Chapitre 4 : Nouvelle rencontre
Clarice terminait sa tasse de café. Elle avait consacré plus de quatre mois à la recherche du docteur Lecter et il fallait maintenant passer à la phase finale, la plus difficile.
6h30, c'était le moment d'intervenir. Clarice savait que Lecter n'était pas un grand dormeur et il valait mieux le surprendre tôt le matin. Après s'être assurée que son Colt 45. était bien chargé, elle pris une corde dans le coffre de la voiture et s'avança vers l'entrée. Contrairement à la plupart des maisons voisines, il n'y avait pas de caméras de surveillance. Une chance pour l'agent spécial.
Au cours des derniers jours, Clarice avait cherché le meilleur moyen pour entrer dans la propriété et passer par le portail était impossible. Elle n'avait trouvé qu'une seule solution et cela ne lui plaisait guère.
''J'espère que je ne suis plus rouillée depuis Quantico... Ça doit bien faire des années que je n'ai plus fait ce genre de truc.''
Elle se parlait à elle-même pour se donner du courage. Le mur n'était pas très haut mais il ne présentait aucune aspérité pour s'accrocher. Au bout de la troisième tentative, Clarice parvint à accrocher le grappin. Elle se hissa tant bien que mal jusqu'en haut du mur et se laissa tomber de l'autre côté. Elle cacha la corde dans un arbuste et se dirigea vers la maison.
La villa était entourée d'un petit bois formé de chênes et de buis qui la protégeait du regard des passants. Clarice suivait à couvert l'allée principale qu'elle distinguait un peu plus loin sur sa droite. Après un tournant, elle aperçut enfin la maison à une vingtaine de mètres. Elle s'approcha plus près sans sortir du bois.
Clarice n'avait jamais vu une villa aussi charmante et aussi raffinée. L'allée arrivait sur une sorte de petite place pavée avec au centre une fontaine qui représentait une femme versant l'eau de la cruche qu'elle tenait sur son épaule. Des massifs de fleurs étaient disposés tout autour. Sur la droite se trouvaient les garages. Le blanc des deux portes tranchait sur les teintes sombres des vieilles pierres qui apparaissaient sur la façade. Il devait s'agir d'une ancienne grange.
De son côté, la villa était apparemment plus récente. La façade était d'un jaune orangé pâle et les contours des fenêtres étaient décorés de pierres taillées qui rappelaient le style des garages. Une lanterne était fixée au-dessus de la porte, couleur ébène. Il y avait un étage où se trouvaient certainement les chambres.
Clarice se déplaça sur le côté gauche de la maison. À cet endroit, une vigne faisait office de tonnelle au-dessus d'une terrasse qui se prolongeait sur l'arrière de la villa. Le raisin n'était pas encore mûr mais la jeune femme pouvait apercevoir les petites grappes vertes qui se balançaient au gré du vent.
Attirée par tant de beauté et de sérénité, Clarice sortit du bois et s'approcha de la terrasse. Elle dégaina son Colt, il valait mieux rester prudente. Elle regarda par une fenêtre et aperçut ce qui semblait être la cuisine. En continuant d'avancer, elle déboucha sur l'arrière de la maison et faillit lâcher son revolver quand elle vit... la scène qui se présentait à elle.
La terrasse était plus grande ici et elle était partiellement couverte d'un toit. Une odeur agréable se dégageait d'une glycine qui avait envahi tout le côté droit et formait une sorte de mur végétal. Une table et ses quatre fauteuils en osier étaient placés au centre de la terrasse. Un escalier donnait accès à un jardin très coloré. Parmi les rosiers et autres fleurs se trouvait un petit bassin où nageaient des carpes japonaises.
Clarice serait restée des heures devant ce spectacle mais elle n'était pas là pour ça. Elle se retourna vers la maison et regarda par la vitre d'une grande porte-fenêtre qui donnait sur la terrasse. Elle reconnut la salle à manger. Après avoir essayé la poignée sans succès, elle sortit une aiguille de sa poche. Elle espérait qu'il n'y avait pas d'alarme ou s'il y en avait une, que le docteur ne l'avait pas branché.
Après quelques secondes, la porte s'ouvrit avec un clic un peu trop bruyant au goût de Clarice. Maintenant, il ne fallait plus faire un seul bruit et restait sur ses gardes.
La salle à manger était spacieuse. Par une ouverture dans un mur, la jeune femme pouvait apercevoir la cuisine. ''Un bon moyen pour faire passer les plats... ou pour espionner le chef cuisinier'' pensa Clarice avec amusement. Six personnes pouvaient s'asseoir autour de la table ovale placée au centre de la pièce et les couverts devaient se trouver dans le grand buffet à gauche.
