que vous lui ayez dit ce que vous pensiez, je n'en doute pas, et c'est justement ce que je vous reproche.

- Je suis vraiment navré d'avoir froissé sa susceptibilité.

- Il ne s'agit pas de ça, Severus ! dit Dumbledore. Cette jeune femme subit déjà une certaine pression du fait qu'elle vient juste de commencer à enseigner. Elle doit en plus assumer un remplacement. Si elle a voulu paraître assurée devant vous, elle ne l'est en fait pas du tout, et j'espérais que vous le comprendriez et que vous pourriez l'aider. Vous êtes le seul à pouvoir remplacer le professeur Aegra de par vos connaissances. Ce n'est pas que le professeur Dana O'Shee en manque, loin de là... Elles sont simplement moins traditionnelles, si j'ose m'exprimer ainsi. Elles complètent les vôtres en attendant le retour de William. Cependant, il est vrai qu'elle manque d'expérience, et j'ai pensé qu'après quatorze ans passés à enseigner, vous seriez à même de la guider quelque peu. Je serai désolé de m'apercevoir que je me suis trompé... termina-t-il dans un murmure.

Cette dernière phrase atteignit profondément Severus.

- Je suis allé voir Myrane Dana O'Shee tout à l'heure, et il me semble qu'elle ne vous tient pas rancune de la journée d'hier. Pensez tout de même à aller la voir.

Avant qu'il n'ait pu répondre, le vieux sorcier s'était levé et avait prit congé, le laissant seul en proie à ses méditations.

Il n'avait absolument pas songé à ce remplacement de cette façon. La seule chose qu'il avait vue, c'est qu'on lui imposait une collaboratrice. Voilà qu'il devait lui apprendre à faire cours, en plus. Et il doutait fort qu'ils puissent arriver à s'entendre. D'abord parce qu'il n'en avait pas la moindre envie, elle l'agaçait bien trop. Enfin s'il était censé lui apprendre à enseigner, peut-être serait-elle un peu plus respectueuse et ne passerait plus son temps à le contredire. En tout cas, sa colère était complètement retombée depuis que le directeur était entré, et ça n'était pas plus mal. Il étouffa un bâillement et se chercha une occupation. Il sécha d'abord ses vêtements parce qu'il commençait vraiment à grelotter sous les étoffes mouillées et qu'il n'avait finalement pas plus envie que ça de tomber malade. Il jeta un regard dégoûté aux copies qui étaient revenues sur son bureau et préféra se diriger vers sa bibliothèque. Il en sortit un volume relié de cuir intitulé Dracula, de Bram Stoker, et tourna son fauteuil vers le feu avant de s'y installer.

Environ quarante minutes passèrent ainsi avant que la chatte ne rentre par la chatière qui s'ouvrait par magie au bas de la porte. Elle traversa la chambre de son pas félin et passa devant son maître la tête haute, avant de s'allonger sur le tapis devant la cheminée, lui tournant ostensiblement le dos.

- Non seulement c'est susceptible mais en plus c'est rancunier, ces petites bêtes-là, déclara Severus, amusé par son manège. Tu me fais la tête ? Allez, viens, demanda-t-il en tapotant son genou du bout des doigts. Viens... Non ? Bon, très bien.

Il posa son livre sur l'accoudoir, se leva et alla ramasser le chat étendu de tout son long.

- Viens, j'ai dit, répéta-t-il en l'installant sur ses genoux et en lui grattant gentiment le menton.

La chatte ne se fit pas prier plus longtemps et se mit à ronronner de plaisir. Au bout de quelques minutes, elle s'installa plus confortablement pour faire sa toilette et Severus reprit sa lecture.

- Tu ne veux pas arrêter de gigoter un peu ? Je n'arrive plus à lire. Et puis c'est qu'elle est longue en plus... Tu es bien une demoiselle, toi, pour passer autant de temps à faire ta toilette. Surtout que tu l'as déjà faite trois fois depuis ce matin. Est-ce que je passe des heures dans la salle de bains, moi ?

La chatte, occupée à se passer la patte derrière l'oreille, miaula légèrement.

- Ce n'est pas vrai, se défendit-il tandis qu'elle grimpait sur son épaule droite pour s'y pelotonner, la tête dans le creux de son cou.

Il leva la main pour la caresser, reprenant son livre dans l'autre.

- Les Moldus ont vraiment une imagination débordante, c'est ahurissant. Quel dommage que tu ne saches pas lire... " ...je vis le comte – c'est un vampire - sortir lentement par la fenêtre et se mettre à ramper, la tête la première, contre le mur du château. ... Je voyais parfaitement les doigts et les orteils qui s'agrippaient aux rebords de chaque pierre... il descendit rapidement, exactement comme un lézard se déplace le long d'un mur » Comme si les vampires n'avaient que ça faire de jouer au lézard sur des murs de château... Et dire qu'ils ne croient même pas à leur existence. Ceci dit, j'aime bien ce bouquin... Le Comte, surtout...

