Chapitre 2 : Chasse à l'homme – Partie 1
Quand vous cherchez quelqu'un comme Hannibal Lecter, il n'est jamais facile de savoir par où commencer et Clarice savait fort bien qu'il ne fallait pas s'attendre à une négligence de la part du docteur. La première question à laquelle l'agent spécial devait répondre était donc tout simplement : comment trouver quelqu'un qui a réussi à échapper à la police pendant plus de dix ans ?
Après avoir relu une centième fois le dossier du docteur, Clarice devait se rendre à l'évidence que rien ne pouvait indiquer où il se trouvait. Pourtant, depuis la tentative de vengeance de Mason Verger, il lui semblait qu'elle connaissait encore mieux le docteur, ses goûts, sa façon de penser ou d'agir...
Il fallait commencer par là à nouveau. Essayer de mieux le comprendre pour mieux le trouver. Elle s'empressa de lister sur une feuille tout ce que Lecter aimait particulièrement. Gastronomie, musique, automobiles, littérature ou vêtements, Clarice ne devait rien laisser au hasard.
Après être sûre de n'avoir rien oublié, elle passa deux journées à contacter chaque entreprise susceptible de vendre l'un de ces produits aux USA ainsi qu'en Europe. Clarice devait recevoir les relevés des ventes effectuées à la fin de chaque semaine. Elle devait étudier environ une centaine de listes de clients tous les vendredi soirs et si un nom était commun à deux d'entre elles, son ordinateur le lui indiquait immédiatement.
Au cours des trois mois qui suivirent, aucune similitude n'avait été signalée et Clarice commençait à se demander si cette méthode était vraiment la mieux adaptée pour mettre la main sur le docteur. Après tout, la dernière fois qu'elle avait mis en place ce système, le résultat n'avait pas été brillant... Il avait fallu l'intervention de Pazzi pour faire sortir Lecter de sa cachette.
La jeune femme commençait à perdre espoir. Les yeux fixés sur son ordinateur, elle se parlait à elle-même :
''Pour une soi-disant experte en tout ce qui concerne Hannibal Lecter, je ne vaux pas grand chose. Pas le moindre indice... Pourtant il doit bien être...''
Une fenêtre venait d'apparaître sur l'écran et, le plus important, un nom venait de s'afficher. Aussitôt, Clarice consulta les fichiers pour savoir de quels articles l'individu avait été acquéreur. Le premier achat datait du 12 mars chez un marchand de vins à Bordeaux. Il s'agissait de trois caisses de Château d'Yquem, année 1998. La seconde vente datait de seulement quatre jours, le 20 avril. À Orléans, la même personne avait acheté douze bouteilles de Batârd-Montrachet et six bouteilles de Chablis, grand cru.
Enfin Clarice tenait quelque chose : ''Henri Bacellant...,'' dit-elle à haute voix, ''est-ce vous docteur ?'' Ce n'était peut-être qu'une coïncidence. Peut-être s'agissait-il seulement d'un riche notable français qui aimait le bon vin... Elle devait en avoir le cœur net. Après avoir regardé l'heure et en tenant compte du décalage horaire avec la France, Clarice préféra attendre le lendemain pour appeler les deux magasins.
Les conversations téléphoniques ne lui apportèrent rien de concret. L'employé de la cave à vins de Bordeaux décrivait monsieur Bacellant comme un homme barbu et tout en rondeurs. Le responsable de la coopérative d'Orléans parlait plutôt d'un homme élégant, en costume avec de petites lunettes rondes. Impossible de vérifier s'il s'agissait bien du docteur mais cette différence dans les témoignages semblait indiquer que le mystérieux individu ne voulait pas être reconnu. Peut-être un indice...
Les demandes de renseignements au sujet d'un certain Henri Bacellant aux services de police français ne donnèrent rien comme Clarice le présageait. Elle aurait tant aimé se rendre en France pour continuer son enquête sur place.
''C'est bien beau tout ça,'' pensa-t-elle, ''mais qui te prouve qu'il est toujours en France à l'heure qu'il est...''