Deux possibilités s'offraient à Clarice. La porte en face d'elle menait dans le hall d'entrée et celle de gauche dans le salon. Elle voyait très bien de là où elle était le canapé et les fauteuils qui faisaient face à la télévision. Elle pouvait aussi deviner la présence d'une immense bibliothèque. Mais ce n'était apparemment pas ici qu'elle trouverait le docteur. Il devait être à l'étage.
En passant dans le hall, elle jeta un rapide coup d'œil à la cuisine. Il y avait tout le nécessaire et bien plus encore. L'agent spécial se demanda même à quoi pouvaient servir certains instruments. Après un demi-tour, Clarice se trouvait face à un escalier. Elle vérifia à nouveau le chargeur de son Colt et commença à gravir les marches en longeant le mur.
Elle arriva au bout d'un long corridor éclairé par deux fenêtres placées à chaque extrémité. Elle sentait son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine et se demandait si quelqu'un pouvait l'entendre. Elle essaya de se calmer et parcourut des yeux le couloir. Clarice compta quatre portes. Deux d'entre elles, les plus proches, étaient fermées. Une autre était entrebâillée et la dernière était ouverte.
Elle ne pouvait pas prendre le risque d'ouvrir les portes qui étaient closes. Elle se dirigea donc vers le fond du couloir. À sa droite, elle distingua une salle de bain par l'embrasure de la porte. Il ne lui restait donc qu'une possibilité.
Des gouttes de sueur perlaient sur le front de Clarice. Jamais elle n'avait été aussi angoissée. Elle s'approcha de la pièce sur sa droite, ses mains serraient son Colt. Elle avait atteint la porte. Les volets n'étaient pas fermés et la chambre était éclairée par la douce lumière du jour. Starling ne pouvait pas voir le lit d'où elle se trouvait.
Elle ne devait pas hésiter. Après un pas de côté, Clarice se tenait sur le pas de la porte, les bras tendus, son arme pointait devant elle. Elle examina rapidement l'intérieur de la pièce comme elle l'avait appris à Quantico. À droite, une commode et un fauteuil avec une veste sur le dossier. À gauche, une grande armoire et un miroir. Enfin, au centre, le lit avec de chaque côté une table de chevet et dans le lit...
''FBI ! Ne bougez plus docteur Lecter !''
En criant ces mots, Clarice avait libéré une partie de la tension qui l'assaillait depuis qu'elle avait atteint cet étage. Elle ne s'attendait pas à le trouver encore coucher. Le docteur ne semblait pas surpris de la voir, du moins il ne le montrait pas. Après s'être assit, il lui dit :
''Bonjour, agent spécial Starling. Comment allez-vous ?''
Maintenant qu'il était assis, Clarice pouvait voir qu'il ne portait rien en haut et la vue de cet homme torse nu la décontenança quelque peu. Elle se réprimanda aussitôt : ''Concentre toi sur ce que tu as à faire, ce n'est pas la première fois que tu vois un homme torse nu.'' Elle commença :
''Docteur Lecter, je ne suis pas venu ici pour parler de mon état de santé et je vous prierais de...''
Hannibal l'interrompit : ''Tsk, tsk, tsk... Vous savez très bien que je n'aime pas les gens mal élevés. Votre mission vous empêche-t-elle d'être polie Clarice ?''
Il avait bien insisté sur la dernière syllabe de son prénom comme il l'avait fait à Baltimore des années auparavant. La jeune femme sentit la colère montait en elle puis se calma. Il valait mieux que les choses se passent dans le calme.
''Bonjour, docteur'', dit-elle après un long soupir.
Un léger sourire apparut sur les lèvres du docteur. ''C'est bien mieux ainsi, vous ne trouvez pas ? Une conversation entre deux personnes civilisées.'' Après un instant, il reprit : ''Mais je vous en pris Clarice, je vous ai coupé la parole et vous n'avez pas pu terminer votre phrase.''
Pourquoi fallait-il toujours qu'il se comporte de cette façon ? Le FBI vient pour l'arrêter et il trouve moyen d'être l'exemple type du parfait gentleman. Clarice trouvait ce comportement à la fois très énervant et très attirant.
''Vous savez très bien ce que j'allais dire. Je suis ici pour vous ramener aux Etats-Unis où vous serez jugé pour les meurtres que vous avez commis.''
''Mmm... Pensez-vous que j'ai une chance d'échapper à la peine de mort agent Starling ? Peut-être devrais-je à nouveau plaider la folie ? Qu'en pensez-vous ?''