Il poursuivit sa lecture d'un air distrait. Mais le ronronnement doux et régulier de la chatte et la chaleur des flammes devant lui finirent par avoir raison de lui et il s'assoupit.

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Il était dans la Forêt Interdite. Rien ne bougeait. Seul au milieu de l'obscurité, Severus commença à avancer prudemment. Il voulut sortir sa baguette, mais curieusement, il ne l'avait pas sur lui. Ses ailes étaient repliées sur son dos. Il aperçut une forme accroupie à quelques mètres sur sa gauche. Une lanterne éclairait faiblement la silhouette et Severus reconnut les cheveux roux de Dana O'Shee. Mais qu'est-ce qu'elle faisait la ? Il plissa les yeux et distingua une plante dans sa main gauche. Et dans la droite... son propre poignard. Il resta un moment interdit. Soudain la lanterne s'éteignit et elle disparut. Il continua son chemin sans tarder, comme attiré par quelque chose. Il n'aurait su dire combien de temps il marcha ainsi, discernant difficilement le chemin devant lui. Il releva brusquement la tête. Un rai de lumière blanche perçait l'épaisse couche de feuilles et illuminait une forme dressée au milieu des arbres. Instinctivement, il avança vers elle. Il s'aperçut alors que la forme n'était autre que la petite Moldue blonde et accéléra le pas. Elle tenait sa poupée serrée contre elle, et elle lui sourit. Même à cette distance, il pouvait voir sans peine ses yeux couleur de ciel. Une grande silhouette sombre pénétra derrière elle dans le cercle de lumière. Severus se mit à courir à perdre haleine vers la fillette, mais elle semblait toujours hors de portée. La face ophidienne du mage noir se tordit en un sourire maléfique, et sa longue main semblable à celle d'un squelette s'avança vers la tête blondine comme un serpent rampant vers sa proie. Il voulut crier pour alerter l'enfant mais aucun son ne sortit de sa gorge. Il courait toujours plus vite sans se rapprocher, et lorsqu'il voulut déployer ses ailes pour gagner en rapidité, rien ne se produisit. Il se retourna promptement, sentant une présence derrière lui. Myrane Dana O'Shee, à une dizaine de mètres, lui faisait face et lui souriait. Elle tenait toujours son poignard, mais à présent il était couvert... de sang. Elle porta sa main libre devant ses lèvres et souffla dessus, faisant s'envoler vers lui une plume noire. Son sourire malveillant s'élargit et elle se fondit dans l'obscurité. Son apparition avait duré moins d'une seconde. Severus regarda à ses pied et vit des gouttes de sang maculant la terre. Ses ailes... Reprenant soudain conscience de la situation, il se tourna vers la petite blonde, mais avant qu'il ait pu faire quoique ce soit, la main osseuse passa devant la tête de l'enfant, qui continuait à lui sourire d'un air confiant. Les doigts crochus se refermèrent comme des serres sur la poupée et l'arrachèrent aux bras de la fillette, qui s'écroula sur le sol. Le visage du Seigneur des Ténèbres se métamorphosa et prit peu à peu l'apparence de celui de Severus, ayant toujours le même affreux rictus aux lèvres.

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Le sorcier se réveilla en sueur au pied de son fauteuil. Il avait dû tomber en dormant. Il jeta un regard navré à son pauvre doigt mâchouillé et se prit la tête entre les mains.

- Je n'en peux plus de ces cauchemars...

La petite chatte sauta sur son épaule et pressa gentiment sa tête dans son cou.

- Oui, ça va. Tu es gentille… merci. Tu as de la chance d'être un chat. Tu ne peux pas savoir la plaie que c'est d'être né humain. Même en cherchant bien, je ne vois aucun avantage à faire partie de la soit-disant espèce la plus intelligente de la planète. On est quel jour, déja ? marmonna-t-il en se levant. Vendredi, non ? Il faut absolument que je trouve le temps d'aller à l'Allée des Embrumes avant ce soir. Au moins, là-bas, ça ne paraîtra pas étrange que je prenne autant d'opium d'un coup. Et puis, ils me connaissent bien, ajouta-t-il amèrement.

Se remémorant soudain la totalité de son rêve, il sortit ses ailes.