Jamais Clarice n'avait ressenti un tel sentiment ; elle savait au fond d'elle-même qu'il s'agissait du docteur mais elle n'avait aucune preuve matérielle. Elle passait toutes ses journées enfermait dans son bureau et ses dimanches à lire le plus grand nombre de livres se rapportant aux goûts du docteur. Elle s'était abonnée à plusieurs revues sur l'art, la gastronomie ou la littérature.
Un dimanche après-midi, allongée sur son canapé, Clarice feuilletait sans grande conviction un magazine consacré à la découverte récente d'anciens livres dans la crypte d'une petite chapelle au sud de l'Angleterre. Les rédacteurs de l'article ventaient la grande richesse et la grande qualité des reliures, certainement réalisées pas les moines de l'époque. Clarice s'apprêtait à fermer le magazine quand un encadré attira son attention.
Christie's, Paris
propose une vente exceptionnelle
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Un manuscrit de la main de Dante Alighieri
Le premier sonnet de la Vita Nuova.
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Séance le 24 mai 2004 à 14 h.
Dante... Clarice se souvenait de la déclaration de la signora Pazzi après la mort de son mari. Elle avait rencontré pour la première fois le docteur Fell ou plutôt le docteur Lecter au cours d'un opéra dont le thème était la Vita Nuova...
Mais bien sûr, tout collait parfaitement. Henri Bacellant était sur la route de Paris ; d'abord Bordeaux puis Orléans. Et cette vente chez Christie's devait y être pour quelque chose. Si c'était bien le docteur Lecter, il ne pouvait pas rater une telle occasion d'admirer l'œuvre d'un de ces auteurs favoris.
Clarice sentait une nouvelle énergie coulait dans ses veines. Si toutes ces suppositions étaient correctes, il fallait qu'elle se rende à Paris le 24 mai pour assister à la vente et peut-être démasquer Henri Bacellant.
Dès son arrivée à Quantico le lundi matin, elle téléphona à Clint Pearsall pour lui annoncer qu'elle avait de nouveaux éléments et qu'elle aimerait le rencontrer. Le rendez-vous fut fixé au lendemain matin à dix heures.
Il était déjà tard et Clarice allait quitter son bureau quand son fax se mit à clignoter annonçant l'arrivée d'un document. Il s'agissait de la liste des clients de la maison autrichienne Riedel spécialisée dans la vente de verres en cristal. La jeune femme fut un peu étonnée qu'ils envoient leur liste maintenant mais le fax expliquait que des ennuis informatiques les avaient retardés et qu'ils s'excusaient de cet inconvénient.
Clarice allait devoir vérifier elle-même cette liste. Autant le faire tout de suite. Elle n'avait même pas atteint là-bas de la première page que son regard se posa sur son nom. Monsieur Bacellant avait commandé par correspondance douze verres à 64 euros pièce : six pour vins de Bourgogne et Montrachet et six pour Sauternes.
Ce choix était tout à fait en accord avec les vins achetés à Bordeaux et à Orléans. Clarice ferma les yeux et s'imagina le docteur en train de choisir les verres sur le catalogue. Quelle forme s'harmoniserait le mieux avec le vin pour lui donner toute sa force et toute sa finesse lors de la dégustation.
''Allons Clarice ce n'est pas le moment de rêver et encore moins à un cannibale...''
Elle consulta à nouveau la liste pour connaître l'adresse de livraison du colis... Un grand hôtel parisien... Cette fois-ci elle tenait une piste concrète et elle devait absolument se rendre sur place. L'achat chez Riedel datait du 29 avril, le docteur Lecter devait donc déjà se trouver à Paris.
À la vue des nouvelles informations apportées par l'agent, Pearsall donna son accord pour qu'elle se rende en France. Il accepta aussi qu'elle parte seule mais à une condition : qu'elle prévienne le bureau avant de tenter toute arrestation.
Clarice avait préféré ne pas parler à Pearsall de la vente du 24 mai pour être libre de conduire son enquête comme elle le souhaitait...