Clarice commençait à avoir mal aux bras à tenir en joue le docteur et toute cette discussion ne faisait pas avancer les choses. De plus, la jeune femme trouvait difficile de ne pas laisser son regard errait sur le torse de Lecter. Il était encore bien pour son âge et assez séduisant.
''Je ne sais pas Docteur. Peut-être qu'avec un bon avocat, vous y échapperiez.''
''Dommage que vous ne soyez pas avocate Clarice. Je vous aurais choisi immédiatement. Nous aurions pu passer de bons moments au tribunal...''
Les yeux d'Hannibal pétillaient. Cette petite conversation était tout à fait revigorante. Ce n'était pas l'opinion de Clarice qui se sentait de plus en plus mal à l'aise. Depuis qu'elle était entrée dans la chambre, elle n'avait jamais pris le dessus au cours de la discussion. Il parvenait à chaque fois à la déstabiliser.
Elle s'avança jusqu'au pied du lit et s'adressa au docteur avec détermination : ''Maintenant assez perdu de temps, vous allez vous lever puis vous mettre face au mur les mains derrière la tête, jambes écartées.''
Après un court instant, Hannibal répondit : ''Non''.
Sur le coup, Clarice pensait avoir mal entendu mais il avait bien refusé ses ordres : ''Docteur Lecter, je crois que vous n'êtes pas en position de discuter quoi que ce soit. Ne me forcer pas à utiliser mon arme.'' Le Colt 45. était toujours pointé sur Lecter.
Il reprit : ''Il me semble agent Starling que vous m'avez mal compris. Je ne vais pas quitter ce lit et même si vous usez de votre arme, ce qui soit dit en passant me paraît peu probable, je ne bougerais pas.''
Clarice voyait bien que le docteur était sérieux. Il la rendait folle. La colère l'envahit à nouveau et la jeune femme s'emporta.
''Maintenant ça suffit. Je ne vous permets pas de contredire mes ordres ou de douter de ma capacité à tirer sur vous. Je ne le répèterais pas. Je veux vous voir debout face au mur tout de suite.'' Pour ponctuer son discours, elle abaissa le chien de son Colt.
Hannibal ne croyait pas vraiment qu'elle allait tirer mais il ne voulait pas prendre de risque. Clarice était une femme imprévisible, un aspect de sa personnalité qu'il appréciait. Il leva la main en signe d'apaisement.
''Je vais faire ce que vous voulez Clarice mais j'aimerais ajouter quelque chose avant...'' Il s'éclaircit la voix et continua : ''Je voulais juste que vous me confirmiez quelques faits. C'est bien vous qui m'avez demandé de me lever, n'est-ce pas ? Et je n'ai accepté de coopérer qu'au moment où vous m'avez menacé avec votre arme ?''
La question déstabilisa la jeune femme. ''Oui c'est bien ça''.
''Bien... Vous ne niez pas non plus que j'ai d'abord refusé de me soumettre à vos ordres ?''
Clarice commençait à s'impatienter. ''Non je ne le nie pas, mais où voulez-vous en venir docteur ?''
''Si jamais il se produisait quelque chose de fâcheux, sachez que je n'ai obéi qu'aux ordres que vous m'avez donné, agent spécial Starling.''
Hannibal retira le drap qui le couvrait et se mit debout à côté du lit. Si Clarice n'avait pas compris le sens de toutes ces questions, elle le comprenait pleinement maintenant. La surprise était si grande qu'elle ne pouvait plus faire un mouvement. La main qui tenait son arme se mit à trembler puis s'abaissa lentement.
Hannibal Lecter, un des criminels les plus recherché par le FBI, se tenait debout complètement nu devant Clarice qui ne savait plus où poser son regard. Elle ne parvenait pas à expliquer sa réaction, pourquoi est-ce que cela la toucher à ce point ? Ce n'était pas la première fois qu'elle voyait un homme sans vêtement. Elle était terriblement gênée, mais ses yeux ne pouvaient pas se détacher du corps du docteur. Ses lèvres, les poils grisonnants sur sa poitrine, les muscles de ses bras, l'élégance de ses jambes et...
Pourquoi avait-elle regardé à cet endroit ? ''Parce que c'est là que toutes les femmes regardent...'' pansa-t-elle. Clarice secoua la tête. Elle ne pouvait pas rester ici, il fallait qu'elle quitte cette pièce immédiatement. Sans dire un mot, elle sortit de la chambre en direction des escaliers. Elle voulait être seule, elle voulait oublier... non, elle devait oublier ce qu'elle avait vu.