- Au moins, elles sont toujours là... Ca m'aurait embêté, je m'y suis fait, à la longue. Mais qu'est-ce que c'était que ce cauchemar ? s'interrogea-t-il, pensant à voix haute, en s'asseyant sur son lit. Et qu'est-ce qu'elle venait faire là-dedans, Dana O'Shee ? En plus de mes soirées, elle me gâche mes nuits maintenant... Elle est insupportable.

Il s'assit sur son lit, le dos appuyé sur un des montants du baldaquin et les jambes allongées sur les couvertures. Il rejeta la tête en arrière, fixant le haut du lit.

- Et toujours cette... cette pauvre gamine. Je crois que je suis condamné à la voir dans chacun de mes rêves jusqu'à la fin de mes jours. C'est peut-être mieux comme ça. Même avec l'esprit... plus clair, je la vois, dit-il à la chatte qui, assise sur ses jambes, le regardait de ses prunelles dorées. Mais pas du tout de la même façon. Il n'y a plus de Mangemorts, ni de Seigneur des Ténèbres. Elle rit.

Il frotta sa tempe d'un air las.

- Il faut que j'arrête de penser à tout ça, ce ne sont que les rêves stupides d'un pauvre imbécile. Tu sais, je crois que si j'avais su son nom, je te l'aurais donné.

La chatte cligna des yeux comme si elle acquiesçait.

Severus n'avait jamais autant parlé avant de trouver la chatte au fond de son jardin. Ce n'était pas vraiment dans son caractère de se confier, il n'était pas d'un naturel bavard. C'était sans doute dû à son état d'esprit lorsqu'il l'avait trouvée. Il était alors en pleine convalescence et en pleine dépression, un peu avant mi-août. Il avait passé la fin de ses vacances à s'occuper de lui mais surtout de l'animal, très jeune. Ils s'étaient peu à peu attachés l'un à l'autre, et il avait pris l'habitude de lui parler. Et la chatte répondait, à sa manière. Il ne l'aurait avoué à personne, mais au fond de lui, il avait l'intime conviction qu'elle le comprenait parfaitement.

Il resta assis sur son lit un moment, puis se leva.

- Je ne peux plus rester là... Je vais faire un tour dehors, tu viens ? demanda-t-il en allant prendre sa cape d'hiver dans son armoire.

Il hésita un instant avant de la mettre, et jeta un coup d'œil au sablier. Il indiquait cinq heures et quart. Il n'y avait personne dehors à une heure pareille, et quand bien même, il faisait encore nuit noire. Personne ne serait capable de remarquer les deux renflements que formaient ses ailes sous sa cape. Aussi la posa-t-il sur ses épaules avant de se diriger vers la porte. Un éclat argenté le fit se tourner sur sa droite. Le poignard luisait doucement à la lueur des flammes et des chandeliers. Agissant plus impulsivement que consciemment, Severus saisit l'arme, la rangea dans son fourreau et la passa à sa ceinture. Il préférait la savoir là. Il fit ensuite mine de sortir, mais s'arrêta brutalement sur le pas de la porte.

- Ah oui. La porte. Désensorceler la porte avant.

Il défit l'enchantement et sortit sur le palier.

- Alors, tu viens ?

La chatte s'étira lentement, puis sautant du lit, le rejoignit d'un pas nonchalant. Il la prit dans ses bras et elle s'installa à son poste d'observation préféré, sous sa capuche.

Il sortit dans le parc enneigé et fit quelques pas. Le soleil, tout comme les habitants du château, était encore loin de se lever. Il regarda en direction de la Forêt Interdite, mais il n'avait pas vraiment envie de s'y promener. Il marcha un peu puis alla s'asseoir au pied d'un grand saule pleureur au bord du lac. L'étendue d'eau était belle ainsi gelée. Les nuages avaient disparu et la lune éclairait le firmament. La chatte sortit de sous la cape de Severus et trottina vers le lac, curieuse. Elle s'arrêta au bord et renifla la glace, puis posa prudemment une patte, puis deux sur la glace. Elle fit quelques pas, puis prit de l'assurance et voulut marcher plus avant. Elle dérapa et essaya de planter ses griffes dans la glace pour reprendre son équilibre, mais cela ne la fit que plus glisser. Elle tenta alors désespérément de se maintenir debout, mais au bout de quelques secondes, tomba sans parvenir à se relever. Severus eut un bref éclat de rire en la regardant se battre pour se rétablir sur ses pattes, puis, prenant pitié, il se leva et s'accroupit au bord du lac. Il ne pouvait pas attraper la chatte et il ne tenait pas du tout à aller la chercher. Il sortit donc sa baguette et l'attira jusqu'à la berge, avant de la prendre dans ses bras de nouveau.

- Ca ne te réussit pas le patinage artistique, on dirait.

Il se tut un instant.

- Je crois que tu es la dernière personne encore capable de me faire rire... Ah, tu as les pattes gelées, ne les mets pas dans mon cou ! On va aller faire un tour un peu plus haut. Je n'ai pas envie de rester dans le parc.

Il passa devant le terrain de Quidditch et commença à grimper les premières collines précédant les montagnes qui entouraient le château. Le temps était froid mais sec, et la montée ne fut pas difficile. Arrivé au sommet de l'une d'entre elles, il se laissa tomber dans la neige – sa cape était imperméabilisée. Le paysage était magnifique tout de blanc vêtu. De là où il était assis, Severus pouvait voir l'ensemble de Poudlard et la Forêt Interdite, avec, dans un creux sur la droite, Pré-au-Lard endormi. Derrière lui, les montagnes, blanches de leur pied jusqu'à la cime. Rien ne venait troubler son esprit alors qu'il contemplait sans réfléchir les environs. La chatte, elle, finit par s'ennuyer et se mit à gambader gaiement dans la neige. Plus que le silence, c'était une impression de paix qui régnait ici. Poudlard était enfermé dans une bulle coupée du monde, loin du Seigneur des Ténèbres et de ses sbires. C'était tellement étrange. Severus appréciait ce calme de la nuit. N'eût été son manque d'opium et de sommeil, il se serait presque senti bien. Il aurait voulu voir le lever du soleil sur les montagnes, mais il serait rentré au château avant pour ses cours. Il resta assis là un long moment – il ne savait absolument pas depuis combien de temps il était sorti. Il se leva finalement avec regret pour reprendre le chemin du château lorsqu'il vit les toutes premières lueurs de l'aube pointer entre deux sommets, loin devant lui. Il redescendit lentement, tandis que la petite chatte se roulait toujours avec délices dans la neige poudreuse. Il dépassa la porte du parc et, arrivé à mi-chemin, se figea un instant en apercevant devant le château une silhouette encapuchonnée.

« Oh non, dites-moi que je cauchemarde... »

Il prit une longue inspiration et décida de passer devant le professeur Dana O'Shee comme si de rien n'était.

- Bonjour Professeur Snape, dit celle-ci d'un ton poli mais froid, alors qu'il marchait le plus loin d'elle possible sans que cela ne paraisse trop suspect.

Il répondit par un vague hochement de tête et continua son chemin, mais une fois devant la lourde porte de chêne, une petite voix résonna dans sa tête.

« Le professeur Dumbledore ne t'as rien demand ? » C'est fou comme certaines choses peuvent si vite s'oublier. Oui, et bien ça pouvait attendre. Il poussa la porte.

« Mais il va être déçu s'il apprend que tu ne l'as pas fait... » C'était fort probable. Severus réfléchit un instant et jeta un coup d'œil derrière lui. La jeune femme se promenait sur le bord du lac. Rien que sa façon de marcher l'agaçait. Il n'avait vraiment pas envie de commencer sa journée de la sorte. Dans moins de cinq minutes, il serait certainement d'une humeur exécrable. Mais la petite voix se faisait de plus en plus insistante, et l'image de deux yeux bleus le regardant d'un air peiné le firent céder. Et puis au moins, il n'y avait personne ici pour assister à cette humiliation. Ca serait toujours mieux qu'en salle des professeurs. Il lâcha la porte et se dirigea vers le professeur de Magie et culture ancestrales, l'air maussade. Son rêve lui revint en mémoire. « Ah, c'est bien le moment de repenser à ça. Ce n'était qu'un cauchemar stupide. Quand je pense que je vais faire mes excuses à cette petite peste... » Il soupira.

- Professeur Dana O'Shee ?

Celle-ci se retourna, l'air étonné et méfiant. Severus ne put s'empêcher de se remémorer son cauchemar.

- Je voulais que vous sachiez que je suis désolé que vous ayez mal pris ma remarque avant-hier, et je vous présente mes excuses, mentit-il.

Elle le fixa quelques secondes, comme doutant de sa prétendue sincérité.

- Je les accepte, et je vous remercie de les avoir faites, répondit-elle, pas dupe pour un sou.

Elle hésita avant de poursuivre.

- Je ne vous en veux pas, dit-elle un peu embarrassée. Le professeur McGonagall m'a dit que vous n'alliez pas très bien en ce moment et...

- Ah tiens ? coupa-t-il d'un ton sec. Elle a dit ça ? Et bien avec tout le respect que je lui dois, je suis au regret de lui dire qu'elle se trompe. Je vais très bien, termina-t-il en tournant les talons, sa grande cape flottant derrière lui.

Et voilà, cela, n'avait pas loupe : il était de mauvaise humeur.

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